• Aucun résultat trouvé

Le développement de la parentalité et les compétences parentales

La discussion des résultats obtenus sur les compétences parentales par rapport à ceux sur le niveau de développement de la parentalité des participants va permettre de rendre compte du caractère évolutif et interactif de ces deux paramètres. Pour ce faire, les compétences parentales sont présentées une à une en lien avec le développement de la parentalité selon les hypothèses initialement émises10. Pour mieux illustrer cette dynamique, il a semblé plus favorable de regrouper les quatre niveaux de développement en deux grandes étapes, celle d’un pré- relativisme radical qui progresse vers une prise de conscience de la subjectivité des idées et des pratiques et celle d’un relativisme contextuel et de plus en plus engagé.

Fonctionnement réflexif et développement de la parentalité

Les résultats obtenus sur ces deux variables confirment la première hypothèse voulant qu’à un niveau de parentalité plus élevé corresponde un niveau de fonctionnement réflexif également plus élevé. Une différence significative du niveau de fonctionnement réflexif est observée entre les participants relativistes et pré-relativistes en faveur des premiers. Pour expliquer ce lien, il faut mentionner le style de raisonnement qu’adopte le participant relativiste pour décrire sa relation avec son enfant et sa capacité à faire appel à ses états mentaux pour en dégager le sens ou pour mieux le comprendre.

À noter que pour les parents ayant exprimé avoir vécu des événements difficiles pendant leur enfance (abus, trauma ou autre), la comparaison entre leurs niveaux de développement de la parentalité et le fonctionnement réflexif (FR) nécessite de porter une attention particulière à leurs propos afin d’en dégager une interprétation possible. Deux groupes de parents semblent se dégager : un premier groupe présente des résultats faibles sur les deux composantes ou un niveau de fonctionnement réflexif plus faible que le niveau de développement de la parentalité, laissant

10

Bien que la compétence « attachement » ne soit mentionnée dans aucune hypothèse, en raison de sa composante plus affective et relationnelle, elle a été maintenue dans l’étude à cause de sa pertinence confirmée comme compétence parentale et son lien étroit avec le fonctionnement réflexif. Les résultats vont dans le sens prévu de sa nature distincte des autres compétences malgré les corrélations obtenues qui indiquent sa valeur positive et interactive dans la manifestation de ces compétences. Il en sera question dans la discussion chaque fois que des conduites significatives à son égard émergent des résultats.

114

supposer que ces événements ont eu une influence négative sur ces composantes, et plus fortement sur le fonctionnement réflexif. Par contre, le deuxième groupe est constitué de parents présentant des niveaux relativement élevés sur les deux composantes ou un niveau de fonctionnement réflexif plus élevé que celui du développement de la parentalité. Pour rendre compte de ces résultats contrastés, un retour sur les propos des participants révèle que seuls ceux du deuxième groupe mentionnent avoir eu un suivi psychologique pour les aider. Ceci laisse supposer que ce genre d’intervention leur a été bénéfique; une réflexion sur leur passé douloureux leur a permis non seulement de prendre conscience de leurs émotions et sentiments, mais aussi d’en dégager un sens nouveau et de le gérer de façon plus constructive. Ceci rejoint les éléments décrits dans la littérature scientifique montrant l’effet bénéfique de la thérapie sur le niveau de fonctionnement réflexif (Diamond, Clarkin, Lévine, Levy, Foelsch & Yeomans, 1999 ; Diamond, Yeomans, Clarkin, Levy & Kernberg, 2008 ; Levy, Clarkin, Yeomans, Scott, Wasserman & Kernberg, 2006). Il est possible d’envisager que la psychothérapie a aussi, chez certains, permis de favoriser le développement de la parentalité d’autant plus, comme l’indiquent certaines études (Boivin, 2012), lorsque l’intervenant a lui-même atteint le niveau relativiste. Empathie et développement de la parentalité

Pour ce qui est de la deuxième hypothèse, stipulant qu’à un niveau plus avancé sur l’échelle de parentalité correspond une capacité d’empathie plus élevée, cette relation est partiellement confirmée. Les deux sous-échelles qui représentent le côté plus cognitif de l’empathie (prise de perspective et fantaisie) sont les seules à présenter une différence significative entre les parents pré-relativistes et ceux relativistes en faveur de ces derniers; les deux autres composantes plus affectives (souci empathique et détresse personnelle) ne permettent pas d’effectuer de tels liens.

Ces résultats concordent avec ceux de Benack (1984) et de Lovell (1999) indiquant un lien entre le développement cognitivo-éthique de l’adulte et l’empathie cognitive. Plus spécifiquement, dans l’étude de Benack, l’empathie était évaluée à travers une situation de jeu de rôle où elle représentait la capacité des participants, des étudiants en Counseling, à comprendre l’expérience d’autrui; dans l’étude de Lovell, c’est à l’aide du questionnaire de Hogan (1969) qui mesure davantage l’empathie cognitive (la prise de perspective) qu’elle a été évaluée. Il semble donc que ce soit surtout la capacité d’envisager la perspective de l’autre qui soit la plus

115

déterminante pour montrer le lien de l’empathie avec le développement de la parentalité. Quant aux deux composantes affectives de l’empathie, souci empathique et présence de détresse personnelle, leur absence de corrélation avec le développement de la parentalité va dans le même sens que les résultats obtenus sur l’attachement qui, en tant que compétence affective, n’affiche pas de corrélation avec le développement de la parentalité. En effet, le souci empathique est corrélé significativement de manière négative avec l’évitement dans l’attachement (plus le souci empathique augmente plus l’évitement diminue), de même que la détresse personnelle qui est corrélée significativement avec la préoccupation à être aimé et l’évitement (plus il y a de détresse personnelle, plus il y a de préoccupation à être aimé et d’évitement).

Les résultats de ces deux premières hypothèses permettent de constater que le parent qui se soucie de comprendre ce que son enfant ressent et les intentions qui sous-tendent ses actions et conçoit son rôle actif dans son développement, est également celui qui lui accorde une place fondamentale dans le processus éducatif, en éveillant chez lui la nécessité de toujours tenir compte des contextes et des points de vue des autres, de gérer adéquatement les contradictions et de rechercher des pistes de solution aux problèmes qu’il rencontre. Le parent engagé fait un pas de plus en cherchant également à développer sa réflexion, entre autres par la discussion, en abordant divers points de vue ou perspectives susceptibles d’exister dans une situation; ce faisant, il permet à l’enfant d’enrichir sa compréhension, de réfléchir et de découvrir l’aspect subjectif de toute prise de position.

Style d’éducation parentale et développement de la parentalité

Les résultats concernant la dernière hypothèse confirment partiellement ce qui était prévu, à savoir que le style démocratique serait davantage associé au niveau relativiste (et relativiste engagé), le style autoritaire au dualiste et le style permissif au niveau multipliciste. Toutefois, comme certains des résultats se sont révélés surprenants ou contre-intuitifs, plusieurs précisions doivent être apportées ici. Tout d’abord, il faut rappeler que deux sources d’information ont permis de statuer sur le style d’éducation parentale, à savoir le questionnaire (Parenting Styles and Dimensions Questionnaire) et l’entrevue inspirée du « Parental discipline techniques self- report instrument » de Gardner (1997). Alors qu’aucun résultat significatif relatif à l’hypothèse n’est observé avec le style d’éducation parentale obtenu par questionnaire (tous les parents affichant davantage de caractéristiques démocratiques), les résultats obtenus par entrevue

116

s’avèrent significatifs; à des caractéristiques de style autoritaire correspond un niveau de développement de la parentalité inférieur comparativement au style d’éducation démocratique où le niveau de développement est plus élevé.

Pourquoi des résultats différents ont-ils été obtenus selon la méthode utilisée? Une analyse plus fine des réponses obtenues dans le questionnaire fait ressortir certaines incongruences, telles par exemple, le fait que plus un parent manifeste des comportements de style autoritaire, plus il manifeste également des comportements de style permissif. Ce résultat est d’autant plus paradoxal que les énoncés se rapportant au style autoritaire sont nettement opposés à ceux du style permissif. À noter par ailleurs que plus un participant manifeste des comportements de style démocratique, moins il en manifeste de permissifs et d’autoritaires.

Doit-on remettre en question la validité du questionnaire? Certains résultats descriptifs des sous-échelles le suggèrent. En effet, plusieurs indicateurs quantitatifs sont faibles pour les sous-échelles autoritaire et permissive (alpha de Cronbach, moyennes et écarts-types), laissant supposer que ces sous-échelles ne permettent pas de bien discriminer les styles d’éducation parentale privilégiés. Une analyse plus fine des items se rapportant au style autoritaire révèle que ceux portant sur l’administration de punitions physiques (items 2, 19 et 21) sont rejetés par la très grande majorité des participants qui indiquent ne jamais faire usage de ce comportement (cote 0 sur l’échelle), ce qui, du même coup, entraine une diminution de la moyenne de ce style.

Quant aux réponses aux énoncés se rapportant au style permissif, leur examen tend à distinguer deux types de permissivité. Le premier décrit un certain laisser-faire de la part du parent comme s’il considérait la période de l’enfance comme synonyme d’une grande liberté; l’enfant agirait à sa guise, que ses comportements soient socialement convenables ou non. Les items du questionnaire se rapportant plus directement à cette composante sont : 7- Je permets à mon enfant de déranger autrui et 22- Je permets à mon enfant d’interrompre les autres. Le deuxième type rend plutôt compte d’un parent qui se voudrait autoritaire en imposant des interdictions à son enfant, mais qui n’interviendrait pas quand elles ne sont pas respectées. Les items se rapportant directement à ce style sont ; 9- Je dis à mon enfant des punitions, mais je ne les applique pas, 18- Je menace mon enfant de punitions plus souvent que je ne les applique. Les

117

participants qui se veulent autoritaires, mais qui ne le mettent pas en pratique sont sans doute responsables du lien positif qui unit les styles autoritaire et permissif.

Un bref regard sur la réalité que vivent les parents dans le Québec actuel permet aussi d’expliquer en partie les résultats obtenus sur ce questionnaire. Comme mentionné précédemment, depuis 1977, il existe au Québec une loi sur la Protection de la Jeunesse11, prohibant tous sévices corporels. Depuis que cette loi a été promulguée, les parents ont dû modifier leurs conceptions, voire leurs pratiques éducatives. Par ailleurs, divers médias (émissions de télévision, livres, documentation fournie par l’école) et différentes activités de formation renseignent sur l’éducation à donner aux enfants (culture éducationnelle). Dans un tel contexte, les parents n’ont de choix que de se conformer à la loi. Ceci expliquerait que certains items du questionnaire aient été boudés, voire rejetés par plusieurs participants, surtout en ce qui a trait au style autoritaire. C’est le cas d’items tels que l’utilisation des punitions physiques (19), fesser (2), frapper (21), crier (5), adresser des reproches (8), ou punir sans explication (14), qui se rapportent au style autoritaire. Ceci s’est d’ailleurs vérifié lors de l’entrevue. Certains parents ont spontanément mentionné connaître des alternatives punitives non corporelles pour corriger leur enfant comparativement à l’époque de leurs parents ou grands-parents où les châtiments physiques étaient plus fréquents. Ces propos laissent entendre que la loi et les discours qui l’entourent ont amené un grand nombre de parents à s’éloigner des anciennes pratiques pour en innover de nouvelles plus sécuritaires et plus respectueuses des enfants. Dans un tel contexte, la conservation d’items prohibés socialement dans ce questionnaire rend cet instrument désuet et en invalide, du moins partiellement, les résultats.

Quant à l’ambivalence qui semble se manifester entre le choix d’un style permissif ou autoritaire, elle est sans doute aussi en rapport avec les changements sociétaux mentionnés plus haut. Il est possible que les parents, face à des contraintes sociales plus serrées les éloignant des pratiques de leurs parents, se sentent beaucoup moins compétents et outillés pour pratiquer une éducation moins physique, voire violente, d’autant plus que les jeunes eux-mêmes connaissent leurs droits et savent les revendiquer. L’instabilité qu’ils affichent en appliquant soit un style

11

Selon l’article 38 de la Loi sur la Protection de la Jeunesse, « Pour l'application de la présente loi, la sécurité ou le développement d'un enfant est considéré comme compromis lorsqu'il se retrouve dans une situation d'abandon, de négligence, de mauvais traitements psychologiques, d'abus sexuels ou d'abus physiques ou lorsqu'il présente des troubles de comportement sérieux. »

118

autoritaire soit un style permissif témoignerait sans doute de la perplexité dans laquelle ils se retrouvent en l’absence de modèles mieux adaptés aux règles actuellement en vigueur. Peu préparés à leur rôle de parents, incapables de s’appuyer sur les pratiques qu’exerçaient leurs propres parents, ils se sentent inadéquats et incertains face aux décisions à prendre et tergiversent entre un style d’éducation et un autre sans trop savoir où s’orienter. Compte tenu de cette insécurité et de ce manque de perspective, il n’est pas surprenant non plus d’observer, comme il en sera maintenant discuté, que c’est parmi ces parents que s’affichent les niveaux les moins élevés dans le développement de la parentalité.

Contrairement aux résultats obtenus au questionnaire, qui discriminent très peu les parents entre eux, les propos récoltés en entrevue font apparaitre des distinctions qui permettent de mieux établir le lien entre chacun des styles d’éducation et le niveau de développement atteint. Par exemple, comme mentionné dans l’analyse des résultats, bien que les parents autoritaires ou affichant des caractéristiques autoritaires semblent appliquer des sanctions semblables à celles des parents démocratiques pour amener leur enfant à des comportements qu’ils jugent plus acceptables, leurs discours se montrent pré-relativistes par le sens différent qu’ils en donnent. Chez le parent autoritaire, le principal critère choisi pour administrer une punition est qu’elle soit déplaisante pour amener l’enfant à ne plus reproduire le comportement non souhaité; chez le parent démocratique, généralement relativiste, le critère est plutôt de choisir une punition en rapport direct avec le comportement non souhaité pour permettre à l’enfant d’y réfléchir et d’en comprendre toute la portée. Ainsi, les parents démocratiques développent des stratégies plus orientées vers la compréhension des problèmes à résoudre alors que les parents autoritaires optent plutôt pour des mesures de représailles suffisamment désagréables pour dissuader l’enfant de répéter les comportements jugés non acceptables.

Un autre questionnement qui se dégage des résultats est la présence de variabilité dans les comportements que disent avoir les parents concernant les styles d’éducation qu’ils adoptent. Certains qui se décrivent comme autoritaires se disent aussi parfois permissifs, dépendant des situations ou de leur état psychologique (fatigue, sentiment de culpabilité). Par exemple, ils mentionnent que leurs interventions sont autoritaires ou permissives selon l’importance qu’ils accordent aux règles qu’ils ont établies. D’autres mentionnent que parfois, au moment d’appliquer la punition, ils se sentent coupables et ne sanctionnent pas le comportement, donnant

119

ainsi une autre chance à l’enfant. Certains parents (surtout parmi ceux qui sont absents toute la journée et qui ont l’impression de ne consacrer que peu de temps à leur enfant) justifient la variabilité du type d’intervention choisi par leur désir de conserver une bonne relation avec leur enfant et de ne pas avoir l’impression de toujours être en train de le punir. Cet aspect rejoint un élément ressortant de l’enquête de l’institut de la statistique du Québec auprès de parents d’enfant entre 0 et 5 ans à savoir que le quart des parents mentionnent avoir souvent ou toujours l’impression de ne pas avoir assez de temps à consacrer à leurs enfants (Québec, 2016).

D’autres disent varier leur style d’éducation lorsqu’ils sont fatigués ou plus centrés sur leurs propres intérêts et préférences. Le passage d’un style à l’autre peut aussi être lié au fait que le parent, jugeant qu’il ne peut pas tout contrôler, choisit ses champs de bataille. Cela peut se produire lorsqu’un enfant est davantage désobéissant que ses frères et sœurs; pour éviter de donner l’impression de toujours punir l’enfant turbulent, le parent va parfois se montrer permissif à son endroit. Plusieurs de ces exemples permettent aussi de montrer l’interaction qui existe entre la compétence affective attachement et les styles d’éducation adoptés par les parents pour maintenir de saines relations avec leurs enfants. Somme toute, ces divers propos recueillis des parents montrent à quel point leur tâche d’éducateur leur semble complexe et souvent difficile à gérer. Alors qu’un certain degré de flexibilité apparait chez certains dans leur façon de réagir aux comportements de leur enfant, dans d’autres cas, cette variabilité prend plutôt l’allure d’instabilité et conduit à une perte de contrôle.

Entre les parents qui discutent avec leur enfant pour leur faire comprendre le sens des punitions qu’ils lui infligent et les parents qui sévissent ou tolèrent indûment, sans démarche claire, la différence se situe, comme en témoignent les résultats obtenus, dans leur niveau de développement de la parentalité, c’est-à-dire leur niveau de compréhension de leur rôle parental et leur capacité d’appréhender ou non ce rôle dans toute sa globalité. À la lumière des propos récoltés des parents, du niveau de développement qu’ils ont atteint, il devient possible de lever en partie l’ambiguïté de certains résultats quantitatifs, telle que la corrélation positive observée entre les sous-échelles permissive et autoritaire. Il semble que certains parents, moins bien outillés que d’autres pour faire face à leur rôle parental, devant des situations problématiques, adoptent une démarche d’essais erreurs en alternant entre des comportements autoritaires et permissifs, sans pouvoir en justifier l’utilisation. Le fait d’avoir retenu, pour l’étude, deux

120

modalités de récolte de données sur cette compétence s’est révélé, dans ce sens, une initiative éclairante et bénéfique.