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158.- Les données du problème.- Elles sont telles qu’il se pose souvent la question de l’extension de la convention d’arbitrage internationale signée par un membre d’un groupe de sociétés à une autre société du groupe, qu’il s’agisse de la lui opposer ou pour elle de s’en prévaloir, dès lors qu’elle semble avoir participé à l’opération économique pour laquelle la clause a été stipulée, ou qu’elle est directement concernée par ladite convention4. Dans un tel cas, il est souvent conjecturé que la convention d’arbitrage a été signée par une entité

1 J.-F. POUDRET/S. BESSON, op. cit., p. 221, n° 250.

2 Pour rappel, cet effet relatif, dans sa plus simple expression, veut que le contrat n’ait à produire ses effets qu’entre les parties qui en sont les signataires, c’est-à-dire qu’il commande la limitation des effets du contrat aux seules parties contractantes. Voy. à ce sujet, et notamment en ce qui concerne la convention d’arbitrage, le Colloque organisé par le Comité français de l’arbitrage, Rev. arb., 1988, p. 431 et s.

3 Notons que pour ce qui concerne la convention d’arbitrage, l’effet relatif pose, en la matière, des problèmes identiques à ceux soulevés pour tous les contrats.

4 La question que soulève cette problématique est telle que, lorsqu’une société appartenant à un groupe consent à une convention d’arbitrage, il y a lieu de se demander si l’effet obligatoire de celle-ci ne s’applique qu’à elle seule ou si, au contraire, il peut également obliger d’autres sociétés du groupe et, en particulier, la société mère. Sur cette question, voy. les Sentences CCI aff. n° 7604 et 7610, 1995 et 1996, JDI., 1998, p. 1027, obs., D. H., et p. 1053, obs., J.-J. A; Sentence CCI, aff. n° 10758, 2000, JDI., 2001, p. 1171, obs., I.-J. A.; A. CHAPELLE, Le droit des personnes morales (Groupe de sociétés; Intervention d’État), In: L’arbitrage et les tiers, Rev. arb., 1988, p. 475 et s.; I.

FADLALLAH, Clauses d’arbitrage et groupe de sociétés, Trav. com. fr. dr. int. priv., 1984-1985, p. 105 et s.; Y.

DERAINS et S. SCHAF, Clauses d’arbitrage et groupe de sociétés, In: Rev. dr. aff. int., 1985, p. 231; D. COHEN, Arbitrage et sociétés, L.G.D.J., 1993, spéc., n° 521 et s.; O. SANDROCK, Arbitration Agreements and Group of Companies, In: Etudes de droit international en l’honneur de P. LALIVE, Helbing & Lichtenhan éd., 1993, p. 625;

Ch. JARROSSON, Conventions d’arbitrage et groupe de sociétés, In: Groupe de sociétés: Contrats et responsabilités, L.G.D.J., 1994, p. 53; B. HANOTIAU, L’arbitrage et les groupes de sociétés, Cah. arb., Vol. III, Gaz.

Pal., éd., 2004, p. 111.

personnalisée, et non une simple succursale, qui n’a pas prétendu agir au nom du groupe de sociétés1.

159.- Les solutions aux données du problème.- La réponse à cette question trouve son point d’orgue dans la jurisprudence arbitrale qui, en règle générale, est presque unanime à admettre que l’appartenance à un groupe n’est pas la seule condition sine qua non devant justifier une telle extension. Toutefois, elle base la justification d’une telle extension dans ses effets obligatoires à l’égard des tiers sur trois fondements. D’une part, il y a la théorie de la transparence visant à sanctionner l’abus manifeste ou la fraude et qui permet au tribunal arbitral de “lever le voile social”2. D’autre part, l’idée d’une acceptation tacite, voire certaines fois présumée, de la convention d’arbitrage internationale par la partie non-signataire, justifie une telle extension. Il s’agit d’une approche basée sur la mise en évidence du reflet de la volonté de la partie non-signataire d’être liée par une telle convention d’arbitrage. Enfin, une telle extension peut aussi être fondée sur l’approche basée sur l’idée du pouvoir effectif de gestion au sein du groupe de sociétés3.

160.- Les approches de solutions dans l’OHADA.- Les solutions à la problématique que pose le rapport à l’arbitrage des groupes de sociétés dans l’OHADA ou du moins, l’extension de la convention arbitrale internationale signée par un membre d’un groupe de sociétés à une autre société du groupe, peuvent être, a priori, tirées du droit des groupes de sociétés. À cet égard, Meyer trouve qu’en principe les liens organiques entre les sociétés d’un même groupe doivent avoir des conséquences juridiques sur la passation des contrats par l’une des sociétés constitutives du groupe4. Or, l’Acte Uniforme de l’OHADA sur les Sociétés (article 173 à 180 AUSC) bien que consacrant la notion de groupe de sociétés5 n’a, cependant, tiré aucune conséquence juridique, eu égard à la problématique ci-dessus soulevée. En conséquence, il est inutile de se fonder sur la teneur de cette norme juridique qu’est l’AUSC pour tirer, au plan de l’effet obligatoire des contrats vis-à-vis des tiers, des conséquences juridiques précises d’un tel rapport. Au regard de ce gap juridique, nous pensons que l’efficacité de la convention d’arbitrage internationale dans l’OHADA, eu égard à ses effets obligatoires en rapport à la notion de groupe de sociétés, peut être recherchée par tout tribunal arbitral international dans l’OHADA sur la base des trois approches théoriques ci-dessus référencées.

À savoir: la volonté des parties, l’immixtion dans la gestion et enfin la théorie de la transparence.

1 Si la société a prétendu agir au nom du groupe de sociétés, il ne restera plus qu’à identifier ce groupe qui devra sans doute être assimilé à la société mère. Par ailleurs, la convention arbitrale passée par une succursale lie la société mère et déploie donc ses effets obligatoires vis-à-vis de celle-ci.

2 Il en est ainsi lorsqu’une filiale, signataire de la clause d’arbitrage, contrôlée à 100 % par la société mère, est vidée par celle-ci de tous ses actifs.

3 Il s’agit ici d’une approche incompatible avec l’approche fondée sur la volonté.

4 P. MEYER, op. cit., p. 125, n° 201.

5 Cette norme, à la teneur de son art. 173 AUSC, après avoir défini la notion de groupe de sociétés comme étant

“l’ensemble formé par des sociétés unies entre elles par des liens divers qui permettent à l’une d’elles de contrôler les autres”, s’est juste limitée à définir également que le contrôle d’une société est “la détention effective du pouvoir de décision au sein de cette société” (art. 174 AUSC), sans trancher le problème de son unité (du groupe de sociétés) au plan juridique.

161.- La volonté des parties à la convention d’arbitrage dans l’OHADA.- Il y a lieu de relever que c’est du consentement des parties que cette volonté d’être liée par la convention arbitrale peut être induite. Cet accord ne peut que se déduire toutes les fois que l’effectivité comportementale d’une société peut être démontrée au travers du reflet de son désir d’être liée par cette convention d’arbitrage internationale. Relevons que cette effectivité comportementale, reflet de sa volonté d’être liée par une telle convention d’arbitrage, conjecture d’une immixtion manifeste et circonstanciée dans la négociation ou l’exécution du contrat1. En conséquence, l’acceptation tacite ou présumée de la convention d’arbitrage internationale dans l’OHADA peut s’inférer de la participation plus ou moins active, à des titres divers, de la société non-signataire au stade de la négociation, de l’exécution, ou même de la résiliation du contrat2. Dès l’instant que cette intention, à tout le moins tacite, d’être liée a été établie par le tribunal arbitral international dans l’OHADA, ce dernier peut fonder cet effet obligatoire, à tout le moins cette extension de ladite convention d’arbitrage à l’égard des tiers non-signataires dans un arbitrage international ayant siège dans l’OHADA3. Dès cet instant, il apparaît que cette société est liée par l’effet obligatoire d’une telle convention arbitrale, quand bien même elle ne l’a pas signée, au grand dam du principe de l’effet relatif des contrats, au même titre que la société membre du groupe l’ayant expressément consentie.

162.- L’immixtion dans la gestion dans l’OHADA.- Elle est fondée sur le pouvoir de gestion effectif au sein du groupe de sociétés. À cet effet, Meyer note que chaque fois qu’il apparaît une immixtion caractérisée d’une société dans le fonctionnement et/ou la gestion d’une autre société du groupe, il y a lieu de considérer que la première est liée par les conventions, y compris les conventions d’arbitrage, passées par la seconde4. Dans l’OHADA, le tribunal arbitral international peut donc se fonder sur une telle approche pour justifier l’extension d’une convention d’arbitrage internationale signée par une société à la personne la contrôlant ou à une autre société du groupe sur la base du principe “de validité et d’efficacité propres”

de la convention d’arbitrage internationale. Pour ce faire, il peut relever l’existence d’un groupe formant “un ensemble de sociétés (…) liées dans une unité économique soumise à un pouvoir unique”5. La doctrine en conclut que la solution paraît résulter de la simple identité

1 P. MEYER, op. cit., p. 125, n° 201.

2 J. BEGUIN/M. MENJUCQ, op. cit., p. 1098, n° 1847.

3 Faisons remarquer que c’est de cette manière que dans l’aff. Dow Chemical, le tribunal arbitral a résolu la question de savoir si la filiale française et la société mère Dow Chemical Company pouvaient recourir à l’arbitrage contre Isover, alors que la convention d’arbitrage n’avait été signée que par des filiales suisses de la société Dow Chemical.

Ainsi, dans cette Sentence Dow Chemical, le tribunal arbitral a retenu que “la clause compromissoire expressément acceptée par certaines des sociétés du groupe doit lier les autres sociétés qui, par le rôle qu’elles ont joué dans la conclusion, l’exécution ou la résiliation des contrats contenant ladite clause, apparaissent selon la commune volonté de toutes les parties à la procédure, comme ayant été de véritables parties à ces contrats ou comme étant en premier chef concernées par ceux-ci et par les litiges qui peuvent en découler”. Voy. à ce sujet, Sentence CCI, aff. n° 4131, 1982, Dow Chemical, Rev. arb., 1984, p. 137; JDI., 1983, p. 899, obs., Y. DERAINS.

4 P. MEYER, op. cit., p. 126, n° 201. L’auteur note que cette approche n’est fondamentalement pas différente de celle fondée sur la volonté. Elle n’est cependant pas identique. En effet, relève-t-il, l’immixtion retenue ne concerne seulement pas la négociation ou l’exécution du contrat contenant la clause arbitrale, elle a un objet global.

5 CA Paris, 11 janv. 1990, aff. Orri, Rev. arb., 1992, p. 95, note D. COHEN; JDI., 1991, p. 141, note B. AUDIT; RTD com., 1992, p. 586, obs., DUBARRY et E. LOQUIN.

économique entre les sociétés et donc peu respectueuse de la pluralité juridique du groupe de sociétés1.

163.- La théorie de la transparence dans l’OHADA.- Elle est respectueuse de l’indépendance juridique des personnes morales et n’autorise l’extension qu’en présence d’un abus manifeste ou d’une fraude, ce qui peut permettre au tribunal arbitral international dans l’OHADA de “lever le voile social”2.

164.- En résumé, dans le contexte de l’OHADA, l’extension de la clause compromissoire à une partie qui n’apparaît pas dans celle-ci ne peut assurément être envisagée par tout tribunal arbitral international dans l’OHADA que si ce dernier peut déduire des textes de la convention d’arbitrage internationale considérée que cette partie a, soit l’intention au moins implicite d’être liée, intention à relever de son comportement effectif, soit qu’il a un pouvoir de gestion effectif au sein du groupe, pouvoir à relever de son immixtion dans la gestion, soit qu’il y a un abus manifeste ou une fraude, ce qui peut l’autoriser à “lever le voile social”.