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Comme une sorte de ‘’bilan à mi-parcours’’ après les deux premières parties portant sur les patrimoines, cette conclusion partielle résume globalement l’existence de deux valeurs patrimoniales séparées, mais fortement interdépendants, c’est-à-dire qui cohabitent intimement dans cette aire éco-géographique du delta du Saloum.

Il s’agit d’un patrimoine naturel d’une part et d’un patrimoine culturel d’autre part. Cette intimité, voire une complicité, bref cette interdépendance multiséculaire entre homme et nature fait de ce delta un paysage culturel, ou encore un patrimoine mixte pour certains. C’est dire que c’est un paysage culturel dynamique et exceptionnel, mais sévèrement menacé par des facteurs anthropiques et physiques destabilisateurs.

Pour éviter une posture trop et exclusivement aussi analytique que descriptive dans la première et la deuxiéme partie, il nous a semblé important de souligner clairement, à partir d’idées fortes, les interconnexions entre les vrais révélateurs de l’existence d’un patrimoine naturel d’abord et culturel ensuite dans le delta du Saloum.

En effet, afin de garantir une plus grande efficacité de notre démarche méthodologique il ne suffisait pas d’une simple démonstration évolutive et spatiale des phénomènes les uns après les autres, occasionnant souvent des incohérences et trop de théories, de répétitions, des alourdissements à réduire.

Dans l’ensemble, une telle approche pourra permettre surtout aux sociétés et autres acteurs d’appréhender la délicatesse des équilibres et les vrais enjeux de la gestion durable de ce paysage culturel vivant et exceptionnel, hélas de plus en plus menacé et fragilisé. Ainsi, sur la base de l’existence d’une vieille interconnexion entre un patrimoine naturel singulier, une zone humide abritant une riche biodiversité, et une riche culture deltaïque relativement commune à toutes les populations locales, malgré les différences

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ethnolinguistiques et les profils historiques distincts, pouvons-nous reconnaître que le delta du Saloum a depuis longtemps été un paysage culturel vivant et dynamique.

Rappelons, une fois de plus car le rappel est pédagogique, qu’un paysage culturel est, au sens de la terminologie de l'UNESCO, un paysage représentatif d'une région du monde : « Œuvres conjuguées de l'être humain et de la nature, elles expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement ».

Mais ajoutons en clair : « dans la continuité intergénérationnelle et spatio-temporelle ». De ce fait, l’alimentation de base (les céréales et les produits halieutiques), les croyances religieuses symbolisées par les tumulus formant de véritables nécropoles et autres pratiques mystiques (rites intimement liés à l’eau), les amas coquilliers formant des îles artificielles (uniques au monde), les manifestations culturelles (luttes traditionnelles ‘’royales’’255, ‘’NGel’’ (ou veillées culturelles dans la langue locale) , ‘’Kankourang’’256

chez les Socé , autres cérémonies familiales après les récoltes, le mode de transport et de pêche incarné par la pirogue de fabrication artisanale, les modes de construction de l’habitat traditionnel avec du ciment artisanal et du mobilier de maison à base de bois, la sculpture du bois local et la vente d’objets d’art par les antiquaires dans les zones touristiques, les fêtes saisonnières autour des fameuses courses sportives de pirogues et de natation, la parfaite maîtrise de l’hydrodynamisme (le temps et la succession des marées), la pharmacopée traditionnelle ,etc., sont autant de signes qui prouvent l’existence d’un patrimoine mixte , un paysage culturel vivant, dynamique et exceptionnel dans le delta du Saloum. Mais est-il encore et/ou sera-t-il toujours dynamique et exceptionnel ?

Est-il réellement menacé de déstabilisation avancée, voire de disparition ou de ‘’mort’’ dans un futur proche ou lointain comme le soutiennent avec beaucoup de pessimisme des rapports de recherche ?

Si oui, quels sont les vrais dangers et leurs causes qui le menacent d’une fin imminente ? Quels sont les atouts qui peuvent sauver ce paysage culturel ?

255 Les séances de luttes royales, un des plus vives preuves de l’existence d’un paysage culturel dans le delta

du Saloum, traditionnellement organisées en octobre-novembre dans le royaume du Sine surtout (et même du Saloum), étaient parrainées par le roi. La cérémonie célèbrait les récoltes et permettait de désigner le champion du tournoi tout en étant un espace de rencontres pour les jeunes. C’était une vraie manifestation socio-culturelle incarnée et véhiculée par le sport. Ces séances sont toujours organisées nonobstant l’absence de royaumes et de rois pour les mêmes raisons.

256 Par intervention du Sénégal et de la Gambie, le ‘’Kangkourang’’ est proclamé chef-d’œuvre du

patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2005. C’est un rite d’initiation en societé mandingue (notamment dans les villages mandingues du delta du Saloum, comme Bétenty, Toubacouta, Missirah, Bossingkang, etc). Sa sauvegarde est donc d’une importance particuliére.

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Voilà autant de questions pertinentes et auxquelles nous tenterons de répondre dans nos prochains développements. Ces innombrables nécropoles du delta du Saloum, entre autres preuves significatives, font de cette zone humide deltaïque à la fois un patrimoine mondial mixte d’une « valeur universelle exceptionnelle » et un véritable « lieu de mémoire » profondément chargé d’histoire, un paysage culturel encore vivant et singulier. En outre, en tant que paysage culturel local ,mieux un patrimoine mondial mixte, ou ‘’bien public global’’ classé par l’UNESCO depuis 2011 (très prévisible), classé site Ramsar (ou zone humide d’importance internationale) depuis 1984 et inscrit sur le programme MAB, abritant un parc (PNDS : parc national du delta du Saloum) depuis 1976, premier site Ramsar transfrontière en Afrique avec le Parc national de Niumi en Gambie depuis 2008, classée RBDS en 1981, admis dans le club très fermé des ‘’Plus Belles Baies du Monde’’ en 2005, sixième (6e) estuaire dans le monde pour sa diversité

ichtyofaunique avec 114 espèces de poissons, et comportant des îles artificielles uniques au monde (amas coquilliers plus tumulus) assimilées à des nécropoles ,le delta du Saloum en général mérite surtout sauvegarde, restauration, préservation à l’aide d’une autre politique de patrimonialisation plus cohérente pour un but écologique et socio- économique au bénéfice du développement local durable.

En effet, la conservation de la labellisation ‘’UNESCO’’ a attribué au delta du Saloum une place aussi luxueuse que précieuse à ne pas perdre, d’abord en raison des retombées financières qui en résultent et ensuite du respect des engagements (accords, conventions, traités) internationaux ratifiés, même signés.

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Figure N° 13 : Croquis représentatif du paysage culturel du delta du Saloum

Œuvre et équilibre entre territoire et culture(homme/société)

pour une véritable durabilité du développement

local dans la RBDS

Pour une société durable et non un socialisme borné, un humanisme aveuglé

: le patrimoine culturel local (endogène) d’abord et les apports extérieurs ensuite,

si nécessaires. Une bonne politique économique et de patrimonialisation , une gestion participative , avec le soutien

de fortes institutions républicaines. Un riche patrimoine naturel à protéger durablement, mais sans aucun écologisme dogmatique , ni de l’environnementalisme aveuglé . Œuvrer pour une meilleure politique de gestion et

valorisation de la biodiversité locale. Une nature à gérer et au service de l’homme

mais pas l’homme au service et esclave de

la nature.

Pour une croissance économique verte durable et non de l’économisme à outrance (un capitalisme cynique) : une réduction de la pauvreté économique par la hausse des revenus, mais dans le respect de la nature. Pas d’homme au service de l’économie

, mais du gagnant- gagnant. Pour un paysage culturel durablement vivant, dynamique et

exceptionnel dans le delta du Sine Saloum

Source : SENY FAYE

Ce croquis schématique est représentatif d’un paysage culturel en général et dans le delta du Saloum en particulier, mais le nivellement par l’horizontalité ne suffit pas, il faut aussi une interconnexion voire même une interdépendance. En effet, le paysage culturel est généralement défini comme une œuvre combinée entre l’homme et la nature, et donc renvoie tout simplement à la notion de développement local durable, c’est-à-dire à la construction d’une identité, deltaïque de surcroît, d’un modèle de développement fondé sur le local d’abord. Ainsi ces rapports entre l’homme et la nature doivent être fondés sur l’équilibre, la valorisation des ressources naturelles pour une croissance économique durable et raisonnée. Ce paysage culturel est donc appelé à être fortement anthropisé, vivant et évolutif pour avoir des caractères distinctifs.

Ajoutons sur cette liste de distinctions prestigieuses qu’une partie de cette aire deltaïque, le Parc national du Delta du Saloum est le troisième site d’importance ornithologique de l’Afrique de l’Ouest après le Banc d’Arguin en Mauritanie et le parc de Djoudj dans la RBTDS au Sénégal (réserve de biosphère transfrontalière du delta du fleuve Sénégal, créé en 2005 par coopération entre le Sénégal et la Mauritanie).

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Vu cette richesse particulière, il importe nécessairement de sauver cet écosystème deltaïque, voire ce patrimoine mixte, à travers la prise en compte de plusieurs équilibres fragiles qu’il ne faut nécessairement pas perturber. Il s’agit d’un fragile équilibre entre les éléments du biotope d’une part et d’autre part entre les différentes composantes de la biocénose qui mérite une attention particulière pour la consolidation de tout écosystéme. A cela s’ajoute un équilibre fondamental à consolider, celui qui lie l’homme à la nature biophysique (climat, géomorphologie, hydrodynamisme marin, biodiversité), c’est-à-dire en substance l’équilibre entre patrimoine naturel écosystémique et patrimoine culturel. Pour l’histoire et la terminologie, c’est depuis 1992 que les interactions majeures entre les hommes et le milieu naturel sont reconnues comme constituant des paysages culturels. En effet, en 1992, la Convention du patrimoine mondial est devenue le premier instrument juridique international à reconnaître et à protéger les paysages culturels. Lors de sa 16ème session, le ‘’Comité de l’UNESCO’’ a adopté des orientations devant conduire à leur inscription sur la ‘’Liste du patrimoine mondial’’.

Les paysages culturels représentent les "ouvrages combinés de la nature et de l'homme" désignés à l'Article 1 de la Convention. Ils illustrent l'évolution de la société et des établissements humains au cours des âges, sous l'influence de contraintes et/ou des atouts présentés par leur environnement naturel et les forces sociales, économiques et culturelles successives, internes et externes. Le terme "paysage culturel" recouvre une grande variété de manifestations interactives entre l'homme et son environnement naturel. Les paysages culturels reflètent souvent des techniques spécifiques d'utilisation viable des terres, prenant en compte les caractéristiques et les limites de l'environnement naturel dans lequel ils sont établis ainsi qu'une relation spirituelle spécifique avec la nature.

La protection des paysages culturels peut contribuer aux techniques modernes d'utilisation viable et de développement des terres tout en conservant ou en améliorant les valeurs naturelles du paysage. L'existence permanente de formes traditionnelles d'utilisation des terres soutient également la diversité biologique dans de nombreuses régions du monde, y compris dans la zone humide du delta du Saloum. Les paysages culturels (cultures en terrasses, les jardins ou les lieux sacrés, etc.) témoignent du génie créateur de l'être humain, de l'évolution sociale, du dynamisme spirituel et imaginaire de l'humanité. Ils font partie de notre identité collective.

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En effet, un « croquis », pour reprendre le terme de Robert Ferras et A. Bailly (1993)257, bien ou relativement bien élaboré peut véhiculer un message fort et vaut mieux que des dizaines de pages de littératures trop théoriques et abstraites.

Notons donc que le paysage culturel repose sur un équilibre entre l’humain, voire le socioculturel, la nature ainsi que la croissance économique, et vise la réalisation du « développement local durable », pour citer Y. Veyret, S. Beucher, M. Reghezza (2004)258.

Figure N° 14 : Schéma représentatif et explicatif de la similitude entre paysage culturel et

développement local durable, dans le delta du Saloum notamment

Société : culture matérielle et

immatérielle (architecture , objets d’art, etc) et immatériel endogène (traditions, coutumes, mœurs, patrimoine, organisation sociopolitique, gastronomie, croyances religieuses, etc).

Economie verte : activités de

productions de richesses(agriculture, tourisme, etc) pour un capitalisme responsable et soucieux des patrimoines environnementaux(locaux, globaux).

Environnement : ressources

naturelles patrimoniales(air, eau ,flore, faune ,etc ; ressources minérales et organiques ; locales, nationales, continentales et planétaires), d’ où un impératif de conservation et de gestion participative.

Un paysage culturel dynamique, vivant et exceptionnel (une œuvre délicate et très fragile , donc une construction très perpétuelle, évolutive et adaptative) : un idéal à viser

=

Un développement durable local (épanouissement, bien-être des populations locales dans la continuité temporelle et générationnelle)

Source : SENY FAYE

Ce schéma vient en appoint au schéma précédent pour mieux faire apparaître l’importance de l’équilibre, de l’interconnexion (interaction, interdépendance) liant la gestion d’un paysage culturel (œuvre combinée entre l’homme et la nature) et le développement durable (satisfaction des besoins des générations présentes sans oublier ceux des générations futures). Bref, toute volonté de construire un paysage culturel vivant et évolutif vise en définitive à asseoir un processus de développement local, endogène, durable par le biais de la promotion des ressources locales (naturelles et valeurs culturelles) avant une quelconque ouverture sur le monde extérieur. Cependant, l’isolement total et définitif des paysages culturels peut leur être fatal.

257 Robert Ferras et A. Bailly, 1993. Les Modéles Graphiques en Géographie, ECONOMICA/RECLUS,

Paris-Montpellier, p.33

258 Yvette Veyret (dir.), Stéphanie Beucher, Magali Reghezza, 2004. Les risques. Comprendre, rechercher,

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Ces croquis, représentations schématiques illustratives viennent nécessairement en appoint aux cartes, aux données d’enquêtes de terrains, aux données iconographiques (photos) et aux sources livresques (documentaires) pour mieux élucider notre travail de recherches.

Concrétement, grâce aux croquis, moins que les schémas, nous avons tenté de représenter un certain nombre de phénomènes, y compris le concept de ‘’Paysage Culturel’’ pour mieux comprendre ses similitudes avec le développement local durable.

En somme, le paysage culturel de par son objectif d’assoir une durabilité du développement local, cherche à satisfaire les générations dans le temps et dans un territoire bien définis.

Un paysage culturel est par conséquent un territoire façonné par le génie humain, en évolution dans le temps pour satisfaire les besoins socio-économiques et matérielles dune population, voire des générations successives, mais nécessairement en parfaite harmonie avec les équilibres et les exigences de la nature physique. Il est donc aisément possible de constater qu’une différence est extrêmement difficile à reconnaître entre le paysage culturel et le développement local durable, en raison de leur complémentarité.

Un vrai paysage culturel, construit sur la base d’une vraie politique de patrimonialisation, induit donc forcément un développement local durable, harmonieux, et inversement. C’est dire en un mot que si un équilibre est fondamental dans l’interface homme-nature, les ressources naturelles ne doivent pas être protégées pour la simple contemplation ou vénérées comme des divinités, des objets de muséologie, mais elles doivent être valorisées pour une croissance économique durable, raisonnée, permettant de renforcer ainsi le paysage culturel, bref le développement local durable.

Nous pouvons en déduire que ce concept de « paysage culturel » réunit deux notions interconnectées que sont le « paysage » (la nature en général) et la « culture » (l’homme et la société), mais qui a besoin forcément d’une économie raisonnée, nécessite pour son analyse, le croisement (approche interdisciplinaire et pluridisciplinaire) de différentes sciences (patrimoine, la sémiotique ou sémiologie, la géographie, etc).

En somme, le terme « paysage culturel », comme celui de développement local durable, recouvre une grande variété de manifestations interactives entre l’homme et son environnement naturel, mais nécessairement interconnectées à une économie verte et durable.

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C’est donc une aire humide éco-biogéographique deltaïque, relativement « plate » (Diop. E.S. et Sall.M., 1975)259 et favorable au développement d’une riche biodiversité.

Ainsi, « l’eau et l’humidité » (Delvienne Quentin, 2003-04)260 constituent un élément déterminant du patrimoine naturel de l’hydrosystéme estuarien du Sine Saloum, déjà fortement fragilisé, d’où l’impérieuse nécessité de bien gérer ce patrimoine mixte. L’équilibre dans un paysage culturel est donc nécessaire grâce à une bonne, une cohérente politique de patrimonialisation.

259 Diop.E.S. et Sall.M., 1975. Le Gandoul et les îles Betanti. Etude géomorphologique, Bull. Ass. Sénégal. Et. Quatern.

Afr. 44-45 : 47-55, p.8 « L’altitude est faible en général. Elle est très basse dans la zone insulaire, inférieure à un mètre dans les mangroves et dans les tannes et inférieure à cinq (5) mètres pour la partie la plus élevée des cordons sableux ; elle s’élève jusqu’à une trentaine de mètres sur les bordures ».

260 « La superficie des plans d’eau est la plus étendue, soit 84806 ha qui couvrent 37% de l’espace de la RBDS. Les

mangroves basses et hautes confondues se développent sur 58300 ha environ, soit presque 25% de la réserve. Ceci explique que plus de 60% de l’espace de la RBDS dépendent des eaux. D’autre part des tannes (anciennes vasières exondées) occupent 14500 ha, soit 6% de la RBDS (JICA, 2002). Sur la partie continentale, les formations arborées et arbustives occupent une superficie de 62600 ha, soit 27% dont 400 ha de plantations, soit 0,2% et les zones de culture ne représentent que 4000 ha, soit 1,7% (JICA, 2002) » Delvienne Quentin, 2003-04. Mise en place d’une ostréiculture villageoise pour Crassostrea Gassar A., l’huître de palétuvier. CFB/FUSAG (dir. Doucet Jean-Louis), p.23

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