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Chapitre III : Fragilisation grandissante des équilibres des patrimoines du paysage culturel du Saloum

III- 1 : La fragilisation du patrimoine naturel à travers la dégradation des ressources

Suite à une surexploitation des ressources naturelles du delta du Saloum, surtout par le canal de la « pêche, voire l’usage des ressources halieutiques en général » (L’Hoir Véronique, 2000)236, provoquant ainsi un déséquilibre entre l’homme et la nature locale, un véritable cercle vicieux entre patrimoine environnemental fortement dégradé et crise sociale risque d’hypothèquer le développement local durable dans la RBDS.

Précisons notamment que pour des raisons alimentaires, monétaires et donc commerciales à satisfaire, les ressources halieutiques sont de plus en plus violemment assaillies par les sociétés humaines modernes au-delà même du Sénégal.

Ainsi, ce phénomène de surexploitation des ressources halieutiques, surtout par la pêche, est d’autant plus inquiétant que la mer constitue de plus en plus une véritable « source d’alimentation et de croissance socio-économique » (NDéye A. Niang, 2009)237 pour une

population davantage grandissante.

Il importe donc de noter qu’en décrivant ici les modifications qui affectent les richesses du patrimoine naturel, nous pourrons comprendre aisément leurs impacts négatifs sur les patrimoines socio-culturels locaux, et inversement, d’où une perturbation totale du paysage culturel du delta du Saloum.

236 « La pêche : Dans les estuaires et les eaux continentales, cette activité est exclusivement artisanale. Les quantités

pêchées, de loin inférieures à celles de la pêche maritime, représentant néanmoins une ressource importante pour les populations locales. Cependant, le déficit hydrique (pluviométrique) actuel est responsable d’une forte réduction de la production. Dans le Sine Saloum, les ressources halieutiques ne sont pas parfaitement connues, mais Diop (1993) estime la production annuelle entre 6000 et 8000 tonnes. L’économie régionale (Fatick) est caractérisée surtout par des activités liées aux ressources naturelles des zones humides. La pêche constitue l’une des principales sources de revenus et apporte l’essentiel des protéines animales consommées dans la zone » explique L’Hoir Véronique, 2000. Etude de la filière des perches de palétuviers dans le delta du Saloum, Sénégal. CFB, Université de Gembloux en Belgique (FUSAG, dir. W. Delwingt), pp.47-48

237 NDéye A. Niang, 2009. Dynamique socio-environnementale et développement local des régions côtières du

Sénégal : l’exemple de la pêche artisanale. Thése de doctorat de Géographie, Université de Rouen (Laboratoire LEDRA), sous la direction de Michel Lesourd, MAB UNESCO, p.14 « Les activités de pêche et d’aquaculture font vivre plus de 38 millions de personnes dans le monde, soit 200 millions de personnes qui dépendent de ces activités en tenant compte des emplois induits (WWF, 2007). La consommation humaine représente 76% des captures mondiales (WWF France, 2007) ».

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En effet, il importe nécessairement de rappeler que la culture est fondamentale dans tout processus de développement local durable, bref dans la consolidation d’un paysage culturel, voire précisément dans la réussite des « aménagements voulus par les civilisations » (G. Wackerman, 2008)238 , y compris dans la RBDS en particulier.

Cela est d’autant plus inquiétant qu’au-delà du cadre structurel (interne, local) qui contribue à la menace du patrimoine culturel, s’ajoutent des données conjoncturelles (externes, internationales) comme la mondialisation et la globalisation triomphantes. Ainsi, de la diversité culturelle, hélas, l’humanité passe davantage à l’aplatissement et à l’uniformisation des modes de vie sur la planéte-terre. Ce qui risque à la longue d’être suicidaire et catastrophique pour l’humanité entière.

Rappelons-le encore, pour mieux comprendre l’importance capitale de la « diversité culturelle » (G. Wackerman, 2008)239 dans la vie socio-humaine en général, un paysage

culturel est toujours une interconnexion, une œuvre originale combinée, selon l’UNESCO, entre un patrimoine naturel (matériel) et un patrimoine culturel.

De ce fait, la disparition des différences, des identités culturelles risque d’être une sérieuse menace pour le devenir de l’humanité entiére, bref de la biodiversité en général et particuliérement dans le patrimoine mixte du delta du Saloum.

Malheureusement, résumons sommairement que des facteurs d’ordre anthropique et physique d’une part, structurels et conjoncturels d’autre part, expliquent de nos jours la très forte dégradation des patrimoines naturels, voire même de façon systémique les paysages culturels, y compris dans la zone humide du delta du Saloum.

C’est donc une destruction réciproque entre l’homme (la culture) et la nature locale, hypothéquant ainsi le développement local durable. Il urge donc de mener des politiques

238 « Les paysages ne sont pas des écosystèmes, mais des aménagements voulus par les civilisations… (Gourou, 1973,

p.365, Le fin connaisseur des civilisations asiatiques). L’homme, la société ne sont pas, en effet, partie intégrante de l’écologie, ils dominent et exploitent la nature physique ; c’est par la civilisation, leur propre manière de façonner le milieu, qu’ils sont en rapport avec la nature, une civilisation qui doit ou devrait les inciter à aménager le milieu physique pour que, anthropisé, celui-ci soit à même de s’affirmer par la durée dans les conditions de fonctionnement les meilleures » selon Gabriel Wackermann, 2008. Le développement durable, Editions Ellipses, Carrefours (Les dossiers), Collections (ouvrage collectif), p. 35.

239 « Patricio Randle, faisant l’approche des étapes de la mondialisation dans une vision d’homme des ‘’SUD’’ (il est

universitaire argentin), a observé la déterritorialisation avec la crise de la géographie, la dénationalisation avec la crise de l’Etat, l’économie globale, la mondialisation de la politique avec la perte des indépendances nationales qui ont conduit à la globalisation et à la mort des ‘’CULTURES’’ en tant que mode de pensée de chaque peuple (Randle, 1999). La mondialisation est la résultante des inégalités socio-spatiales accumulées sur le globe depuis des siècles, accélérées depuis la révolution industrielle et démultipliées depuis la seconde moitié du XXe siècle. Des relations sociales apaisées sont indispensables à tout développement durable » soutient Gabriel Wackermann (2008). Le développement durable, Editions Ellipses, Carrefours (Les dossiers), Collections (ouvrage collectif), p.6

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publiques pour une gestion plus équitable, plus responsable, plus harmonieuse des paysages culturels en s’inscrivant dans l’optique de la durabilité au profit des populations en général et locales en particulier. Mais nous verrons dans la troisiéme partie beaucoup plus en détails ces divers facteurs déstabilisateurs des patrimoines du delta du Saloum. Des politiques qui doivent faire de sorte que toutes les activités socio-économiques, et même la construction de l’habitat local, entre autres pratiques, soient pérennes, durables en étant soucieuses des normes écologiques, pour le bénéfice des populations à la base. De telles politiques publiques, si elles se veulent efficaces, doivent évidemment vouer toujours un immense respect aux identités culturelles, en interconnexion avec les équilibres des écosystémes. Dans le delta du Saloum, ces politiques publiques doivent d’ailleurs favoriser le renforcement de certaines pratiques relativement anciennes, traditionnelles et artisanales qui sont bénéfiques pour le devenir du paysage culturel local. En effet, ces pratiques peuvent davantage renforcer l’intimité entre l’homme et la nature d’une, et d’autre part l’équilibre naturel de l’écosystème du delta du Saloum.

Photos N° 26 à 30 : Fabrication de ciment artisanal (chaux-ciment naturel ou ciment bâtard) et construction de bâtiments modernes en remplacement progressif des habitats traditionnels (cases en banco) dans le delta du Saloum.

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C’est une des preuves de l’existence d’un paysage culturel local dans le delta du Saloum. En clair, la première image nous montre ce ciment avec des restes de coquillages qui ne sont pas complètement calcinés, mais qui seront ultérieurement séparés par tamis pour être de nouveau brûlés avec du bois de mangrove comme ça se fait habituellement. Ce ciment, moins coûteux que l’industriel, est utilisé pour la construction des bâtiments locaux modernes en remplacement des modes de constructions classiques et traditionnelles (cases en paille et banco comme l’attestent les dernières photos ci-dessous, ou en palissades), voire même parfois exporté vers la Gambie toute proche. Sauf, hélas, que ces bâtiments en dur, modernisés sont en toit de zinc (tôle industriel et importé), alors que les toits des cases traditionnelles sont en pailles locales, produits du patrimoine naturel deltaïque. Cette tendance grandissante à la modernité, pire avec du ciment industriel et du zinc, menace de plus en plus les modes traditionnels et artisanaux de construction d’habitat. Source : SENY FAYE. Photos prises en juin 2014 lors d’une visite du delta du

Saloum par pirogue : le cas des villages de Bétenty et Djirnda. Appareil de type SAMSUNG S750 (7.2 MEGA PIXELS, ASR, 2.5 LARGE LCD, SHD LENS).

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Une fois de plus, au-delà de la pratique culturelle concrète, un vrai savoir-faire local, pour obtenir ce « ciment artisanal local »240 surtout dans les milieux insulaires, le bois de mangrove et les produits halieutiques constituent la base de la préparation.

Ce qui est, entre autres réalités, une preuve de l’existence concrète d’un paysage culturel vivant, dynamique et exceptionnel dans le delta du Saloum, mais aussi une menace. En effet, ce ciment artisanal est à la base de la construction de nombreux bâtiments en dur dans cette zone du delta du Saloum et même en Gambie où il est exporté de plus en plus. Cette réalité attestée par les nombreuses photos que nous avons prises est confirmée aussi par nos enquêtes de terrain, même s’il faut noter au passage que l’exploitation abusive du bois local peut être un vrai danger pour l’écosystème mangrove et la biodiversité dans le delta du Saloum en général.

A cela s’ajoute qu’avec la mondialisation, la modernité et l’évolution de la composition démographique, ces pratiques fondamentales pour la survie des paysages culturels risquent de disparaître, particulièrement dans l’aire écogéographique du delta du Saloum. Il importe enfin de noter qu’un cercle vicieux entre dégradation des patrimoines naturels et déstabilisation des valeurs culturelles locales risque d’être dommageable pour une zone humide, un patrimoine mixte déjà suffisamment fragilisé.

III-2 : La fragilisation du patrimoine culturel à travers la détérioration des valeurs

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