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Indifférenciation de l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel dans les énoncés nominaux énoncés nominaux

L’aspect représentatif et l’aspect opérationnel sont reconnus comme des aspects nécessaires à l’énoncé, pareillement en japonais et en français. Ainsi YAMADA (1936 : 94) dit qu’une pensée à exprimer est toujours composée d’un ou plusieurs élément(s) représentant une ou des matière(s) d’une pensée et d’une opération subjective qui présente ce(s) élément(s) en tant qu’unité existant comme telle. Il s’agit d’un côté de

« matière(s) d’une pensée », i.e. aspect représentatif, et de l’autre d’« opération mentale d’une pensée », i.e. aspect opérationnel.131 Ces deux aspects sont reconnus dans TOKIEDA (1950 : 230-238) sous l’appellation de « côté objectif » (au sens de « objet d’un jugement ») et de « côté subjectif » (au sens de « côté subjectif d’un jugement)132 et dans ISHIGAMI (1998 : 161) de « côté qui représente un objet du jugement » et de

« côté opérationnel du jugement »133. Ces deux aspects peuvent être assimilés à deux aspects décrits sur le principe constitutif des énoncés dans la linguistique française au nom de « dictum », qui est un contenu représentatif, et de « modus », une attitude du locuteur à l’égard de ce contenu134. La « fonction cohésive » et la fonction « assertive » que BENVENISTE (1969) reconnaît comme « fonction verbale », cruciale pour l’énoncé assertif (que ce soit verbal ou nominal) couvre respectivement l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel.

Au sein de l’énoncé assertif, la fonction verbale est double : fonction cohésive, qui est d’organiser en une structure complète les éléments de l’énoncé ; fonction assertive, consistant à doter l’énoncé d’un prédicat de réalité. […] A la relation grammaticale qui unit les membres de l’énoncé s’ajoute implicitement un « cela est ! » qui relie l’agencement linguistique au

131 Cf. YAMADA, 1936 : 94. En japonais : « Shisô no zairyô-men 思想の材料面 » et « Shisô-no

sêshinsayô-men 思想の精神作用面 ».

132 En japonais : « Kyaku-tai客体 » et « Shu-tai 主体 ».

133 En japonais : « Handan no taishô-teki na men 判断の対象的な面 » et « Handan no sayô-teki na men 判断の作用的な面 ».

134 DUCROT et SCHAEFFER, 1995[1972] : 697.

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système de la réalité. […] Ainsi la structure syntaxique de l’assertion finie permet de distinguer deux plans : le plan de la cohésion grammaticale, où le verbe sert d’élément cohéreur, et le plan de l’assertion de réalité, d’où le verbe reçoit sa fonction d’élément assertif.135

La fonction cohésive est définie comme fonction « grammaticale qui unit les membres de l’énoncé ». Elle correspond donc à l’aspect de l’énoncé qui représente un fait. Et la fonction assertive justement celle qui marque l’attitude de l’énonciateur qui dit « cela est ». Ainsi la phrase nominale est analysée par BENVENISTE comme ayant pour terme assumant ces deux fonctions un nom, en comparaison avec la phrase verbale où c’est un verbe qui les assume136. Dans la théorie de Jutsu-tai / Kan-tai (énoncés verbaux et nominaux) de YAMADA, le mot où s’exerce une fonction assumant l’énonciation est certes un verbe dans les énoncés verbaux et un nom dans les énoncés nominaux, mais cette fonction n’y est pas décrite de manière identique dans les énoncés verbaux et les énoncés nominaux. D’abord, comme nous l’avons dit précédemment, elle se définit différemment, au plan sémantico-syntaxique dans les énoncés verbaux et au plan énonciatif dans les énoncés nominaux. Ensuite, la réalisation des deux aspects représentatif et énonciatif est aussi différente dans les énoncés verbaux et nominaux.

C’est ISHIGAMI (1997-1999, 2004, 2005) qui éclaircit ce point, en articulant la description des Jutsu-tai (énoncés verbaux) et celle des Kan-tai (énoncés nominaux) de YAMADA (1936). Les énoncés verbaux peuvent s’analyser en distinguant l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel comme le décrit ISHIGAMI (1997 : 276) :

Lorsque l’on analyse un fait, i.e. matière d’une phrase, en entité et attribut, et qu’on le saisit au plan linguistique comme relation entre fonction sujet et fonction attributive, respectivement réalisée par un nom et par un verbe ou un adjectif, nous avons une structure binaire, deux éléments constitutifs, de Jutsu-tai (énoncés verbaux). C’est l’aspect représentatif du jugement. Donc,

135 BENVENISTE, 1966 : 154.

136 Sauf DAMOURETTE et PICHON, 1911-1927 : 67-76, surtout 118.

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la fonction qui fait d’une séquence de mots un énoncé dans les Jutsu-tai correspond à l’aspect opérationnel du jugement. Sur la présence supposée (ou préétablie) d’une relation entre sujet et attribut qui assume l’aspect représentatif du jugement, s’établit Jutsu-kaku (la fonction prédicativo-assertive) qui assume l’aspect opérationnel du jugement. C’est la structure des Jutsu-tai.137

En revanche, pour les énoncés nominaux, ISHIGAMI (2004 : 125) suppose l’indifférenciation de ces deux aspects représentatif et opérationnel :

Or pour les Kan-tai, il ne clarifie pas ce qu’est l’aspect opérationnel. La distinction de la grammaire de YAMADA (1936) qui décrit les Jutsu-tai (énoncés verbaux) comme ayant un caractère binaire et les Kan-tai (énoncés nominaux) comme simples (au sens de non binaire) correspond certes à la structure de l’aspect représentatif de chacun (c’est-à-dire, les Jutsu-tai représente un fait de manière analytique, par une relation sujet-prédicat, par contre les Kan-tai représentent un fait de manière synthétique comme ensemble saisi comme tel), mais aussi ou plus que cela, l’analyse des Kan-tai par une seule fonction, Ko-kaku (la fonction désignative), suggère l’indifférenciation entre l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel dans les Kan-tai.138

137 Texte original en japonais : « 文の素材である事態を、実体と属性とに分析し、これを言語上に

体言と用言による主格賓客の相関として捉えるとき、述体の二元、即ち二つの構成要素となる。

これは判断の対象面を示したものである。従って、述体の統覚作用とは判断の作用的な面の現 れである。判断の対象的な面である主格賓客という関係的存在を前提とすることで、判断の作 用的な面である述格は存立するのである。これが述体を有することの構造である。その述格が 担うものを山田文法では「陳述」と称し用言に見出す。»

138 Texte original en japonais : « 述体では、判断の対象的な次元のもの:主格賓客、作用的な次元

のもの:述格、というように判断の要素と構文概念の対応が分離的に取り上げられた。だが、

換体での作用的次元が何であるかは追求されていない。述体と換体を二元性と一元性とする山 田文法の弁別は、対象的次元での文節に対応することは勿論であるが、そのこと以上に、呼格 ただ一つを構文概念とする分析は、判断の対象的次元と作用的次元の間の未分一元性をも示唆 している。»

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En effet, dans les énoncés nominaux, le nom (ou la séquence nominale) noyau en Ko-kaku (la fonction désignative) marque à la fois un objet désignable dans une situation particulière et une opération qui désigne cet objet comme tel. Pour Ko-kaku (la fonction désignative), l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel sont comme les deux faces d’une même médaille. Cela signifie que l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel sont certes nécessaires à l’énoncé en général, mais que leur réalisation n’est pas toujours identique. Nous pouvons dire plutôt que la portion de l’aspect représentatif et de l’aspect opérationnel varie, comme le disent DAMOURETTE et PICHON (1911-1927 : 67-76, surtout 118), où ils parlent de la valeur affective et de la valeur représentative, correspondant respectivement à l’aspect opérationnel et à l’aspect représentatif :

Nous avons vu que le caractère nécessaire de la factivosité, donc de la parole, était le sentiment que quelque chose de nouveau venait d’apparaître à l’esprit du locuteur en tant que ce sentiment se communique à l’allocutaire pour le toucher affectivemen et l’informer représentativement : à ce phénomène nous donnons le nom d’émouvement. A mesure que la factivosité ajoute à sa valeur affective primitive une valeur plus nettement représentative, se dégagent progressivement des circonstances jouant un rôle dans le fait qui donne lieu à l’émouvement. A l’émouvement s’ajoute alors le circoncetancement, qui est l’aperception d’un certain nombre de modalités venant teinter la factivosité principale.139

Concernant la répartition de ces deux valeurs, y sont distinguées la « phrase verbale » et la « phrase nominale » ; par rapport à la « phrase nominale » qui peut être composée

« d’un émouvement pur »140 telle que la phrase nominale « Papier ! » (dite par celui qui demanquait de papier pour continuer une composition lors d’un concours

139 DAMOURETTE et PICHON, 1911-1927 : 118.

140 Ibid. : 416. Ils admettent aussi le cas où la phrase nominale a un certain circonstancement comme dans « Pas un bruit, pas une âme dans ce quartier absolument désert » (Ibid. : 486).

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important »)141, la « phrase verbale » se construit autour d’un verbe qui possède à la fois en lui la puissance d’émouvement et la puissance de circonstancement »142 et qui est donc « un outil d’une excellence singulière pour exprimer la factivosité dans son entier avec toutes les nuances taxiématiques qui peuvent la préciser »143. En effet, concernant l’aspect opérationnel qui est primordial pour l’énonciation, sa valeur doit être identique dans les énoncés verbaux et les énoncés nominaux. Quant à l’aspect représentatif, les énoncés verbaux contiennent plus d’information sur le fait à représenter : éléments constitutifs de ce fait et leurs relations entre eux, alors que dans les derniers, la séquence nominale noyau apporte moins d’information et c’est la situation qui complète l’aspect représentatif. Pour être énoncé, l’aspect représentatif est certes nécessaire aux énoncés nominaux, mais dans les énoncés nominaux, il est minimum et se confond avec l’aspect opérationnel. Plus l’aspect représentatif est enrichi, plus les relations entre des termes occupent une place importante et de manière plus nette ces relations sont décrites.

L’indifférenciation de l’aspect opérationnel et l’aspect représentatif et la valeur représentative faible dans les énoncés nominaux revient à une autre propriété des énoncés nominaux : à savoir que ces énoncés se construisent au « plan locutoire » (DAMOURETTE et PICHON, 1911-1927 : 74-75), qui est abordé dans la section suivante.