• Aucun résultat trouvé

57.- La différenciation entre ces deux formes d’arbitrage se fera à la lumière de la commercialité de l’arbitrage. Après la définition de la notion de commercialité et la revue de ses caractéristiques fonctionnelles dans l’arbitrage international (2.1), nous aborderons la position de l’AUA qui n’a pas défini la notion et qui pourtant, n’est pas moins importante au regard de la tradition civiliste à laquelle appartient la quasi-totalité des États de l’OHADA (2.2).

2.1.- Définition et fonctionnalités de la commercialité dans l’arbitrage

58.- Le problème.- Il est souvent question d’arbitrage commercial international plutôt que d’arbitrage international. Les juridictions à tradition civiliste2 ont souvent recours à l’expression “commercial” pour différencier le contrat commercial de celui qui ne l’est pas.

En droit contractuel, est commercial le contrat passé par un commerçant à l’occasion de l’exercice habituel de sa profession3. Dans de nombreux pays civilistes, le droit de compromission n’était exclusivement admis, d’une part, que pour la catégorie professionnelle des commerçants et ce dans le cadre des seuls litiges nés des contrats commerciaux et, d’autre part, pour les contrats conclus exclusivement dans l’exercice

1 P. MEYER, op. cit., p. 44, n° 82.

2 C’est le cas de la quasi-totalité des États-parties au Traité de l’OHADA.

3 D’après les dispositions de l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général, le commerçant est celui qui accompli des actes de commerce, et en fait sa profession habituelle (art. 2). L’art. 3 de cet Acte Uniforme cite, par la suite, tous les actes qui ont un caractère d’acte de commerce.

habituel de leur profession. Ce qui n’était pas le cas pour les contrats civils1. Cette différenciation dans l’attribution d’un tel droit a conduit au niveau international à la prise d’initiatives d’harmonisation. Entre autres initiatives, nous évoquerons, à titre illustratif, le Protocole de Genève de 1923 qui a obligé chaque État à reconnaître la validité des conventions d’arbitrage concernant les litiges qui peuvent découler d’un contrat passé “en matière commerciale ou en toute autre matière2 susceptible d’être réglée par voie d’arbitrage”3. Dès lors, si l’on s’en tient aux dispositions de cette norme juridique, ce caractère discriminatoire eu égard à l’arbitrabilité des litiges civils n’a plus sa raison d’être.

Ainsi, dorénavant sont arbitrables tous les litiges commerciaux et civils. D’où, la nécessité d’une définition des contours de la commercialité en vue d’opérer la claire distinction entre ces deux formes d’arbitrage.

59.- La réserve de commercialité: rôle et importance dans l’arbitrage.- Si cette définition de la commercialité s’impose, la norme ci-dessus évoquée ne la définit pas par contre. Elle a toutefois eu le mérite de poser l’option en faveur d’une réserve de commercialité, en autorisant chaque État contractant à restreindre ses engagements “aux contrats qui sont considérés comme commerciaux par son droit national”4. Relevons que cette réserve de commercialité5 a une double fonction. D’un côté, elle permet à un État contractant qui s’en prévaut de décider pour lui-même ce que signifie le terme

“commercial”6. De l’autre côté, elle permet d’examiner de près la loi de l’État concerné pour appréhender sa définition du terme “commercial”. Or, ce terme n’a pas fait l’unanimité d’une définition universellement admise, ce qui explique que des difficultés aient pu se poser à des tribunaux de certains pays7. En dépit de ce défaut de consensus, la position adoptée par les tribunaux de nombreux pays a consisté à admettre une définition largo sensu, de manière à englober tous les types de commerce, de relations d’affaires ou d’activité à caractère économique. Cela dit toutefois, le défaut d’une définition universellement admise du terme,

1 C’est le cas, par exemple, des contrats de séparation de biens conclu lors du mariage de leurs enfants.

2 C’est nous qui soulignons en vue de mettre en évidence la prise en compte des matières autres que commerciales.

3 Art. 1 du protocole de Genève de 1923:

“Chacun des États contractants reconnaît la validité, entre parties soumises respectivement à la juridiction d’États contractants différents, du compromis ainsi que de la clause compromissoire par laquelle les parties à un contrat s’obligent, en matière commerciale ou en toute autre matière susceptible d’être réglée par voie d’arbitrage par compromis, à soumettre en tout ou partie les différends qui peuvent surgir dudit contrat à un arbitrage, même si ledit arbitrage doit avoir lieu dans un pays autre que celui à la juridiction duquel est soumise chacune des parties au contrat”. Sur la base de cette évocation, on ne peut que constater que cette norme juridique, à travers cette disposition, met en évidence la distinction entre contrat commercial et autre type de contrat eu égard à l’arbitrabilité, puisqu’elle parle de contrat passé en toute autre matière que celle commerciale et susceptible d’être réglé par voie d’arbitrage.

4 Idem.

5 Cette même réserve de commercialité, on la retrouve dans les dispositions de la CNY 1958, art. I (3). Notons qu’en plus de cette option, la CNY 1958 contient, dans ses dispositions, une seconde option en faveur de la réciprocité.

6 Ce qui, à première vue, semble porter préjudice à toute perspective d’établissement d’une loi et d’une pratique cohérentes de ce qui est attributif du vocable de “commercial” dans l’arbitrage commercial international.

7 L’art. 1 al. 3 CNY prévoit une réserve de commercialité. Le mécanisme de cette réserve permet à un État contractant de déclarer qu’il n’appliquera la Convention que si le différend est issu des rapports de droit, contractuels ou non-contractuels, “qui sont considérés comme commerciaux par sa loi nationale. Cette réserve a pour effet, comme dans le cas de l’exigence de la réciprocité, de réduire le champ d’application de la CNY 1958. Le fait que chaque État contractant puisse définir lui-même les rapports de droit qu’il considère comme “commerciaux”

a créé des problèmes dans l’application de la CNY 1958. Les rapports qu’un État considère comme “commerciaux”

ne seront pas nécessairement considérés comme tels dans un autre, ce qui ne facilite pas l’interprétation uniforme de la Convention, voy. sur ce sujet, Indian Organic Chemical Limited v. Subsidiary 1 (US) Subsidiary 2 (US) and Chemetex Fibres Inc. (Parent Company) (US), Yearbook of Commercial Arbitration (YCA) 1979, Vol. IV, p. 271.

Notons aussi que la CNY 1958 n’est pas limitée aux différends commerciaux, mais permet simplement aux États contractants de former une réserve en ce sens, ce qui est le cas des États-Unis.

n’empêche pas de considérer qu’il fait maintenant partie du langage familier du droit de l’arbitrage.

60.- Approche définitionnelle de l’arbitrage commercial international.- La notion de commercialité étant souvent définie de façon très large, l’arbitrage commercial est substantiellement vu sous l’angle du rapport à la commercialité du litige soumis à l’arbitrage.

Celle-ci étant elle-même définie par rapport au caractère commercial de la relation ayant donné naissance au litige. En conséquence, un arbitrage est dit commercial si la relation ayant suscité le litige est elle-même commerciale. La question de la commercialité de l’arbitrage est donc tributaire de celle de la commercialité de l’opération à l’origine de laquelle cet arbitrage est né. Et c’est la Loi type de la CNUDCI qui nous en fournit l’exemple le plus illustratif. En effet, dans sa note sub-paginale à laquelle renvoie l’article 1er sur son champ d’application1, cette norme après avoir précisé que “le terme commercial devrait être interprété au sens large afin de désigner les questions issues de toute relation à caractère commercial, contractuelle et non contractuelle”, cite une série d’opérations d’où il ressort que le terme commercial recouvre toutes les activités économiques de production et de circulation des biens et services2.

61.- Fonctionnalités de la commercialité.- Lorsqu’une affaire particulière est portée devant un tribunal arbitral, il est, à notre sens, important de se poser la question de savoir si la relation à l’occasion de laquelle l’arbitrage est né est ou non commerciale. L’interrogation est d’autant plus importante que la définition de la commercialité n’est pas aussi inutile que cela ne paraît et ce à plusieurs égards. D’un côté, elle sert à différencier arbitrages commerciaux internationaux et arbitrages internationaux publics3 voire arbitrages transnationaux. De l’autre côté, en droit interne, elle permet, à titre d’exemple, de préciser les arbitrages relatifs aux questions de droit du travail ou ceux relatifs aux aspects pécuniaires du droit de la famille. Elle l’est encore plus, à l’occasion du processus de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale étrangère dans un État qui a adhéré à la CNY 1958 et a souscrit à une réserve de commercialité.

62.- En droit comparé.- Faisons remarquer, à la suite de Poudret/Besson, que dans la quasi-majorité des législations sur l’arbitrage international, le caractère commercial de l’arbitrage n’entre pas en ligne de compte dans la définition de l’arbitrage international. En effet, alors que l’arbitrage international porte le plus souvent sur des opérations du commerce

1 Art. 1 Loi type de la CNUDCI: “La présente loi s’applique à l’arbitrage commercial international […]”.

2 Note de bas de page à l’art. 1 (1)

“Le terme ‘commercial’ devrait être interprété au sens large, afin de désigner les questions issues de toute relation de caractère commercial, contractuelle ou non contractuelle. Les relations de nature commerciale comprennent, sans y être limitées, les transactions suivantes: toute transaction commerciale portant sur la fourniture ou l’échange de marchandises ou de services; accord de distribution; représentation commerciale; affacturage; crédit-bail;

construction d’usines; services consultatifs; ingénierie; licences; investissements; financement; transactions bancaires; assurance; accords d’exploitation ou concessions; coentreprises et autres formes de coopération industrielle ou commerciale; transport de marchandises ou de passagers par voie aérienne, maritime, ferroviaire ou routière”.

3 Par exemple, entre États concernant des litiges territoriaux ou autres problèmes politiques.

international, il n’en est pas réduit à cela1. En somme, au regard de l’importance du rôle que joue la commercialité dans un arbitrage, il est de notre point de vue plus qu’impérieux que toute norme sur l’arbitrage donne une définition du terme commercial rapporté à un arbitrage, afin d’éviter les disparités dans sa définition. À défaut, il faut que la jurisprudence ou la doctrine donne une telle définition pour éviter les mêmes conséquences. Cela faciliterait, du point de vue de la catégorisation, la distinction entre les arbitrages civils et commerciaux. Somme toute, l’importance que revêt cette distinction a fait dire à certains auteurs2 que “si le terme ‘commercial’ n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer, tout comme il a fallu créer en Angleterre une juridiction commerciale qui ne juge que les litiges concernant les échanges de marchandises et autres relations commerciales”3.

2.2.- Position de l’AUA

63.- Flash-back législatif.- Pour mieux saisir la problématique de la commercialité de l’arbitrage international dans l’OHADA, il importe de faire une petite rétrospective dans l’histoire de la législation sur l’arbitrage de certains pays de l’OHADA. En effet, fidèles à leur tradition d’emprunt au droit français, consistant en la décalcomanie scrupuleuse des textes issus de la colonisation, certains États africains4, dont ceux de l’espace OHADA, ont repris in extenso la définition procédurale de la commercialité. La notion de commercialité dans ces États était définie en rapport à la compétence des tribunaux étatiques en matière commerciale. C’est dire qu’elle n’avait pas de visée fonctionnelle. Elle fixait plutôt le champ matériel de validité des clauses compromissoires par rapport à une interdiction principielle:

celle de la clause compromissoire en matière civile5. La conséquence est qu’une telle clause n’est admise que seulement en matière commerciale. Ainsi, la commercialité était définie par rapport à la compétence des juridictions siégeant en matière commerciale. De ce fait, ce qui relevait de la compétence de ces tribunaux commerciaux pouvait faire l’objet d’une clause compromissoire. Et a contrario ce qui ne relevait pas de cette compétence ne pouvait pas faire l’objet d’une clause compromissoire. Telle était le panorama de la quasi-totalité des États de l’empire colonial français avant l’OHADA.

64.- Le renouveau de l’AUA.- L’AUA a bouleversé ce système antédiluvien consistant à ne pas voir dans la commercialité une visée fonctionnelle. Le verrou de la clause compromissoire liée uniquement à la matière commerciale a dès lors sauté, de sorte qu’une telle clause est

1 J.-F. POUDRET/S. BESSON, op. cit., p. 8, n° 10.

2 A. REDFERN/M. HUNTER, Droit et pratique de l’arbitrage commercial international, L.G.D.J., 2ème éd., Paris, 1994.

3 La Commercial Court a été instituée en 1970 au sein de la Queen’s Bench Division of the High Court. Elle s’occupe des litiges commerciaux qui, en vertu du R.S.C., Ord. 72, r.1, comprennent:“Toute action découlant des transactions habituelles des marchands et négociants et, sans préjudice de la généralité des termes qui précèdent, toute action concernant l’interprétation d’un document de nature commerciale, l’exportation ou l’importation des marchandises, l’affrètement, l’assurance, la banque, les agents commerciaux et les usages du commerce”.

4 Ainsi, en A.O.F. (Afrique Occidentale Française) un décret du 16 mars 1954 a étendu dans les colonies françaises la Loi française du 31 déc. 1929, qui a ajouté à l’art. 631 du Code du Commerce français un alinéa autorisant la clause compromissoire pour les litiges relevant de la compétence des juridictions commerciales. Pour une compréhension de cette spécificité législative entre la France et ses colonies, voy. R. AMOUSSOU-GUÉNOU, Le droit OHADA de l’arbitrage, In: L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, op. cit., p. 27-35.

5 Notons que l’arbitrage n’était pas prohibé en matière civile, ainsi, l’arbitrage sur la base d’un compromis d’arbitrage était tout à fait possible. C’est plutôt la clause compromissoire en matière civile qui était prohibée.

valable en toute matière. Ainsi, aucune restriction quant à la caractéristique de l’arbitrage ne figure dans l’AUA, si ce n’est l’exigence qu’il s’agisse d’un droit dont on a la libre disposition1. Ses dispositions ont vocation à s’appliquer à tout arbitrage sans distinction aucune; que ce dernier ait un caractère civil ou commercial. En disposant comme il l’a fait à son article 1er AUA, nous en déduisons qu’il n’a pas limité son champ d’application ratione materiae aux seuls arbitrages commerciaux définis par référence à l’Acte Uniforme sur le droit du commerce général2. C’est dire que la commercialité, telle qu’elle ressort de ce dernier Acte Uniforme, est sans incidence sur l’AUA. Par ailleurs, étant entendu que son champ d’application n’est pas limité aux seuls arbitrages commerciaux, la doctrine relève que toute définition substantielle de la commercialité était absolument inutile dans l’AUA. Raison pour laquelle, il nous est logiquement difficile de trouver une définition appropriée des termes

“commercial” et “arbitrage commercial” dans l’AUA. Pourtant, une telle définition ne manque pas d’intérêt dans le contexte d’un arbitrage international soumis aux dispositions de l’AUA.

65.- Importance de la distinction dans l’OHADA.- Si comme nous l’avons dit, la distinction entre les arbitrages civils et commerciaux ne remplit plus aucune fonction essentielle dans le contexte de l’OHADA, il y a cependant lieu de nuancer. En effet, sur le plan du droit applicable au litige, la distinction conserve toute son importance. À notre avis, il n’y a point de doute que si le litige a un caractère commercial, l’arbitre appliquera les normes particulières du droit commercial. Pour preuve à ce sujet, l’article 15 AUA ne dispose-t-il pas que l’arbitre appliquera “le cas échéant les usages du commerce international”? Ce qui à notre sens signifie que la relation ayant suscité le litige doit s’inscrire dans le commerce international afin que le tribunal arbitral ne tienne compte, le cas échéant, de ces usages si particuliers au commerce international. On comprend aisément que dans le cas contraire, c’est-à-dire pour un litige à caractère civil, point n’est besoin pour l’arbitre de se référer à ces usages du commerce international qui deviennent sans importance. Relevons que la situation de l’arbitre international dans l’OHADA à ce sujet n’est pas pour autant clivante de celle du juge étatique statuant en matière commerciale.

B.- Le concept de siège dans l’OHADA

66.- Nous aborderons la théorie du siège de l’arbitrage (1) avant d’évoquer la possibilité de sa délocalisation dans le cadre d’un arbitrage international soumis à l’AUA (2).

1 Art. 2 AUA.

2 Voy. l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général (AUDCG) du 17 avr. 1997 sur le site de l’OHADA suivant:

[http://www.ohada.com/actes-uniformes.html]; voy. aussi Akuété Pedro SANTOS/Jean Yado TOE, OHADA Droit commercial général, Buylant, Bruxelles, 2002.