• Aucun résultat trouvé

La parentalité, cet art d’être parent qui, au hasard du nombre, de l’ordre d’arrivée et des caractéristiques de chaque enfant, mais aussi du-de la conjoint-e avec qui cette expérience est vécue, s’avère être un long et complexe processus qui se combine avec le développement plus général de l’adulte. Les résultats obtenus dans la présente recherche permettent d’entrevoir que l’atteinte du niveau relativiste est prometteuse d’un développement harmonieux de l’enfant par l’entremise de la qualité des liens que le parent établit avec lui, grâce à sa compréhension plus globale de son rôle parental et de la place qu’il sait donner à chacun dans la gestion de ce rôle. Un tel niveau est aussi associé à la maîtrise de diverses compétences (capacité de prendre la perspective de l’autre (empathie), fonctionnement réflexif élaboré, et style d’éducation démocratique). Que tous les parents ne s’y retrouvent pas permet la mise en évidence des principales divergences observées chez les participants dans leur manière de conceptualiser et d’exercer leur rôle de parent avec leur enfant au reflet des niveaux de développement atteints.

De tels résultats incitent à se questionner sur la manière d’intervenir auprès de parents demandeurs d’aide professionnelle. Ayant démontré que chaque niveau de développement de la parentalité comporte sa logique propre qui oriente les conduites du parent, il s’agit dans un premier temps, pour l’intervenant, de déterminer le niveau du parent qui consulte en vue de mieux cibler et nuancer les types d’interventions à privilégier. Souvent le type d’aide demandé est un bon indicateur de ce niveau. Les parents sont-ils à la recherche d’une aide pour « guérir » leur enfant qui éprouve des difficultés ou sollicitent-ils plutôt des conseils ou opinions pour jauger leur propre manière d’intervenir? Désirent-ils obtenir des solutions concrètes au problème rencontré ou viennent-ils plutôt examiner avec l’intervenant les divers éléments à considérer pour mieux saisir ce qui se passe ?

À cet égard, la grille de la parentalité ainsi que la grille d’analyse élaborée dans la présente étude représente un guide précieux à l’usage des intervenants qui considèrent important

128

de tenir compte de cet aspect développemental dans leurs pratiques. Sachant que les conceptions des parents peuvent être une aide ou un frein à la compréhension des situations vécues, ils chercheront à en déterminer le niveau pour être ensuite en mesure d’y ajuster adéquatement leur intervention. L’outil leur sera également utile pour offrir des interventions favorables à un changement graduel respectant, de façon ordonnée, les différentes étapes développementales à construire. Chercher à brûler ces étapes aboutirait à devoir se confronter à des résistances de la part des parents qu’on veut aider, résistances qui seraient plus de l’ordre de l’incompréhension que d’une opposition personnelle lucide.

Comment peut s’établir la communication entre l’intervenant et le parent qui consulte dans le but d’être aidé à résoudre ses difficultés avec son enfant? Comme observé dans les données d’entrevue, le parent pré-relativiste, désireux de trouver la solution qui amènera son enfant à se comporter adéquatement, conformément aux attentes sociales, aura tendance à demander la bonne manière d’intervenir ou cherchera à obtenir l’approbation de l’intervenant sur sa façon d’agir avec son enfant dans une situation donnée. Dans un tel cas et à l’aide d’exemples, l’intervenant tentera d’offrir au parent diverses pistes de solutions pour amener ce dernier à prendre progressivement conscience qu’à tout problème, plusieurs solutions sont possibles, selon les circonstances. Il cherchera également à lui faire comprendre que l’enfant peut lui aussi contribuer à la résolution d’un problème, parfois seulement en exprimant ce qu’il pense de la situation qui, bien souvent, est interprétée différemment de ce que pensent les parents. Quant au parent multipliciste, plus conscient de l’existence d’une variété de solutions possibles aux différents problèmes qu’il rencontre, mais encore incapable de les envisager dans une perspective globale et d’élaborer un plan d’action à long terme pour bien éduquer son enfant, il viendra consulter le « spécialiste » pour obtenir son approbation sur les actions adoptées ou faire appel à son expérience pour en connaître de meilleures. Peu conscient de l’inconstance de ses propres interventions qui, trop souvent varient d’un style autoritaire à un style permissif ou vice- versa, et de leur impact perturbateur sur son enfant, l’intervenant pourra, par exemple, tenter de le sensibiliser à l’importance d’être cohérent et stable dans ses interventions, peu importe les situations, pour éviter de dérouter son enfant. Il pourra aussi lui signaler l’importance d’informer son enfant de la signification des mesures prises pour qu’il comprenne mieux le but poursuivi.

129

En comparaison, le parent relativiste qui fait appel aux services d’un intervenant pour son enfant tendra à bien préciser le problème qui le préoccupe en vue d’obtenir un autre point de vue que le sien sur la source du problème pour en comprendre toute l’étendue et mieux orienter ses interventions auprès de son enfant. Autonome dans sa réflexion, il viendra plus chercher une aide pour le guider dans ses actions qu’une solution pure et simple. Le bon intervenant saura capter adéquatement le besoin sollicité de la part du parent.

Globalement, ce qui différencie le parent relativiste du parent pré-relativiste est sa préoccupation de maintenir, à long terme, une bonne communication et compréhension avec son enfant plutôt que celle d’obtenir la solution miracle pour résoudre ponctuellement les situations problématiques rencontrées. Des manières aussi différentes d’appréhender la réalité nécessitent d’être tenues en compte par l’intervenant s’il ne veut pas faire fausse route dans l’aide qu’il cherche à offrir aux parents.

À noter qu’il n’est pas toujours facile de déterminer le niveau de développement du parent lors de consultations, mais la série d’indices offerts dans la présente recherche, compilée dans le guide sur le développement de la parentalité, peut servir de toile de fond pour orienter une démarche d’intervention qui se veut éducative et formative. Au-delà d’une aide à résoudre des problèmes ponctuels, la démarche d’intervention devrait viser à faire évoluer les parents dans leur compréhension et gestion de leur rôle parental. Se limiter à la résolution immédiate et facile d’un problème donné risque de n’avoir aucune portée à long terme et peut même, dans certains cas, amener les parents à progressivement abdiquer de leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants, faute d’avoir compris comment gérer un rôle si complexe. En somme, les résultats de notre étude montrent l’importance, lors de toute intervention auprès des parents, de les considérer tant dans leur rôle d’apprenant que d’éducateur « en développement » pour assurer une bonne communication, dans le sens d’une compréhension mutuelle.

Ces remarques laissent entendre que tout processus d’intervention est fondamentalement interactif, en ce sens que les personnes impliquées ont chacune un rôle déterminant à jouer pour rendre l’intervention efficace. C’est en ce sens qu’il apparait essentiel, pour aider un parent qui consulte, de connaître comment il appréhende sa réalité de parent et, de façon plus générale, comment il conçoit et structure la parentalité. Selon Boivin (2012), considérer le niveau de

130

développement de la personne qui consulte rend l’accompagnement de l’intervenant plus efficace pour explorer et résoudre les problèmes rencontrés. En d’autres termes, toute intervention doit tenir compte du niveau de compréhension de la personne qui consulte pour offrir des conseils pertinents aux problèmes discutés.

Il est possible que parmi les difficultés que rencontrent les intervenants dans leur travail auprès des parents, certaines tiennent au fait que cette dimension développementale n’est pas prise en considération. Dans de tels cas, des conséquences regrettables peuvent survenir, allant jusqu’à affecter la qualité de la relation parent-intervenant, faute de compréhension réciproque et de constats d’échec à répétition, tant dans la résolution des problèmes que dans l’impossibilité d’atteindre les objectifs liés aux interventions, tels favoriser la confiance en soi, l’autonomie et le bien-être du parent. Il est fort possible que ces types de conséquences soient plus observables auprès des parents pré-relativistes.

Quant à l’influence de l’intervenant, plusieurs caractéristiques, pratiques ou habiletés personnelles ont déjà été étudiées comme influençant l’efficacité thérapeutique ou l’alliance thérapeutique. Certaines sont en lien avec les variables étudiées dans la présente recherche. Ainsi, il est démontré que la capacité de mentalisation et les processus mentaux du thérapeute pourraient représenter une des variables-clés expliquant l’habileté du thérapeute à établir une bonne alliance et à formuler des interventions spécifiques au patient, venant ainsi le toucher directement et créer un changement clinique significatif (p.231) (Maheux, Normandin, Parent, Ensink, & Sabourin, 2016).Dans un autre ordre d’idée, face à un parent relativiste l’intervenant serait aussi susceptible de connaître des difficultés qui surviendraient cette fois de la part d’un intervenant n’ayant pas atteint un niveau relativiste lui-même. Owen (2006) constate que des intervenants (étudiants aux cycles supérieurs en psychologie clinique et en counseling) de niveau pré-relativiste ont tendance à poser des questions visant à confirmer leur hypothèse initiale (nature probable du problème) et à négliger les éléments non congruents avec leur hypothèse. Quant aux intervenants relativistes, ils cherchent davantage à poser des questions plus variées, non biaisées.

Étudiant le niveau de développement intellectuel et éthique en relation avec la compétence professionnelle chez des psychologues en formation, Boivin (2012) reconnaît

131

l’importance de l’atteinte du niveau relativiste pour professer comme psychologue. Elle mentionne notamment :

Un thérapeute avancé sur l’échelle de Perry (1998) peut comprendre les étapes antérieures de développement alors que l’inverse n’est pas possible. Le thérapeute relativiste ne rejette pas les stratégies thérapeutiques des niveaux précédents, mais les intègre pour les adopter de manière flexible, en tenant compte du contexte et des besoins du client. Il est donc plus susceptible d’être à même de s’ajuster au niveau du client (p.165).

Compte tenu des éléments qui caractérisent le professionnel relativiste, il semble bien que le niveau de développement soit pertinent à considérer si on veut comprendre la dynamique à l’œuvre dans toute forme d’intervention et en analyser les forces et les faiblesses de façon lucide et réfléchie. De même, pour bien mesurer les impacts que toute intervention peut avoir sur l’individu qui consulte, ici le parent, il est plus que nécessaire de fonder cette intervention sur les acquis de cet individu, tout autant que sur ses possibilités de les dépasser pour atteindre un niveau permettant des retombées plus efficaces et plus durables.