• Aucun résultat trouvé

Incidence du collectivisme, de l’autoritarisme et du conservatisme coréens

Chapitre 3. L’enseignement de la traduction en Corée

3.1. Caractéristiques socioculturelles coréennes et leurs incidences en milieu

3.1.1. Incidence du collectivisme, de l’autoritarisme et du conservatisme coréens

d’enseignement

Hofstede (2010) a établi l’indice de l’individualisme de 76 pays en se fondant sur sa recherche pour IBM et ses réplications ; Selon cet indice, la Corée du Sud occupe le soixante-troisième rang (avec un score de 18), loin devant la France, à la troisième place (avec un score de 71). Dans la même perspective, plusieurs auteurs (Zha, Walczyk, Griffith-Ross, Tobacyk et Walczyk, 2006 et Ng, 2003) ont vérifié que les pays occidentaux ont de fortes tendances individualistes, alors que le collectivisme apparaît fortement dans les pays orientaux, y compris en Corée du sud.

En fait, le collectivisme coréen trouve ses origines dans la philosophie de la famille confucéenne, le prototype de toute la structure sociale. Une personne n’est pas uniquement un individu ; elle est plutôt un membre d’une collectivité et doit conserver sa dignité (maintenir la face) pour être en harmonie avec celle-ci. Par conséquent, perdre sa dignité revient à perdre la face. Les relations sociales doivent tendre à la conservation de la dignité de tous (voir Choi, 1997 : 57-91, Hofstead, 2010 : 237).

La dignité et, surtout, le regard des autres sont donc très importants dans la famille ainsi que dans le groupe dans la société coréenne collectiviste (voir Choi, 1997 : 57).

Les principes suivants caractérisent le collectivisme social coréen :

1) On doit prendre conscience du regard des autres, autrement dit, sauver les apparences. Il convient de comprendre les idées des autres et, ensuite, de s’y adapter. Par conséquent, si on fait partie d’une communauté, on se doit

d’observer les attitudes des autres et, conformément aux idées des autres, on contrôle ses émotions tout en faisant preuve de modestie.

2) Comme on défend les opinions des autres membres du groupe auquel on appartient, on évite d’évaluer et critiquer l’un et l’autre dans son groupe.

Pour toutes ces raisons, la critique et l’évaluation réciproque peuvent entraîner des problèmes sentimentaux ou des conflits, à la différence d’une société individualiste.

(voir Choi, 1997 : 69, 128, 149, 157, Jeong, 2011 : 41, 42, 58, Kwon, 2007 : 36, 50).

Ce collectivisme apparaît clairement dans le comportement des étudiants et de l’enseignant à l’université. Dans une telle société collectiviste, les apprenants font preuve de passivité et ne participent pas en cours. Même si l’enseignant pose une question, elle reste généralement sans réponse, car les étudiants le considèrent comme la tête de leur groupe et ils ne savent pas si leur opinion y est représentative. Ils évitent donc de l’exprimer. Toutefois, plus la taille du groupe est réduite, plus ils osent parler et proposer leur avis. Dans une classe collectiviste, la vertu de l’harmonie et le maintien de la façade sont primordiaux ; les apprenants sont donc confrontés à des conflits ou, du moins, ils doivent les formuler afin de ne pas vexer les autres.

Surtout, ils doivent s’efforcer de ne pas perdre la face. Pour cette raison, il est difficile d’avoir une discussion, d’échanger ou de procéder à une critique réciproque entre élèves ou entre eux et l’enseignant. À l’inverse, dans une société individualiste, les affrontements et la discussion ouverte des conflits sont salutaires pendant les cours et l’amour propre y est très faible, voire inexistant (voir Hofstead, 2010 : 117-118). Le mode d’enseignement d’une société collectiviste, décrit ci-dessus, est rigoureusement le même en Corée (voir Choi, 1997 :126-127, Lee, 2006 : 68-75).

Hofstead (2010 : 118) constate de même que dans les sociétés où l’autoritarisme et le collectivisme sont importants, les cours sont centrés sur l’enseignant sans échanges réciproques. Or, d’après le résultat de l’enquête d’Hofstead (2010 :58), la Corée du sud appartient à une telle société. Doit-on alors en déduire que les cours se déroulent ainsi en Corée ?

L’autoritarisme coréen46 trouve sa source dans la philosophie confucéenne (voir Junsik Choi, 1997, Bongyoung Choi, 1994, 1997 et Yoo, 1997, Jeon, 2000, Lee,                                                                                                                          

46 En se fondant sur les points de vue de Jo (1980 : 136), Erich Fromm (1969 : 185-186), Abraham H Maslow (1943 : 403), W. Haythorn, Yoo (1997 : 453), ils définissent l’autoritarisme coréen comme une

2006) : la stabilité sociale est fondée sur la relation inégale de statut entre les personnes. Il existe cinq types principaux de relations : souverain et ses ministres, père et fils, personnes âgées et jeunes gens, mari et femme et ami aîné et ami cadet.

Ces relations sont basées sur des obligations complémentaires et mutuelles. Par exemple, on doit toujours avoir respect, protection et obéissance vis-à-vis de ses aînés. Donc l’âge, le statut, et la hiérarchie prévalent (voir Hofstead, 2010 :237 ; Choi, 1997 :94 ; Yoo, 1997 :454 ; Jeon, 2000 :165 ; Lee, 2006 :225).

D’après Yang (1995 : 84), en se fondant sur ce principe, les relations humaines sont verticales et hiérarchiques dans la société coréenne, alors qu’elles sont horizontales et égalitaires dans la société occidentale. Elles ont engendré une société autoritaire dont les membres se distancient autant que possible du pouvoir. Dans une telle société, lorsque la tête d’un groupe prend une décision, les autres membres la suivent et peuvent ainsi occulter la personnalité de l’un d’entre eux, ce qui peut également être à l’origine d’une société uniforme et rigide (voir Yang, 1995 :84).

La recherche décrite ci-dessous apporte un éclairage sur cette rigidité et uniformité de la société coréenne. Une équipe internationale associant des chercheurs de 33 pays (dont notamment l’équipe du professeur Gelfand du Département de psychologie de l’université du Maryland) a proposé d’exprimer par un score de rigidité (Tightness score) la relation entre le comportement, la pensée et les facteurs socioculturels.

D’après les résultats de l’enquête publiés dans la revue Science du 27 mai 201147, la Corée du Sud occupe le cinquième rang (avec un score de 10), loin devant la France à la dix-neuvième place (score de 6,3). Après avoir comparé ce résultat à celui de l’enquête préliminaire culturelle, sociale et historique, cette équipe a mis en évidence que le comportement et la pensée sont influencés par des facteurs socioculturels et historiques aux aspects multiples. Le professeur KIM de l’université Seongkyunguan, qui participait à la recherche mentionnée plus haut, souligne que cette forte rigidité qui caractérise la Corée dans cette méthode d’investigation serait due à une faible ouverture d’esprit, dans une nation composée d’une seule ethnie et soumise, au cours

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            grande « distance de pouvoir » et une tendance à dominer les autres en se basant sur les relations humaines hiérarchiques.

47 Gelfand, M. J. et al. (2011), “Differences between tight and loose cultures: a 33-nation study”, Science, 332, pp. 1100–1104.

de son histoire, à de fréquentes invasions, ainsi qu’au conservatisme lié au confucianisme.

D’après cette enquête, plus l’individualisme est fort, plus l’esprit est souple, et plus le sentiment d’attachement familial est fort, plus l’esprit est rigide, etc. En effet, dans une société horizontale et égalitaire qui se « distancie peu du pouvoir », chaque individu ayant sa propre opinion, qui sera ensuite débattue (voir Hofstead, 2010 :70 ; Choi, 1997 : 95).

Les incidences en milieu didactique ne sont pas négligeables. Dans un cours en Corée, les cinq relations principales inégalitaires, évoquées plus haut, s’interposent entre l’enseignant et les élèves et entre l’enseignant — en tant que tête du groupe déterminant le chemin intellectuel à emprunter — et le mode d’enseignement centré sur lui. Il règne un climat strict en cours et l’enseignant dirige toutes les communications de par son autorité. De plus, les élèves ont tendance à considérer que les réponses des enseignants sont toutes correctes ; autrement dit, ils n’ont pas le moindre esprit critique. Ils ne parlent que lorsqu’ils y sont invités ou désignés par l’enseignant. Ce dernier n’est jamais critiqué ou contredit publiquement et est traité avec déférence et respect, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’établissement (voir Lee, 1992 : 32-34 ; Choi, 1997 : 191).

A contrario, dans une société égalitaire et horizontale, les enseignants sont censés traiter les élèves d’égal à égal, et inversement. Le processus d’enseignement est centré sur l’apprenant et son initiative ; il cherche sa propre voie intellectuelle. Les apprenants sont censés poser des questions librement lorsqu’ils ont besoin d’un éclaircissement. Ils n’hésitent pas à échanger avec l’enseignant, à exprimer leurs désaccords, voire à le critiquer ouvertement. Ils ne montrent aucun respect particulier à son égard en dehors des cours (voir Hofstead, 2010 :70).

Le professeur KIM a trouvé là une expression de la différence entre une société individualiste à la mentalité souple, fondée sur des relations humaines horizontales et égalitaires, et une société collectiviste à la mentalité rigide, basée sur des relations humaines hiérarchiques (voir Kang, 2011:101) :

« Les étudiants coréens sont assis de manière respectueuse, tandis que les étudiants américains sont sans contrainte en classe, ils peuvent mâcher un chewing-gum ou

poser leurs jambes sur la table. Même si l’on dit que les jeunes Coréens sont occidentalisés, il n’en est rien dans la réalité : l’esprit et les normes de comportement ne changent pas si facilement. En discutant avec les étudiants, je m’aperçois que la plupart ne se marieraient pas sans le consentement de leurs parents et qu’ils sont imprégnés de la culture du groupe (les proches amis). Il est difficile de se comporter librement dans la société coréenne, vu l’importance du paraître et du regard des autres. C’est pourquoi, dans cette société coréenne rigide, il est difficile d’être créatif.

»

En conclusion, la société autoritaire, rigide et collectiviste de la Corée induit des cours centrés sur l’enseignant, la passivité des élèves et la difficulté d’échanges réciproques et libres entre les enseignants et les élèves ou entre les élèves. Par ailleurs, comme Kim le constate, ces caractéristiques socioculturelles de la société coréenne représentent aussi un frein à la créativité des étudiants. Nous analyserons, dans les sections suivantes, les entraves du système éducatif coréen à cette créativité.

3.1.2. Incidence d’un recours systématique à la mémorisation et