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Frères/sœurs jurés (Jiebai 结拜兄弟/姐妹)

3.3 Les différentes relations, sources de Guanxi : la même identité

3.3.5 Frères/sœurs jurés (Jiebai 结拜兄弟/姐妹)

« Ne cherche pas à naitre le même jour, mais demande le pour la mort. » C’est le serment que font des amis lors de la cérémonie qui établit entre eux une alliance plus intime. Ils sont désormais des frères jurés (Jiebai Xiongdi 结拜兄弟 ). Ils n’ont pas de liaison consanguine, mais leurs âmes sont liées ensemble. Nous pouvons les appeler aussi des frères d’âmes. Ce slogan manifeste l’engagement de partager les joies comme les peines, l’envie que l’un est prêt à se sacrifier à tout moment pour l’autre. Le prix n’est pas limité et peut aller jusqu’à donner sa vie pour l’autre. Cette alliance est établie pour une durée indéterminée. L’établissement de la relation fraternelle est inscrite dans le livre classique

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d’histoire chinoise « Hanshu 汉书 », dont l’autre est Bangu 班固. Ce livre couvre tout événement historique de Xihan35 (206 av J.C. – 25 J.C.). Il y est enregistré que Chanyu, le chef de tribu de Xiongnu, appelle l’empereur de Xihan « frère » et vice versa. Grâce à cette relation fraternelle jurée, la stabilité sociale de la dynastie Xihan a été renforcée et maintenue (He 1985, Chen 2003).

En plus des motivations sentimentales, les frères d’âmes répondent également à un intérêt économique ou politique (He 1985). Il est aussi fait par les immigrants à qui il manque un soutien familial sur place. Jiebai se fait parmi les classes sociales défavorisées car elles ont besoins de s’unir en vue d’être plus fortes (Li 2006). La scène du « serment du jardin de pêches » est connue par tous les chinois. Pour « faire quelque grande chose », et changer leur situation faible, Liu Bei, Guan Yu et Zhang Fei ces trois frères jurés ont fondé le royaume Shu et inauguré une nouvelle ère : les trois royaumes combattant (220- 280) de Shu, Wei et Wu s’affrontent pour la domination de la Chine. Même si cette scène a été brodée par l’écrivain comme c'est souvent le cas dans les romans36

(Lu 2004, Li 2006), son influence sur le peuple chinois est indiscutable (Chen 2003, Mei 2006).

« Qing Bai Lei Chao 清稗类钞 » a enregistré que les Manchous prennent le pouvoir en Chine, le chef devient frère juré avec le Khagan (empereur Mongol). Ils ont pris l’exemple du Serment du Jardin des Pêches et le chef Manchou se prend comme Liu Bei et le Khagan comme Guan Yu. Cette alliance a été maintenue durant plus de trois cents années de dynastie Qing fondée par les Manchous.

Le mouvement de révolte de la grande paix (Taiping 太平天国 1851-1864) à la fin de la dynastie Qing en est aussi un exemple. Le fondateur principal Hong Xiuquan 洪秀全 a commencé avec deux de ses cousins. En se faisant frères d’âmes avec quatre autres personnes (Luo 1955), il a pu pour la première fois agrandir son équipe de pouvoir politique. Avec eux il a fondé le royaume de la grande paix qui a constitué, pendant plus de 10 ans, un pouvoir résistant de la dynastie Qing.

35Xihan 西漢 – appelé Han occidentaux (202 av.J.C.-25) avec Donghan 東漢 (25-220) forme la dynastie

Han 漢朝(202 av J.C. – 220 J.C.). Xi et Dong sont employés pour marquer la différence géographique de deux capitales : Chang’an (長安 Shanxi province) et Luoyang (洛陽 Henan province).

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Le Serment du jardin de pêches est une scène d’un de quatre plus grands ouvrages classiques de Chine. Le serment d’être frères d’âmes entre Liu Bei 劉備, Guan Yu 關羽 et Zhang Fei 張飛 est prouvé par des classiques historiques : « Guanyu Zhuan (Biographie de Guanyu 關羽傳) », « Hua Yang Guo Zhi (Histoire de Royaume Hua Yang 華陽國志) », « San Guo Zhi (Histoire de Trois Royaumes 三國志) »(Mei 2006)

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Le parcours historique de Jiang Jieshi 蒋介石, en français Chiang Kaï-chek, le grand militaire et politicien, en fait un autre exemple. Il a établi et consolidé son pouvoir grâce à ses nombreux frères jurés. Parmi eux, l’influence de Chen Qimei est décisive, avec qui Jiang est à la fois Tongxiang de même province et frères jurés. C’est grâce à Chen que Jiang a pu s’introduire dans des réseaux de révolte contre le système féodal, et être soutenu par les chefs des réseaux, et ensuite être apprécié par Sun Yat-sen. Son frère juré Dai Jitao, l’ancien secrétaire de Sun Yat-sen, l’a aidé à obtenir la direction de l’Académie Militaire de Huangpu. La compétence de Dai est complémentaire de celle de Jiang. Étant un grand militaire, Jiang est lui-même le général de son armée, mais il a besoin d’un stratège pour remporter le maximum de victoire, et Dai est cette personne. En plus de ces deux, il y a Wang Enfu, avec qui Jiang a tramé un complot de kidnapping pour réunir des fonds avant la troisième révolution de Sun Yat-sen. Grâce à son frère juré He Lushan, Jiang a pu échapper à l’avis de recherche de son ennemi… Il y a encore beaucoup de frères jurés que nous pouvons citer dans la vie de Jiang. Sa réussite est inséparable de ces frères avec qui Jiang n’a pas de liaison du sang mais qui lui a donné, dans certaines situations, plus l’aide que lui en a donnée sa propre famille. (Chen/Lei 1994, Yan 1994, Wang 2008).

La société chinoise accepte généralement que les personnes âgées soient respectées. Parmi les frères jurés, un ordre est défini en fonction de l’âge. Ainsi, les jeunes doivent le respect au frère âgé.

La clé primordiale pour que les gens se réunissent et deviennent frères jurés est qu’ils aient un intérêt stratégique commun. Ensuite en fonction de la compétence de chacun, ils y contribuent de façon collaborative. Le besoin de Jiebai entre des gens qui partagent un objectif commun s’explique par la recherche d’une relation aussi proche et importante que la relation familiale en elle-même pour se faire autant confiance. Parce que la société chinoise est de structure de base familiale, l’amitié est inférieure à la relation familiale.

3.3.6

Voisins (lín jū 邻居)

Les voisins sont les gens qui habitent dans le même immeuble ou la même rue. À l’époque, la relation de voisinage est une relation importante dans la société traditionnelle. Les voisins se connaissent l’un l’autre, ils se rendent visite. Ils se rendent des services mutuels : cours pour le voisin, ramassage du courrier, prêt ou emprunt d’objets en cas de besoins, garde malade, garde d’enfants etc.… L’affection se produit par des échanges mutuels et quotidiens de petits Renqing. « Un bon voisin est plus cher qu’une parenté éloignée. 远亲不如近邻. »

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Tant qu’il n’y a pas de relation par le sang, la relation avec les voisins est toujours limitée. C’est donc une relation à la fois étroite et distanciée (Wang 2001). Parce que les contacts avec les voisins sont quotidiens, mais l’aide est petite et reste au niveau du simple dépannage (Xing 2007). La limitation de l’intimité du Guanxi provient du fait que les voisins ne sont pas choisis comme le sont les amis. Nous ne pouvons que les accepter pour une atmosphère de vie conviviale. La bonne relation de voisinage est un facteur positif pour l’harmonie de la vie familiale (Wang/Li 1986). Bi (1989) et Zheng (2002) trouvent qu’un bon terme de voisinage crée un bon environnement pour que les enfants grandissent. Feng (1989) a justifié qu’une bonne relation entre les voisins diminue la délinquance et le crime et qu’elle maintient l’ordre du quartier.

La visite entre les voisins est appelée Chuanmen en Chinois, c’est-à-dire, se déplacer d’une porte à l’autre. Cette expression se distingue de la visite familiale française car celle-ci est plus officialisée avec une organisation et un décorum particuliers. La circulation d’une porte à l’autre est aussi beaucoup plus simple et fréquente qu’une visite. Elle n'est pas motivée par une raison précise, mais plutôt en vue de bavardage familier. La durée de ce type de visite simplifiée varie de quelques minutes avec un thé à quelques heures avec un repas pas forcément prévu à l’avance. Le Chuanmen familier, sans objectif particulier correspond à l’esprit essentiel d’entretenir l’affection avec ses voisins. Car c’est une façon de diluer la fréquentation intéressée dans celle purement amicale. Elles montrent qu’on ne pense pas à eux seulement au moment où on est dans le besoin. Tout aide mutuelle viendra naturellement. « Aller à l’église seulement quand Dieu est demandé » est trop tard, car il manque deux éléments : temps et énergie de la formule de Renqing37.

La relation de voisinage est consolidée avec la relation Shijiao (voir3.3.3) parce que dans la société traditionnelle, la même habitation est occupée par une famille pendant plusieurs générations. Sauf cas particulier, la famille ne déménage pas. À partir de la fin des années 60, l’entreprise construit des logement-foyers pour ses employés et leur famille afin de faciliter la vie. En conséquence, les employés d’une même usine ou société habitent dans le même immeuble. La relation de voisinage devient alors associée aux collègues. Cette association complique la relation interpersonnelle. Les gens perdent leur liberté, ils sont obligés d’exposer leur vie devant leurs collègues après le travail. La relation de voisinage est devenue subtile à force de futilités (Xing 2007).

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Figure 6 : Siheyuan simple, et l’ancienne rue : Hutong

La notion de relation de voisinage est malheureusement devenue de plus en plus faible à partir des années 90. Du et Cai (1987) ont effectué une étude sur les anciens habitants de Siheyuan dans les ruelles à Pékin. D’après cette étude dans un immeuble de 126 familles, la relation de voisinage a reculé : seulement 2 d’entre eux peuvent donner le nom de voisin du même étage. Pour la plupart d’entre eux, l’échange entre voisins n’est plus que de dire bonjour lors qu’ils se croisent dans l’escalier. Pas de communication ni de fréquentation. D’autres études (Tian 1997, Li 1998, Zheng 2000, Song 2004, Sun/Lei 2007) sur les autres régions (Xi’an, Jinan, Nanjing, Shanghai etc.) de la Chine concluent au même résultat.

La raison de cette disparition est liée au changement de style d’habitation. Avant les chinois habitaient dans le Siheyuan (voir Figure 6). C’est un jardin entouré de quatre bâtiments, un enclos centré sur une cour carrée. C’est le modèle de construction que l’on retrouve dans les résidences, palais, temples, bureaux ou entreprises tout au long de l’histoire de Chine. La Figure 6 illustre la structure d’un Siheyuan simple. Il y a également des Siheyuan plus élaborés. Étant l’espace de vie des chinois, Siheyuan est établi selon le code confucéen, basé sur l’ordre cosmique et la hiérarchie des relations entre supérieur et inférieur. Les familles riches ne se contentent pas d’avoir un Siheyuan simple, aussi pour la raison de l’élargissement de la famille, d’autre Siheyuan sont ajoutés autour du premier sur l’axe principal. Au fil du temps, le Siheyuan n’est plus occupé par une seule famille, mais plusieurs. Ce qui a donné lieu à la création des petites ruelles, appelées Hutong à Pékin, au sein et entre les cours carrées. Opposé de l’image donnée de ruelle occidentale, le Hutong est la vie en miniature des habitants de Pékin. Ils y vivent, les enfants s’y s’amusent, les femmes y bavardent, les hommes y jouent aux échecs… Il y a plus d’échanges entre les voisins. De plus, les Siheyuans sont partagés par plusieurs familles au lieu d’une seule, les voisins de même Siheyuan partagent plusieurs équipements communs : le puits, les toilettes, le jardin etc. (Sun/Lei 2007). Ils vivent comme une vraie famille élargie, ils ont une meilleure compréhension l’un de l’autre.

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Tandis que dans les grandes tours, les familles s’éloignent. Les habitants sont obligés de rentrer chez eux une fois qu’ils sont entrés dans la tour. Ils ne connaissent même pas le voisin du même palier. Ils perdent le contact avec les anciens voisins parce qu’il n’y a plus d’espaces ni d’équipements communs.

Figure 7 : L’immeuble moderne d’habitation.