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Sur la base d’une approche systémique et possibiliste, et non analytique ou descriptive, nous avons tenté d’expliciter l’existence d’une véritable interconnexion entre biotope (hydrodynamique, géomorphologie, climat) et biocénose deltaïques d’une part. D’autre part, il importait d’abord de prouver les interrelations entre les différentes composantes de cette biodiversité, faunistique et floristique, ainsi que les

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interdépendances entre les divers éléments du biotope, le cadre physique. Bref, les interrelations sont aussi diverses que variées dans cet écosystème estuarien et en font une aire écobiogéographique dont l’équilibre écologique devient de plus en plus fragile. C’est donc toute la complexité de la problématique « Changements hydroclimatiques, hydro-géomorphologie, biodiversité et patrimoines » qui est en jeu, et dont l’intérêt est de démontrer l’impérieuse nécessitè de sauvegarder l’équilibre écosystémique, tant fragile, du delta du Saloum. Surtout que les ressources naturelles (biodiversité, ressources minérales pédologiques et hydriques) de l’estuaire du Saloum en général, constituent un patrimoine naturel humide et paysager exceptionnel au Sénégal, voire en Afrique.

En effet cet écosystème estuarien, une zone deltaïque humide composée de trois domaines distincts, renferme une flore et une faune d’une richesse originale. D’ailleurs, cette zone écogéographique, de par son importance et sa fragilité à la fois, bénéficie d’un certain nombre de distinctions nationales (RBDS, PNDS) et internationales comme son statut de ‘’zone humide d’importance internationale’’ conformément à la convention Ramsar, zone bénéficiaire du programme MAB, entre autres.

Ce patrimoine naturel vivant, mais relativement menacé par des facteurs physiques et anthropiques, combiné au patrimoine culturel, forment ensemble un patrimoine « mixte » dans cette aire écobio-géographique, communément appelé « Paysage Culturel ».

Mieux, en raison de ses originales caractéristiques physiques et socio-culturelles, cette aire est inscrite sur la liste de l’UNESCO comme un « patrimoine mondial »175.

Pour mieux comprendre l’avenir de ce delta à travers les divers facteurs qui expliquent son évolution, rappelons tout simplement que nous ne sommes plus toujours en sécheresse

175 Pour figurer sur la Liste du patrimoine mondial, les sites doivent avoir une « valeur universelle exceptionnelle » et

satisfaire à au moins un des dix critères de sélection. humain ; (ii) témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ; (iii) apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue; (iv) offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine ; (v) être un exemple éminent d'établissement humain traditionnel, de l'utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d'une culture (ou de cultures), ou de l'interaction humaine avec l'environnement, spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l'impact d'une mutation irréversible ; (vi) être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle. (Le Comité considère que ce critère doit préférablement être utilisé en conjonction avec d'autres critères); (vii) représenter des phénomènes naturels ou des aires d'une beauté naturelle et d'une importance esthétique exceptionnelles ; (viii) être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l'histoire de la terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d'éléments géomorphiques ou physiographiques ayant une grande signification ; (xi) être des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours dans l'évolution et le développement des écosystèmes et communautés de plantes et d'animaux terrestres, aquatiques, côtiers et marins ; (x) contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique, y compris ceux où survivent

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comme durant la relative longue période de 1968-99. Cela est d’ailleurs absolument démontré par des données statiques. Il y a donc bien « un retour, voire une évolution de la pluviométrie en Afrique de l’ouest et au Sénégal dès 1999 ».

C’est ce qu’attestent les résultats du rapport de recherches de Sharon Nicholson (2013)176,

mais également celui de Descroix et al (2015)177. En outre, il faut souligner qu’il y a un « moindre rallongement de la saison pluviométrique », selon toujours Descroix et al (2015) et une « augmentation des événements extrêmes », comme l’expliquent Panthou et al (2014)178 et le rapport de Taylor, Guichard, Vischel, Panthou et al (dans Nature, 2017)179. Sauf que malgré ce retour réel de la pluviométrie, il importe de relativiser, parce que comparé aux autres régions bioclimatiques africaines (zone équatoriale, par exemple), la sécheresse a toujours bien été une réalité au Sénégal, et dans le Sahel en général. Par voie de conséquence, il est clairement possible de soutenir que l’environnement sénégalais et sahélien ne sont pas en péril, du moins sur le plan physique (pluviométrique). Au contraire, en raison d’une amélioration des conditions météorologiques, on observe depuis la fin des années 1990 (début des années 2000) un relatif « reverdissement de ces régions », suite à la fin de la longue sécheresse des années 1968-70 et au retour normal de la pluviométrie. En résumé, c’est une nette réapparition des ligneux, en particulier, qui est observée en zone sahélienne et soudanienne. C’est le cas singulièrement du couvert végétal continental au Sénégal.

C’est ce que soutiennent d’ailleurs les résultats des recherches de Prince et al (1998 et 2007)180. Ce constat a été confirmé aussi par les rapports d’études d’Anyamba et Tucker

176 Nicholson S.E.2013. The West African Sahel : A review of recent studies on the rainfal regime and its interannual

variability. Hindawi Publishing Corporation ISRN Meteorology, Vol. 2013. Article ID 453521, 32 pages

177 Descroix. L., Diongue Niang. A., Panthou. G., Bodian. A., Sané. T., Dacosta. H., Malam Abdou. M., Vandervaere. J-

P., Quantin. G., 2015. Evolution récente de la mousson en Afrique de l’Ouest à travers deux fenetress (Sénégambie et Bassin du Niger Moyen), Climatologie, 12, pp. 25-43

178 Panthou. G., Vischel. T., Lebel. T., 2014. Recent trends in the regime of extreme rainfal in the Central Sahel.

International Journal of Climatology, 34 : 3998-4006

179 Taylor. C. M., Belusic. D., Guichard. F., Parker. D. J., Vischel. T., Bock. O., Harris. P. P., Janicot. S., Klien. C.,

Panthou. G., 2017. Three-fold rise in frequency of extreme Sahelian storms observed in 35 years of satellite data, In press

180 Prince. S. D., Wessels. K. J., Tucker. C. J., Nicholson. S. E., 2007. Desertification in the Sahel : a reinterpretation of

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(2005)181, mais également par ceux de Fensholt et Rasmussen (2011)182, ceux de Kergoat et al (2015)183, puis ceux de San Emeterio (2015)184.

Toutefois, est-ce que la régularité de ce reverdissement est remarquable partout sur le terrain, surtout en raison de la forte pression démographique et de la défaillance des politiques publiques écologiques dans certaines régions, voire certains pays du Sahel ? La pertinence d’une telle interrogation est incontestable, vu la dégradation écologique qui se remarque encore, notamment dans le bassin arachidier du Sine Saloum (Kaolack, Fatick, Diourbel, Kaffrine, terres neuves) où le couvert végétal est encore fortement érodé, depuis les années 1970-80 jusqu’à nos jours par des facteurs physiques (sécheresse des années 1970), mais aussi par des facteurs anthropiques (pression croissante des activités socio-économiques, humaines, inefficacité voire absence d’une vraie gouvernance environnementale).

Par activités socio-économiques et humaines il faut surtout comprendre la question des pratiques agropastorales. Bref retenons simplement que, quand bien même il y a une reprise (retour) de la pluviométrie depuis la fin des années 1990 et un reverdissement du Sahel, y compris au Sénégal, le lourd poids des facteurs anthropiques impacte toujours négativement sur le couvert végétal, et sur l’écologie en général. Ce qui a tentance à amoindrir les effets positifs, donc le « reverdissement et le retour de la biodiversité, de la reprise pluviométrique dans la région Sahelienne »185.

181 Anyamba. A., Tucker. C. J., 2005. Analysis of Sahelian vegetation dynamics using NOAA-AVHRR NDVI data from

1981-2003. Journal of Arid Environments, 63 (3), 59614

182 Fensholt. R., Rasmussen. K., 2011. Analysis of trends in the Sahelian ‘’rain-use efficiency’’ using GIMMS NDVI,

RFE and GPCP rainfall data. Remote Sensing of Environment, 115, 438-451

183 Dardel. C., Kergoat. L., Heureux. P., Grippa. M., Mougin. E., 2015. Entre désertification et reverdissement du Sahel.

Que se passe-t-il vraiment ? In Sultan, et al. (Eds), 2015. « Les societés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest », Editions IRD, pp.135-152

184 San Emeterio. J. L., 2015. « Désertification ou reverdissement : étude multi-scalaire de l’évolution du couvert

végétal en Afrique Sahélienne à partir de données de télédétection », PHD Thésis. Université Paris Diderot, 269 pages, 12 Décembre 2015

185 « Rôle et gestion de la biodiversité. Quoi qu’il en soit, et en l’absence de ces instruments scientifiques, les décisions politiques reposent parfois sur des intérêts macroéconomiques qui ne sont pas toujours en faveur des populations locales. Ce fut le cas en 2008 avec la signature d’un contrat d’exploitation des forets du cercle de Kita par la Chine, projet heureusement avorté grâce à la pression de l’opinion publique au travers des forums sur Internet. Inversement, les décisions politiques sont parfois contraintes par la seule expression locale des besoins qui repose sur une perception biaisée. C’est ainsi que le gouvernement malien a promulgué une loi (N° 95-004 datée de décembre 1994) qui définit les conditions générales pour la conservation, la protection, la valorisation des ressources forestières nationales dans le domaine forestier, et dans laquelle l’article 17 préconise la protection de 11 (onze) espèces menacées : Faidherbia albida, Acacia senegal, Afzelia africana, Anogeissus leiocarpa, Bombax costatum, Borassus aethiopum, Elaeis guineensis, Khaya senegalensis, Parkia biglobosa, Pterocarpus erinaceus, Vitellaria paradoxa. C’est surtout leur productivité qui est menacée et qui doit être régulée localement par un suivi et une gestion de la dynamique des populations. L’homme doit s’impliquer dans l’entretien des services fournis par les écosystèmes et ne plus agir comme un exploitant passif dépendant uniquement des fluctuations environnementales. S’il veut jouir des services forestiers, il doit s’approprier ces espaces et considérer les arbres comme des espèces

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En dehors de la relative forte réapparition du couvert végétal en zone continentale, il y a aussi la relative forte croissance de la mangrove dans le delta du Saloum. En effet, les mangroves sont surtout plus menacées, puis dégradées en amont et dans les aires périphériques du delta, plus accessibles pour les populations locales.

Par contre, dans la partie aval du delta, en raison de la forte facilité d’entrée des eaux océaniques qui provoque une réduction significative du taux de salinité, et dans les zones insulaires plus reculées (donc plus enclavées), la mangrove se trouve plus protégée et l’environnement naturel s’avère plus propice à son développement. Elles s’y portent donc trés bien, du moins relativement dans certaines régions et milieux, en Afrique de l’ouest. Dans les aires les moins salées, les plus insulaires (plus enclavées) du delta du Saloum surtout, mais aussi dans d’autres aires écobiogéographiques de l’Afrique de l’Ouest, elles ont progressé de près de 5% en superficie depuis 1990, récupérant presque tout l’espace qu’elles avaient perdu durant la sécheresse (1968-99), comme le soutiennent Conchedda et al (2007 et 2011)186, mais aussi les écrits d’Andrieu (2008)187, de Diéye et al (2013)188,

le rapport de Mava (2014)189, ceux de Mendy et al (2015)190.

Quand bien même, les campagnes de reboisement de mangrove ont presque tous connu des échecs, les spécialistes attribuent le très fort retour de la mangrove à plus de 90 % au crû spontané, surtout en aval, et plutôt à 5-10 % aux reboisements. En effet, la sécheresse des années 1968-70 (avec un creux de 1982 à 1984) a pris fin depuis le début des années

qu’il cultive et pour lesquelles il faut fournir un investissement, en temps, en énergie et en argent, afin de maintenir un fort taux de productivité. Mais seul, isolé dans les savanes, il exploite et constate le changement de son environnement immédiat. A l’autre extrémité, le pays suit aveuglément les recommandations internationales sans pouvoir émettre ses propres avis. Même dans ces forets arides, considérées comme peu diversifiées, la conservation de la biodiversité reste un enjeu essentiel qui se situe en amont de toutes les questions relatives à la conservation de la biomasse. Ce n’est pas une muraille verte qui freinera l’avancée du désert et le phénomène de la désertification, mais plutôt une mosaïque de couleurs, de formes, de tailles, de modes de croissance, de durées de vie, de plasticités écologique et morphologique, soit en seul mot : la biodiversité » selon Philippe Birnbaum, 2012. Biodiversité au Sahel. Les forêts du Mali, Editions Quae, Paris (Versailles), pp. 134-135

186 Concheda. G., Lambin. E. F., Mayaux. P., 2011. Between Land and Sea : Livelihoods and Environmental Changes in

Mangrove Ecosystems of Senegal. In : Annals of the Association of Américan Geographers, 101 (x), pp. 1-26

187 Andrieu. J., 2008. Dynamique des paysages dans les régions septentrionales des Riviéres-du-Sud (Sénégal, Gambie,

Guinée-Bissau), Thése de Doctorat EESC, 532 pages

188 Dieye. E. H. B., Sane. T., Manga. A., Diaw. A. T., Diop. M., 2013. Variabilité pluviométrique et dégradation des

écosystémes de mangrove : actions communautaires de réhabilitation à Todor en Basse Casamance. XXVI éme Colloque International de l’Association Internationale de Climatologie (AIC). In « Climat, Agriculture, Ressources en eau d’hier à demain ». Cotonou (Bénin), pp. 194-199

189 MAVA (Fondation), 2014. Mangrove dynamics in West Africa Fondation MAVA, Gland, Suisse, Altenburg et

Wimenga, 41 pages

190 Dieye. E. H. B., Sane. T., NDour. N., Sy. O., Ba. B. D., Solly. B., Tall. E. S. B., Mendy. V., 2015. Dynamique de la

mangrove et impacts dans le Département d’Oussouye (Basse Casamance) entre 1972 et 2014. Rapport projet BM- UASZ, SPF-CIDC, 41 pages

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2000 et il y a un retour normal de la pluviométrie. En outre, la rupture de la flèche de Sangomar a beaucoup contribué à la diminution de la salinité, suite à une grande facilité d’entré des eaux océaniques dans le delta.

Sauf qu’il y a un bémol à prendre en compte, en raison de la faiblesse des politiques publiques écologiques et une forte pression démographique sur les ressources naturelles végétales, notamment la mangrove.

Il est faux de toujours relier la rupture de la flèche de Sangomar à une hausse de la salinité. Au contraire, la coupure a permis une meilleure rentrée de l’eau de mer dans l’estuaire et de contribuer à la diminution de la salinité, surtout en aval. Parce qu’en année moyenne, l’eau de l’estuaire (jusqu’à 90 pour mille) est plus salée que l’eau de l’océan atlantique (35 pour mille).

Concrètement, la marée circule mieux et donc dessale relativement mieux le fond des bolons. Donc la rupture de la flèche aide à dessaler l’estuaire et ceci a été remarqué dés la fin des années 1990 par de nombreux spécialistes des littoraux à mangrove qui en déduisent une nette renaissance de la mangrove, singulièrement dans le nord de l’estuaire du Saloum (Djiffére, NDangane, Mar Lodj).

Mais, quand bien même il y a une diminution de la salinité des eaux estuariennes en aval (embouchure), suite à la facilité des entrées massives des eaux océaniques de l’Atlantique (chose qui n’est pas évidente en amont), il y a aussi le revers de la médaille, qui est l’élévation (augmentation) du niveau moyen des eaux du delta et ses conséquences écologiques (extension de la salinisation des terres, forte érosion côtière, voire avancée de la mer, inondations, etc).

Cette avancée des eaux océaniques vers le continent et dans les zones insulaires, dont l’extension des surfaces des terres salées (Tannes) est une des conséquences écologiques, est attestée par les nombreuses constructions de digues-barrages dans les milieux insulaires (Bassoul, etc).

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