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I — LE CONGE PARENTAL DES PERES : UNE ENTREE AU REPERTOIRE DES MODES D’ACCUEIL DE L’ENFANT ?

Dans le document Le temps des pères (Page 119-122)

Dès son introduction en France en 1977, l’ouverture du congé parental aux pères fait l’objet d’une ambivalence : si l’Assemblée Nationale transforme la proposition du gouvernement de création d’un « congé de mère » en « congé parental » (et donc ouvert aux deux sexes), le père ne peut en bénéficier que si la mère y renonce (Jenson, Sineau, 1998). De même, l’ouverture de l’APE aux pères ne soulève aucune discussion au Parlement, mais les femmes sont de facto pensées comme les principales bénéficiaires de la mesure. Ainsi, jusqu’à la réforme du CLCA en 2014, le recours des pères au congé parental est possible sur le plan légal, mais il n’est pas affiché par le gouvernement ou les parlementaires comme un objectif, et aucune mesure n’est prise pour le favoriser. Les débats dans les années 2000 portent davantage sur le risque de « trappe à inactivité » pour les femmes bénéficiaires que sur la nécessité d’impliquer davantage les hommes dans la prise en charge des enfants en bas-âge. A l’échelle des couples, si la majorité des parents se jugent elleux-mêmes le mode d’accueil « le plus bénéfique pour l’enfant » (Galtier, 2011), la croyance selon laquelle l’idéal pour un enfant en bas-âge est d’être gardé par sa mère est prégnante (Hays, 1998 ; Cartier, Collet, Czerny, Gilbert, Lechien, Monchatre, 2016 : 31). À ce titre, au regard du faible recours des pères au dispositif, on peut se demander dans quelle mesure le congé parental des pères est entré dans le répertoire des modes d’accueil des enfants en âge préscolaire.

Ce faible recours pourrait être lié à une méconnaissance par les pères du dispositif. En effet, les bénéficiaires potentiel.les ne connaissent pas toujours leurs droits (Warin, 2016) et selon une enquête IPSOS commanditée par l’Union nationale des associations familiales (Rowley, Suteau, Martin, 2013), les pères connaissent généralement le principe du congé parental, mais pas ses modalités : « Le congé parental est un terme qui, globalement, est perçu par le père comme appartenant au champ lexical administratif et médical de la naissance (comme les mots "CAF", "allocations familiales", "quotient familial"), dont on a finalement laissé le décryptage technique à la mère » (ibidem : 3). De même, selon les résultats d’une

enquête qualitative menée auprès de parents susceptibles de recourir aux compléments d’activité, « la plupart des pères sont très peu engagés dans le processus d’accès aux modes d’accueil et sont très peu informés de leur droit au bénéfice de la PréPare » (Observatoire national de la petite enfance, 2018 : 77).

Plus spécifiquement, même s’ils savent qu’ils y ont droit, les hommes peuvent ne pas se considérer comme légitimes à y avoir recours. Cette illégitimité possible serait liée à un marquage du congé parental comme une prérogative maternelle : la présence de la mère serait perçue comme le mode de garde le plus susceptible d’assurer le bien-être de l’enfant, comme c’est le cas en Suède, au Canada ou en Grande-Bretagne (Brachet, 2001 ; McKay, Marshall, Doucet, 2012 ; O’Brien, Twamley, 2016). Cette hypothèse est confirmée par l’enquête IPSOS susmentionnée : le congé parental est perçu par les pères français interrogés comme destiné à la mère, pour des raisons biologiques (récupération après l’accouchement), physiologiques (prolongement de l’allaitement) et psychologiques (préservation du lien mère-enfant) (Rowley, Suteau, Martin, 2013). Le sentiment d’illégitimité pourrait également découler d’une forme d’autocensure : les pères anticiperaient que le congé serait mal perçu par leurs employeur.euses et n’envisageraient pas d’y avoir recours. Cette possibilité est crédible au regard des justifications avancées par les pères qui se déclarent intéressés a priori par un congé parental mais qui n’en ont pas pris : 30% estiment que le congé leur aurait causé des problèmes dans leur travail ou dans leur carrière (contre 16% des mères qui auraient pu être intéressées) (Govillot, 2013).

Les entretiens menés auprès de pères n’ayant pas pris de congé parental permettent d’investiguer imparfaitement si ce dispositif du père est envisagé comme un mode d’accueil possible pour un enfant en bas-âge. Parmi les 34 pères interrogés58, seule une poignée exclut

d’emblée le recours au congé parental pour eux-mêmes, en parlant d’emblée de leur conjointe lorsque la thématique du congé parental est abordée. Ces hommes expliquent que dans leur couple, un recours masculin au congé « n’avait pas de sens » (Valentin59), que le congé parental

leur semble un moment réservé à la mère, ou qu’eux et leurs conjointes partagent une conception « traditionnelle » des rôles parentaux. De même, rares sont les pères qui justifient leur non-recours principalement par l’envie de la mère d’y avoir recours pour elle-même, comme le fait Bruno60 : « elle avait besoin de passer du temps avec notre fille tout de suite ».

58 Ceux qui n’ont pas pris de congé parental et qui n’étaient pas « au foyer » au moment de l’entretien. 59 banquier, conjointe juriste, quatre enfants, benjamin gardé par la mère en congé parental

Le principal registre de justification pour expliquer le non-recours au congé concerne le rapport à l’emploi du père. De nombreux pères estiment en effet qu’ils n’auraient pas pu prendre un congé parental parce qu’ils font « bouillir la marmite » (Ignace61). De même, plusieurs pères

de classes supérieures expliquent qu’ils apprécient trop leur travail pour avoir envie de s’arrêter de travailler pendant une période. De manière secondaire, quelques pères mentionnent leur peur de « tourner en rond » (Nolan62) ou de se désocialiser.

Sans monter en épingle les réponses de ces hommes, elles permettent de dresser quelques constats quant à l’entrée ou non du congé parental du père au répertoire des modes de garde. Tout d’abord, elles invalident l’hypothèse d’une non-connaissance par les hommes du congé parental : tous les interrogés avaient une vague idée de ce dont il était question et du fait qu’ils auraient pu y avoir recours, hypothétiquement. Plus spécifiquement, les justifications du non-recours mobilisaient rarement le registre de la primauté maternelle dans la prise en charge du bambin, signe de l’imprégnation de représentations égalitaires des rôles parentaux. À ce titre, le congé parental semble être considéré comme une possibilité tant qu’on raisonne dans l’absolu : les pères pourraient envisager de prendre un congé parental63, mais ils n’auraient

mené ce projet à terme en raison de la situation financière et/ou professionnelle de leur couple. Or, peu de pères mettent en avant les difficultés éventuelles dans leur environnement professionnel dans mon échantillon, alors que c’est la raison la plus souvent mentionnée par les pères dans l’enquête quantitative de l’INSEE64, au même niveau que le fait de (penser) ne pas

remplir les conditions ; là où les mères mentionnent principalement la faible indemnisation65

(Govillot, 2013). Les pères interrogés ne se sont donc pas projetés dans le recours au congé parental : ils savent que le dispositif existe, qu’ils pourraient y avoir recours, mais ils ne l’envisagent pas concrètement pour leur situation. On peut alors se demander dans quelle mesure la mention de la différence de salaire des conjoint.es n’est pas un alibi, comme le suggère Carmela :

Je sais que le papa peut prendre aussi six mois de congé, mais ça n’intéressait pas mon conjoint, soi-disant pour des raisons financières, même si au final on gagne la même chose. […] Quand on projetait d’avoir un enfant, souvent il me disait, parce qu’en fait ça se passait pas très bien dans son travail, "dès qu’on a un enfant, moi je m’arrête, il n’y a pas de souci", et finalement, quand c’est devenu concret, que

61 cadre supérieur, conjointe pédiatre, six enfants, benjamine gardée par une nounou à domicile à mi-temps et par

la mère à mi-temps

62 avocat, conjointe juriste, deux enfants, benjamine gardée par la mère au chômage

63 54% des pères qui n’en ont pas pris déclarent qu’ils auraient pu être intéressés a priori (Govillot, 2013). 64 30% des pères qui auraient pu être intéressés a priori.

j’étais enceinte, pour des raisons financières, lui s’est dit que c’était pas possible et qu’il valait mieux qu’il continue de travailler. Alors qu’on avait un salaire équivalent. (Carmela, infirmière, conjoint vendeur, un enfant, en congé parental à temps plein pendant trois mois, puis à temps partiel pendant trois mois)

À ce titre, même si le congé parental du père est dans l’horizon des possibles au moment du choix du mode d’accueil de l’enfant, en pratique cette option est rapidement écartée, notamment du fait de la prégnance de l’assignation de l’homme au rôle de pourvoyeur de revenus.

II — DECIDER DE PRENDRE UN CONGE PARENTAL QUAND ON EST UN

Dans le document Le temps des pères (Page 119-122)

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