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Guanxi et Économie de don : Potlatch et troc

3.2 La définition du Guan

3.2.2 Guanxi et ses termes apparentés utilisés en occident

3.2.2.3 Guanxi et Économie de don : Potlatch et troc

Michailova et Worm (2003) établissent un rapprochement entre le terme Guanxi et l’économie du don en justifiant que l’économie de don rural est à l’origine du phénomène de Guanxi en Chine. Car la société chinoise est composée historiquement par des unités familiales, au contraire de la société occidentale qui est composée d’individu (depuis le XIXe siècle). Yan (2000) montre, à partir de l’étude systématique de Yang sur l’échange de cadeau et le Guanxi en Chine en 1994, que l’économie de don en Chine, et le réseau de Guanxi, créent, en dehors du contrôle de l’état, un nouveau pouvoir non officiel qui redistribue des ressources après la répartition de l’état. Cette économie de don est différente de l’économie proposée par les anarcho-communistes où les richesses sont données plutôt que commercialisées. Cette modalité est évoquée par Mauss dans « l’Essai sur le don », œuvre dans laquelle il décrit l’institution de circulation des richesses dans plusieurs sociétés, notamment les sociétés archaïques comme : Polynésie, Mélanésie, Kwakiutl (nation indienne de Canada), Tsimshian, Tlingit ainsi Haïda (tribus au nord- ouest américain). Dans ces sociétés, l’échange ne concerne pas simplement les biens ou les produits d’un marché, il s’agit avant tout d’échange de politesses, de festins, de rites. Mauss a appelé tout ceci le système des prestations totales ou Potlatch. Potlatch est un système d’échange « solennel » de prestation et de contre-prestations, par des présents

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sous une forme volontaire, par des présents, des cadeaux, bien qu’elles soient au fond rigoureusement obligatoire sous peine de guerre privée ou publique (Mauss 1924).

D’après Mauss, le Potlatch consiste en deux éléments essentiels : celui de l’honneur, du

prestige, du « mana22 » que confère la richesse et celui de l’obligation absolue de rendre ces dons sous peine de perdre ce « mana », cette autorité, etc. Lorsqu’on accepte le

Potlatch, on est aplati(écrasé) tant qu’on n’a pas rendu. Dans le système de Guanxi, il y a aussi deux éléments primordiaux : Renqing et Mianzi. Mianzi est le résultat de l’évaluation sociale, son importance pour une personne est équivalente à l’honneur, le prestige et le « mana ». La réciprocité de Renqing stipule le retour de prestations. On est affaibli par la dette de Renqing face à son créancier. Par rapport aux deux termes précédents (capital social et réseau), le Potlatch est le plus proche du système de Guanxi. Mais il y a des nuances entre ces deux termes comme nous allons le montrer.

L’institution de prestation totale est une théorie complète qui comporte trois obligations : obligation de rendre, l’obligation de donner et l’obligation de recevoir.

D’abord, les Maori croient que toute Taonga (les propriétés privées) possède un pouvoir spirituel dit hau qui oblige à retourner chez son propriétaire originel. Hau ou Taonga s’attache souvent à d’autres choses que le premier avec une valeur équivalente ou un peu supérieure qui, à leur tour, donneront aux donateurs autorité et pouvoir sur le premier

donateur devenu dernier donataire. Dans le système de Guanxi, à chaque échange de

bien ou de faveur, le Renqing est véhiculé de donateur à donataire. Par le retour de Renqing, le donataire devient le nouveau donateur en rendant plus que ce qu’il a reçu. Dans ces deux systèmes, le hau est similaire au Renqing à ceci près que la conservation de Renqing n’a pas de conséquence aussi grave que celle de hau.

Deuxièmement, l’obligation de donner est l’essence du Potlatch, car le potlatch est un moyen de gagner plus de prestige résultant d’une recherche vaniteuse de possessions de biens multiples. Mauss a réintroduit pour cette partie la notion de la face en Chine : Le

noble kwakiutl et haïda a exactement le même sens de « face » que le lettré ou l'officier chinois. Il trouve que cette expression est plus exacte au Amérique du nord car pour eux, perdre le prestige, c’est perdre l’âme, le masque de danse, le droit de porter le blason etc.

De ce point de vue, la face décrite ci-dessus correspond à un profil du Mianzi. Dans le

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Mana de Mauss correspond à la face pour les chinois. La face, traduction occidentale Mianzi n’est pas très satisfaisante. Selon notre analyse, la face occidentale est la présentation de soi vis-à-vis du public. Perdre Mana est donc une disqualification de cette présentation, qui ressemble plus à une perte de Lian (丟 臉).

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système de Guanxi, la donation est d’abord un signe de cordialité et marque une volonté d’amitié qu’on souhaite voir perdurer. Elle est faite volontairement pour faciliter les situations ou les affaires futures. Au contraire, la donation est souvent effectuée par la personne qui est dans le besoin d’aide ou pour l’anticipation d’être aidé. Les chinois participent en général à la donation avec cette volonté forte non seulement parce qu’ils sont influencés par le confucianisme qui préconise la générosité : se faire un plaisir d’aider les autres, mais aussi pour une anticipation de crédit en Renqing.

Dans le Potlatch, on est obligé de donner ou d’inviter. Si on donne les choses et les rend,

c'est parce qu'on se donne et se rend « des respects » -nous disons encore « des politesses ». Mais aussi c'est qu'on se donne en donnant, et, si on se donne, c'est qu'on se « doit » - soi et son bien - aux autres. (Mauss 1924) Et on donne aussi parce que dans le potlatch, la distribution des biens est l'acte fondamental de la « reconnaissance » militaire, juridique, économique, religieuse, dans tous les sens du mot (Mauss 1924). Pour le potlatch, la

distribution des biens est l'acte fondamental de la « reconnaissance » militaire, juridique,

économique, religieuse, dans tous les sens du mot. Le Potlatch fournit une occasion de

reconnaissance générale mutuelle, l’oubli peut entrainer une conséquence très grave, voire mortelle. En Chine, la reconnaissance est la précondition du Guanxi, sans laquelle le Guanxi ne peut pas être établi. Un individu ne cherche pas le Guanxi en général, c'est-à- dire : il n’est pas important pour lui d’établir Guanxi avec tout le monde, ceci n’est pas possible non plus dans la vie réelle. Car le fait qu’on ait un Guanxi avec tout le monde signifie qu’on n’a pas de Guanxi du tout. Il est utilisé entre deux personnes pour profiter d’un avantage, soit de biens, ou d’énergie ou encore de temps (l’efficacité).Ce qui est gagné d’un côté est forcément perdu de l’autre. Dans la vie réelle, il suffit d’être en bonne relation avec quelques personnes et que celles-ci soient solides et fiables. Donc au contraire du Potlatch, pour agrandir le réseau de Guanxi, la volonté systématique d’inclure d’autres personnes dans le réseau n’est pas recommandée.

Enfin, la réception est aussi obligatoire. On n’a pas le droit de refuser le Potlatch, tout le

monde s’oblige à se surpasser en générosité. Souvent le don a comme contrepartie la

paix ; donc le refus est équivalent à une déclaration de guerre, sauf si on est capable de montrer une force supérieure à la partie donatrice. En Chine, la réception n’est pas une obligation mais il est rare qu’on la refuse. Un « non » risque de couper la relation et il signifie aussi qu’on ne donne pas de Mianzi à l’autre, par la réciprocité, on se trouvera dans la même situation isolée. Pour éviter le refus, souvent le donateur n’exprime pas clairement l’objectif réel de donation, mais le donataire est capable de comprendre ce qu’on attend de lui. Normalement rien n’engage le donataire à rendre l’aide à un moment précis ou avec une affaire dative ; l’acceptation s’énonce logiquement. Mais si le

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donataire refuse l’acceptation, cela veut dire qu’il ne veut pas avoir la dette de Renqing, ou qu’il estime que la personne ne vaut pas la peine qu’il l’aide.

L’objectif du Potlatch est la recherche de la satisfaction plus spirituelle qu’économique,

on ne sort pas plus riche qu’avant, mais avec plus de contentement d’honneur. Même au

moment où il y a échange de richesse, le récepteur « détruira » la totalité du bien reçu. Au contraire, on utilise le Guanxi pour se tirer de situations difficiles, pour survivre dans la société chinoise et se trouver ensuite dans la situation favorable. La situation avant et après l’utilisation du Guanxi est différente : après, l’enfant peut aller à une école plus réputée, l’affaire est résolue de façon plus efficace, l’achat d’un billet de train est devenue possible avec un prix raisonnable etc. On trouve une amélioration à chaque fois qu’on mobilise le Guanxi, à la fois économique et sociale. En plus, le Guanxi est activé plus régulièrement : le Potlatch est réservé plutôt aux cérémonies religieuses et aux grandes fêtes.

Le Potlatch est un fait religieux (la recherche de santé) et politique (un échange contre la paix entre tribus). L’échange pour le même objectif politique en Chine est appelé Chaogong23 (朝贡 en français dit tribut). Ce système tributaire est pratiqué par la Chine et plusieurs autres pays d’Asie, notamment ceux du sud-est et de l’est depuis un temps très ancien (environ 3e siècle av. JC). Dans ce système, les chefs des états tributaires (藩国) ne sont reconnus par les autres états qu’après avoir été titrés par la dynastie du ciel24

(天 朝). Les états tributaires envoient leurs signes de respect, de soumission et d’obéissance en offrant leur bien et richesse à l’autre partie. Réciproquement, la Chine doit maintenir l’ordre social de ses états tributaires : elle envoie un ambassadeur qui énonce ses décrets impériaux. Elle doit fournir par exemple l’aide économique ou militaire lors d’un envahissement (Li 2004). En plus de la protection militaire, l’alliance établie entre les deux parties crée une barrière commerciale pour ceux qui n’ont pas participé au tribut (Fu 2008, Wang 2006). Ce système fournit pour la Chine un moyen administratif de contrôle des vassaux, ainsi qu’un moyen principal de commerce vers l’extérieur. Potlatch comme Chaogong (tribut) sont tous deux un échange institutionnel alors que, dans le système de Guanxi, il n’y a que des échanges individuels. Influencé profondément par la philosophie Confucéenne, le système Chaogong s’étend hiérarchiquement de l’état plus puissant au moins puissant.

23Ou Fenggong (封貢) 24

Plusieurs dynasties se considèrent comme la dynastie du ciel : Tang (618-907), Ming (1368-1644) et Qing (1636-1912).

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Figure 3 : schéma hiérarchisé de système Chaogong (Tributaire)

Le système Chaogong a été la plupart de temps centré sur l’ancienne Chine, notamment pendant l’époque Tant et Ming. Quand le pouvoir central de l’ancienne Chine déclina, l’empereur ne put plus maintenir le système tributaire et perdit la position centrale : la dynastie Song du Sud est devenue alors un état tributaire de l’état Jin pour la paix. Parfois, l’ancien état utilise le mariage entre familles royales en échange de paix. Cela s’appelle Heqin (和亲), dit en français le mariage de la paix. L’empereur sélectionne une de ses princesses qui va se marier avec un chef d’état agressif. La condition du mariage politique est que le chef arrêtera son agression contre la Chine. Un mariage très connu est celui de la princesse Wencheng de dynastie Tang et Songtsen Gampo, un des trois chefs religieux du Tibet (milieu 7ème siècle).

Le travail de Testart (1999) met en lumière une autre différence. Testart cite la description de Drucker et Heizer sur les manipulations financières quand les débiteurs de Potlatch précédent ne sont pas solvables au moment opportun. Dans son exemple, il considère trois personnes : A a un débiteur insolvable appelé I. A veut acheter un objet en cuivre pour le prochain Potlatch avec V le vendeur du cuivre. A a besoin de tous ses débiteurs pour réunir la somme en vue d’acheter le cuivre pour Potlatch qui coûte très cher. Puisque I son débiteur est insolvable, V peut lui offrir par anticipation ce qu’il comptait donner à I à l’occasion de Potlatch de I. Cette offre anticipée permet à I de rembourser ce qu’il doit à A, et A d’acheter le cuivre à V. Au moment de Potlatch de I, V n’a plus besoin de donner grâce à cette anticipation. (Voir figure ci-dessous Figure 4)

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Figure 4 : la manipulation financière décrit par Drucker et Heizer

Par la loi de transition, la dette I-A est remplacée par I-V grâce à l’intervention de la vente V. cette loi de transition n’est pas valable dans le système de Guanxi, parce que le Renqing n’est pas transférable, il est solidement attaché à deux personnes.

De toute façon, dans le système de potlatch, il y a une vertu qui force les dons à circuler, à être donnés et à être rendus. Dans le système de Guanxi, il y a Renqing qui circule dans chaque échange et qui anime et irrigue la vitalité du système. Nous souhaitons, en guise de synthèse, utiliser le tableau récapitulatif ci-dessous pour distinguer Potlatch et Guanxi.

A

I Débiteur de

V Vendeurde cuivre

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Potlatch Chaogong

(Système tributaire)

Système de Guanxi

institutionnel institutionnel individuel

Pour la santé, la paix, le prestige et la religion

Pour la paix Pour une réussite ciblée

personnelle Obligation de rendre par

hau

Condition d’échange politique : le contrôle et la protection

Obligation par la loi de Renqing

Obligation de donner pour vanité

Donner / demander la paix et la société stable

Donner / demander de l’aide

Obligation d’accepter Acceptation volontaire Accepter pour l’anticipation de retour de service et Mianzi

Non hiérarchisé hiérarchisé hiérarchisé

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