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Chapitre II : L’eau comme élément déterminant du patrimoine naturel du delta du Saloum

II- 1-2 : Les divers impacts de l’inversion hydrodynamique sur les patrimoines biophysiques

C’est donc toute la problématique « Eau, fleuves, biodiversité et patrimoine » et le fameux « grand cycle de l’eau » dit « sauvage » (écoulement, évaporation, transport, précipitation, stockage) qui est véritablement en question ici.

Les différents « bras de mer » (Saloum, Diomboss, Bandiala), selon les termes utilisés actuellement, branchés à l’océan et les nombreux ‘’bolon’’ (ou chenaux de marée) interconnectés, constituent un riche patrimoine aquatique local.

Un « système estuarien du Sine Saloum » (A.D. Diadhiou, 2002)98 à travers sa zone

deltaïque surtout, est un riche écosystème littoral.

Il correspond à la zone comprise entre la lagune de Joal-Fadiouth et la limite Nord de la République de Gambie. À cheval sur les régions administratives de Kaolack, Fatick, Kaffrine, Diourbel et Thiès, il constitue « la marge septentrionale de la mangrove des Rivières du Sud » (Diop, 1986 ; 1990 ; 1998 ; Cormier-Salem, 1994).

Les altitudes de la région ne dépassent pas 40 (quarante) mètres et sont marquées par une faiblesse de leurs pentes qui explique la profonde remontée de la mer et une influence marine prépondérante. Les marées relativement sont sensibles jusqu’à plus de 100 km à l’intérieur des terres. La salinité y est donc relativement très élevée (jusqu’à 90% vers Kaolack, à l’est) et constitue un facteur limitant pour le développement de la végétation (Marius, 1985) et de la biodiversité en général. L’estuaire du Saloum est un site protégé et inscrit au réseau du programme Man And Biosphère (MAB) de l’UNESCO.

Cette dernière, UNESCO, l’a érigé en Réserve de Biosphère du Delta du Saloum (RBDS) en 1981 et en Patrimoine mondial de l’Humanité en juin 2011. Cet ensemble estuarien, très complexe en termes de relations entre les différents écosystèmes, couvre une superficie d’environ 234 000 ha dont 60 000 occupés par la mangrove (Diop, 1998). Il

98 Ahmet Diaw Diadhiou. CRODT-DPN du Sénégal (projet INCO), 2002. Gouvernance des pêcheries et des systèmes

d’activités côtières en Afrique de l’ouest. Bilan de l’état et de l’usage des ressources naturelles de la RBDS : cas des ressources marines (flore et faune marines), p.15-16 « Le système estuarien du Sine Saloum est formé de trois affluents principaux : Saloum (110 km de longueur) au nord et nord-est, le Bandiala (18 km) au sud et sud-est, et le Diomboss (30 km) entre les deux. Ces affluents sont entourés d’un réseau de bolon très denses. Ces bolon, tout comme les affluents, sont bordés par des vasières intertidales plus ou moins colonisées par la mangrove ».

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présente une importante diversité spécifique (faune, flore) et entretient naturellement un très riche patrimoine biologique et historique.

« Le Saloum est le plus important bras de mer de la RBDS et donne même naissance au Diomboss et au Bandiala. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’estuaire porte le nom de Saloum ou Sine Saloum » estime Diouf (1996) cité par Diadhiou.D.H (2002)99.

Ce delta constitue une vraie richesse patrimoniale au Sénégal et en Afrique occidentale car faisant partie des rares zones biophysiques humides, d’importance internationale. En outre, cette appartenance du Saloum au « réseau hydrographique important du Sénégal » (L’Hoir.V ,1999-2000)100 est confirmée aussi par Boissy (1997).

D’autres auteurs, comme Guilgane Faye (1990)101 , estiment relativement que le Saloum

n’en fait pas partie car cette aire écobiogéographique est une ria, c’est-à-dire avec un système de fonctionnement hydrodynamique particulier et relativement diffèrent de celui des fleuves dits « normaux, ordinaires ».

Cette position de Boissy est soutenue par Delvienne Quentin (2003-2004) qui affirme que « Le réseau hydrographique du Sénégal est composé de quatre (4) fleuves » qui prennent tous leur source au sein du Fouta Djallon en Guinée (citant L’Hoir, 1995) »102.

Sauf que la source du Saloum n’est plus, depuis probablement la fin du pluvial tchadien. Ainsi, dans cette même optique, la réponse de Guilgane Faye, relativement différente des positions développées, est toujours claire et la même : Non, le Saloum n’a plus de source bien avant le Nouakchottien du quaternaire.

C’est dire que le Saloum n’a jamais toujours été réellement une ria dans le temps.

A la prédominance du Saloum toujours, en termes de longueur, s’ajoute sa suprématie en termes de « profondeur du chenal » (Diadhiou.D.H, 2002)103 par rapport au Diomboss et

99 Diadhiou. D. AH, 2002. Gouvernance des pêcheries et des systèmes d’activités côtières en Afrique de l’ouest. Bilan

de l’état et de l’usage des ressources naturelles de la RBDS. Etudes du CRODT, Dakar, p.16

100 L’Hoir Véronique, 2000. Etude de la filière des perches de palétuviers dans le delta du Saloum, Sénégal. CFB,

Université de Gembloux en Belgique (FUSAG, dir. W. Delwingt), p.45 « Le Sénégal dispose d’un réseau hydrographique important et composé de quatre (4) fleuves principaux, le Sénégal (1750 Km), le Saloum (plus de 200 Km), la Gambie (1150 Km) et la Casamance (300 Km). Ces cours d’eau du Sénégal, à l’exception de la Casamance, prennent tous leur source au sein du Fouta Djallon en république de Guinée : le Sénégal, le Saloum, la Gambie », cité par L’Hoir. V (1999-2000).

101 Guilgane Faye, 1990. Erosion côtière sur la petite côte sénégalaise : Rufisque, Poponguine, Sangomar. Mémoire de

DEA-Géographie-UCAD (Dakar), 126 pages

102 Delvienne Quentin, 2003-04. Mise en place d’une ostréiculture villageoise pour Crassostrea Gassar A., l’huître de

palétuvier. CFB/FUSAG (dir. Doucet Jean-Louis), p.25 le Sénégal (1750 km), le Saloum (200 km), la Gambie (1150 km) et la Casamance (300 km).

103 Diadhiou. D.H, 2002. Gouvernance des pêcheries et des systèmes d’activités côtières en Afrique de l’ouest. Bilan de

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au Bandiala. En outre, « Ces trois bras de mer ont individualisé trois ensembles d’îles (Gandoul, Betenty, Fathala) et un réseau dense de ‘’petits marigots’’, ou ‘’chenaux de marées’’ ou encore ‘’Bolongs’’ » ajoutent les chercheurs de la DPN-UICN (1999)104.

Photos N° 3 et 4 : Images représentatives des Bolong (ou chenal d’eau salée) et une vue

d’ensemble du delta du Saloum

Ces photos attestent clairement l’existence de la mangrove et montrent une vue d’ensemble des méandres, donc des sinuosités dans un vaste espace forestier occupé par de la végétation de mangrove dense. En apparence, ces eaux calmes ressemblent à un vaste réseau fluviale douce, mais ceci n’est pas le cas car elles sont saumâtres voire salées en raison de leur rencontre avec les eaux océaniques grâce aux phénomènes des marées. En clair, la douceur de ces eaux deltaïques s’est transformée au fil du temps en une salinité très élevée, affectant sensiblement la biodiversité et l’occupation humaine, des phénomènes que nous verrons ultérieurement. Ce sont des photographies (ou télédétection) aériennes extraites du WEB, sur recommandation de la DTGC, parce que nous n’avons pas pu les tirer par nous-mêmes, faute de moyens matériels et techniques (avion, hélicoptère, etc.). Source : Internet

Rappelons-le clairement, ce relatif vaste réseau hydrographique dense constitue une des zones humides les plus exceptionnelles au monde en général et en Afrique en particulier. Ce qui permet de distinguer trois (3) domaines différents, et le tout formant un riche patrimoine naturel, sur la base d’un sensible équilibre entre biotope et biocénose dans l’ensemble de l’aire estuarienne du Saloum.

L’aire deltaïque du Saloum se dstingue par ses trois (3) domaines séparés que sont la partie maritime, la partie continentale et enfin celle constituée par des zones insulaires.

104 République du Sénégal (MEPN-DPN avec le soutien de l’UICN), 1999. Plan de gestion de la RBDS, Vol.1 : Etat des

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Dans cet « ensemble insulaire, l’eau de mer alimente des cours d’eau et des chenaux de marées (Bolong), formant un réseau hydrodynamique important, accompagné d’une mangrove et de la biodiversité en général » (Ralph Mercier Degue-Nambona, 2007)105. Quoi qu’il en soit, une ria ou un delta normal, retenons en substance que le réseau hydrographique est relativement important dans cette zone deltaïque humide du Saloum. Cependant, avec ses principaux bras et bolons (chenaux de marées), son embouchure et la rupture de la flèche de Sangomar, cet estuaire du Saloum se retrouve avec un hydrodynamisme relativement assez particulier.

Une inversion hydrodynamique, du moins un bouleversement de plus en plus sensible aujourd’hui, qui ne sera pas sans conséquences écologiques et socio-économiques locales. Une fois de plus, c’est la délicate question de l’équilibre écosystémique qui est en jeu, autrement dit la fragilité des rapports entre les diverses composantes du biotope de la RBDS d’une part, d’autre part entre la biodiversité ou biocénose et le biotope deltaïque. Ainsi, à l’image de l’ensemble de la zone centrale et australe du Sénégal, la RBDS (le delta du Saloum en général) se caractérise par la relative présence d’importantes ressources en eaux, en sols et une riche biodiversité. Ce patrimoine hydrique estuarien, relativement bien alimenté par la pluviométrie de l’hivernage et fortement influencé par l’océan, est essentiellement constitué par des eaux de surface et des eaux souterraines, sous forme de nappes (phréatiques, aquifères). Dans l’ensemble, notons surtout que les caractéristiques des eaux de surface et la nature des eaux souterraines du delta ont été très affectées durant ces derniéres décennies par cette inversion hydrodynamique.

- Les caractéristiques des eaux de surface du delta du Saloum en pleine mutation ?

Ce patrimoine hydrique, voire hydrographique, se constitue généralement en eaux salées réparties à travers des « bras de mer » et des bolons (chenaux de marées), alimentées par des eaux douces pluviales, formant ainsi un relatif vaste réseau dans un bassin hydrographique au sein de l’estuaire du Saloum. Exceptionnellement, les eaux de surface douces, tributaires des précipitations annuelles, sont conservées de juillet à novembre dans les lits fossiles et dans les cuvettes argileuses des zones de plateau.

105 « La zone du delta du Saloum présente un ensemble d’îles séparées par des cours d’eau dont les plus importants sont

le Saloum qui rejoint la mer par un estuaire et le Diomboss (Ba et al. 2000 ; UICN, 1999). Ce réseau est alimenté par l’eau de mer qui peut remonter jusqu’à Birkilane à 130 km de l’embouchure du Saloum (Fall et al. 2000). Cette dernière est délimitée par un cordon sableux de 18 km, la flèche du littorale de Sangomar (NDour, 2005). Malgré l’extrême faiblesse des apports liquides en provenance de l’amont, ce réseau a un mode de fonctionnement hydrodynamique grâce à la faiblesse du profil en long de ses cours d’eau, à la rétention opérée par la mangrove et l’évaporation » explique Ralph Mercier Degue-Nambona, 2007. Contribution des reboisements de mangroves du delta du Saloum (Sénégal) à la séquestration de carbone atmosphérique : cas des villages de Djirnda et Sanghako. UCAD- DEA en Sciences de l’environnement, p. 15

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Par exemple, la commune de Toubacouta au sud du delta (à laquelle appartient une bonne partie de la RBDS et du delta en général), est notamment l’une des parties les plus ravitaillées en eaux de surface douces de la RBDS avec « ses principales rivières et ses principales vallées » (MEPN-DPN, UICN, 1999)106.

En substance, au-delà de la prise en compte des eaux deltaïques salées et majoritaires, l’on constate que l’exemple de cette communauté rurale de Toubacouta est révélateur de l’existence d’importantes quantités d’eaux douces dans l’ensemble du delta du Sine Saloum et de la RBDS en particulier. Cette zone deltaïque relativement vaste est par conséquent une zone humide en raison de la cohabitation entre eaux et forêts de mangrove, voire une biocénose en général.

Cependant, nos résultats d’enquêtes de terrain attestent que ces eaux de surface sont de plus en plus affectées par l’augmentation de la salinité, surtout en amont, qui émane de l’inversion hydrodynamique et de la sécheresse dans l’estuaire du Saloum, malgré la reprise de la pluviométrie depuis les années 1995.

- Comment la nature des eaux souterraines du delta du Sine Saloum évolue-t-elle ?

Elles sont constituées par des nappes superficielles et des nappes relativement profondes. Les nappes superficielles sont contenues dans les sables et grés du quaternaire et du continental terminal, alimentées par des eaux de pluies. Or manifestement, la faiblesse pluviométrique remarquée dans nos pays secs, affecte probablement ces nappes.

Ainsi, selon le MEPN-DPN (1999) « dans le Sine et le Saloum, la nappe phréatique se trouve entre 0 (zéro) et 40 mètres de profondeur »107.

Fortement dépendantes des eaux de pluies, ces nappes voient leur volume varier souvent. Cette instabilité de leur volume, voire clairement leur baisse, a été confirmée par les données des résultats de nos enquêtes et les photographies que nous avons prises sur le terrain font état de l’existence de nombreux puits peu profonds d’habitude, mais qui sont de plus en plus en asséchement avancé.

106 République du Senegal.MEPN-DPN, 1999. Plan de gestion de la RBDS (avec l’appui de l’UICN), vol.1 :

état des lieux, 117 pages « Les principales rivières y sont le Djikoye, situé à l’extrême sud-ouest de la Néma avec respectivement des débits de base de 200 à 400 litres par seconde et de 150 l/s. Les autres marigots (Sangako surtout) sont réduits à un réseau de mares en hivernage. La forêt de Fathala (située à l’extrême sud de la communauté rurale) abrite un important réseau hydrographique composé de vallées et de mares. Ces principales vallées sont : la Mansarinko, la Saladinghoto, la Badinghoto et la Fathala. La mare du dragon ou Mina est la principale retenue d’eau dans cette forêt. Les eaux de surface salées existent aussi en abondance car la communauté rurale est occupée, dans toute sa partie occidentale, par un réseau de bolons résultant des bras de mer du Diomboss et surtout du Bandiala ».

107 République du Senegal. MEPN-DPN, 1999. Plan de gestion de la RBDS (avec l’appui de l’UICN),

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C’est dire autrement que cette profondeur, jadis relativement faible et qui atteste la disponibilité de la ressource hydrique souterraine, a tendance à augmenter davantage en raison du recul de la nappe, comme l’attestent les écrits suivants.

La profondeur de la nappe varie en fonction de la topogragraphie, donc de l’altitude, car elle s’affaiblit avec en zone continentale, alors qu’elle augmente dans les bas-fonds et interfluves. Il est donc possible d’affirmer clairement que l’apport de l’écoulement de surface à la nappe est d’une importance irréfutable.

En outre, force est de remarquer aussi qu’au-delà des « impacts négatifs de la baisse pluviométrique sur l’évolution du volume des nappes » (Dia.I.M.M, 2003)108 , il y a aussi

la délicate problématique de la surexploitation de ces dernières par les populations locales, toujours plus exigeantes en eau.

La Ria du Saloum est donc une des zones humides les plus importantes du Sénégal en raison de son immense potentiel hydrique, constitué tant par des eaux de surface que par des eaux souterraines, et accueille une riche biocénose, une biodiversité précisément. Cependant, vu l’augmentation de la salinité, surtout en amont, les impacts de l’inversion hydrodynamique sur les diverses ressources du patrimoine hydrique dans l’aire écogéographique du delta du Saloum se font sentir de plus en plus. Ce qui ne manquerait pas d’affecter l’ensemble de l’écosystéme du delta du Saloum, du biotope à la biocénose dans sa totalité. Surtout que durant ces derniéres décennies (1968-95) les données climatiques, et pluviométriques particuliérement, se sont nettement dégradées, se caractérisant ainsi par une sécheresse encore réelle (malgré la reprise pluviométrique) dans une bonne partie du Sénégal, y compris dans l’aire du delta du Saloum.

Ainsi, salinité et assèchement des eaux de surface en raison de l’inversion hydodynamique et de la sécheresse, voire les changements climatiques, tarissement des eaux souterraines en raison de la baisse pluviométrique, pression démographique sur les ressources hydriques, surtout les eaux douces, expliquent la récurrence des impacts négatifs des eaux sur la biodioversité et les activités socio-économiques locales. Ce sont là autant de facteurs physiques et anthropiques, gravissimes, qui menacent davantage la qualité et la disponibilité des précieuses ressources hydriques de l’aire deltaïque.

108 « Il faut noter également l’existence d’une zone de recharge de la nappe phréatique et d’écoulement souterrain vers

le delta du Saloum et le fleuve Gambie avec affleurement au niveau des vallées : un dôme piézométrique, d’axe nord- sud. Ce dôme peut s’étendre jusqu’à 20 mètres au-dessus du niveau de la mer. En d’autres termes l’écosystème mangrove et estuarien de la partie sud de la RBDS est ainsi principalement alimenté en eau douce par ce dôme » ajoute Dia.I.M.M, 2003. Programme zones humides et ressources en eau. Elaboration et mise en œuvre d’un plan de gestion intégrée de la RBDS (SN). Série bleue/UICN, p.20

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Or si l’altération et la rareté des eaux affectent les patrimoines du delta du Saloum en général (naturel et culturel), c’est l’avenir de tout un paysage culturel qui risque d’être hypothéqué, surtout lorsque le patrimoine climatique est davantage touché par des déréglements sans cesse inquiétants, avec de lourdes conséquences. Cette réalité est bien confirmée par François Gemenne (2009)109 lorsqu’il affirme que « Le changement climatique est aujourd’hui devenu un sujet de politique internationale dont les enjeux dépassent largement la seule question écologique pour englober l’ensemble des équilibres mondiaux, et notamment des rapports Nord-Sud ».

II-2 : Les caractéristiques systémiques du patrimoine climatique et son importance

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