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Histoire Généalogie de la

3) Les Hittites

Suppiluliuma, roi Hittite (1380-1346 av. JC), ne conquiert pas, il libère : « Les pays, dont je suis devenu maître, je les ai libérés et les Gens ont continué à habiter dans leur pays. Tous ceux que j’ai libérés sont retournés chez leurs gens et tout cela est devenu pays hatti » ; « Et moi, le Grand-Roi, le Roi du pays du Hatti, moi j’ai éveillé le pays mort du Mitanni ; moi, je l’ai remis en état »193.

Cette « libération » des populations étrangères qui dissimule mal une visée hégémonique n’est pas sans rappeler certains comportements contemporains. Pour O. V. Butkevych, cet épisode est précurseur de l’intervention humanitaire194. Rien, pourtant, ne permet d’affirmer que Suppiluliuma intervenait dans le but de protéger les populations étrangères. La rhétorique de la libération est suffisamment vague pour n’être qu’un baume grossier sur les blessures d’une guerre de conquête.

Jacques Freu, spécialiste renommé des Hittites, confirme que rien n’atteste qu’il y ait eu une intervention armée entreprise par un roi hittite dont l’objectif déclaré aurait été de protéger des populations civiles195. Par contre, l’idée de « libération » est effectivement utilisée dans la propagande des rois de Hatti. Cette propagande est particulièrement visible dans le traité conclu par Tuthaliya (1425-1390 av. JC), arrière-grand-père de Suppiluliuma, avec le roi de Kizzuwatna, Sunassura II. On peut lire par exemple :

191 State Archives of Assyria II, p. xix.

192 Dans un paragraphe intitulé « Humanitarian Aid », S. Parpola [2003], p. 1063, précise : « Foreign countries with

which Assyria maintained peaceful relations could receive shipments of grain in times of famine ».

193 Traité de Suppiluliuma et Shattiwaza, in P. Cornil [1998], respectivement p. 20 et 25. Jacques Freu traduit cette

dernière phrase autrement : « Et Moi, le Grand Roi, le roi de Hatti, je ferai revivre le pays de Mitanni qui était mort et je le restaurerai dans sa situation (antérieure) » (Kbo I 1 vo 22-27, CP).

194 O. V. Butkevych [2003], p. 205-206. 195 Correspondance privée avec Jacques Freu.

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« Maintenant les gens du Kizzuwatna sont devenus un bétail hittite et ont choisi leur étable. Du Hourrite196 ils se sont libérés et se sont ralliés au Soleil197. Le roi de Hurri avait offensé le Hatti et il avait offensé gravement le pays de Kizzuwatna. Le pays de Kizzuwatna se réjouit grandement de sa libération. Maintenant le Hatti et le Kizzuwatna sont libres de leurs obligations198. Maintenant moi, le Soleil, j’ai rendu la liberté au pays de Kizzuwatna. »199

Le champ sémantique du mot hittite (nésite) arawa, qui signifie littéralement « libre de, libéré de », ajoute Jacques Freu, est important200. Bien que les textes cités soient en majorité akkadien (il ne reste plus en hittite que des fragments), on reconnaît souvent et de manière implicite la présence des mots hittites arawanni (homme libre) ou arawahh (libérer).

Libération de qui ? La propagande parle de la libération du pays et des gens de ce pays. Mais, dans les faits, il s’agit à chaque fois d’intervenir pour porter secours, non à la population, mais au prince menacé par un ennemi plus puissant. Autrement dit, ce qui passe pour de l’intervention humanitaire est en fait de la simple assistance mutuelle. Lorsque Suppiluliuma prétend ne s’être jamais rendu dans un territoire étranger que pour porter secours à un prince menacé par un roi plus puissant que lui, la raison en vérité n’a strictement rien d’humanitaire. Il n’est pas question du peuple, et encore moins de le défendre contre son propre prince. Il est question de l’application des traités d’assistance mutuelle et d’une relation d’allure féodale : les princes qui sont devenus les sujets du roi de Hatti sont protégés par lui contre les agressions extérieures. Sarrupsi, attaqué par Tusratta, roi de Mitanni, fait ainsi appel au roi de Hatti : « Je suis (devenu) le sujet du roi de Hatti. Qu’il me sauve ! » (Kbo I 4). Niqmaddu, roi d’Ugarit, lance le même appel : « Que le Soleil, Grand Roi, mon seigneur, me sauve de la main de mon ennemi » (RS 17.340).

On parle souvent de l’« humanité » des Hittites en citant de tels exemples de « libération » et quelques autres faits glorieux – dont notamment le renoncement de Mursili II, fils de Suppiluliuma, qui finit par gracier le roi du pays de la rivière Seha, qui l’avait trahi et contre lequel il marchait. Cet épisode, dont Mursili n’était pas peu fier, est cité à plusieurs reprises dans

196 l’adversaire. 197 le roi Hittite. 198 envers le Hourrite.

199 Kbo I 5 30-37. Le concept de libération s’exprime dans ce texte akkadien avec la formule « Kizzuwatni ana

andurari utassersunu ».

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le nouveau traité conclu et dans ses annales. On exagère souvent la particularité des Hittites dans ce domaine vis-à-vis des autres peuples de l’Orient ancien.

Pour nuancer le tableau, il faut donc rappeler que les Hittites ont également pratiqué la déportation massive de civils, par exemple pour repeupler le pays après l’épidémie de peste qui a frappé le Hatti, et que les rois Suppiluliuma et Mursili, ceux-là mêmes qui sont cités en exemple en matière de libération, d’assistance et de mansuétude, se vantent également d’avoir détruit et incendié les villages des tribus des montagnes pontiques, dans le cas où les populations visées refusaient de se soumettre « préventivement ». Mais, relativement aux souverains assyriens par exemple, il est vrai que les rois hittitites ne se vantent pas de mutilations, d’empalement ou de tortures diverses sur les populations soumises. A l’époque classique, d’ailleurs, tandis que le code des lois est rendu plus « humanitaire », la peine de mort est rarement pratiquée.

Il faut reconnaître chez les Hittites la présence de thèmes périphériques à l’intervention humanitaire : la rhétorique de la « libération » et la relative humanité des comportements et du code des lois à l’époque classique. Tout ceci peut facilement tromper l’interprète et inviter Butkevych, par exemple, à faire des Hittites des précurseurs de l’intervention humanitaire. A y regarder de plus près, cependant, ce n’est absolument pas le cas. La politique d’intervention des Hittites n’a rien à voir avec la protection d’une population étrangère contre son propre dirigeant. Ce n’est pas le peuple que l’on assiste, mais son prince menacé, et on le fait en vertu d’une obligation juridique incarnée par les premiers traités du droit international.