• Aucun résultat trouvé

Cas où l’objet désigné est (reconnu) présent sous les yeux du sujet

La désignation in situ présuppose une relation in situ entre le sujet désignateur et l’objet désigné. Or l’objet désigné de la désignation in situ est non seulement une entité réelle, donc perceptible, mais aussi une entité imaginée ou supposée, donc absente dans le

68 Cette définition n’exclut néanmoins pas dans GUILLEMIN-FLESCHER (2011) les énoncés écrits.

Elle transfère au monde décrit la perception et le percepteur comme acte d’un personnage et par conséquent personnage qui perçoit. La perception est en effet une notion clé des énoncés nominaux tant à l’écrit qu’à l’oral. Mais l’approche qui consiste à la transférer simplement risque de masquer une opération plus complexe que les énoncés nominaux effectuent dans certains cas à l’écrit.

69 On peut admettre cela dans un premier temps de l’analyse. Mais à un certain niveau sémiotique de la communication les choses sont égales. Ce qui est à la source du message c’est un usage du langage dans un dispositif qui justement court-circuite cette prise en charge. Celle-ci se réalise dans un processus de lecture contraint par le dispositif dont les finalités peuvent être variables selon l’usage social : une information sur la nature du produit, un avertissement d’une « autorité » (administrative ou ici simplement familiale). La forme nominale ou impersonnelle (Il est interdit de…) est très intéressante.

PREMIERE PARTIE Ch. IV Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)

contexte perceptible. Comment peut-on dire qu’une entité absente de la situation d’énonciation immédiate soit malgré tout en relation in situ avec le sujet qui la désigne, i.e. énonciateur ? En effet, ONOE (1975, 1986, notamment 1998) qui définit les énoncés composés d’un nom en japonais comme étant ancrés dans le ici et maintenant de l’énonciateur, semble saisir ici et maintenant de l’énonciateur non seulement comme situation d’énonciation perceptible mais aussi comme ici et maintenant discursif. Pour suivre ce chemin, nous recourons ici à la description de la deixis dans BÜHLER (2009[1934] : 173-258, surtout 227-248) où il mentionne deux modes de référence déictique à quelque chose qui ne doit pas être cherché dans les lieux de l’espace perceptif.

Dans BÜHLER (2009[1934]), le système je-ici-maintenant se définit plutôt que par l’orientation basée sur les données visuelles d’une situation particulière, par l’orientation subjective qu’il appelle orientation de « l’image corporelle tactile ». Ainsi

« Chez l’animal et l’homme, l’orientation spatiale ne peut jamais être seulement une caractéristique du sens de la vue pensée isolément »70et « le ici perceptif, même en lui donnant un sens essentiellement optique, ne se trouve déjà pas à la même place dans l’image corporelle tactile. »71 La conscience de l’espace est quelque chose qui

« s’affranchit de son strict assujettissement organique »72. Il s’agit en gros du ici par rapport à l’image corporelle tactile de soi. Aussi ce ici peut-il « « voyage[r] » en liaison avec l’image corporelle tactile. »73 C’est pourquoi la deixis à un objet absent dans le contexte visuel est tout à fait possible lorsque l’image corporelle tactile est déplacée dans un autre espace où se trouve cet objet.

Selon cette analyse, la procédure déictique ne se limite pas au cas du perceptible. Et BÜHLER (2009[1934]) reconnaît trois modes de deixis : a) deixis ad oculos74, b) l’emploi anaphorique des termes déictiques75 et c) la deixis à l’imaginaire76.

70 BÜHLER, 2009[1934] : 235.

71 Idem.

72 Ibid. : 237.

73 Ibid. : 243.

74 Cette expression signifie (dé)monstration qui « atteint les yeux », qui « fait appel à l’évidence immédiate. » Cf. Ibid. : 120, note 1.

75 Ibid. : 226-229.

PREMIERE PARTIE Ch. IV Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)

a) La deixis ad oculos est une deixis à « un objet localisable par les yeux et les oreilles extérieurs »77 . Dit simplement, c’est le cas où l’objet désigné se trouve « présent dans le champ perceptif commun »78.

b) L’emploi anaphorique des termes déictiques désigne « une deixis renvoyant à des lieux situés dans la structure du discours »79. Pour cet emploi, il faut qu’il y ait

« l’énoncé déroulé dans sa totalité »80 « suffisamment présent à l’esprit pour qu’un déplacement y soit possible, analogue au déplacement du regard sur un objet optiquement présent. »81 Les idées « suffisamment présent à l’esprit » et le

« déplacement du regard sur un objet » se trouvent dans notre description de la désignation in situ : « l’objet désigné est toujours présent sous les yeux (réels ou mentaux) du sujet qui désigne, de façon à pouvoir être « pointé » par son regard au sens réel ou métaphorique » Cette coïncidence justifie pour nous de suivre ce chemin.

c) La deixis à l’imaginaire est le cas où « lorsqu’un narrateur guide un auditeur dans le royaume de ce qui est absent et accessible par le souvenir, voire dans le royaume de l’imagination constructive, et qu’il le traite là avec les mêmes termes déictiques, de façon à ce qu’il voie et entende ce qu’il y a là à voir et à entendre (et à toucher, cela va de soi, et peut-être même à sentir et à goûter). Non pas avec les yeux, les oreilles etc.

extérieurs, mais avec ce que, par contraste dans le langage courant et sans doute aussi par commodité en psychologie, on appelle les yeux et les oreilles « intérieurs », « de l’esprit ». »82

La deixis à l’imaginaire présente à son tour trois cas, que BÜHLER (2009[1934] : 240-243) décrits métaphoriquement : c-1) cas où « c’est la montagne qui va à

76 Ibid. : 230-248.

77 Ibid. : 230.

78 Idem.

79 Ibid. : 227.

80 Idem.

81 Idem.

82 Ibid. : 230.

PREMIERE PARTIE Ch. IV Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)

Mahomet », c-2) celui où « c’est Mahomet qui va à la montagne » et c-3) le cas intermédiaire.

c-1) « c’est la montagne qui va à Mahomet »

Dans ce cas, « l’objet qu’on se représente […] vient à nous, c’est-à-dire qu’il entre dans l’ordre de perception fournie, à l’intérieur duquel, à défaut de le « voir » véritablement, on peut du moins le localiser. » « [Cet] objet peut recevoir une place devant, à côté, ou derrière moi, et cela directement parmi les objets de la pièce dans laquelle je me trouve, objets qu’en partie je perçois et qu’en partie je me représente mentalement. »83 Ainsi on

« conserve dès le départ son image corporelle tactile présente avec son orientation perceptive optique et [on] y intègre ce qui est imaginé. »84

c-2) « c’est Mahomet qui va à la montagne »

Ce deuxième cas est celui où l’on emporte son image corporelle tactile dans un espace imaginaire. BÜHLER (2009[1934] : 241-242) le décrit :

Après avoir éprouvé un prélude caractéristique, ou bien soudainement et sans transition, on se trouve transporté à l’intérieur de la représentation mentale, à l’emplacement géographique de l’objet représenté, on appréhende l’objet représenté devant les yeux de l’esprit à partir d’un point de réception déterminé, que l’on peut indiquer, et à l’endroit duquel on se trouve soi-même dans la représentation.

c-3) cas intermédiaire entre c-1) et c-2)

Il s’agit d’une « superposition de deux localisations »85 :

un cas intermédiaire entre rester ici et aller là-bas. C’est lorsque la montagne

83 Ibid. : 240-241.

84 Ibid. : 244.

85 Ibid. : 245.

PREMIERE PARTIE Ch. IV Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)

et Mahomet restent tous les deux à leur place, mais que Mahomet voit la montagne de son [propre]86lieu de perception.87

En suivant BÜHLER (2009[1934]), nous pouvons décrire la relation déictique entre le sujet et l’objet de la désignation in situ en trois modes : a) mode perceptif, b) mode discursif et c) mode à l’imaginaire.

a) Mode perceptif

La relation déictique s’établit dans l’espace perceptif où l’objet est directement localisable sous les yeux du sujet. C’est le cas de « Un chien ! » crié à l’oral lorsqu’un chien pour attaquer, et à l’écrit, le cas de la désignation in situ sous forme d’étiquette comme « Lait-écrémé » imprimé sur une brique de lait. Un chien et une brique de lait se trouvent à l’espace perceptif du sujet de la désignation in situ au moment de cette désignation.

b) Mode discursif

C’est dans l’espace discursif que se trouve l’objet reconnu présent par le sujet-énonciateur88. Ainsi la séquence nominale « Une stratégie qui … » dans :

Dans cette période où les affaires sont difficiles, les galeries les plus puissantes se permettent de montrer des œuvres qui ne sont, pour la plupart, pas à vendre. Une stratégie qui sert à renforcer leur image.

[…]

(Reprise de (1))

renvoie au fait décrit dans l’énoncé précédent : « Dans cette période où les affaires sont difficiles, les galeries les plus puissantes se permettent de montrer des œuvres qui ne sont, pour la plupart, pas à vendre. »

86 Ces crochets sont d’origine.

87 Ibid. : 242.

88 Pour ne pas compliquer le travail, nous faisons abstraction de la question sur la véritable identité de l’énonciateur des articles de presse.

PREMIERE PARTIE Ch. IV Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)

c) Mode à l’imaginaire

C’est le cas où l’objet désigné est localisé non par les yeux extérieurs du sujet, mais par les yeux « « intérieurs », « de l’esprit ». »89. Et ce dernier mode se répartit encore en trois sous-modes selon l’espace où se trouvent les yeux d’esprit du sujet et celui où se trouve l’objet.

c-1) Mode à l’imaginaire « aller là-bas »

Les yeux d’esprit du sujet désignateur se déplacent dans un espace imaginairement perceptif, où il « voit » l’objet désigné sous ses « yeux »90 comme permet de le faire une suite de séquences nominales « Un sol durci, … Des cours … » en (27) ; les yeux d’esprit du sujet91 et l’objet se situent dans un même espace imaginairement perceptif.

Il était midi. Le jardin des plantes paraissait désert. Un sol durci, grinçant de froid. Des bancs couverts d'une couche de grésil. Je m'assis pourtant sur l'un d'eux.

(DUHAMEL, La Confession de minuit, 1920 : 205)

c-2) Mode à l’imaginaire « rester ici »

Les yeux d’esprit du sujet désignateur restent dans l’espace de la perception et en voient imaginairement l’objet comme dans l’énoncé « De l’eau ! ». Donc c’est l’objet qui se présente (mais imaginairement) à la différence du cas précédent.

c-3) Mode à l’imaginaire « rester ici et aller là-bas »

Les yeux d’esprit du sujet désignateur restent dans l’espace perceptif réel mais ses yeux voient en pensée l’objet qui se trouve ailleurs, dans un autre espace, un peu comme l’on voit surgir un mirage ou une image filmique à l’écran devant soi. C’est le cas de « Le

89 Ibid. : 230.

90 Ce qui peut servir à créer un « « effet-point de vue » original » (COMBETTES & KUYUMCUYAN, 2010 : 8).

91 Pour ne pas compliquer le travail, nous faisons abstraction de la distinction entre le narrateur et l’auteur du récit.

PREMIERE PARTIE Ch. IV Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)

linge ! » dit par celui qui a remarqué à son bureau qu’il pleuvait alors qu’il avait laissé à la maison le linge au soleil.

Ces trois sous-modes sont particulièrement intéressants au regard de l’effet des énoncés nominaux auprès du récepteur. Que l’entité soit réelle ou imaginée, s’il s’agit d’un espace autre que l’espace perceptif réel, et s’il y a un décalage entre l’espace du sujet et celui de l’entité, l’entité peut être bien présente sous les yeux du sujet.