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Analyse d’ensemble de l’évolution des paramètres étudiés

À la lumière des résultats de cette étude sur le développement de la parentalité en relation avec les compétences parentales, quatre thèmes principaux émergent comme éléments fondamentaux inter reliés du rôle parental: le sentiment de responsabilité, la gestion de l’autorité, le style de communication et la perception de contrôle que vit le parent (voir annexe M pour la grille d’analyse). Ces quatre thèmes servent d’éléments intégrateurs des divers liens qui unissent les compétences parentales étudiées au développement de la parentalité en vue de rendre compte du cheminement du « parent compétent ». Ces liens apparaissent comme des marqueurs développementaux qui permettent de mieux comprendre la complexité de cette évolution et d’en dégager des bases pertinentes pour mener de nouvelles recherches et offrir des pistes d’intervention appropriées.

Pour illustrer succinctement ce cheminement, ces thèmes sont maintenant traités selon la même procédure employée précédemment, c’est-à-dire en regroupant les quatre niveaux de développement en deux grandes classes : les pré-relativistes (dualistes et multiplicistes), et les relativistes (incluant les relativistes engagés). Des commentaires plus spécifiques à un ou l’autre niveau sont ajoutés à l’occasion, pour mieux illustrer certaines différences développementales. Le sentiment de responsabilité parentale

Le fait de devenir parent exige une grande part de responsabilité pour assurer, dès la naissance, voire dès la conception de l’enfant, son développement sécuritaire et harmonieux. Les parents interrogés en ont exprimé l’importance. Se plaçant dans le contexte actuel de la recherche, c’est-à-dire des parents ayant des enfants d’âge scolaire, un premier constat à relever des propos recueillis tient aux significations variées attachées à cette notion de responsabilité à l’égard de l’enfant. Ces variations sont liées à l’évolution même de la conception que le parent se fait de la parentalité.

Il apparait que le parent pré-relativiste tend à se considérer responsable des comportements de son enfant, lesquels doivent être socialement convenables. À cet égard, il perçoit qu’il est de son devoir de contrôler les comportements de son enfant par des consignes,

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des renforcements, des punitions. Pour lui, cette responsabilité est à partager avec d’autres adultes (ex; intervenant scolaire ou autre).

Ce regard qui situe la responsabilité dans l’importance du comportement s’avère un bon indicateur de la perception qu’a le parent de sa compétence. En effet, le parent se montre fier lorsque son enfant a de bons comportements et déçu de lui-même lorsque l’enfant n’agit pas correctement ou obtient des résultats non désirés. Dans le même ordre d’idée, certains parents pré-relativistes expriment le désir que leur enfant puisse accomplir ce qu’ils n’ont pas pu réaliser eux-mêmes et ainsi réaliser leurs rêves par l’intermédiaire de leur enfant (ex. : désir de jouer professionnellement à un sport). Pour d’autres parents dont l’enfant a reçu un diagnostic clinique (ex. : trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité ou trouble d’opposition avec provocation), la présence de cause génétique ou neurologique sert d’argument pour expliquer les comportements inadéquats de leur enfant et, de ce fait, les fait se sentir moins responsables, ce qui, en conséquence, entache moins la perception de leur compétence.

Contrairement au parent pré-relativiste qui se centre surtout sur les comportements de son enfant et leurs résultats, le parent relativiste tend plutôt à se voir responsable d’orienter son enfant vers des moyens propices à son développement, tel un environnement stimulant, interactif qui lui offre diverses possibilités d’actions lui permettant de devenir lui-même une personne autonome et responsable. Le parent relativiste considère de son devoir d’amener son enfant vers une réflexion et une compréhension plus complexe et articulée de ses expériences de vie. En ce sens, il se perçoit responsable de fournir à son enfant matière à réflexion, mais également de générer chez lui une prise de conscience de son rôle et de la diversité des perspectives qui s’offrent à lui dans toutes situations, y inclus celles qui sont de nature conflictuelle. En d’autres termes, étant conscient des valeurs qu’il a faites siennes, il tend par tous les moyens à les transmettre à son enfant.

La gestion de l’autorité

Une question se pose ici : le sentiment de responsabilité que vit le parent influence-t-il sa manière de gérer l’autorité dans sa relation avec son enfant? Avant de répondre à cette question, certaines remarques s’imposent. Les résultats déjà présentés ont montré que le style d’éducation adopté par le parent est non seulement fortement lié à la gestion concrète et quotidienne de l’autorité, mais est aussi susceptible de varier selon les conditions rencontrées dans chaque

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situation d’exercice. Ceci s’avère beaucoup moins évident lorsqu’on évalue l’évolution de la notion d’autorité à travers les différents niveaux de développement de la parentalité où l’intérêt porte surtout sur la façon dont le parent perçoit et conceptualise cette gestion.

Il faut également souligner que la relation des parents avec l’autorité peut être conceptualisée de deux façons : celle de subordination et celle d’autorité. D’un côté, le parent « apprenti » est à la recherche de modèles pour l’aider à devenir un bon parent; ce genre de subordination peut prendre la forme d’intervenants à consulter, de lectures sur ce thème, voire d’émulation de ses propres parents ou d’entraide du conjoint; de l’autre côté, face à son enfant, le parent est celui qui détient l’autorité; c’est lui qui dicte les règles, qui encourage les comportements jugés positifs, qui inflige les corrections, etc. Cette composante est également perçue dans le partage que le parent doit faire de son autorité avec d’autres adultes intervenant auprès de son enfant (professeur, grands-parents, etc.).

En somme, quelles que soient les circonstances où l’autorité entre en jeu, trois types de relations se dégagent de l’ensemble des résultats obtenus : certains parents cherchent à imposer leur autorité, d'autres désirent représenter l’autorité, mais ils ont l’impression de ne pas la détenir et enfin, d’autres inspirent d’office l’autorité sans sentir le besoin de l’imposer. Il est possible de faire un lien entre ces types de relation avec l’autorité et le développement de la parentalité.

Pour le premier type : imposition de l’autorité, il regroupe les parents qui disent imposer des exigences à leur enfant et intervenir directement pour régler les conflits (séparer les enfants lorsque ceux-ci se chicanent par exemple). Cette conception rejoint celle obtenue au niveau dualiste où le parent considère l’autorité comme découlant d’une personne qui détient la vérité et à laquelle on doit obéir. Les parents dualistes « sachant » ce qui est bien pour l’enfant, ce dernier doit donc se conformer à leurs exigences. Ils considèrent qu’un parent idéal est celui qui sait toujours comment intervenir dans n'importe quelle situation : « il a tout le temps la bonne solution à chacune des difficultés qui sont rencontrées » (participante 34). Dans ce style d’éducation où les parents disent savoir ce qui est bon pour leur enfant, il n’est pas surprenant de les voir imposer leur autorité sans discussion. Derrière cette prise de position, l’objectif visé est, comme dans le cas de la responsabilité du parent, celui du contrôle du comportement de l’enfant.

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Dans le deuxième cas, le parent qui désire avoir l’autorité, mais ne se sent pas maître de la situation aura tendance à tergiverser d’une solution à une autre ou à négocier avec son enfant et parfois même à argumenter. Ceci peut être associé à certains aspects du niveau multipliciste, où de manière générale, le parent dit avoir l’impression de ne pas détenir le pouvoir désiré ou l’autorité nécessaire auprès de son enfant. L’objectif demeure le même par l’importance accordée aux comportements de l’enfant qui représentent, pour le parent pré-relativiste, la conséquence ou le résultat de son intervention jugée efficace ou non. Certains participants perçoivent négativement l’influence des amis sur l’enfant et le fait que leur enfant compare les règles établies à la maison à celles qui existent chez ses amis; pour ces parents, ceci présente un risque possible de perte d’autorité. En situation de gestion de l’autorité, le parent multipliciste, peu sûr de lui-même et ne se fiant pas aux autres non plus, peut réagir de diverses manières : il peut abdiquer de son rôle d’autorité en se montrant plus permissif envers son enfant, en établissant avec lui une relation de « copinage »; il peut aussi tenter de conserver son autorité en augmentant ses exigences et la sévérité de ses corrections lorsqu’il y a désobéissance. Certains participants mentionnent, pour leur part, devoir négocier ou argumenter avec leur enfant dans un désir de récupérer leur rôle d’autorité sur ce dernier. Toutes ces conduites révèlent l’ambivalence dans laquelle peut se retrouver un parent multipliciste, allant d’un extrême à l’autre, sans trop savoir comment se comporter, sans contrôle réel de la situation. L’extrait suivant illustre bien cette ambivalence et ce manque de contrôle d’une participante de niveau multipliciste face à ses interventions en situation de conflit entre enfants :

Souvent moi je vais m’en mêler, aussi quand […] au lieu de dire organisez-vous, réglez vos conflits, j’ai tendance à intervenir comme une grande sœur interviendrait puis qu’à un moment donné elle va quasiment se chicaner avec l’autre, j’ai l’impression que je suis un peu bébé là. […] je ne suis pas capable de me raisonner. Des fois je peux me fâcher comme si je faisais partie du trio comme si on était un trio d’enfant. Puisque je me faisais heurter aussi dans tout ça, fais que je réagis très mal. […] j’ai beaucoup le réflexe en moi, petite fille encore qui va embarquer, je me fais, mon chum me dit que je me fais avoir, j’embarque dans leur chicane puis là j’essaye de (régler le conflit) puis tu ne veux pas prendre parti pris (n°49 ; femme entre 31 et 40 ans, collégial, 2 enfants entre 6 et 9 ans).

Enfin, le dernier type de parent est celui qui inspire l’autorité sans avoir besoin de l’imposer. Un tel parent va intervenir auprès de son enfant en lui expliquant les conséquences de ses gestes, en établissant des limites claires avec lui et en privilégiant des sanctions en rapport

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avec ses mauvais comportements pour bien marquer la cause de la sanction. Ce type de parent se retrouve davantage dans les niveaux relativiste et relativiste engagé. À ces niveaux, les parents se voient comme des personnes ayant acquis une certaine expertise grâce aux expériences vécues qui les ont amenés à réfléchir et à prendre du recul. Forts de cette acquisition, ils envisagent leur enfant comme quelqu’un qui peut acquérir une telle expertise à travers son propre vécu et ils voient leur rôle comme celui d’un guide pour l’aider à explorer diverses possibilités et à réfléchir sur ses expériences, l’importance étant plus axée sur des démarches à adopter que sur les comportements observables de leur enfant. Ces parents reconnaissent aussi l’influence d’autres personnes sur leur enfant et voient l’importance de ne pas les discréditer même s’ils ont des points de vue différents des leurs. Le parent relativiste voit la nécessité d’expliquer toute situation problématique à son enfant et d’écouter la compréhension qu’il en a avant de penser aux sanctions possibles. Par exemple, la participante suivante mentionne :

Ce n’est pas arrivé souvent. La plus grosse punition qu’ils ont eue c’est 3 minutes dans l’escalier. Je n’ai pas eu à disputer, je n’ai pas eu à chicaner, on s’explique. J’aime mieux qu’on s’explique que de dire, bien c’est moi la mère, puis c’est moi qui décide puis un point c’est tout, c’est comme ça. Je n’aime pas cette approche-là, puis pourtant je ne suis pas une mère amie, mais je veux être une référence donc c’est aussi dans l’autre sens. […] Puis ils ont beaucoup de permissions, mais en même temps parce que je leur fais confiance, parce que les permissions, ça s’enlève aussi (n° 18 ; femme entre 41 et 50 ans, baccalauréat, 2 enfants entre 9 et 10 ans).

Cet extrait illustre l’importance, pour cette participante, de ne pas imposer de manière unilatérale des règles et de s’assurer que ses enfants en comprennent le sens pour y adhérer. Cette même participante mentionne également en début d’entrevue : « … cela arrive souvent que je leur dise : il y a peut-être des choses que je vais vous dire, que je vais faire dans ma vie que vous ne serez pas d’accord avec moi, et vous avez le droit de me le dire », illustrant son désir de laisser à l’enfant la possibilité d’exprimer son point de vue, étape préalable à toute discussion fertile.

Cette compréhension des liens possibles entre le développement de la parentalité et la représentation de la responsabilité et la gestion de l’autorité rejoint sensiblement les résultats quantitatifs obtenus concernant le développement de la parentalité et le style d’éducation parentale : les participants relativistes sont proportionnellement plus nombreux à appartenir au style démocratique, basé sur les échanges et la compréhension, alors que les participants pré- relativistes se montrent surtout autoritaires ou permissifs avec, à l’occasion, des comportements

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démocratiques, encore incapables d’intégrer complètement l’enfant comme personne active et utile dans la résolution d’un problème.

Le style de communication

Les résultats concernant l’évolution observée dans les styles d’éducation parentale parallèlement à celle de la conception de la parentalité ouvrent la voie à une autre dimension qui apparait chez les parents « en devenir », tant conceptuellement qu’à travers les compétences jugées nécessaires pour bien l’exercer, celle de la communication. Pour en retracer l’évolution parallèle, les conduites des parents pré-relativistes et relativistes sont réexaminées sous ce nouvel angle.

Pour le parent pré-relativiste, la discussion est synonyme de réception d’un message allant de l’adulte à l’enfant. Elle est, pour l’enfant, le moyen d’apprendre de l’adulte la vérité au sujet des choses bien établies, des comportements attendus de lui. C’est lors de situations problématiques que se manifestent les « échanges verbaux ». À ces moments, le parent dit prendre la parole pour tenter de régler le conflit. Misant surtout sur le contenu de l’information qu’il reçoit, il tente alors de trancher entre vérité et mensonge des propos de son enfant ou encore se montre insatisfait du peu d’informations qu’il obtient, l’amenant alors à inférer ce qui s’est passé. Dans un tel contexte, la communication se révèle davantage unidirectionnelle. Bien que l’enfant soit entendu, aucun véritable dialogue n’est tenté de part et d’autre; l’enfant sait qu’en général, c’est le parent qui décide de l’issue du problème, les informations qu’il en donne lui- même étant jugées douteuses, incomplètes ou souvent non valables pour le parent.

De son côté, le parent relativiste perçoit au contraire la communication comme un moyen privilégié d’éduquer son enfant. Il vise donc à favoriser une communication bilatérale en creusant avec l’enfant les différentes facettes des situations, qu’elles soient conflictuelles ou non, afin de l’amener à y réfléchir ou à faire un choix éclairé à leur sujet. Ce faisant, il encourage le dialogue entre lui et son enfant en enrichissant la compréhension mutuelle des divers points de vue exprimés. De par son expérience plus vaste qui lui a permis de nuancer et de réfléchir sur une variété de situations, le parent relativiste voit l’importance d’inciter son enfant à s’exprimer et se montre ouvert à considérer son point de vue même s’il le voit différent du sien. Cette démarche témoigne d’un véritable dialogue où chacun peut influencer et apporter quelque chose de nouveau à toute discussion ou aux solutions qui découlent de situations problématiques.

126 La perception de contrôle (sur la situation)

Comme mentionné précédemment, les trois thèmes déjà abordés laissent anticiper leur influence relative sur la perception de contrôle du parent au cours de son évolution vers une plus grande maîtrise de son rôle parental. Concernant les parents pré-relativistes, le fait que leurs efforts portent surtout sur leur désir de contrôler les comportements de leur enfant, de jouer un rôle autoritaire à son égard et de communiquer unilatéralement avec lui sans chercher à comprendre vraiment ce qu’il vit, réduit leurs possibilités de bien explorer les situations vécues et par là, les met en situation de perte de contrôle devant les problèmes à résoudre. Sans en être trop conscients, devant de telles situations, ils expriment leur sentiment d’être dépassés par les comportements inadéquats de l’enfant ou ses réponses négatives à leurs interventions leur donnant l’impression qu’il ne les écoute pas ou cherche à les tromper. Les situations sont nombreuses où le parent va avoir l’impression de ne plus avoir de contrôle sur la situation qui se résume pour lui à la gestion des comportements de son enfant.

La situation est tout autre pour le parent relativiste. Moins influencé par les comportements de son enfant qu’il juge comme non totalement contrôlables, l’enfant n’étant pas une marionnette, il se montre aussi moins enclin à changer sa perception de son contrôle parental en fonction des situations rencontrées. Ne cherchant pas à contrôler directement les comportements de son enfant, il se montre davantage centré sur les moyens dont il dispose pour favoriser le développement de ce dernier. Il reconnaît la possibilité que des difficultés puissent être hors de son contrôle, mais se sent en mesure d’y faire face ou d’intervenir en conséquence en fonction de ses capacités, voire même de consulter des professionnels, si nécessaire. Se sentant en contrôle des situations et misant sur sa capacité d’adaptation, il est moins sujet à anticiper les comportements futurs de son enfant ou à s’inquiéter de son avenir. Son objectif est plutôt d’aider son enfant à développer des outils susceptibles de le rendre plus autonome et plus responsable de ses faits et gestes.

En conclusion, le parent relativiste se sent davantage confiant dans sa capacité de garder le contrôle sur son rôle parental, par le fait qu’il dispose des moyens qu’il a mis en place pour y arriver, contrairement au parent pré-relativiste qui accorde beaucoup d’importance aux comportements de l’enfant et à ses résultats sans s’assurer d’avoir les moyens de gérer l’ensemble des variables pouvant les influencer. En résumé, la ligne évolutive se révèle au départ

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dans la perception que se fait le parent de sa responsabilité envers son enfant; de cette perception, vont découler la manière dont il va gérer son rôle d’autorité ainsi que sa manière de communiquer avec son enfant, composantes qui influencent subséquemment sa perception du contrôle qu’il détient en tant que parent.