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2 : Analyse des patrimoines naturel et culturel dans l’estuaire pour une meilleure compréhension des origines et de l’évolution du terme « Sine Saloum »

Le patrimoine socioculturel du delta du Saloum en mutation

I- 2 : Analyse des patrimoines naturel et culturel dans l’estuaire pour une meilleure compréhension des origines et de l’évolution du terme « Sine Saloum »

L’étude des impacts réciproques entre patrimoine naturel et culturel pour une meilleure compréhension de l’histoire, de l’évolution du paysage socioculturel et politique du delta du Saloum. Ainsi, nous pouvons noter que le terme ‘’Sine Saloum’’ est une preuve de l’évolution d’une entité socio-politique, facteur propice à la construction d’un patrimoine

198 M.-M. Damien et C. Dorvillé (2011). Le patrimoine de nos régions : ruine ou richesse future ? Exemples

de dynamiques territoriales. L’Harmattan, GRIST (Université de Lille et 1 et 2), pp. 23-24 « Donc , si le concept de patrimoine et la pratique du patrimoine se sont élargis ces dernières décennies comme le souligne Patrice Béghain dans ‘’LE PATRIMOINE : CULTURE ET LIEN SOCIAL (1998)’’ et se sont ‘’affranchis de la tutelle exclusive des critères esthétiques’’ , sonnant le recul de la ‘’Monumentalisation’’, il faut maintenant être en mesure de considérer l’articulation nouvelle entre le concept de patrimoine et la notion de territoire, qui place la démarche patrimoniale au cœur des enjeux collectifs. Certes, l’évolution des réglementations et de la législation favorise son intégration et, le code de l’urbanisme rappelle depuis 1993 que ‘’le territoire français est le patrimoine commun de la nation’’ ».

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culturel, matériel et immatériel local. Mieux, le delta et son humidité ont toujours joué un rôle particulièrement important dans l’édification, le fonctionnement autant que l’évolution des royaumes du Sine et du Saloum, et inversement.

On voit aisément le lien très étroit, voire interconnexion, qui existe entre patrimoine naturel et culturel, c’est-à-dire comment la nature influe-t-elle sur les formations socio- politiques et en retour comment ces derniéres contribuent-elles à la gestion des patrimoines naturels. Ce qui fait qu’il est extrêmement difficile de ne pas reconnaître l’existence d’un paysage culturel dans cette aire estuarienne depuis les temps anciens. En effet, la nature deltaïque du Saloum a conditionné l’édification d’une entité socio- politique, favorable à l’émergence d’un paysage culturel vivant. Ainsi, l’interdépendance entre une nature humide et des installations socio-culturelles, le tout dans un environnement socio-politique particulier, nous pousse à estimer qu’un patrimoine mixte a toujours existé dans ce milieu.

Non pas pour l’intégrer complétement dans les patrimoines culturels matériels du delta, l’histoire socio-politique du « Sine Saloum » (NDiaye Fata, 1991)199 servira ainsi de pont,

de trait d’union entre le patrimoine culturel matériel et immatériel, mais aussi entre la nature et l’homme. D’autant plus que les facteurs politiques, généralement orientés par les caractéristiques naturelles, et en tant qu’éléments culturels, déterminent fréquemment les réalités socioculturelles d’une aire, d’où leur interrelation.

L’intérêt patrimonial de cette partie relative à l’histoire sociopolitique du Saloum paraît donc aussi incongru qu’irréaliste pour d’aucuns, mais nous semble particulièrement vital pour la compréhension des impacts de la RBDS (réserve de biosphère du delta du Saloum), voire de l’estuaire du Saloum en général, sur l’entité politique du même nom, et inversement.

En un mot, il s’agit de comprendre pourquoi et depuis quand parle-t-on de Sine Saloum ? Pourquoi le delta, l’estuaire, la RBDS et le royaume portaint, tous, le même nom ?

Pourquoi parle-t-on de plus en plus du delta et de l’estuaire du Saloum ?

199 NDiaye Fata, 1991. La saga du peuple Sérére et l’histoire du Sine. Ethiopiques, N° 54, revue semestrielle

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En effet, le terme « Sine Saloum », mais utilisé de moins en moins aujourd’hui pour identifier et localiser cette zone d’étude (le delta et l’estuaire surtout), est intimement lié à la formation et à l’évolution des entités politiques et socioculturelles édifiées (royaumes du Sine et Saloum) par les populations Séréres de cette partie du centre-ouest du Sénégal.

Rappelons aussi, par référence à ces anciens royaumes, que le Sine Saloum désigne une des premiéres régions administratives du Sénégal (les régions actuelles de Kaolack, Fatick, Kaffrine) qui abrite une bonne partie de l’estuaire (et du delta) du Saloum.

En d’autres termes, si le delta (ou l’estuaire selon d’autres) a une connotation scientifique (biophysique, naturelle), le terme « Sine Saloum » auquel il est toujours associé, a une claire connotation historique et socioculturelle, c’est-à-dire deux entités sociopolitiques sous la forme de royaumes distincts et rivaux.

La littérature est relativement assez riche et variée pour attester la détermination du patrimoine naturel du delta du Saloum sur la génése des réalités socio-économiques, politiques et culturelles locales, et inversement. En outre, il est possible d’affirmer que « L’histoire de ce mot est liée à celle du peuple Sérère » pour reprendre les termes d’Yves-Jean Saint Martin (1989)200.

En clair, le peuple Sérère, un des groupes ethniques les plus représentatifs de la population sénégalaise, et de l’estuaire du Saloum en particulier, a vu son implantation se compliquer davantage avec l’arrivée d’autres conquérants dans cette aire qu’il a toujours considéré comme un refuge et son propre fief.

Ce rappel historique de l’évolution politique et socioculturelle du Sine Saloum est d’autant plus fondamental que la compréhension des patrimoines en général, et les patrimoines culturels immatériels en particulier, est intimement liée aux « Lieux de mémoire », pour reprendre les termes du chercheur Pierre Nora201.

L’histoire politique et socio-culturelle du Sine et du Saloum est donc intimement liée au groupe ethnolinguistique Sérère ainsi qu’aux caractéristiques biophysiques du delta.

200 Yves-Jean Saint-Martin, 1989. Le Sénégal sous le second empire. Karthala, Paris, p.50

201 Pierre Nora, 1986. Les lieux de mémoire, Gallimard (Bibliothéque illustrée des histoires), Trois (3)

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En effet, ayant occupé au préalable cette aire écogéographique du centre-ouest du Sénégal, ils seront ultérieurement concurrencés et influencés par d’autres groupes ethniques, les Wolofs et les Mandingues en l’occurrence, surtout dans la partie la plus continentale, le Saloum plus au sud de la Sénégambie.

Politiquement opposés et rivaux, le Sine et le Saloum vont montrer leur similtude surtout sur le plan socio-culturel car le brassage linguistique et génétique sera plus manifeste avec le temps dans les deux royaumes respectifs qui ont en commun cet estuaire, comme un véritable trait d’union.

Il est donc possible de remarquer les impacts des caractéristiques physiques, dont l’eau notamment, sur l’évolution socio-politique et culturelle du Sine et du Saloum.

En outre, une étude de l’histoire profonde de ce peuple Sérère nous semble particulièrement intéressante car elle nous permet de mieux comprendre leur itinéraire géographique suivant la chronologie, avant leur arrivée ainsi que leur installation dans cette aire deltaïque qui se nommera Sine Saloum plus tard, et Saloum de plus en plus. « Originaires de la vallée du fleuve Sénégal, réfractaires à l’Islam et à la domination Wolof, les Sérères avaient colonisé les massifs forestiers du Sine et du Saloum par vagues successives » écrit Devey. M. (2000)202.

Mais si l’antériorité de l’occupation du milieu par le peuple Sérère est reconnue par certains chercheurs, d’autres semblent attribuer cette antériorité aux Mandingues.

« Les premiers habitants sont pour la plupart des mandingues souvent venus du Niomi, terroir qui se trouve dans ce qui correspond aujourd’hui à la Gambie » affirment les chercheurs du MEPN-PGRBDS (1998-99)203.

En clair, les mandingues (Socés) ont été les premiers à occuper la région des iles du delta du Saloum.

Toutefois, on peut remarquer donc que la formation et l’évolution politique du Sine et du Saloum sont intimement liées notamment aux Sérères et/ou aux Mandingues, autant qu’elles ont beaucoup été déterminées par la nature deltaïque humide locale. En tout état de cause, il importera de noter en substance que l’histoire des royaumes du Sine et du Saloum et de leurs divers peuples ont toujours été liés à l’eau.

202 Muriel Devey, 2000. Le Sénégal. Paris, Karthala, p.27

203 République du Sénégal (MEPN-DPN) ,1998-99. Plan de gestion de la RBDS. Avec le soutien de

l’UICN.Vol.1 : état des lieux, 117, p.18 « A leur suite, Oulofs, Dioolas, Bassaris, Balantes, Haal Pulaar, Séreer et même Bambaras y sont venus des contrées parfois éloignées, tous attirés par les potentialités du milieu ».

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Ces Sérères et des Mandingues (venus du Niomi et du Gabou), qui y sont encore les deux principaux groupes ethnolinguistiques dont la distinction socio-culturelle est d’ailleurs parfois difficile à opérer, vu le niveau très élevé de leur brassage et de leur imbrication dans cette aire estuarienne, ont été particulièrement attirés par l’humidité de ce refuge. Cette thèse est corroborée par les résultats des recherches de Paul Pélissier (1966), qui parle de « résultat d’une histoire confuse »204.

Cependant, précisons que les divers renseignements recueillis des anciens, à l’aide de la tradition orale notamment, attestent que chaque village forme une communauté ayant son histoire propre dans ce delta du Saloum. Mais tous les villages à peu prés, y compris les plus septentrionaux et très majoritairement sérère, reconnaissent avoir pour fondateur, des Sérères, alors que les villages du sud du delta ont été généralement fondés par des Socé (mandingue) du Gabou.

Cette histoire montre que l’occupation massive et intensive de la RBDS est relativement assez récente et a été faite par diverses populations venues du continent et de l’hinterland, probablement attirées par les nombreux atouts socio-économiques et sécuritaires de la zone humide du delta du Saloum.

En effet, ces populations riveraines ont été attirées par l’humidité, donc les potentialités naturelles et socioéconomiques de la zone surtout à une époque où les conditions de vie devenaient de plus en plus difficiles en zone continentale. Cette très forte attraction du delta s’explique également par la situation géographique de la RBDS, insulaire surtout, qui en a toujours fait un havre de paix et un milieu naturel facteur de stabilité sociopolitique pour les peuples du continent.

Aujourd’hui, une chose est sûre en tout cas, si les mandingues et les sérères sont de loin majoritaires dans cette aire écogéographiques, si les recherches prouvent globalement qu’ils ont été les premiers à occuper ce delta, il est difficile de prouver l’antériorité de l’occupation du milieu par l’un de ces deux groupes ethniques sur l’autre.

En tout cas, nous pouvons remarquer que nature et politique se sont toujours influencées mutuellement, notamment dans cette aire humide du delta du Saloum.

204 Paul Pélissier, 1966. Les paysans du Sénégal : les civilisations agraires du Cayor à la Casamance. ,

Imprimerie Fabrégue, St-Yrieix, p.45, 939 pages « Il semble que le peuplement actuel des îles soit le résultat d’une histoire confuse d’où émergent quelques faits à peu prés surs : dans l’ensemble, ce peuplement s’est effectué du nord vers le sud. D’autre part, les qualificatifs de Socé et de Sérère n’impliquent pas une distinction simple quant à l’origine des gens qui les portent ; pratiquement tous les ancêtres des gens des îles sont venus du Gabou soit directement, soit après un séjour en pays sérère, notamment dans la région de Joal. Enfin, les îles ont fait figure, au cours des siècles, de monde marginal dont les habitants s’efforcent d’échapper à tous liens avec le continent mais subirent pourtant, plus ou moins profondément, au nord l’influence des sérères du Sine, au sud, celle des mandingues de Gambie ».

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Bref, l’étude de l’évolution sociopolitique et culturelle par le canal de l’histoire explique en grande partie l’appropriation du delta du ‘’Sine Saloum’’ par les peuples locaux, originaires des régions environnantes (surtout les royaumes du Sine et Saloum) et attirées par un delta paisible, un véritable refuge de par ses caractéristiques naturelles, socio- économiques, et ses atouts sécuritaires.

Cette intimité, voire interconnexion, entre l’humain, son histoire et ce milieu deltaïque montre nettement l’importance particulière que les sociétés locales accordaient à ce patrimoine naturel en particulier et ce paysage culturel en général. Un paysage culturel, jadis aussi exceptionnel que vivant, mais qui est menacé de plus en plus par des aléas climatiques, entre autres facteurs physiques, ainsi que par une démographie envahissante et exigeante en ressources naturelles.

Ces divers facteurs affectent de plus en plus les éléments les plus fondamentaux de l’existence et de l’évolution d’un paysage culturel à travers ses « patrimoines » naturels (D. POULOT, 2006)205 , à savoir l’eau d’abord, mais aussi les sols et la biodiversité.

Cependant, il importe de noter que du terme ‘’Sine Saloum’’ longtemps utilisé (pour des raisons historiques, coloniales et force des traditions orales, politiques et socioculturelles, souvent émotionnelles et subjectives), le langage courant (notamment scientifique, universitaire et savant) passe de plus en plus au terme ‘’Saloum’’ tout court pour qualifier cette aire estuarienne.

En effet, pour des raisons d’ordre scientiphique et d’objectivité (naturel, physique, hydrologique et hydrographique) le ‘’bra de mer’’ du Saloum (dont le Sine est un affluent) est de loin le plus important et le plus pertinent pour permettre la qualification de cet estuaire.

205 « Au long du XXe siècle le patrimoine assume de plus en plus explicitement sa mise en œuvre positive,

selon des jugements de valeur affirmant des choix. Progressivement, l’engouement pour la promotion et pour la valorisation du patrimoine fait figure de véritable ‘’CROISADE’’ au sein du monde occidental. On parle d’un patrimoine non seulement historique, artistique ou archéologique, mais encore ethnologique, biologique ou naturel ; non seulement matériel, mais immatériel ; non seulement local, régional ou national, mais mondial. Le patrimoine n’est pas le passé, puisqu’il a pour but d’attester l’identité et d’affirmer des valeurs, de célébrer des sentiments, le cas échéant contre la vérité historique. C’est en cela que l’histoire paraît si souvent ‘’MORTE’’ au sens commun, et le patrimoine, au contraire, ‘’VIVANT’’ grâce aux professions de foi et aux usages commémoratifs qui l’accompagnent. Le patrimoine se définit à la fois par la réalité physique de ses objets, par la valeur esthétique et documentaire le plus souvent, mais aussi illustrative, voire de reconnaissance sentimentale, que leur attribue le savoir commun, enfin par un statut spécifique (légal, ou administratif) » selon Dominique POULOT, 2006. Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIe-XXIe siècle. Du monument aux valeurs, PUF, Paris, pp. 1-5.

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Chapitre II : La question de l’importance de l’eau, de la biodiversité et

de la terre continentale dans la vie socio-économique locale

La maîtrise de la pratique des activités socio-économiques et les cultures locales est considérée comme un marqueur d’une parfaite intimité entre l’homme et la nature deltaïques, mais aussi de l’impact du patrimoine naturel en général sur la vie des populations locales.

En effet, toutes les formes d’activités socio-économiques et les valeurs culturelles insulaires sont liées intimement à l’eau et à la biodiversité (pêche, transport par pirogue, etc), alors qu’en milieu continental elles sont liées relativement à l’eau, mais surtout à la terre dabord (agrosylvopatoralisme, chasse, apiculture, etc).

II-1 : La pratique de l’activité agrosylvopastorale dans la zone continentale du delta

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