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III - DE NOUVEAUX MOTIFS À L’EXIL NON PRÉVUS PAR LE DROIT INTERNATIONAL

Les deux autres grandes raisons à la migration forcée sont d’une part d’ordre économique et d’autre part, liées aux dérèglements climatiques et aux catastrophes naturelles. Elles n’ont pas donné lieu à des conventions internationales permettant de protéger ce type de migrant.e.s. Comme l’a souligné Julian Fernandez, professeur de droit public, lors de

8 Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011.

9 Article L712-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

10 Directive Protection temporaire 2001/55/CE.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES son audition, les principaux instruments de protection en vigueur ont été pensés dans le

contexte de l’après seconde guerre mondiale et reconnaissaient les conflits, les violences ou les persécutions politiques ou d’ordre racial comme les principales causes de protection. Or, les motifs de migration contrainte ont beaucoup évolué, les dérèglements climatiques ayant notamment provoqué de grands mouvements de population.

Les migrations dites économiques ne sont pas toutes forcées puisqu’elles incluent la mobilité professionnelle choisie. Cependant, deux aspects la rendent relativement contrainte :

– l’absence de fluidité dans les migrations Sud/Nord autrement dit, la difficulté des ressortissant.e.s des pays du Sud à obtenir un visa pour un pays du Nord qui les pousse à ne pas retourner dans leur pays d’origine par crainte de ne plus pouvoir revenir dans leur pays de séjour. Le caractère circulaire de la migration se trouve ainsi entravé ;

– de graves difficultés économiques dans le pays d’origine constituent une contrainte de « subsistance ».

Les dérèglements climatiques représentent l’autre grande cause des mouvements forcés de population et le chercheur François Gemenne estimait en 2015, le nombre de déplacé.e.s climatiques pour les décennies à venir à plusieurs centaines de millions. Un récent rapport de la Banque mondiale estime précisément qu’il y aura 143 millions de migrant.e.s climatiques d’ici à 205011. Cependant, comme le CESE le met en évidence dans son avis de septembre 2016, « La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France »,

« une estimation chiffrée est extrêmement difficile, comme le souligne le dernier rapport du GIEC. D’après ce rapport-selon lequel les migrations peuvent aussi représenter une stratégie d’adaptation efficace-la nature complexe et les causes multiples de ces migrations liées au changement climatique rendent difficiles des projections fiables de leur évolution. » Cependant, au vu de leur survenue régulière et de la vulnérabilité de certains pays à leur endroit, certains accords ont déjà été passés pour la prise en charge de ces réfugié.e.s climatiques.

C’est ainsi sur le fondement de la vulnérabilité des Iles du Pacifique à la montée des océans que la Nouvelle-Zélande réfléchit à la création d’un nouveau visa destiné aux déplacé.e.s climatiques.

Par ailleurs, le facteur climatique ou plus largement environnemental est parfois un facteur aggravant qui pèse sur le déclenchement d’un conflit ou de crises. En témoignent les « émeutes du pain » en Egypte qui ont précédé le déclenchement du « printemps arabe » fin 2010.

Si l’extension des motifs de la protection internationale a été évoquée dans les années 1990 après la fin de la guerre froide et suite à la multiplication des conflits en Afrique notamment, avec la réflexion sur l’extension du concept de « sécurité humanitaire » à des motifs économiques ou environnementaux12, ce débat ne figure plus, à l’heure actuelle, à l’agenda international ou européen.

11 http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2018/03/19/meet-the-human-faces-of-climate-migration 12 B. von Tigerstrom Human security and international law: prospects and problems, Hart publishing, 2007.

Rapport

Plusieurs intervenant.e.s auditionné.e.s par la section, dont Pascal Teixeira da Silva, Ambassadeur français en charge des migrations, ont d’ailleurs souligné que la renégociation de la Convention de Genève de 1951 pour étendre les motifs de protection internationale, pourrait se révéler périlleuse. Selon eux.elles, ce processus pourrait in fine affaiblir la Convention au vu de l’absence significative de consensus sur ce point au niveau international et de la faiblesse des avancées de la communauté internationale en matière de justice et de Droits de l’Homme depuis les années 1990.

En outre, le facteur environnemental, tout comme le motif économique, est complexe à transcrire sur le plan juridique, notamment parce qu’il est délicat de l’isoler comme seul responsable de l’exil des personnes concernées et qu’il ne peut être identifié à une persécution individuelle et/ou spécifique à un groupe social. Enfin, la reconnaissance éventuelle d’un nouveau statut de réfugié.e climatique implique de prévoir des moyens pour rendre effectifs, les droits des personnes concernées.

Cependant, la question des réfugié.e.s climatiques est prise en compte au niveau mondial depuis l’adoption par 109 pays en 2015 de l’Agenda de protection de l’Initiative Nansen.

Consécutive à la reconnaissance des migrations induites par les dérèglements climatiques lors de la COP16 à Cancún en 2010 et à l’initiative dite Nansen de 201113, l’adoption de cet agenda a abouti à la création en 2016, d’une plateforme sur les déplacements dus à des catastrophes naturelles (platform on disaster displacement). L’agenda « pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques » prévoit notamment la protection temporaire des personnes déplacées et la suspension des mesures de réadmission dans le pays d’origine touché par une catastrophe naturelle14. A ce stade, la plateforme reste une enceinte d’échanges et de négociations qui ne semble pas, à court terme, devoir aboutir à un engagement plus formel entre les différentes parties.

Il est en outre à noter que la Chine, la Russie et l’Inde ne font pas partie des pays qui soutiennent l’agenda, tout comme certains pays européens (Royaume-Uni, Portugal, Croatie, Slovénie, Pays Baltes).

En tout état de cause, les déplacé.e.s climatiques sont régulièrement à l’ordre du jour des COP et leurs spécificités pourraient aussi être abordées lors de l’élaboration du Pacte mondial sur les réfugié.e.s ou de celle du Pacte mondial pour les migrations sous l’égide des Nations unies courant 2018. L’Organisation internationale des migrations (OIM) plaide par exemple pour que l’approche retenue dans ce cadre soit intégrée et prenne en compte la question du changement climatique.

L’UE en tant que telle s’est engagée pour « l’agenda Nansen » mais aucune initiative d’envergure n’a encore été lancée au niveau européen. On peut signaler néanmoins l’action du service de la Commission européenne à la protection civile et l’aide humanitaire (ECHO).

13 La Suisse et la Norvège ont porté, en marge d’une Conférence du HCR en 2011, la nécessité de l’adoption d’un agenda sur la question des déplacés climatiques.

14 https://disasterdisplacement.org/the-platform/our-response.

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AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES

IV - UNE PROTECTION INTERNATIONALE DE PLUS