• Aucun résultat trouvé

Fabien et Fanny : alterner la prise du congé entre conjoint.es Fabien déclare lors de l’entretien que lui et sa conjointe étaient d’accord sur le fait qu’iels

Dans le document Le temps des pères (Page 132-137)

II — DECIDER DE PRENDRE UN CONGE PARENTAL QUAND ON EST UN HOMME : UNE DISPONIBILITE BIOGRAPHIQUE

Encadré 7 Fabien et Fanny : alterner la prise du congé entre conjoint.es Fabien déclare lors de l’entretien que lui et sa conjointe étaient d’accord sur le fait qu’iels

préféraient que leurs enfants soient gardés dans un premier temps par un de leurs parents, mais qu’il ne se souvient pas précisément pourquoi c’est Fanny qui a pris un congé pour leur ainé : « la question s’est posée, [ton amusé] connaissant Fanny, elle a dû en tous cas me dire

78 cadre des ressources humaines dans la fonction publique, conjointe inspectrice du travail, deux enfants, en congé

parental pendant six mois pour le deuxième enfant

"bin, ça va pas de soi que ce soit toi ou moi", après, je pense qu’elle avait vraiment envie de ce temps-là après notre premier enfant, moi je me suis pas posé la question en ce sens-là… ». Interrogée séparément, Fanny explique quant à elle qu’au moment de l’arrivée de leur premier fils, le congé parental représente un « effet d’aubaine » (selon ses termes) : elle était « plus en difficulté » professionnellement et avait de longs trajets. La possibilité de prendre un congé parental survient donc au bon moment de son point de vue.

Pour le deuxième enfant, le fait que ce soit Fabien qui prenne un congé parental apparait comme une évidence aux conjoints : Fabien rapporte que « rapidement, on s’est dit "bah, c’est mon tour" » et Fanny déclare que « comme j’ai pris celui pour l’ainé, a priori, c’était plutôt Fabien qui prendrait pour notre deuxième ». Ce congé tombe lui aussi à pic pour Fabien, qui éprouvait une « forme de lassitude » par rapport au poste qu’il occupait, et que « ça a [dû] aid[er] à la prise de décision ».

Quand le congé a été pris par la mère pour un premier ou deuxième enfant et par le père pour l’enfant suivant, les parents mettent en avant leur volonté d’alterner le recours au congé entre elleux, mais les circonstances d’emploi de chaque conjoint paraissent décisives dans le choix du partage. À l’inverse, quand le congé est pris pour le même enfant par la mère puis par le père, le congé du père est présenté comme une décision prise au dernier moment, liée au besoin ressenti de se désengager de l’activité professionnelle ou à un défaut de mode d’accueil, comme Kévin80 : il explique avoir décidé de quitter son travail « qui se passe mal » et de prendre

le relais de sa conjointe en congé peu de temps avant qu’elle ne reprenne le travail.

Ainsi, quand les deux conjoints ont pris un congé parental à temps plein, la volonté d’alterner la présence des parents auprès des enfants est souvent mentionnée, mais elle ne découle pas d’objectifs éducatifs (par exemple, les parents concernés ne mettent pas en avant les bénéfices possibles pour les enfants d’être alternativement gardés par leur mère et par leur père), mais plutôt d’arbitrages liés aux carrières de chacun. Ces arbitrages jouent d’ailleurs différemment selon que les congés soient pris pour deux enfants différents ou pour le même. Dans le premier cas, les parents estiment que « c’est le tour » du père et la décision est prise au moment de la grossesse. Dans le deuxième, c’est généralement un défaut de mode d’accueil qui incite le père à « prendre le relais ». Ces négociations conjugales font écho à la perception du

congé parental au Canada et en Grande-Bretagne (McKay, Doucet, 2010 ; O’Brien, Twamley, 2016) comme étant un congé « maternel », qui peut éventuellement être transféré au père si la mère y renonce. Si les conjointes de pères en congé parental français ne semblent pas éprouver de la gratitude envers leur conjoint comme c’est le cas de leurs homologues du Royaume-Uni, les décisions conjugales en termes de congé parental portent également la marque d’une « économie du don » (Hochschild, 2017). Les négociations portent cependant moins sur le renoncement de la mère à une partie de « ses » droits au bénéfice du père que sur une demande d’équité de cette dernière quant à la prise en charge des enfants en bas-âge.

4.

Garder les enfants soi-même

Si les raisons liées au travail sont très souvent citées pour justifier la prise par le père d’un congé parental, quelques couples évoquent également leur désir ou la nécessité de garder les enfants elleux-mêmes.

Comme dans le cas de Fabien et de Fanny évoqué plus haut, six pères expliquent que pour eux et leur conjointe, il était impensable de confier un enfant en bas-âge à un autre mode d’accueil. De même, pour trois pères, le seul mode d’accueil payant souhaitable est la crèche (Cartier, Collet, Czerny, Gilbert, Lechien, Monchatre, 2017), et n’ayant pas obtenu de place, ils préfèrent que les enfants soient gardés par un de leurs parents plutôt que par un.e assistant.e maternel.le.

Dans six couples, le mode d’accueil fait défaut, soit en raison d’un déménagement (quatre couples) ou suite à la défection du mode d’accueil initialement prévu ou adopté. Par exemple, Jacques justifie la prise de son congé parental par la soudaineté de la mutation de sa conjointe :

En fait c’était un petit peu particulier, parce que nous on était nouvel arrivant sur la ville de N., ma femme a eu une mutation l’été dernier, donc elle a bénéficié d’un nouveau travail sur N., et d’un nouveau poste dans le cadre de son travail, et moi j’ai pas pu faire une permutation nationale [en tant que professeur des écoles], parce qu’il était trop tard, on a su en juillet pour août, donc c’était un petit peu compliqué, donc moi j’étais obligé de prendre un congé parental pour m’occuper du petit, parce qu’on n’avait pas de moyen de garde et ça permettait de faire la transition aussi avec le plus grand. Et puis moi de toute façon je n’avais pas de travail parce qu’il a fallu que j’attende mars pour avoir une permutation, enfin une autorisation de changer de département pour pouvoir enseigner en septembre. (Jacques, professeur des

écoles, conjointe assistante commerciale, trois enfants, en congé parental pendant un an pour le troisième)

Paradoxalement, seuls quelques couples expliquent leur décision de prendre un congé parental (principalement) par leur besoin d’avoir un mode d’accueil pour leurs enfants, qu’il s’agisse du meilleur possible à leurs yeux ou au contraire d’une « roue de secours ». C’est le cas également des mères qui ont pris un congé parental : le congé est rarement présenté comme le seul mode de garde possible, mais comme celui choisi à une certaine étape de leur trajectoire personnelle et familiale. Il est possible que ce discours soit minoritaire en raison de son évidence même : dans la mesure où dans les représentations, le meilleur moyen de garde d’un enfant en bas-âge soit un de ses parents (et plus particulièrement la mère) (Galtier, 2011) et dans un contexte de promotion politique du « libre choix » (Boyer, 1999) du mode de garde de l’enfant, le recours au congé parental n’a pas besoin d’être justifié en tant que tel.

Le recours au congé parental par un homme est donc présenté comme la rencontre d’une disponibilité du père, notamment vis-à-vis de l’activité professionnelle exercée (ou l’absence d’activité professionnelle, le cas échéant), et l’indisponibilité de la conjointe. Cette disponibilité se décline différemment en fonction du rapport à l’emploi des pères. Dans la majorité des cas, le congé est décrit comme venant conforter un désengagement subjectif du travail, et donc un sentiment de disponibilité pour arrêter temporairement son activité professionnelle. Le dispositif permettrait alors un réengagement dans le travail, que ce soit par un nouveau métier, une nouvelle entreprise ou un nouveau service. Pour une minorité de pères, peu qualifiés ou enseignants, le congé parental ne constituerait pas une rupture avec un engagement professionnel antérieur déçu, mais au contraire la continuation d’une priorité donnée à la sphère familiale : il s’agit de couples où le père est marqué comme « disponible » pour la famille du fait de son faible engagement dans le travail ou de l’exercice d’une profession réputée permettre l’articulation travail-famille. Enfin, pour quelques pères, le recours serait provoqué par un défaut du mode d’accueil précédemment envisagé, dans un contexte où la conjointe n’est pas en mesure de prendre ou de prolonger un congé parental : il s’agirait de répondre à un besoin de disponibilité surgissant dans la famille.

Cette disponibilité subjective s’articule avec des conditions objectives permettant le recours au congé : couples à double carrière voire où la conjointe est la principale apporteuse

de ressources, emploi exercé en CDI ou comme fonctionnaire pour la majorité des pères (30)81,

environnement professionnel percevant positivement l’investissement paternel (pour les pères de classes moyennes et supérieures, majoritaires dans le corpus)… D’une manière générale, les pères mettent peu leur carrière professionnelle en danger en prenant un congé parental, même si cette faible prise de risque prend des formes différentes en fonction du niveau de diplôme du père et de son désir de retourner ou non dans l’emploi précédemment exercé. Les pères ayant un niveau de diplôme de niveau master ou plus et exerçant comme cadres optent généralement pour des congés de moins d’un an. S’ils souhaitent changer d’emploi, ils profitent du congé pour chercher un nouveau poste. Ceux travaillant dans le secteur privé qui désirent au contraire reprendre le même poste prennent en compte l’employeur.euse dans les modalités de leur congé. Ils expliquent ainsi prendre leur congé à une période et pour une durée susceptible de ne pas pénaliser l’entreprise ou avoir prévenu leurs supérieurs longtemps à l’avance (comme les pères en congé parental au Portugal ; Wall, Leitão, 2016a, 2016b). Les pères ayant un niveau de diplôme moindre sont plus susceptibles de prendre des congés d’un an ou plus (parfois pris pour plusieurs enfants), et d’opérer une reconversion professionnelle pendant cette période pour ceux qui souhaitent changer d’emploi. Les pères en congé parental de mon corpus d’entretiens n’ont pas les mêmes caractéristiques que les pères bénéficiaires de l’APE (Boyer, Renouard, 2004), dans ces deux populations le recours au congé apparait comme un choix raisonné par rapport aux situations professionnelles des pères bénéficiaires et celles de leurs conjointes.

En effet, ce sentiment de disponibilité des pères n’est pas seulement lié à leur rapport à l’emploi, il est également relatif à l’indisponibilité de la conjointe pour prendre un congé parental après son congé de maternité (en raison des caractéristiques de son emploi, ou de son rôle d’apporteuse de ressources), ou pour prolonger un congé parental de quelques mois en cas d’indisponibilité d’un mode d’accueil alternatif pour l’enfant. La mention par quelques pères du fait que « c’était leur tour » de prendre un congé après que leur conjointe en ait pris un pour l’ainé.e signale le rôle des conjointes dans le recours au congé des hommes. Hélène Trellu (2010) mentionne le passage du « je » au « on » dans les discours des pères quand ils décrivent les raisons qui les ont amenés à décider de prendre un congé parental, ce qui est beaucoup moins vrai pour les femmes ayant pris un congé. Or, dans certains couples, la conjointe n’apparait pas seulement comme un partenaire dans la décision, mais comme véritablement moteur, en encourageant activement le père à prendre un congé et à « faire sa part ».

81 Cette prévalence des pères en CDI s’explique en partie par les conditions d’éligibilité au congé parental

Cependant, cette disponibilité ne découle pas mécaniquement de la situation du père au moment de l’arrivée d’un enfant. Elle s’inscrit aussi dans la continuité de sa socialisation primaire concernant les rapports au travail et à la famille.

Dans le document Le temps des pères (Page 132-137)

Outline

Documents relatifs