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Le patrimoine socioculturel du delta du Saloum en mutation

I- 1 : Les diverses attractions du patrimoine biophysique (climatique et eau) sur le peuplement du delta

Il importe de noter ici les véritables impacts du patrimoine biophysique, surtout hydro- climatique, sur l’histoire et l’évolution du peuplement du delta du Sine Saloum. Cependant, pour éviter de verser dans trop de descriptions et d’analyses sur l’archéologie, précisons que les témoignages et vestiges anciens à travers les différentes traces matérielles représentent des signes de l’occupation du milieu par diverses populations. En clair, l’originalité biophysique de ce delta, surtout son humidité et sa biodiversité, a toujours été un facteur déterminant dans l’attraction des diverses populations par ce site. A cela s’ajoute aussi la platitude et la douceur de sa topographie, facteur essentiel pour l’implantation humaine, l’essor des activités socio-économiques, culturelle et politiques. L’inventaire des amas coquilliers du delta du Sine Saloum, preuves de cette solide implantation, a été réalisé par Thilmans et Deschamps (1982) et a révélé une richesse particulière en termes d’informations précieuses sur l’histoire locale du delta du Saloum. Ils ont recensé, à la demande de la direction des Parcs nationaux du Sénégal en 1977, quelques « quatre-vingt-seize (96) amas dont dix-huit (18) comportant 903 tumulus »193. Les chercheurs Martin et Becker (1979 et 1984, cités par Hamidou Bocoum en 2002)194 ont, par la suite, couvert une zone plus vaste, incluant notamment « la rive droite du

définissent un paysage culturel comme : un produit concret et caractéristique de l’interaction entre une communauté humaine donnée, réunissant certains potentiels et préférences culturelles, et un ensemble particulier de conditions naturelles. C’est un patrimoine de nombreuses périodes d’évolution naturelle et de nombreuses générations d’effort humain ».

193 Deschamps. C., Thilmans.G., Thommeret. J. et V. Haupmanne, 1977. Données sur l’âge et la vitesse

d’édification de l’amas coquillier de Faboura (Sénégal). ASEQUA, Bull.Liaison, 51, p.23-32, 4 figures, p.40 ; Thilmans. G., Deschamps. C., Khayat.B., 1980. Protohistoire du Sénégal. Recherches archéologiques, T.I., Les sites mégalithiques, Dakar, Mémoire IFAN, N°91, p.45, 159 pages, 105 figures

194 Hamidou Bocoum, 2002. Trajectoires archéologiques au Sénégal (dans Momar-Coumba Diop, dir.). Le

Sénégal contemporain, Karthala, Paris, p.191 ; Confère aussi Charles Becker, 1985. Histoire de la Sénégambie du XVe au XVIIIe siecle : un bilan. Cahiers d’études africaines. Vol. 25, N°98, pp.213-242

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Bandiala, ainsi que la zone du Log, celle de Diamgnadio et l’axe Joal-Keur Samba Dia ». Ils ont dénombré 139 sites, dont certains non visités, ont été indiqués par les villageois. Signalons au passage que l’importance de ces témoignages archéologiques est particulière car elle atteste l’ancienneté de l’interface homme-nature dans ce delta humide. Cette aire humide estuarienne du Saloum a donc toujours été un foyer de stabilité socio-politique, culturelle (religieuse), économique, bref un refuge et un abri de paix.

En clair, l’eau (le caractére insulaire de cette zone, les ressources halieutiques, etc) a depuis longtemps été le principal facteur explicatif de cette forte attractivité du delta pour les divers peuples environnants. Concrètement, de l’eau résulte la consommation des ressources halieutiques (coquillages) pour l’édification des tumulis et des amas coquilliers, mais de l’eau résultent également des îles forteresses pour des populations qui avaient besoin de stabilité et de sécurité sociopolitique.

Ajoutons qu’en 1981, « quelques vingt-six (26) autres amas, dont quatre (4) avec tumulus, étaient découverts par Thilmans et Deschamps, ce qui portait à cent vingt-deux (122) le chiffres des amas et à vingt-deux (22) ceux porteurs de tumulus »195.

Photos N° 9 à 17 : Des amas coquilliers dans le refuge deltaïque du Sine Saloum, attestant l’ancienneté de l’implantation humaine exceptionnelle, de pratiques rituelles (tumulus ou sépultures) et d’activités socio-économiques liées aux ressources halieutiques

195 Thilmans. G., 1986. Les amas coquilliers protohistoriques des îles du Saloum. In Les changements

globaux en Afrique durant le quaternaire. Symposium INQUA, Dakar, Avril, livret-guide de l’excursion, N°2, p.50, 2 figures, p.17 ; Thilmans.G., 1997. Sauvegarde de certains amas coquilliers du Saloum. Saint- louis- Lille-Liège, 3, page 22, 17 figures

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Dans cette aire deltaïque, véritable refuge et abri pour de nombreuses populations, la pêche, la collecte (ou cueillette) et le ramassage des fruits de mer sont des pratiques culturelles très anciennes (millénaires) et encore actuelles, au-delà de leur importance économique. Ces coquillages sont amassés dans des endroits pour former des îles artificielles (uniques au monde) de 12 à 16 mètres de hauteur parfois, car abritant fréquemment des tumulis servant de sépulture et formant de véritables nécropoles. Sur ces relatifs vastes amas coquilliers, très riches en calcaire, poussent généralement une végétation de forêts de Baobabs, espèces végétales calcicoles. Le charme du delta, voire du paysage culturel, du Saloum et de sa valeur universelle exceptionnelle résulte en grande partie de ces amas coquilliers, véritables ‘’Lieux de mémoire’’ à sauvegarder pour les générations futures surtout. En outre, ces coquillages utilisés pour la construction de digues-barrages anti-sel et l’endiguement des inondations, sont également très prisés dans la fabrication de ciment artisanal par combinaison avec du bois de mangrove, puis brûlé, communément appelée « Lassau » (La chaux) dans les langues locales. Bef, les activités socio-économiques et les pratiques culturelles locales ont toujours été intimement liées à la nature humide du delta du Saloum, donc à l’eau et à la biodiversité. Source : SENY FAYE (Mai 2013. Djiffére, Djirnda, Bétenty, Dionewar, Missirah).

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Actuellement, l’inventaire comprend « deux cent dix-huit (218) amas dans les îles du Saloum dont vingt-huit (28), soit 12,8%, sont porteurs de tumulus » d’après les résultats des recherches de M. Ba, C. Deschmps, G. Thilmans (1997)196. En substance, ces sites se sont constitués par l’accumulation progressive de coquilles de mollusques comestibles, notamment Anadara Senilis, Grassostréa Gassar qui en sont les

196 Ba.M., Deschamps.C., Thilmans.G., 1997. Fouille d’un tumulus à NDiamon-Badat (Îles du Saloum,

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espèces les plus abondantes, mais aussi par différentes formes (ou variétés) de Tuffa

(Murex, Semifusus) et le Yet (Cymbium).

Une fois de plus, cette relative ancienneté de l’interface homme-nature deltaïque, attestée par cette richesse archéologique, est à la fois le signe de l’existence séculaire, voire millénaire, d’un riche patrimoine culturel (matériel et immatériel) et mieux, d’un paysage culturel local dans ce refuge deltaïque, voire dans l’ensemble de l’estuaire du Saloum. S’y ajoutent les rejets des activités humaines, notamment des cendres, objets mobiliers, divers comme la poterie, les parures, les armes, ainsi que des éléments de sépultures, etc. Ces amas peuvent atteindre dix (10) mètres de couche archéologique, pour un diamètre de prés de quatre cent cinquante (450) mètres.

En outre, précisons que seuls certains de ces amas coquilliers ont été transformés en nécropoles et contiennent des inhumations en tumulus.

Cette intimité entre l’homme et la nature locale, attestée par des signes religieux que sont les amas coquilliers avec tumulus, révèle l’existence concrète d’un paysage culturel dans ce refuge deltaïque particulièrement humide.

En outre, « Des fouilles ont été menées dans les années 1970 et 1980 sur certains sites par l’IFAN » selon MBow (1998)197 et prouvent toujours une occupation humaine ancienne.

Les contours chronologiques des sites archéologiques ont été établis entre le début de l’ère chrétienne et le VIIème (septième) siècle après J.C pour ceux du nord de la petite côte (Sendou, Joal, Faboura) et entre le deuxème et le XVIIIème siècle après J.C pour ceux du Saloum (Diorom bou mak, Bangalére, Niodior, Maya, DJinak, Missirah, donc prés de Toubacouta).

Sur le plan culturel ces sites recèlent des matériaux locaux appartenant à différentes traditions céramiques, toujours preuves d’une intimité entre l’homme et la nature sur la base de l’eau et d’une pédologie particuliére.

Ajoutons aussi qu’un mobilier important a été exhumé dans des inhumations sous forme d’objets de poteries et de parures : perles en coquillages, en métal cuivreux, en or, en verre ou en calcédoine ; bracelets, anneaux de cheville et d’oreille en métal cuivreux et en fer, grelots ; poteries à couvercles, embase, engobe poli et impressions cordées au moyen d’une colonne vertébrale de poisson.

197 Marie-Amy MBow, 1998. Le site archéologique du Khant (Région de Saint-Louis du Sénégal) :

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Des similitudes existent entre la céramique de ces amas (Diorom) et celles de certains sites coquilliers de la Casamance ainsi qu’avec celle du site mégalithique de Sine NGayéne (Kaolack, vers Nioro), abritant une partie de la zone estuarienne du Saloum. Il peut en résulter probablement qu’une culture céramique estuarienne, voire même littorale et côtière, ait existé, au-delà de l’aire du delta du Saloum, toujours sur la base de l’usage de l’eau et d’une substance pédologique (argileuse, vaseuse) adaptée au développement de la poterie, signe d’une intimité entre l’humain et le milieu local.

En outre, des populations des régions environnantes du delta du Saloum ont probablement migré de ces contrées lointaines pour se réfugier dans la paisible zone humide du Saloum pour des raisons de meilleures conditions socio-économiques et sécuritaires.

Cependant, de nombreuses zones d’ombres subsistent quant à l’origine des populations qui les font édifier ainsi que sur les relations économiques et socioculturelles qu’elles avaient avec l’hinterland et le continent (Gambie, Sine, Saloum et Casamance). La tradition orale n’intègre pas tous les amas coquilliers dans l’histoire du peuplement des îles du delta du Saloum, mais ce qui certain est que leur édification est intimement liée à la présence de l’eau et à la biodiversité des zones littorales du Sénégal en général, dans le delta du Saloum particuliérement.

En somme, l’on remarque que si l’on se place dans la perspective d’une étude d’ensemble de portée régionale, les travaux entrepris sur les amas coquilliers du Saloum, pourraient prendre place dans une recherche à long terme sur les établissements humains côtiers le long de la côte atlantique du Sénégal et de la Gambie. La question se pose désormais de savoir que les liens historiques et culturels, existent entre les populations du Sine Saloum, de la Gambie et de la Casamance.

En dehors des aires insulaires, précisément dans les zones continentales périphériques du delta, l’édification de ces amas se constatait notamment pendant les famines des périodes de sécheresse (passé lointain) répétées où la forte dépendance des populations vis-à-vis des produits halieutiques était évidente.

En outre, venues de l’intérieur du continent, ils connaissaient la métallurgie, pratiquaient l’agriculture, l’élevage, avaient développé des conserveries de produits de la pêche (poissons et mollusques séchés), des activités commerciales basées sur le troc et maîtrisaient la navigation par cabotage dans les bolons.

Autant d’informations qui attestent donc une interdépendance multiséculaire entre les hommes et le milieu naturel d’une part, puis entre le delta humide et la zone continentale séche d’autre part, d’où l’impérieuse nécessité d’accorder une importance particulière

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autant à la gestion durable des ressources naturelles qu’à cette riche histoire locales pour la sauvegarde de cette diversité culturelle.

Notamment en cette période de sécheresse relativement chronique et de surexploitation des ressources naturelles, au Sénégal en général et dans cette zone humide singuliérement, qui ne sont que les effets de la pression démographique. Bref, cette zone humide estuarienne a toujours attiré des populations extérieures et riveraines, constitué un paysage culturel, jadis très vivant et exceptionnel, mais qui est menacé de plus en plus, surtout dans la RBDS.

Photos N° 18 à 20 : Matérialisation de l’importance du Soto (grand arbre à palabre d’une

utilité sociale particulière en mandingue) chez les socés et de l’utilité des amas coquilliers dans ce refuge deltaïque du Saloum

Ces amas coquilliers ou îles artificielles, uniques au monde, sont significatives dans la vie traditionnelle des populations locales du delta du Saloum, surtout à travers l’exemple du village de Bakadadji (village proche de Toubacouta et de Missirah au sud de la zone continentale du delta, voir carte). En outre, cet arbre, ou Soto, est un exemple de patrimoine culturel matériel, car il est très souvent planté par les habitants, mais

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aussi sauvegardé et entretenu rigoureusement par les villageois, autant que la place qui l’abrite au centre du village, d’où leurs caractères sacrés. Les amas coquilliers, non loin des habitations villageoises abritaient des sépultures (tumulus) et formaient des nécropoles intimement protégées dans le passé par les populations locales. Ces amas coquilliers et nécropoles sont de véritables ‘’lieux de mémoire’’ et que « nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme ». En effet, l’existence d’un paysage culturel vivant et évolutif dans le passé était matérialisée par une forte intimité entre l’homme et la nature locale, symbolisée ici par le SOTO et les amas coquilliers. Cette nature procurait tout à l’homme, ou presque tout, et celui-ci l’entretenait soigneusement pour sa régénération. C’est ce « donnant-donnant, gagnant-gagnant » qui a tendance à fortement disparaître aujourd’hui sous l’impulsion d’une modernité à outrance et non contrôlée, au détriment de la nature. Bref, des peuples se sont implantés dans cette aire deltaïque paisible, un refuge, pour façonner des pratiques culturelles et socio-économiques originales. Source : SENY FAYE (Mai 2013, Bakadadji). Appareil de

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Notons enfin dans cet abri deltaïque du Saloum que le patrimoine naturel menacé, dans ce refuge, risque d’affecter aussi tout un paysage culturel dont fait partie le « patrimoine » (M.-M. Damien et C. Dorvillé ,2011)198 culturel.

Ces témoignages archéologiques, véritable patrimoine culturel matériel, émanent certes d’une intimité entre homme et nature, mais aussi d’une société politiquement organisée, culturellement vivante, structurée et donc hiérarchisée dans le temps et l’espace du Sine et du Saloum. En outre, ce patrimoine archéologique est le reflet des impacts du cadre biophysique du delta du Saloum sur l’évolution spatio-temporelle du peuplement local.

I-2 : Analyse des patrimoines naturel et culturel dans l’estuaire pour une meilleure

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