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Le Guanxi et la Confiance 关系和信任

Il faut préciser que quelle que soit la catégorisation de Jiaren/Shuren/Shengren, ou Wairen/Zijiren, ces termes ne sont pas inventés par les chercheurs : la distinction est faite naturellement par les chinois selon leurs expériences acquises et leurs propres critères. Les désignations (ex : la familiarité, l’ancienneté de connaissance, la confiance interpersonnelle etc.) et les valeurs de ces critères sont variablement adaptées par des gens différents dans des conditions diverses lorsqu’on juge l’intimité de la relation avec l’autrui : loin ou proche, familier ou étranger. Cette qualification des relations conditionne la règle distinctive de comportement avec autrui. Ceci se traduit dans l’expression chinoise : donner le plat à la bonne personne (看人下菜碟儿). On peut courir tous les

risques pour Zijiren (赴汤蹈火), tout se négocie avec Shuren(熟人办事好商量). Face à un Wairen, il est facile de connaître le visage ainsi que son apparence physique, mais pas son cœur (知人知面不知心). Avec un Shengren, on ne devrait pas avoir le cœur de nuire à autrui, mais on devrait être vigilant afin de ne pas être lésé (害人之心不可有,防人之

心不可无). Cette conduite spécifique avec autrui reflète la domination du Guanxi dans la société chinoise du point de vue de la notion de confiance. La confiance se définit comme l’expectative mutuelle de comportements coopératifs et fidèles des membres d’une communauté. Cette expectative est basée sur la norme commune à tous les membres ainsi que sur le rôle que chaque individu joue dans cette communauté (Fukuyama 1995). Elle peut être aussi représentée par l’attitude coopérative des individus et par la certitude que personne ne se comporte de façon opportuniste ou immorale (Li 2005).

Le phénomène de méfiance et de manque de confiance envers les Wairens conduit à une méprise des occidentaux. Un siècle auparavant, Smith (1894) montra que les chinois ne se faisaient pas confiance entre eux, Weber (1951) confirme que la méfiance entre les chinois forme un contraste évident avec la confiance qu’on trouve universellement dans la société chrétienne. Fukuyama (1995) classe la Chine (avec la France et l’Italie) dans la catégorie des sociétés à basse-confiance (low-trust society) dans son « Trust, the social virtues and the creation of prosperity ». Pourtant en Chine la fidélité, la confiance fait partie des cinq normes de comportement rituel préconisées par le Confucianisme depuis des milliers d’années : ce qui rendrait illogique le fait que la société chinoise soit une société sans confiance.

Afin de prouver que cette perspective occidentale est unilatérale, les chercheurs chinois ont étudié la notion de confiance à travers des travaux dans le domaine du comportement organisationnel (Farh et al 1998, Gao/Chen 1991, Zheng B.X. 1995, Wong 1991), de la

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psychologie (Zhang/Bond 1993, Wang/ShanAn 1999), de la sociologie (Zhang J. 1997) ainsi que de la psycho-sociologie (Peng/Yang 1995, Lu/Peng 1995). Leurs études ont prouvé que la confiance est un produit de Guanxi et qu’un bon Guanxi implique plus de valeur de confiance.

En effet, dans la société chinoise, deux systèmes de confiance coexistent, s’influencent et se renforcent : la confiance interpersonnelle et la confiance sociale (Li 2005). La confiance interpersonnelle est engendrée par la relation interpersonnelle. Elle peut être représentée principalement par la confiance cognitive qui ressort des études rationnelles et expérimentales avec autrui et la confiance émotionnelle surgit de forte liaison émotionnelle (Lewis/Weigert 1985). Elle est le produit de Guanxi. La confiance sociale est basée sur une certitude quant à l’efficacité du système social, à l'effet des règlementations et des lois. C’est la confiance dont parlait Fukuyama (1995) qui la considère d’ailleurs comme un véritable capital social qui permet de réduire l'incertitude au plan économique et social. Le Capital social désigne le niveau d’universalisation de la

confiance entre les membres d’une communauté particulière ou l’ensemble de la société (Fukuyama 1995)46. La taille de la communauté peut être très petite (une famille core) ou

très grande (un pays) ou intermédiaire. Ignorant la confiance interpersonnelle, l’énonciation de Fukuyama est acceptable dans la société où la confiance sociale est relativement faible, et qui est encore affaibli sous l’effet du retour de la forte domination de la confiance interpersonnelle comme en Chine.

Donc il est vrai que la confiance en Chine nécessite plus de temps à s’établir, parce que la société chinoise est dominée par la confiance interpersonnelle et que les règlements sociaux et les lois sont encore à perfectionner :

Pendant l’examen de conduite, si on connaît un Shuren, on peut passer l’examen facilement et sûrement, sinon il faudra (éventuellement) payer 200Yuan (environ 20 euros) pour « trouver » rapidement un « Shuren ». En fait, on n’arrive pas à savoir si c’est vraiment indispensable ! Le contrôle de ceux qui ont un Shuren ou qui ont payé pour trouver un Shuren s’arrête au bout de 200 mètres de conduite et ils ont comme prévu tous passé le contrôle. Il y a une différence entre la confiance interpersonnelle (le fait de connaître celui qui fait passer

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Traduit mot à mot de son ouvrage Trust : The social virtues and the creation of prosperity (version chinoise).

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l’examen) et le fait de payer 200 yuans à un inconnu qui vous donne le permis de conduire.

Dans le domaine de la restauration où la règlementation chinoise est plus contraignante qu’en France, on a besoin d’avoir du Shuren dans tous les services comme celui de l’hygiène, de la santé, de la plomberie, des impôts etc. Sinon on risque d’avoir des amendes bien ajustées.

Si on n’a pas de Shuren au service des impôts, il ne faut pas rêver de pouvoir déposer les dossiers financiers et le paiement en espèces dans la même journée parce que les entreprises sont trop nombreuses. Il y a toujours de longues queues d’attente.

Ces trois petits exemples expliquent ainsi la raison fondamentale de la prééminence de la confiance interpersonnelle dans la société chinoise. Les règlements sociaux ne sont pas définis avec des critères chiffrés normalisés. Cela laisse aux administratifs beaucoup de choix et de marges au moment de l’application. Avec Shuren ou sans Shuren, c’est une question de réussir l’examen de conduite ou éventuellement de le subir jusqu’au moment où on commet une erreur éliminatoire. C’est aussi la question de pouvoir exercer le commerce sans payer ses amendes. C’est aussi de déposer des dossiers d’impôts rapidement par la porte de « derrière » (后门) ou bien de passer des jours en espérant tomber sur une heure creuse sans attente. Bref, sans Shuren, il est parfois difficile de franchir la porte d’un bureau, sans avoir à subir un accueil trop pointilleux : une petite affaire devient un grand problème difficile voire impossible à traiter. Cette contradiction évidente conduit au fait que la confiance sociale qui est relativement faible est encore plus affaiblie et inversement la confiance interpersonnelle est renforcée parce qu’avec les Shurens on a le pouvoir d’atteindre son objectif. C’est la logique de « rétribution » (bao 报), selon laquelle on rend par un comportement adapté ce qui nous a été donné, en

renforçant la confiance interpersonnelle (Cheng 2007).

Celle-ci nécessite un temps initial pour établir la première confiance basée sur un minimum de connaissance. Donc de prime abord, la société chinoise a un niveau de confiance initiale faible. (低初始信任度社会 Peng 1999).Or cette première démarche n’est pas nécessaire pour la confiance sociale parce que garantie par les systèmes de contrôle de la société. Donc en Chine il faut plus de temps pour établir ou trouver la confiance par rapport aux pays développés où le système de droit est plus abouti depuis longtemps.

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Il est aussi vrai que la confiance interpersonnelle ne s’étend pas et qu’elle reste au sein d’un groupe restreint. Cela s’explique par le fait qu’en Chine, celle-ci reste entre les Shurens et Zijirens, pas avec les étrangers (Wairen). Mais le fait de ne pas faire confiance aux Wairens en Chine est temporaire et peut être changé avec l’établissement et puis l’approfondissement de Guanxi. En plus, la confiance établie est très valorisante car elle comprend non seulement la fidélité et l’esprit coopératif attendu par les occidentaux, mais aussi le dévouement, la soumission et l’obéissance à autrui, la volonté d’endosser la responsabilité pour autrui parce qu’elles sont culturellement ressourcées de la même attitude de valeur, basées de « Lun 伦 » de confucianisme. Quand le Guanxi est établi, la relation à autrui passe de Shengren à Shuren voire Zijiren, la liaison interpersonnelle est nouée par le sens de devoir mutuel, on se fait confiance car on peut anticiper le

comportement et l’action d’autrui même dans une situation risquée (Yang Z.F. 1995).

Les chinois classent la valeur de confiance envers autrui - qui est construite au-delà des

caractéristiques personnelles à travers de transactions spécifiques - en fonction de différents degrés d’intimité de Guanxi. La gestion de confiance et l’actualisation du classement sont mises à jours de façon régulière et automatique en même temps que la maintenance de Guanxi et l’avancement de transactions. (Li 2005)

Dans la société confucianiste, il est généralement admis que le respect doit être traité différemment entre les inférieurs et les supérieurs, les vieux et les jeunes. « Il n’existe pas

un critère général universel. Il faut absolument savoir dans un premier temps de qui on parle, quelle est la relation avec soi avant de prendre la décision sur un critère.因为在这

种社会中,一切普遍的标准并不发生作用,一定要问清了对象是谁,和自己是什么 关系之后,才能决定拿出什么标准来(Fei 1948) ». L’attitude comme la confiance envers autrui en découle.

À la limite de la rationalité et de l’irrationalité, les chinois tentent toujours de trouver un point d’équilibre en harmonie. Car selon le confucianisme, le désir du ciel (Tianyi) occupe une position privilégiée dans le raisonnement logique. Le respect au désir du ciel est considéré comme un geste de Renqing, D’où l’explication de comportements ou de jugements qui ne suivent pas un principe universel. Les jugements portés au sein des sociétés confucéennes ne se font pas seulement en fonction de la rationalité, de la loi et des règlementations institutionnelles. Ils doivent s’adapter aux situations spécifiques et

concrètes (因地制宜).

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi partout dans le monde, quand la communauté chinoise devient importante, elle forme naturellement le quartier Chinatown. Plus elle croit, plus elle est refermée sur elle-même. Nous pouvons également comprendre

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pourquoi les étudiants chinois préfèrent rester entre eux quand ils arrivent en France au lieu d’aller s’immerger dans la communauté française. Pourtant ils ont besoin de pratiquer le français et de connaître la culture française. En comparaison des français, qui sont différents d’eux à tout point de vue (physique, mental, culturel etc.), les chinois ou les étudiants chinois qui viennent de tous les coins du pays et qui ne se connaissaient pas avant deviennent facilement Zijirens et les français restent logiquement pour eux Wairen (à ceux qui au départ on ne fait généralement pas confiance ; ce qui peut évoluer à l’issue de plusieurs contacts.) En plus, l’exigence de confiance interpersonnelle se manifeste différemment entre les chinois qui viennent de villes plus ouvertes (Pékin, Shanghai …) et les autres villes. Les villes comme Pékin et Shanghai sont plus institutionnalisées, il est toujours préférable d’avoir du Shuren dans les services concernés. La confiance sociale est plus élevée dans ces deux villes et par conséquent les gens sont moins dépendants de la confiance interpersonnelle. Ils se referment moins devant les Wairens. Les chinois des autres villes attachent plus d’importance à la confiance interpersonnelle et ils se montrent plus froids face aux Wairens lors des premiers contacts.

Le Guanxi sécrète la confiance interpersonnelle, les différentes intimités de Guanxi entrainent différentes valeurs de confiance. Ces deux éléments sont en rapport direct. La confiance interpersonnelle agit réciproquement sur le Guanxi. La confiance réduit la perception d’incertitude dans la relation, améliore l’efficacité d’utilisation des ressources et génère plus de valeur dans la relation (Sarkar et al., 1998).

Dans la société économique, les acteurs utilisent le contrat en tant que garantie formelle pour réduire l’incertitude perçue en constituant une preuve en cas de conflits. Le contrat

se positionne comme un assureur de la prévisibilité du prestataire dont les actions seront encadrées par les articles stipulés explicitement dans le contrat. … Il fonctionne en tant

que mécanisme de gouvernance pour se protéger contre l’opportunisme (Charki 2005). À travers la longue histoire de la Chine, on trouve également que les commerçants utilisent des pièces justificatives comme le contrat, l’acte ou la convention. Cependant, d’un point de vue global, la méthode principale adoptée pour traiter les relations économiques est non-contractuelle. Le chinois apprécie la confiance morale interpersonnelle. Les chinois sont réunis et leurs relations sont nouées par la confiance interpersonnelle et la volonté d’une responsabilité réciproque. Les entreprises chinoises ne sont pas gérées par des contrats, mais par cette « convention morale ».

Au premier regard, les nouvelles entreprises multinationales chinoises ne sont pas différentes des autres entreprises occidentales : elles sont composées par des conseils d’administration et les salariés. Mais leur fonctionnement est différent de toutes les

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autres. Et la meilleure façon de les décrire est de les considérer comme une grande famille Ce qui les réunit n’est pas la possession ni le contrat, mais la confiance mutuelle et la responsabilité endossée surgie du Guanxi familial. Cette structure existe depuis plus de deux mille années en Chine, elle est imprégnée de toute sa culture et son histoire. Par conséquent, la règle de survie (capacité de transférer rapidement la richesse et le business chez son parent éloigné) se fait sans contrat, ni papiers justificatifs. Dans ce système, la sanction – la plus efficace – est que si quelqu’un trahit cette confiance, il va être détesté, rejeté avec mépris, exilé par toute la communauté des affaires économiques. Cette tradition possède un pouvoir énorme, dans une large mesure, elle explique pourquoi les groupes chinois se développement à grande vitesse. (par Peter F. Drucker dans sa communication : « La nouvelle superpuissance : les chinois à l’étranger » cité par Zeng 2006)

Au cours de la période transitoire où la Chine reconstruit ses systèmes juridiques sous- développés, les Guanxis prévoient la confiance nécessaire entre les gens, son influence a été étendue aux liens instrumentaux dans les milieux d'affaires. Le contrat implique la bonne volonté et la coopération. La plupart des contrats sont utilisés à titre de référence en Chine et sont soumis à l'interprétation individuelle. Deux parties sont reliées, parce qu’elles souhaitent soit poursuivre la relation, soit éviter ou minimiser l'impact de la conséquence de la perte de leur partenaire. (Wong/Chan 1999).

En Occident, l’individualisme n’existe pas sans liberté. Il est érigé en système inconscient garanti par un ensemble de lois (complète, précise, contraignante), et de règles (à l’identique) attractives pour l’individu qui se sent protégé. C’est donc l’état politique qui crée des règles de comportement accentuant son emprise sur l’individu. L’état démocratique en retour, entraine une confiance sociale (plus ou moins) généralisée d’un système bien établi. En Chine, l’individu n’existe pas sans relations interpersonnelles. C’est le Guanxi se retrouvant en toute occasion concrète (grande ou petite), contournant un ensemble de lois et de règles (encore floues et peu contraignantes) autonomisant l’individu par réaction contre une emprise politique permanente de l’état à tous les niveaux. C’est donc un Guanxi sur développé qui accentue les règles de comportements et la confiance interpersonnelle. L’individu a, de fait, une défiance sociale relative envers le système étatique (en perpétuel mouvement de nos jours).

Somme toutes, on constate un véritable paradoxe apparent : en Occident, l’Etat protège un individu (libre et confiant) alors qu’en Chine, l’Etat est doublé par un Guanxi omniprésent, symbole de protection de l’individu, et de sa liberté.

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Le Guanxi est aussi la clé primordiale de toute réussite dans la société chinoise : la convenance et l’amélioration de la vie quotidienne, la réussite d’un individu ainsi que la prospérité de la famille etc. Partout il faut la facilitation de Guanxi. Il est de temps pour nous de voir comment le Guanxi est établi, développé, maintenu ou détruit. Comment se comporter correctement et stratégiquement afin d’être entouré de bons Guanxis. Nous allons en discuter dans le chapitre suivant.

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