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Une très grande solidarité avec les familles et les enfants des grévistes :

C : les familles des grévistes au centre de l’opposition solidarité / répression :

1) Une très grande solidarité avec les familles et les enfants des grévistes :

De nombreux enfants de mineurs sont pris en charge, en particulier dans les familles communistes, comme témoigne Paul Noirot :

« A l’appel du Parti, les familles communistes de Paris et d’autres villes accueillent des enfants de mineurs. Nous en recevons un chez nous, qui restera plusieurs mois474 ».

Le Secours Populaire français est chargé de l’organisation du transport des enfants vers les lieux d’accueil. Norbert Gilmez, militant de la C.G.T. du Nord-Pas-de-Calais, y participe, au volant d’autobus siglés « ville de Bagneux », « ville d’Aubervilliers » ou « EDF de Rouen », et « à lui seul en fait partir mille cinq cent sur plus de quinze mille à quitter le Nord-Pas-de-Calais475».

Le parti communiste met en œuvre une campagne dans sa presse nationale pour mobiliser les familles d’accueil : le 16 octobre un article dans Ce soir : « 1 600 gosses de mineurs invités par le ouvriers parisiens quittent Lens pour Paris476 », le 19 octobre un grand article de

471Archives départementales du Tarn, 511W45. 472Ce soir du 12 novembre.

473 Jean-ClaudePOITOU,Nous les mineurs ; Colmar, Fédération Nationale des Travailleurs du Sous-Sol CGT,

1983, (p. 137).

474Paul NOIROT, La mémoire ouverte ; Paris, Stock, 1976, (p. 85).

475Dominique Simonnot, Plus noir dans la nuit – La grande grève des mineurs de 1948 ; Paris, Calmann-Lévy,

2014, (p. 128).

l’Humanité (p. 1-4) montre une mère de famille, Madame Duru, déjà maman de quatre

garçons, qui prend chez elle trois enfants de mineurs, une pleine page de France Nouvelle du 23 octobre477, le 6 novembre la photo dans l’Humanité (p. 4) de Me Vienney, avocat du

journal, avec deux enfants qu’il a accueillis, etc… Il multiplie les reportages dans la presse régionale (Liberté478, La Marseillaise479) et locale (Le Journal d’Aubervilliers du 23 octobre :

« Les enfants de mineurs ont trouvé une deuxième famille » ; La voix Populaire n° 143 du 16 octobre : « Asnières, Solidarité aux mineurs – La petite Denise Hermier est heureuse d’avoir deux sœurs »,…).

Les mairies communistes de la région parisienne se mobilisent très rapidement pour accueillir ces enfants des mineurs du Nord-Pas-de-Calais :

- dès le 16 octobre, 60 enfants sont hébergés à Gennevilliers, 16 à Asnières, 15 à Bois-Colombes (La Voix Populaire du 16 octobre), chiffres qui augmentent rapidement : « Gennevilliers héberge déjà 130 gosses du Nord », « A Colombes 100 enfants hébergés » (La Voix Populaire n° 145 du samedi 30 octobre),

- en octobre, 118 enfants sont accueillis à Saint Denis (Saint-Denis Républicain n° 174 du 30 octobre), 113 à Villetaneuse (Saint-Denis Républicain n° 176 du 13 novembre)

- le 16 octobre 10 enfants sont reçus à Stains et 50 à Aubervilliers, rejoints le 23 octobre par 55 autres (Journal d’Aubervilliers du 23 octobre)

- à Nanterre, Montreuil, mention de l’accueil d’enfants de mineurs fin octobre dans les délibérations du conseil municipal sans qu’il soit fait mention de leur nombre, mais indication de subventions pour aider à l’accueil des enfants (respectivement de 500 000 et 100 000 F.), …

Il faut noter qu’à plusieurs reprises dans cet accueil ces mairies font référence aux dons de charbon reçus des mineurs du Nord-Pas-de-Calais pendant l’hiver précédent, en particulier pour les écoles480.

477France Nouvelle n° 149 du 23 octobre : « Les travailleurs accueillent les enfants des mineurs en lutte », (p.

12).

478Liberté du 16 octobre : « Les municipalités communistes de la région parisienne accueillent 1 600 enfants des

mineurs », du 27 octobre : « 8 000 enfants ont déjà quitté le Nord et le Pas de Calais », du 7 novembre : « Nos enfants ont été accueillis chaleureusement à Rennes. Parmi les braves gens qui prenaient des enfants, il y avait deux docteurs, un chirurgien, un dentiste et un châtelain des environs de Rennes ».

479La Marseillaise du 26 octobre : « Un deuxième groupe d’enfants de mineurs est arrivé hier après-midi à la

Bourse du Travail de Marseille et a été immédiatement pris en charge par les familles qui en avaient fait la demande. Cent cinquante inscrits ont pu recevoir satisfaction sur les neuf cents demandes déposées »

480 Evoqué également par Pierre Outteryck, Achille Blondeau mineur résistant déporté syndicaliste ; Paris, Geai

bleu éditions, 2005, (p. 50) : « Dans la région, le charbon manquait, surtout dans les hôpitaux et les écoles. La C.G.T. avait proposé aux mineurs du Nord-Pas-de-Calais d’organiser un très large mouvement de solidarité vis- à-vis des malades et des enfants de la région parisienne. Le syndicat demanda aux mineurs du fond ou de la surface de laisser 25, 50 ou 100 kilos des maigres dotations auxquelles ils avaient droit »,

Les enfants de mineurs sont accueillis aussi en provenance d’autres bassins, ceux de Carmaux à Toulouse, comme l’atteste une lettre du syndicat des ouvriers mineurs de Carmaux481 qui concerne 17 familles et 36 enfants482 et qu’évoque plus largement

« Renaître »483 hebdomadaire de la fédération du Tarn du P.C.F., ceux du bassin de la Loire

hébergés dans les Landes et en Isère, ceux de Decazeville pris en charge à Millau484, les

gemmeurs et forestiers des Landes accueillent 2 000 enfants,…. L’accueil des enfants va même au-delà des frontières, comme le signale Liberté : « Les femmes communistes de Bruxelles offrent l’hébergement à 300 enfants485 ». Ces enfants témoignent de la générosité de l’accueil qu’ils

ont reçu, comme Cuni Bruck486, parti avec son frère à Epinay-sur-Seine, et qui sont revenus

chez eux en Lorraine à la veille de Noël « habillés de la tête aux pieds […], avec une canadienne […], c’était le plus beau Noël que nous ayons eu, mon frère et moi, dans notre jeunesse ».

La solidarité avec les enfants de mineurs est polymorphe : le docteur Besson487, au

nom des docteurs communistes de Marseille se met à disposition pour soigner gratuitement les enfants de mineurs - M. Gatellier, cordonnier à Stains, fait savoir qu’il réparera gratuitement les chaussures des enfants des mineurs488,… Par ailleurs, l’aide aux enfants

prend des formes diverses : ainsi, souvent les cantines municipales offrent des repas ou des goûters gratuits.

La solidarité avec les familles et les enfants est aussi syndicale (en dehors de la C.G.T. qui est en première ligne). Par exemple la C.F.T.C. qui n’est pas dans la grève accueille des enfants de mineurs (annexe 34), mais en fait on ne sait pas si ce sont des enfants de grévistes qui sont accueillis. Il est vrai que les familles de non-grévistes souffrent tout autant, car ils ne peuvent en général pas travailler en raison des piquets de grève qui les en empêchent (sauf dans le deuxième mois du conflit, et encore de façon très différenciée selon les bassins miniers et même parfois les puits) et ne touchent pas l’aide collectée par les organisations qui soutiennent les grévistes. Force Ouvrière met en œuvre également une solidarité avec les

481 Archives CGT Carmaux HBA 19

482 Dont deux petites sœurs jumelles (d’une dizaine d’années) de Marcel Miquel (entretien du 14 août 2014),

l’une étant accueillie par un journaliste communiste de Toulouse.

483« Renaître » n° 228 du 31/10/48 : « A Carmaux 800 enfants peuvent être hébergés » (page 1).

484 Comme Jacques Guibert, reçu à 9 ans avec son frère ainé de 11 ans jusqu’au début janvier 1949 dans deux

familles de Millau, accueil dont il garde un très bon souvenir (entretien réalisé le 15 avril 2015).

485Liberté du 29 novembre

486 Déclaration de Cuni Bruck, colloque des 22-23 novembre 1978, numéro spécial Le droit minier de nov-déc.

1948 La grande grève des mineurs de 1948 (p. 21).

487 Archives CGT de la Fédération Mines-Energie, 455 J 202, documents internes Dauphiné-Gardanne. 488 Le Journal d’Aubervilliers du samedi 30 octobre (page 1).

mineurs et leurs familles489, mais qui concerne plutôt les non-grévistes. Il en est de même

pour certains enfants de mineurs R.P.F. comme le signale au mois de novembre un rapport du directeur départemental des services de police au préfet du Nord, évoquant l’installation de centres d’accueil pour les « enfants des mineurs R.P.F. brimés par la grève490».

La presse non-communiste dépeint parfois elle-aussi la solidarité avec les enfants de mineurs, comme France-soir qui publie en première page une grande photo d’un groupe d’enfants avec la légende : « 320 gosses de mineurs adoptés par les gaziers et électriciens491 », mais aussi Le Figaro qui publie une photographie d’un train d’enfants avec le commentaire : « 500 enfants de mineurs ont été évacués de la Loire pour être hébergés dans la région parisienne492 ». L’Humanité met en avant à de nombreuses reprises les manifestations de solidarité de l’Eglise : lundi 11 octobre (p. 1-4) « La grève est justifiée et sacrée, doit avouer l’évêque de Metz », le mardi 19 octobre (p. 4) « Les prêtres : le curé de La Ricamarie (Loire) a demandé en chaire une large participation de la population dans l’effort de solidarité », mercredi 20 octobre (p. 4) « Le curé quête dans son église », mercredi 3 novembre (p. 4) « Un appel de l’évêque de Rodez493», jeudi 11 novembre (p. 4) « Un appel de Mgr Reymond évêque de Nice : Mgr Reymond évêque de Nice a lancé un appel en faveur des enfants de mineurs de Provence. Des quêtes auront lieu dimanche dans toutes les paroisses du diocèse», …

La situation difficile des mineurs provoque d’ailleurs du côté des Eglises des mobilisations diverses en leur faveur, en particulier Monseigneur Reymond, organise l’hébergement d’enfants du bassin minier de Provence. Une publication du C.I.C. 494 (Centre

d’Informations Catholiques) le 20 novembre 1948, après avoir donné le point de vue des Catholiques sur la grève des mineurs, rend compte des appels à la charité chrétienne des cardinaux et archevêques des régions minières (Cambrai, Albi, Rodez, Autun, Clermont- Ferrand,…). Le document met en avant les actions de solidarité du Secours Catholique (qui a placé 150 enfants de mineurs dans des familles de Seine et de Seine et Oise), du Mouvement Populaire des Familles (qui prend en charge des familles ouvrières de Decazeville et dans le Nord), de Témoignage Chrétien qui met son service d’entraide au secours des familles de mineurs. Il évoque également la solidarité des Protestants, par la prise en charge d’enfants de

489Archives Force Ouvrière, Communiqués de presse 1948-1950, déclaration du 28 octobre 1948 : « Le Bureau

Confédéral demande d’accélérer et développer la solidarité avec les mineurs et leurs familles ».

490Archives départementales du Nord, 459W142038, rapport mensuel du préfet de novembre 1948. 491France-Soir du mardi 26 novembre 1948 (p. 1).

492Le Figaro du 26 octobre 1948 (p. 1).

493 Repris par La Voix du Peuple (hebdomadaire du P.C.F. de l’Aveyron) du 6/11/48 (p. 2). 494 Archives C.F.D.T., Boîte 4H107.

mineurs par des familles protestantes. La Voix du Peuple495 indique de son côté : « Des goûters gratuits sont offerts aux enfants par le Comité chrétien d’action sociale ».

Cette solidarité est sans doute là de type plutôt compassionnel496, ne s’adressant pas à

priori particulièrement aux familles des grévistes, mais à tous ceux qui souffrent de la grève et de la perte de ressources qu’elle provoque. Ce n’est évidemment pas à confondre avec la solidarité beaucoup plus partisane qui s’est mise en place très vite à l’instigation de la C.G.T. et du P.C.F. pour soutenir les grévistes en lutte, même si le soutien ainsi apporté permet d’élargir sensiblement le soutien global, sinon à la grève, du moins aux mineurs en lutte. Cité à de nombreuses reprises par les partisans du mouvement, il permet de marquer des points dans la bataille de l’opinion publique.

Mais par ailleurs cet accueil d’enfants de grévistes fait l’objet d’accusations, en particulier de la part des socialistes, d’utilisation de l’accueil des enfants comme moyen de pression contre la reprise du travail497.

2) La remise en cause des allocations familiales pour les familles des

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