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Enoncés au « plan locutoire »

En effet, les énoncés composés d’une séquence nominale n’évoquent que l’entité désignée et non une relation entre les éléments constitutifs de l’entité ; il n’y a qu’une séquence nominale qui désigne un objet concret, un fait ou un état reconnu présent par l’émetteur-énonciateur. Il ne s’agit que d’une entité présente in situ pour lui. Donc le

« centre du discours était la personne qui parle et réagit au milieu extérieur ou du moins sur cette portion sensible à sa voix qui est allocutaire »144. Les énoncés nominaux sont

141 Exemple tiré de DAMOURETTE et PICHON (Ibid. : 418).

142 Ibid. : 414.

143 Idem.

144 Ibid. : 74-75.

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au « plan locutoire », qui se distingue du « plan délocutoire » où « le centre du discours est la chose dont on parle (nous ne disons pas la personne, car il n’est plus utile de lui prêter de la perception) et dont le discours raconte l’histoire »145. A la différence des énoncés verbaux qui sont au « plan délocutoire » où « le locuteur [conçoit] que lui-même et l’allocutaire font partie de ce mode dont ils parlent »146 et où il se situe, dans les énoncés nominaux qui sont au « plan locutoire », l’émetteur-énonciateur «, sans se nommer, se pose comme le centre du monde linguistique »147. Autrement dit, les énoncés nominaux ne peuvent pas évoquer une entité détachée de hic et nunc où se situe l’émetteur-énonciateur, comme le dit ONOE (1998). Pareille idée se trouve aussi dans CARVALHO (de) (2004) qui dit que les phrases nominales relèvent « du présent locutif – « énonciatif » si l’on y tient – » (2004 : 94), tout différemment des phrases verbales qui « [visent], d’une manière ou d’une autre, la représentation, au-delà de Moi ici-présent, d’un « état momentané du monde » » (2004 : 99). Nous pouvons confirmer ce fait en reprenant l’exemple de YAMADA : « Un chien ! » devant un chien qui vient en position d’attaque. D’abord le repérage de l’entité désignée, un chien, ne se fait qu’au moment de l’énonciation. Cet énoncé nominal ne peut se comprendre s’il est détaché de la situation où se situe l’émetteur-énonciateur, ici la situation d’énonciation perceptible. La même séquence nominale, à elle seule, détachée de cette situation, ne peut pas fonctionner en tant qu’énoncés, à moins qu’on ne reproduise mentalement (ou verbalement dans le cas du récit) la situation entière où est émis cet énoncé. Ensuite, le repérage de l’entité désignée se fait toujours avec des informations apportées par le contexte (situationnel et/ou linguistique). Dans le cas de « Un chien ! », l’entité est repérable comme quelque chose d’accessible à travers le nom « chien » dans la situation de son emploi ; ici, il s’agit à la fois d’un chien qui attaque et d’une surprise causée par ce chien (ou l’attaque de ce chien). Autrement dit, ce qu’évoque l’énoncé doit se trouver ou être accessible, que ce soit perceptiblement ou non, à l’aide des informations que l’on peut tirer du contexte. Enfin, l’entité désignée se repère, i.e. est située, dans cette situation même, et pas ailleurs. Dans l’énoncé « Un chien ! », ce dont il s’agit n’est pas autre chose que « il y a ici et maintenant (ni aux autres lieux ni aux autres moments)

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chien ! » ni « Il y aurait/ avait un chien ! ». Même « Traversée interdite » posé au bord de la route, par exemple, qui semble énonçable sans contexte par sa structure informatique asymétrique, ne peut fonctionner en tant qu’énoncés en dehors du hic et nunc de son actualisation qui n’est pas autre chose que la lecture de la séquence par chaque passant. Pour parler de l’état rapporté par cet énoncé / traversée interdite / dans une autre situation, on ne peut que recourir aux énoncés verbaux tels que « sur telle route, la traversée est / était / sera interdite pendant telle ou telle période ». De fait, les énoncés nominaux ne peuvent pas évoquer le passé. C’est le cas de « pharmacie » en tant qu’enseigne, mais mise au-dessus d’une boutique de mode. Elle serait a priori comprise plutôt comme soit une erreur148 soit un oubli soit encore un simple décor. Elle est saisie difficilement comme : « c’était / il y avait une pharmacie ». On peut en faire l’inférence, mais, ce n’est qu’une inférence. Les énoncés nominaux ne peuvent rapporter qu’une propriété concernant le passé de l’entité désignée avec certains termes comme « ex- N » ou « ancien N ». Tout cela montre que les énoncés nominaux sont au plan locutoire et qu’ils s’ancrent étroitement dans le hic et nunc où se situe l’émetteur-énonciateur.

Le fait que les énoncés nominaux se construisent au plan locutoire a une conséquence à noter. Nous avons dit qu’au plan locutoire, l’émetteur-énonciateur ne se situe pas lui-même dans le monde dont il parle et que les énoncés nominaux n’évoquent qu’une entité désignée. Pour le récepteur, s’il réussit à repérer l’entité désignée dans la situation où il faut la repérer, cela revient à dire qu’il se retrouve in situ avec cette entité sans

« médiation ». Ainsi l’altérité est effacée entre l’émetteur-énonciateur et le récepteur. Le récepteur des énoncés nominaux n’a pas à s’opposer à l’émetteur-énonciateur. S’il repère l’entité, son point de vue rejoint celui de l’émetteur-énonciateur. S’il n’arrive pas à la repérer, cela signifie que l’énoncé échoue simplement. Le récepteur peut certes réagir à l’énoncé nominal « Un cafard ! » par exemple en disant à son interlocuteur

« Non, un lucane. » Ce qui est en question est cependant le choix du nom, et cette objection sur la nomination a pour base la validation du repérage de l’entité que vise le premier locuteur.

148 C’est un problème de « valide ou non valide », mais non le problème de « vrai ou faux » que l’on pose pour l’assertion.

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