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Les moyens de la grève : solidarités financière, matérielle, morale, et les oppositions à ces solidarités

B) L’utilisation de la solidarité financière et les polémiques qu’elle suscite :

1) En Aquitaine, un exemple de redistribution des ressources 383 :

Les fonds cumulés par le comité de solidarité sont, à la mi-décembre, d’un montant global de près de 16,5 millions de francs, dont environ 11,5 millions reçus de la Fédération C.G.T. (en 16 versements du 29 octobre au 18 décembre, soit 70 % du total).

Les 5 autres millions proviennent de 573 « versements divers » correspondant aux nombreuses souscriptions organisées, surtout dans les usines par les sections syndicales de la C.G.T. dont les archives384 donnent de nombreux exemples. La plupart du temps les sommes

sont relativement modestes, de 20 à 100 francs par personne soit environ l’équivalent de ½ heure à 2 heures de travail (collecte des ouvriers de l’entreprise Multiplex, 30 sommes pour un total de 1 975 francs – de l’entreprise Chatie-Fraysse, 13 pour 930 francs - Desplats Lefebvre, 24 pour 2 250 francs – Mazabrey, 25 pour 1 400 francs). Il y a également beaucoup de listes de souscription des unions locales C.G.T. de Castres, Albi, Mazamet,… où figurent seulement les montants globaux récoltés, quelques cas emblématiques : le 27 octobre de conseil d’administration de la Verrerie Ouvrière d’Albi accorde une somme de 100 000 francs, à laquelle s’ajoute l’abandon par le personnel de l’usine d’une journée de paye pour 125 000 francs - le 24 novembre abandon de salaire du personnel des usines de métaux de Pamiers, 200 000 francs).

Ces versements sont aussi de provenances diverses, comme la collecte faite par 11 instituteurs pour 2 400 francs, le collège de Castres le 2 novembre pour 8 000 francs. Les instituteurs de Carmaux versent 84 000 francs (en moyenne 2 000 francs) et leur syndicat 80 000 francs en 8 versements de 10 000 francs, les commerçants participent à « La France du mineur » par laquelle un franc est donné à la Caisse de solidarité pour chaque produit vendu et donnent 20 000 francs (500 francs de moyenne), les collectes dans le public rapportent 82 000 francs (3 francs de moyenne)385,… L’utilisation (à hauteur de près de 16 millions) des fonds

ainsi collectés fait apparaître deux éléments principaux :

- les dépenses pour la soupe populaire pour la région Aquitaine s’élèvent à plus de 4 millions pendant 2 mois (du 15 octobre au 15 décembre). A ce titre, les archives de la C.G.T. montrent de nombreux exemples d’achats en grandes quantités [par exemple le 22 octobre le comité central de grève du Sud-Est achète pour 800 000 francs de pommes de terre (80 tonnes), 450 000 francs de morue (5 tonnes), 100 000 francs de légumes secs (2 tonnes), et

383 Archives CGT Carmaux HBCM 101 384 Archives CGT Carmaux HBA20

385 Gilbert LAVAL, Mémoire La grève des mineurs de 1948, Université de Toulouse Le Mirail (sous la direction

75 000 francs de coulis386], mais aussi de dons, y compris venant d’entreprises, comme

l’atteste par exemple l’apport par les Savonneries Rabareau et Agricola de Marseille d’huile et de savon pour les cantines où sont servies des soupes populaires387. Celles-ci permettent à

beaucoup de familles de mineurs en grève de subsister (selon un tract G.G.T. du 5 novembre « 5 000 repas sont servis journellement à Carmaux, 2 000 à Cagnac, 1 800 à Albi »388). Elles sont par

ailleurs aussi l’occasion d’une solidarité interne entre grévistes, certaines familles de mineurs qui sont moins en difficulté ne vont pas à la soupe populaire pour laisser la place aux familles qui en ont le plus besoin389.

- les « payes » versées aux grévistes390 de la région Aquitaine : 8 versements de 500

francs391, à peu près tous les deux jours du 13 novembre au 3 décembre, à 2 400 mineurs, soit

un total de 8 x 2 400 x 500 = 9 600 000 francs.

Les éléments complémentaires d’utilisation de la solidarité financière sont constitués de distributions diverses (viande de cheval, galoches,…), reversements aux familles de mineurs emprisonnés et d’étrangers expulsés (une étude plus approfondie de ces deux éléments est proposée en chapitre V) et enfin de frais de fonctionnement (déplacements, procès, réunions,…).

La solidarité ne s’arrête pas à la fin de la grève (il faut dire que les mineurs ne touchent leur première paye que vers le 20 décembre), les archives du syndicat392 présentent

de nombreux documents relatifs au mois de décembre, comme cette facture d’un boulanger, portant sur la livraison de 270 kg de pain le 11 décembre, 10 kg le 13, 260 kg le 14, 300 kg le 16 et 160 kg le 18 décembre, soit un total de 1 000 kg payés 39 000 francs (39 francs le kg), mais aussi des collectes bien après la fin de la grève comme celle de l’Union départementale des syndicats ouvriers du Tarn du 16 décembre, qui comporte en particulier 54 000 francs versés par les ouvriers du Saut du Tarn. La solidarité est parfois directe, comme le 30 novembre ce médecin qui reverse des honoraires (740 francs) au fond de solidarité, ou ce

386 Archives CGT de la Fédération Mines-Energie, 455 J 202, documents internes Dauphiné-Gardanne. 387 Archives CGT de la Fédération Mines-Energie, 455 J 202, documents internes Dauphiné-Gardanne. 388 Archives CGT de la Fédération Mines-Energie, 455 J 202, documents internes Tarn-Carmaux.

389Wladislav Melko, bien que son père et lui-même, mineurs, soient en grève sur la totalité des 2 mois, indique

que sa mère ne veut pas en bénéficier car la famille arrive à subsister grâce aux produits du jardin, d’un petit élevage de poules et de lapins, …(entretien du 13 août 2014).

390 Archives CGT Carmaux HBA20, cesversements sont attestés par des petites fiches comptables signées du

trésorier du comité de solidarité et du bénéficiaire,

391 Il faut rappeler que le salaire quotidien le plus bas dans les mines est de 503,20 francs (selon Gabriel

Roucaute, discours à l’Assemblée Nationale du 17/11/48), par ailleurs le salaire minimal mensuel revendiqué par la C.G.T. dans cette grève est de 14 500 francs/mois, soit environ 560 francs par jour (sur 26 jours ouvrés dans le mois). Pour avoir une idée de la valeur du franc, un pain de 1 kg en 1948 coûte 38 francs. Par ailleurs, selon le convertisseur de l’INSEE, 500 francs 1948 (« anciens francs ») = 17,35 euros 2014

(http://www.insee.fr/fr/themes/calcul-pouvoir-achat.asp).

lunetier qui déduit le 31 décembre de sa facture adressée au président du comité de solidarité des mineurs de Carmaux la somme de 500 francs « pour participation avec le comité ».

Un document ultérieur fait apparaître au 1er décembre 1949 un total de recettes de 18 583 503 francs pour des dépenses s’élevant à 18 280 704 francs, soit environ 2 millions de recettes et dépenses de plus que fin 1948.

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