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Chapitre I. Contexte et état de l’art

6. La recristallisation dans les aciers ODS

6.2 Influence de la déformation et de la texture sur la recristallisation

Il apparaît donc que la recristallisation dans les aciers ODS ferritiques après consolidation n’est observable qu’à très haute température (≈ 0,9 Tfusion). Afin de réduire cette température pour faciliter leur mise en forme, plusieurs modes de déformation à froid suivis de traitements thermiques peuvent être appliqués sur des nuances compactées à chaud et/ou filées. En effet, comme expliqué dans le paragraphe 2.1.1, la déformation permet d’introduire de l’énergie sous forme de dislocations et de faciliter l’amorçage de la recristallisation primaire.

Grosdidier et al. [77] ont montré que la déformation influence la morphologie des grains et la texture après recristallisation. Lors de cette étude, deux échantillons d’une nuance filée ODS Fe-40%Al ont été observés après respectivement 10% et 16% de compression et un traitement thermique de recristallisation d’une heure à 1000°C. Les analyses EBSD sur la Figure I.27 révèlent que la forte texture de fibre α {hkl}<110> due au filage a été remplacée par une texture {hkl}<111> caractéristique des déformations en compression dans les métaux de structure cubique centrée. Cependant, les auteurs constatent au vu des ODF que cette texture <111> après recristallisation est d’autant moins marquée que la déformation est importante. A la suite du traitement de recristallisation, l’échantillon déformé de 10% présente des grains allongés de plusieurs centaines de micromètres dans la direction de filage (ED) (Figure I.27c). L’échantillon déformé de 16% présente quant à lui des grains beaucoup plus fins et équiaxes dans les deux directions de prélèvement (Figure I.27b et d). Les auteurs expliquent ce comportement par le fait qu’à faible déformation, le nombre de germes est plus faibles, les grains recristallisés grossissent plus et sont en contact avec un nombre plus important de précipités alignés dans la direction de filage. Les grains sont alors contraints de croître dans cette direction, parallèlement à l’alignement des précipités, qu’ils ne peuvent pas traverser. Ce phénomène ne s’observe pas pour les déformations plus élevées puisque le nombre important de germes provoque rapidement le recouvrement des grains entre eux. Ceux-ci cessent alors de croître et gardent une morphologie équiaxe. Cette microstructure est ensuite très stable puisqu’elle ne montre pas d’évolution même après un traitement de 45h à 1000°C.

Cette étude montre ainsi l’intérêt de la combinaison déformation/traitement thermique à basse température afin de limiter la croissance des grains, le développement d’une texture et également la coalescence des précipités dans le but d’augmenter les propriétés mécaniques.

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Figure I.27 : Cartographies IPF (directions cristallographies // ED) des coupes (a, b) transverses et (c, d) longitudinales des échantillons traités 1h à 1000°C après compression de (a, c) 10% et (b, d) 16% [77]

Des essais de compression simple ont également été réalisés pendant la thèse de Dadé [52]. Une compression de 40% d’un échantillon ODS 14%Cr filé a conduit à cette même texture <111> // DF. Suite à un traitement thermique à 1450°C pendant 30 min, la microstructure est recristallisée et la texture <111> est maintenue mais avec une acuité moins importante, ce qui reste inexpliqué. Ces travaux ont aussi montré qu’il était possible d’effectuer des analogies taux de compression/température. En effet, la déformation de 40% suivie d’un traitement de 30min à 1450°C conduit à une microstructure similaire à celle obtenue après une déformation de 70% suivie d’un traitement de 30 min à 1150°C. Ceci est intéressant puisque connaissant les phénomènes de coalescence des nano-précipités et de grossissement de grains à haute température, on préfèrera le second traitement thermo-mécanique.

Capdevilla et al. [78] se sont intéressés à la recristallisation après déformation de l’alliage MA957 (Fe-14Cr-1Ti-0,3Mo-0,27Y2O3). Le matériau a été filé à 1000°C puis laminé à 1000°C pour réduire le diamètre de la barre. Des essais à différents taux de flexion ont été réalisés sur des barres visibles sur la Figure I.28 afin de créer un gradient de déformation dans la section ainsi qu’un changement de signe de la déformation plastique. Suite à cela, un traitement thermique d’une heure a été appliqué à 1330°C sur une barre non déformée (température minimum à laquelle le matériau recristallise) et à 1300°C sur les barres déformées.

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Figure I.28 : Eprouvettes déformées en flexion selon différents taux [78]

La Figure I.29 présente les microstructures obtenues : la barre non déformée montre un début de recristallisation avec des gros grains sur les bords de la barre (Figure I.29a). La barre déformée n°2 présente des gros grains recristallisés dans toute l’épaisseur au niveau du coude de flexion mais des zones non recristallisées au centre lorsqu’on s’éloigne du coude (Figure I.29b). La barre déformée n°4 montre des zones recristallisées à petits grains sur les bords, où la déformation en compression/traction est maximale. Une bande de gros grains recristallisés persiste au centre (Figure I.29c). La Figure I.29d montre que la taille des grains recristallisés est étroitement liée à la densité d’énergie de déformation plastique (calculée par éléments finis avec le logiciel COMSOL en considérant un matériau élasto-plastique et un critère de plasticité de Von Mises) : plus celle-ci est élevée, plus les grains sont petits.

Figure I.29 : Micrographie optique (a) de la barre non-déformée après 1h à 1330°C, (b) de la barre 2 et (c) de la barre 4 après 1h à 1300°C et (d) modélisation par élément finis de la densité d’énergie de déformation pour la barre 4 [78]

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Les auteurs [78] relient l’apparition des grains recristallisés directement à la texture de déformation à froid qui serait favorable à la germination. L’état brut de laminage montre une texture où les grains orientent leur direction <110> parallèlement à l’axe de la barre (DT) et leur direction <100> parallèlement à la direction radiale DR de la barre. Dans la zone en compression de la barre 4, ils montrent que la déformation par flexion conduit à fortement atténuer la texture de laminage et à orienter un nombre conséquent de grains selon la fibre γ (plan {111} des grains dans le plan de laminage (DT,DR) et direction <111> normale au plan). Ensuite, les grains recristallisés germeraient plus facilement dans ces zones du fait que la mobilité des grains γ serait plus élevée. Les auteurs évoquent donc la mobilité des joints plus que l’énergie stockée pour expliquer la texture de recristallisation.

La thèse de Réglé [79] a porté sur l’étude de deux procédés de mise en forme à froid différents de l’alliage MA957, l’étirage et le martelage rotatif (4 marteaux), afin de voir leur influence sur la microstructure du matériau avant puis après un traitement de recristallisation. L’étirage maintient la texture de fibre α obtenue après filage où la direction <110> est alignée avec l’axe de la barre. Cependant cette texture tend à diminuer avec l’augmentation de la déformation et la direction <110> des grains s’écarte de plus en plus de l’axe de la barre. Concernant le martelage, une composante cyclique de type {332}<110> semble s’ajouter à la texture de fibre α et cette composante s’accentue avec les passes successives de martelage. Après déformation, quel que soit le procédé, la morphologie des grains est semblable à celle après filage.

Suite à cela, des traitements thermiques d’une heure ont été appliqués pour provoquer la recristallisation du matériau. La température de recristallisation a été mesurée pour différents taux de réduction de section pour ces deux procédés (Figure I.30). Dans cette étude, cette température est définie comme la température à partir de laquelle la structure initiale à grains fins a totalement été remplacée par une structure constituée de gros grains recristallisés. L’évolution de cette température est très différente selon le mode de déformation adopté. L’augmentation de la réduction de section par étirage induit une diminution progressive de la température de recristallisation qui devient inférieure à 1100°C après environ 40%. La déformation par martelage influence beaucoup moins la température de recristallisation, qui reste supérieure à 1300°C même après 60% de réduction de section. Selon Réglé [79], la difficulté à provoquer la recristallisation dans le matériau suite à la déformation par martelage provient de la forte texture du matériau qui limite le mouvement des joints de grains.

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Figure I.30 : Température de recristallisation de l’alliage MA957 déformé par étirage ou martelage [79]

L’étude s’est également portée sur la texture après recristallisation sur l’état étiré à 60% et l’état martelé à 60%. Sur l’état étiré, les grains sont effilés dans la direction de la barre et mesurent entre 50 et 100 µm de diamètre. La texture est de type fibre et les grains orientent majoritairement leur direction <111> dans la direction de la barre. Concernant l’échantillon martelé, il présente deux populations de grains possédant chacune une texture spécifique : Des gros grains de 500 µm au centre et au bord qui suivent majoritairement une direction de type <111> parallèle à la direction de la barre. Les petits grains (diamètre moyen 10 µm) qui forment une couronne à mi-rayon présentent tous une direction <110> alignés avec la direction de la barre.

A partir de ces résultats, Réglé a cherché à comprendre l’origine de cette microstructure recristallisée à gros grains. La première hypothèse est qu’elle est issue d’une recristallisation primaire suivie d’une croissance anormale causée par la forte texture : les joints de grains faiblement désorientés sont peu mobiles et seuls quelques germes d’orientations différentes vont pouvoir donner lieu à la croissance. La deuxième hypothèse est qu’il s’agit d’une recristallisation primaire avec peu de sites de germination qui peuvent croître par différence d’énergie stockée. La texture finale est alors fortement liée à l’orientation de ces grains recristallisés.

Chen et al. [80] ont montré l’influence du taux de laminage à froid sur la recristallisation d’une nuance ODS PM2000 à 20%Cr consolidée à 1000°C puis laminée à chaud. Quatre états ont été analysés : brut de laminage à chaud puis laminé à froid de 30, 50 et 70 %. Pour chaque état, des traitements thermiques de 15, 30 et 60 min à 1380°C ont été appliqués. Les auteurs ont montré que la recristallisation n’était pas possible à l’état brut de laminage même après un traitement de 1h à 1380°C. L’énergie stockée est trop faible soit à cause d’une température trop importante lors du laminage à chaud soit à cause d’une restauration lors du traitement thermique. Ces deux phénomènes diminuent l’énergie motrice pour la recristallisation. Pour l’échantillon laminé de 30%, une restauration est privilégiée lors des traitements courts et un début de recristallisation est observé en surface de la tôle après 1h, là où les contraintes de cisaillement sont plus importantes. Concernant l’échantillon laminé de 50%, la recristallisation apparaît

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dès le traitement à 15 min mais celle-ci n’est pas uniforme à cause des hétérogénéités (bandes de cisaillement essentiellement) introduites dans le matériau lors du laminage. Après une heure, quelques zones non recristallisées persistent au centre de la tôle mais la majorité du matériau est constituée de gros grains recristallisés. Quant à l’échantillon laminé de 70%, il est totalement recristallisé dès le traitement de 30 min à 1380°C. La température de début de recristallisation est estimée par DSC à 1130 °C.

La recristallisation après laminage à froid a aussi été étudiée par Leng et al. [81] sur une nuance ODS 15%Cr. L’étude montre la capacité des grains à stocker plus ou moins d’énergie en fonction de leur orientation cristalline. L’évolution de la texture au cours des traitements thermomécaniques est présentée sur la Figure I.31.

Figure I.31 : Evolution de la texture au cours de la gamme de mise en forme d'un acier ODS 14%Cr PM2000 [81]

Après une première passe de laminage, le matériau présente une texture composée d’une fibre α partielle marquée entre les orientations {111}<110> et {112}<110>. Une légère fibre γ se développe également. Après un traitement de recristallisation de 30 min à 950°C, la texture de fibre α est fortement atténuée et les grains recristallisés présentent majoritairement la composante {111}<112> de la fibre γ. Une deuxième passe de laminage est ensuite appliquée et conduit à l’obtention de l’orientation {100}<110> tandis que l’orientation {111}<112> se maintient. Cette microstructure ne recristallise qu’à partir de 1100°C et développe la composante {111}<110>. De nouveau, la prédominance d’une orientation appartenant à la fibre γ après recristallisation est observée, suggérant la capacité de cette fibre à favoriser la recristallisation dans les aciers de structure cubique centrée. Pour comprendre l’augmentation de la température de recristallisation suite au 2nd laminage, les auteurs se basent sur le classement de l’énergie stockée en fonction du plan cristallographique des grains aligné avec le plan de laminage proposé par Dillamore et Katoh [82] tel que Es{111} > Es{110}> Es{100}. Cela expliquerait donc que les grains avec l’orientation {100}<110> stockent peu d’énergie lors du laminage ce qui conduit à une augmentation de la température de recristallisation. Inversement, l’énergie stockée élevée dans les grains de la fibre γ favorise la germination de grains recristallisés.

Concernant le laminage à pas de pèlerin, à l’heure actuelle, les équipes japonaises de JAEA sont les seules à maîtriser la recristallisation des tubes de gainage en ODS avec ce procédé de mise en forme. Narita et al. [83] ont travaillé sur l’influence du traitement thermomécanique sur la recristallisation de tubes ODS ferritiques à 12%Cr. Les textures de recristallisation après une déformation par laminage à pas

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de pèlerin (Vertikaler Massenausgleich Ringwalzei, VMR) diffèrent du laminage sur tôle et ont tendance à générer une texture plus marquée avec la prédominance de l’orientation {111}<110> (Figure I.32).

Figure I.32 : Cartographies IPF (directions cristallographiques // normale au plan d’observation) après déformation et après recuit lors de la mise en forme de tube ODS 12%Cr [83]

Narita et al. [83] considèrent qu’il est important d’éviter toute recristallisation au cours de la gamme de mise en forme pour obtenir une microstructure totalement recristallisée au dernier traitement thermique. En effet, le laminage de tubes induit une texture {111}<110> favorable à la recristallisation, comme il a été mentionné précédemment. Cependant, d’après Narita et al., une recristallisation intermédiaire produit l’apparition d’une texture {110}<111> qui après laminage donne une texture mixte plus aléatoire de type {112}<110> - {111}<110>. L’acuité moins importante de l’orientation {111}<110> provoque alors une augmentation de la température de recristallisation et la microstructure n’est pas recristallisée comme le montre la Figure I.30 (Process A). A l’inverse, lorsqu’aucune recristallisation intermédiaire n’a lieu, la composante {111}<110> est forte et une recristallisation totale a lieu après traitement thermique et la texture est principalement {110}<111> (Figure I.31, Process B). En revanche, les auteurs n’expliquent pas les raisons pour lesquelles la texture de recristallisation est sensiblement différente de la texture de déformation.

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