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Fabien : l’impossibilité à s’approprier l’activité professionnelle Lors de l’entretien initial, Fabien a spontanément détaillé son parcours professionnel avec

Dans le document Le temps des pères (Page 143-146)

III — LE CONGE PARENTAL POUR CONSERVER SON RAPPORT AU TRAVAIL

Encadré 9 Fabien : l’impossibilité à s’approprier l’activité professionnelle Lors de l’entretien initial, Fabien a spontanément détaillé son parcours professionnel avec

une grande précision, en indiquant en parallèle l’évolution de sa vie conjugale et familiale. Il explique avoir choisi l’I.E.P. parce que ça lui permettait de « ne pas se spécialiser » et parce qu’il était intéressé par l’histoire et les questions d’actualité. Rétrospectivement, il estime que « l’aspect généraliste [lui] a joué un peu des torts parce qu[‘il a] été un peu dilettante », et qu’il aurait « dû [s]e spécialiser ». Il prépare les concours de l’administration, intègre le ministère de l’Education Nationale et travaille un an comme intendant dans un lycée éloigné géographiquement de sa conjointe, qu’il a rencontrée l’année où il préparait les concours. Au bout d’un an, il obtient une mutation qui lui permet de travailler dans la même commune que sa conjointe, emploi qu’il conserve pendant deux ans avant d’être nommé sur un poste dans les ressources humaines qu’il occupe pendant six ans (toujours dans l’Education nationale), avant de prendre un congé parental de six mois. Pendant ce dernier, Fabien dépose une demande de poste dans la ville où travaille sa conjointe, essentiellement stratégique, car ils essaient d’obtenir un rapprochement de conjoint depuis plusieurs années : « pour blinder le

89 cadre des ressources humaines dans la fonction publique, conjointe inspectrice du travail, deux enfants, en congé

dossier de mutation de Fanny, on s’était dit "tiens, je vais demander un poste à M. si j’en trouve un, histoire de prouver aux personnes qui étudient ton dossier de mutation que t’as fait des efforts pour aller sur M., mais c’est un peu fictif" ». Or, son dossier est retenu et il décide d’accepter le poste, qu’il rejoindra à la fin de son congé parental. L’entretien initial a lieu quelques jours avant la reprise de Fabien, et il se pose des questions concernant son nouvel emploi dans lequel il a du mal à se projeter : « dans le nouveau job que je vais occuper, il y a pas mal de flou, et j’ai l’impression que c’est une coquille vide en fait. C’est clair que le poste, ce poste-là que j’ai demandé, même si sur le papier c’est un poste au titre très ronflant, en termes de responsabilités, j’ai l’impression que j’en aurais beaucoup moins que même dans le premier poste que j’ai occupé, qui était déjà beaucoup moins… ».

Lors de l’entretien complémentaire, trois ans plus tard, Fabien déclare s’être lassé de cet emploi de RH de proximité et vient de passer un entretien pour reprendre un poste de gestion des personnels. Le retour dans l’entretien sur son parcours étudiant et professionnel fait écho à ses propres interrogations :

C’est un peu le drame de ma vie personnelle, je crois qu’une fois que je suis arrivé à la fac, j’ai passé les années un peu sans réfléchir à l’après et sans m’investir dans quelque chose de précis, concret, sans projet, et sorti un peu de l’aspect généraliste que représente cette formation. Donc du coup, je pense que j’ai vécu mes années étudiantes de manière très satisfaisante, disons que j’en ai profité, et je n’ai peut-être pas assez investi la partie étude pour accéder à des formations ou des métiers qui m’auraient peut-être davantage passionnés. Je me rends compte qu’aujourd’hui, comme vous dites, dans mon parcours professionnel, je passe d’un poste à l’autre tous les 3, 4, 5, 6 ans. Pour moi, ça a peu d’effet, parce que je suis sur des postes qui m’intéressent mais qui ne relèvent pas d’une vocation en fait. Et du coup, vous arrivez… Ces questions-là arrivent en plein moment où je me pose beaucoup de questions sur le sens de tout ça. Est-ce que j’ai envie de continuer sur cette même fausse dynamique, ou est-ce qu’aujourd’hui il ne serait pas temps de me poser et de faire quelque chose qui me plait vraiment ?

Les autres pères réinterrogés mentionnent quant à eux une réorientation ou un décalage entre l’orientation à laquelle ils aspirent et celles pour laquelle ils optent effectivement, comme Marc, qui avait commencé à faire de la recherche en physique, mais la découverte de Bruno Latour et

de la sociologie des sciences l’en désintéresse. Il devient professeur de lycée « à moitié par défaut » : il estimait que le temps était venu pour lui d’être indépendant financièrement, et le métier de professeur paraissait une suite logique à son D.E.A., mais le métier d’enseignement n’exerçait pas sur lui un attrait particulier.

Ces parcours professionnels font écho aux parcours de reconversions professionnelles étudiés par Sophie Denave (2015) : les insatisfactions décrites comme moteur de la prise du congé parental ne datent pas forcément des mois précédents le recours, mais peuvent s’inscrire dans un désajustement de plus longue date entre le travail exercé et les aspirations de l’individu, liées à des orientations scolaires contrariées. Les pères enquêtés ont eu des difficultés à s’approprier le contenu de l’activité professionnelle, les conduisant à opter pour un congé parental. Ces difficicultés se manifestent également par l’exercice d’autres démarches ou activités, soit pour adapter l’activité professionnelle à leurs préférences, soit en s’investissant dans le hors-travail. Par exemple, Marc a commencé une thèse de sociologie en parallèle de son activité d’enseignant (avant de prendre son premier congé parental) afin de renouer avec l’intérêt pour cette discipline qu’il a découvert pendant ses études.

d ) Les reconversions professionnelles : aller vers des secteurs « féminins »

Ce décalage entre les aspirations professionnelles et l’emploi exercé avant le recours au congé parental peut être illustré à l’échelle de l’ensemble des pères interrogés par les reconversions professionnelles réalisée, qui concerne onze pères sur trente-sept. On entend ici par reconversion l’exercice d’un métier dans un domaine professionnel différent de l’emploi précédemment exercé, et ayant demandé à l’individu une formation (certifiée par un organisme ou en autodidacte).

Dans la majorité des cas, les nouvelles professions s’exercent au contact d’enfants ou d’autrui, ou bien dans le domaine intellectuel ou artistique : enseignement, coaching, journaliste, scénariste, assistant maternel… Ces hommes travaillaient généralement dans des domaines « masculins » avant leur reconversion (armée, police, informatique). Ce passage d’un domaine « masculin » comme gendarme à un domaine « féminin » comme professeur des écoles et coach en développement personnel dans le cas d’Aurélien90 permet de poser

l’hypothèse d’une dissonance entre les dispositions constituées et l’activité professionnelle exercée (voir encadré 10).

90 ancien gendarme, conjointe médecin, trois enfants, en congé parental pendant un an et demi pour le deuxième

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