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J'ai d'abord interviewé longuement les quatre fondateurs, plus de deux heures chacun, en suivant le même questionnaire semi-directif constitué des trois consignes et

3.2.2 Histoire de Pluriel

3.2.2.1 Caractéristiques de la société

Pluriel est un cabinet de conseil en organisation fondée en 1989 par quatre anciens consultants de la société Père29, un grand cabinet de conseil américain, filiale d'un groupe d'audit.

Il comptait à la fin de 1995, 80 consultants, 8 administratifs et 3 documentalistes pour un chiffre d'affaire de 65 M.F., ce qui représente une croissance remarquable pour ce secteur, fortement touché par une crise en 1992 et 1993, et classait Pluriel parmi les 20 premiers cabinets en France.

Le positionnement de Pluriel tient en une question: «Comment faire autrement?» Il s'agit plus précisément d'offrir à ses clients trois types de travaux, toujours faits sur mesure.

• Le conseil en organisation

• La mise en place de systèmes informatiques • L'accompagnement du changement

Pluriel s'engage à travailler main dans la main avec le client et à imaginer pour lui des solutions originales et adaptées, qu'il aide à mettre en œuvre.

Vis àvis des futures recrues àqui une plaquette spécifique est adressée, Pluriel s'engage à leur offrir une expérience plus originale qu'ailleurs.

a) L'idée de départ: un contre-monde de Père sans hiérarchie

L'idée de départ de ces quatre hommes était de changer de type d'entreprise. Loin de la hiérarchie très formelle des grands cabinets américains, ils ont souhaité créer

29 J'ai choisi de modifier les noms des personnes interrogées de façon à respecter la confidentialité. En ce qui concerne les quatre fondateurs, j'ai opté pour des noms bibliques, leur histoire me faisant penser à deux textes de Freud, Moïse et le monothéisme et Psychologie des foules et analyse du moi, dans la mesure où j'ai assimilé la constitution de Pluriel à celle d'une société de frères après le meurtre du père, que je nomme donc dans le cas, cabinet ou société Père.

une société qui respecte plus l'être humain. Leur ambition était même de créer

«

un contremonde de Père » :

Moïse: «Si je reviens à l'origine de Pluriel: «Nous, on s'est construit contre quelque chose ». On vivait dans le monde de [Père) et on a voulu construire un contre-monde. Donc une des grandes tares du modèle précédent était le manque total d'intérêt pour les hommes, pour les individus qui composaient l'entreprise. Il y avait des numéros, une hiérarchie excessivement complexe avec des gens du même niveau d'études. Et ça marche, ce qui est encore plus étonnant.

Ce modèle, moi, je l'ai rejeté parce qu'à mon sens il est fait de faux-semblants. Rien de vrai, tout était faux. Pas de respect pour l'homme.

J'ai voulu construire un monde en creux de ça.»

Cette idée de contre-monde est essentielle pour chacun des fondateurs. Ils venaient d'un univers extrêmement hiérarchisé et voulaient absolument rompre pour eux-mêmes et pour les autres avec ce modèle qu'ils avaient mis des années à rejeter. Ils avaient envie de travailler sans hiérarchie, avec plaisir, sans concurrence interne, avec des possibilités d'épanouissement individuel au travail.

Au seuil de l'association, qui arrive en général au bout d'une dizaine d'années d'expérience, ils se sont rendus compte qu'ils ne voulaient plus jouer le jeu de la hiérarchie, pensant avoir couru assez longtemps après des leurres.

Isaïe: «On se laisse souvent piéger par la course et pas par le but.(..)Jj'ai mis longtemps à me demander après quoije courais. En plus j'ai discuté avec les trois autres de la fondation de Pluriel, ça m'a aidé à

me rendre compte. Mais à partir du moment où on me disait: «l'an prochain c'est bon (tu seras associé), ça-y-est c'est fini, mon but s'arrête. Tu réfléchis, tu regardes derrière et tu vois la tromperie. T'es qu'un super salarié et la course continue: petit associé, gros associé ... Ca m'a refroidi. Je me suis remis en question à ce moment-là

».

b) Un cabinet de conseil

à

l'organisation originale

Au départ, l'idée était d'entreprendre différemment. Rapidement ils ont décidé de capitaliser leurs compétences et leur réseau de clientèles, dans la création d'un cabinet de conseil au positionnement proche de celui de Père.

Aaron: «On avait envie de faire des choses plus rigolotes, dans une logique d'entrepreneurs, mais on s'est dit qu'il valait mieux commencer par ce qu'on savaitfaire.»

Leur différence par rapport à Père a donc été fondée sur les principes et les valeurs sur lesquels ils se sont mis d'accord :

Aaron :

«

On a établi tout de suite des principes : équilibre avec la vie privée et plaisir. Et on a gardé cet état d'esprit tout le temps. On choisit les activités qu'on fait. C'est un mot qu'on utilisait beaucoup à l'époque.:

«

travailler avec plaisir»

»

Moïse: «La première décision qu'on a prise, c'était pas de hiérarchie, alors que le problème ne se posait pas au début puisqu'on était tout petit. (. ..) D'entrée de jeu on s'est mis dans une logique d'égalité. Ça a eu son importance. (. ..) On a voulu créer quelque chose de nouveau, de différent. On était très contre ce qu'on avait connu avant.

»

Ces principes

«

humanistes» déclinés plus haut se sont traduits par l'élaboration d'une organisation originale par rapport aux autres cabinets de conseil.

A la place de la hiérarchie classique dans ce secteur, Pluriel a constitué un clan séparé en trois populations. Les associés, 4 au départ, 8 en 1995, les consultants et les administratifs, sans aucune strate intermédiaire prévue entre le grade de consultant et celui d'associé.

A cette organisation quasi-plate, vient s'adjoindre une organisation par projet pour servir deux objets: les missions pour les clients et les missions internes. Un autre point remarquable dans la structure réside dans la faiblesse numérique du nombre d'administratifs. En 1995, on comptait deux standardistes/hôtesses d'accueil, trois documentalistes, un responsable informatique, trois comptables, une animatrice et une Directrice Administrative et Financière chargée de gérer ces personnels.

Le principe d'absence de hiérarchie s'est traduit par le refus de disposer d'un secrétariat, chargé des basses besognes. Chez Pluriel, chacun tape ses rapports, fait ses photocopies et répond au téléphone. Pour parvenir à des résultats de bonne qualité, chacun est muni d'un ordinateur portable et est formé

à

l'utilisation de la charte graphique dans le mois qui suit son arrivée.

De même, il n'y a pas de bureau attribué. Les locaux sont paysagers, sur un grand plateau. Quand on arrive au bureau, on s'installe là où il y a de la place. Seuls les fondateurs ont leur place réservée, mais au milieu du cabinet, dans le même espace que les autres.

Les principes de gestion mis en place au fur et à mesure que les questions se posaient traduisent aussi les valeurs dans la réalité.

Le premier principe réside dans le mode de rémunération et d'abord celui des associés. Contrairement à la pratique courante dans le conseil, les associés, outre une participation à parts égales dans la société, ont tous le même fixe de rémunération, qui s'élève à 450000 F par an en 1995.

De même tous les jeunes embauchés sont recrutés au même salaire - confortable: 200 KF en 199530 - quel que soit leur diplôme.

En ce qui concerne le variable, ici encore, le principe est radicalement différent de ce qui se fait ailleurs: toute personne apportant une affaire touche 3% du CA annuel qu'elle génère. Cela signifie, d'une part, que chaque consultant est encouragé à faire du commercial, qui n'est pas un domaine réservé aux associés. Cela permet non seulement de motiver tous ceux qui veulent commencer à prospecter, mais aussi de se former progressivement à l'action commerciale pour arriver au statut d'associé, non seulement formé, mais aussi, muni de son propre portefeuille de clientèle. Cela ouvre de fait l'association à un plus grand nombre de personnes que dans les cabinets où la frontière réside dans l'accès au commercial.

3011faut noter que cela constitue un salaire tout à fait respectable dans la profession puisque en 1995, les salaires bruts annuels des débutants dans le conseil s'étalaient de 130000 F chez KPMG à 210 000 F chez Andersen Consulting.

Mais là n'est pas le seul avantage de ce mode de rémunération égalitaire. Le fait de ne pas faire dépendre une grosse partie du salaire de l'effort commercial supprime la concurrence entre associés et leur permet d'être présents sur le terrain avec les consultants, à l'opposé des cabinets classiques dans lesquels les associés passent l'essentiel de leur temps à faire du commercial, sans pouvoir passer de temps sur les missions. Cela garantit la qualité des missions et cela permet aux consultants d'apprendre énormément au contact des fondateurs, qui à leur tour ont une connaissance personnelle de chacun des consultants et peuvent leur transmettre leurs valeurs directement.

A la pnme variable commerciale se sont ajoutés, avec le temps, d'autres éléments: intéressement, participation, prime de 3000 F pour un recrutement par réseau ...

Tant que le cabinet était de taille raisonnable, ce simple principe égalitaire a donc permis de ne pas avoir à mettre en place ni une procédure formelle d'appréciation des performances, ni un plan de formation aux méthodes du conseil. Tout le monde se connaissait, les fondateurs pouvaient diffuser leurs idées en direct et savaient rapidement qui était dans le moule ou pas.

Toutefois un double problème s'est rapidement posé: celui de la rémunération des expérimentés entrant dans le cabinet, de même que celui des décisions d'augmentation. Le principe égalitaire s'est arrêté au réalisme de marché. Aucune règle précise n'a été définie quant aux augmentations de salaire. Si bien qu'en 1995, l'éventail était relativement large et reflétait un autre type de hiérarchie que celui qu'ils avaient souhaité éviter: étaient probablement payés plus ceux qui savaient faire valoir leurs droits et leur attrait pour le marché; mais les augmentations dépendaient aussi de qui prenait la décision et de son humeur du jour. De toutes façons, ce n'était pas un réel problème, personne n'en parlait, car globalement tout le monde était assez bien payé. Ce n'est qu'après l'éclatement de la crise que sont apparues au grand jour des incompréhensions sur les décisions d'augmentation.

Il est difficile de parler de véritables principes de gestion des carrières dans la double mesure où il n'y a pas de niveaux hiérarchiques distincts hormis le passage à l'association et où il n'y a pas de politique formelle de gestion des carrières. Cependant

les entretiens tant avec les consultants qu'avec les fondateurs ont permis de reconstituer

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