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Les grèves de novembre-décembre 1947, violentes et déterminées, dans lesquelles les mineurs se sont fortement inscrits

Pendant la grève : tensions sociales, oppositions partisanes, mobilisation des moyens de répression et mise en place de

1) Les grèves de novembre-décembre 1947, violentes et déterminées, dans lesquelles les mineurs se sont fortement inscrits

Les grèves se sont développées assez rapidement après la grève de Renault en mai 1947, elles prennent de l’ampleur et se multiplient dès le mois de juin (à la S.N.C.F. du 6 au

12 juin, dans les mines, dans les banques du 19 juin au 2 juillet221,…) et après une accalmie

durant l’été, reprennent en octobre dans les transports pour culminer dans un mouvement national en novembre-décembre.

Comme nous l’avons vu précédemment, inflation et difficultés de ravitaillement ont fortement réduit le niveau de vie de la population, en particulier des urbains et encore plus des ouvriers, qui ont beaucoup de mal à se ravitailler et se nourrir. Ces pénuries, ces privations qui perdurent, alors que la guerre est terminée depuis plusieurs années, deviennent insupportables et nourrissent une révolte ouvrière de plus en plus forte. Le caractère spontané des grèves au premier semestre rencontre dans la seconde partie de l’année (contrairement à la période précédente) approbation et encouragement de la part de la C.G.T. La circulaire ministérielle du 13 septembre 1947 prévoyant que la garantie de l’indexation sur les salaires de la métallurgie de la région parisienne pourrait être remise en cause en cas de diminution volontaire du rendement, afin de prévenir les grèves perlées, provoque d’importants incidents222 de la part des mineurs qui ne peuvent l’accepter.

Sur le plan général, les causes des grèves sont à la fois fortement sociales mais aussi profondément politiques. Annie Lacroix-Riz, s’interrogeant sur les motivations des grévistes223, retient, à côté du mécontentement social, « l’indignation politique » après l’éviction

du PCF et le « sursaut national, fondé sur le sentiment, particulièrement vif chez les mineurs, de mener contre l’impérialisme américain et ses laudateurs français un combat similaire à celui de la Résistance ». Il faut ajouter à cette analyse le changement complet d’attitude de la C.G.T. (dans sa composante majoritaire proche des communistes) qui bascule dans un activisme de lutte sociale. Celui-ci se manifeste lors la réunion du comité confédéral national C.G.T. des 12 et 13 novembre 1947, où la résolution présentée par la majorité du syndicat (les ex « unitaires », proches des communistes) propose « d’adresser un manifeste à tous les travailleurs de France, de les saisir des propositions et revendications, de les consulter d’ici le 15 décembre sur les moyens à mettre en œuvre pour faire aboutir ces propositions et résolutions 224». Elle appelle donc à l’action à travers une mobilisation

revendicative de l’ensemble des travailleurs.

221 Michel DREYFUS, Histoire de la C.G.T. – Cent ans de syndicalisme en France ; Bruxelles, Editions

Complexe, 1995, (p. 229-230).

222 VincentAURIOL,Journal d’un septennat 1947-1954 : Tome II - 1948, Paris, Armand Colin, 1974, note de

lecture 72 de Jean-Pierre AZEMA (p. 671) : « Le Statut des mineurs garantissait un salaire minimum calculé sur l’évolution des indices de la métallurgie parisienne. La circulaire ministérielle du 13 septembre 1947 prévoyait que cette garantie pourrait ne pas jouer s’il était constaté une diminution volontaire du rendement. Cette disposition, qui visait à enrayait les grèves perlées, avait déjà suscité à son heure de violents incidents ».

223 AnnieLACROIX-RIZ, La C.G.T. de la Libération à la scission, 1944-1947 ; Paris, Editions sociales, 1983, (p.

327 et s.).

224 Archives confédérales C.G.T., 20 CFD 2, résolution présentée par Le Brun au nom de la majorité le 12

De fait, avant même la réalisation de cette consultation, le mouvement de grèves démarre (pendant la réunion du comité confédéral national C.G.T.) de Marseille, où aux élections municipales d’octobre 1947, pour la désignation du maire, le sortant communiste a été battu d’une voix par le candidat RPF. Celui-ci, élu au sein du conseil municipal à l’aide de la S.F.I.O. qui maintient son candidat et refuse de voter pour le candidat communiste, augmente aussitôt les tarifs des tramways. Cela provoque des grèves à l’initiative de la C.G.T. et des manifestations violentes menées par le P.C.F. le 12 novembre, où un jeune ouvrier métallurgiste, proche du parti communiste, est tué225. La grève, générale sur Marseille, s’étend

alors par la vallée du Rhône, en particulier par la mobilisation des travailleurs de la S.N.C.F., et met rapidement en action différentes professions : métallurgie, chimie, bâtiments, transports, fonction publique….Par ailleurs le ministre socialiste de la production, Robert Lacoste, décide de révoquer Léon Delfosse, dirigeant très populaire de la C.G.T. du Nord- Pas-de-Calais, de son poste d’administrateur des Houillères du Nord-Pas-de-Calais le 14 novembre, ce qui contribue à mobiliser les mineurs et dès le 15 novembre les ouvriers des Charbonnages cessent le travail226.

Pendant les grèves, le gouvernement Ramadier démissionne le 19 novembre 1947, remplacé par le MRP Robert Schuman, avec l’arrivée au ministère de l’intérieur du socialiste Jules Moch, qui prend ses fonctions le 24 novembre. Après avoir été ministre des Transports et des Travaux Publics sous tous les gouvernements depuis De Gaulle (novembre 1945) jusqu’à Ramadier (janvier 1947), il devient le ministre de l’Intérieur des 3 gouvernements suivants (Schuman, Marie, Queuille), où il doit faire face aux deux vagues de grèves de 1947 et 1948 et où il joue un rôle essentiel dans le maintien de l’ordre, la maîtrise et la répression des deux conflits. Il met en avant une méthode : « d’abord réprimer, ensuite négocier227».

Le gouvernement admet la réalité des raisons économiques et sociales de la grève de 1947 : Jules Moch écrit après coup fin décembre 1947 dans sa première « Note d’orientation politique aux préfets228 » : « 1° Les grèves ont été déclenchées pour des raisons économiques fondées (hausse des prix, misère générale, promesses différées de reclassement,…) », même s’il indique juste après : « 2° L’habileté du P.C. a été d’exploiter des revendications justifiées pour déclencher un mouvement d’ensemble présentant un caractère nettement politique et international, tendant à détourner les Américains d’apporter une aide économique à l’Europe »

225 Maurice AGULHON, Fernand BARRAT, La C.R.S. à Marseille - « La police au service du peuple » 1944-1947 ;

Paris, Armand Colin, 1971, (p. 144).

226 Maurice AGULHON, André NOUSCHI, Ralph SCHOR, La France de 1940 à nos jours ; Paris, Nathan

Université, 1995, 3e éd. 2001, (p.147).

227 Archives nationales, AN 484AP1, conférence aux préfets, 6 novembre 1947 (p. 10). 228 Jules MOCH, Une si longue vie ; Paris, Robert Laffont, 1976 (p. 286).

Cependant, les grèves de 1947 sont parfois qualifiées d’insurrectionnelles : ainsi Vincent Auriol, dans un message ultérieur à Henri Queuille, utilise à plusieurs reprises le terme : « violences insurrectionnelles », « mouvement insurrectionnel », « manœuvres insurrectionnelles229 ». Mais si le conflit a donné lieu à de nombreuses violences, des affrontements très durs avec les forces de l’ordre faisant de nombreux blessés et plusieurs morts, le caractère proprement insurrectionnel de cette grève générale est remis en cause par beaucoup d’historiens230 et par Jules Moch lui-même : « Etait-ce l’amorce d’un mouvement insurrectionnel d’ensemble ? Je ne le pense pas231 », ce qu’il confirme ultérieurement dans ses

mémoires : « il ne semble pas que des ordres aient été donné de pousser le mouvement à fond, jusqu’à l’insurrection232».

Si les grèves de 1947 ne sont pas insurrectionnelles, il y a sans doute eu, ponctuellement, localement, des tentations plus ou moins insurrectionnelles. Et si le mécontentement important de la population, nourri de difficultés économiques récurrentes et de frustrations sociales réelles, en particulier dans la classe ouvrière, a joué un rôle majeur dans le déclenchement des grèves, l’aspect politique de celles-ci (avec l’intervention massive du parti communiste dans leur développement et la tentative de généralisation à travers la création d’un comité de grève national), ne peut non plus être écarté. Les grèves ont donc été, souvent, à la fois d’une grande dureté et très politisées, comme l’écrit André Barjonet :

« il ne semble guère contestable que l’extrême violence des grèves d’alors (grèves tout à fait justifiées sur le plan revendicatif) et le ton frénétique du P.C.F. aient pu sincèrement faire craindre à de nombreux syndicalistes qu’il ne s’agisse d’une tentative de prise du pouvoir par la force et au seul profit des communistes233»

Les mineurs se sont fortement impliqués dans ces grèves, en particulier dans le Nord- Pas-de-Calais, où les affrontements physiques sont fréquents début décembre avec la police, mais aussi entre grévistes et « rouffions » (terme du patois du Nord pour désigner les

229 ChristophePROCHASSON, OlivierWIEVIORKA, Nouvelle histoire de la France contemporaine – 20 La France

du XXe siècle – Documents d’histoire ; Paris, Seuil, 1994, 3e éd. 2011, (p. 431-432), message de Vincent Auriol à Henri Queuille.

230 Jean-Jacques BECKER, Histoire politique de la France depuis 1945 ; Paris, Armand Colin, 2008, (p.

50) ; SergeBERSTEIN, PierreMILZA, Histoire du XXe siècle Tome 2 – Le monde entre guerre et paix 1945-1973 ; Paris, Hatier, 1996, (p. 67) ; EricKOCHER-MARBOEUF,Le maintien de l’ordre lors des grèves de 1947 (p. 386- 387) ; Eric MECHOULAN,Le pouvoir face, aux grèves « insurrectionnelles » de novembre et décembre (p. 408) dansSergeBERSTEIN, PierreMILZA, L’année 1947 ; Paris, Presses de Sciences Po, 2000 ; Robert MENCHERINI, Le Parti communiste français dans les grèves de 1947 (p. 203), dans Des communistes en France (années 1920 – années 1960) s/ dir. Jacques GIRAULT, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.

231 Archives nationales, AN 484AP1, allocation à l’issue du déjeuner de la presse anglo-américaine, 18 février

1948.

232 Jules MOCH, Une si longue vie ; Paris, Robert Laffont, 1976 (p. 273 et 288).

« jaunes », les non grévistes, illustré par l’affiche de la C.G.T234 – annexe 17) qui reçoivent

des « corrections »235.

Les grévistes sont très fortement mobilisés, même s’ils ne sont pas forcément majoritaires partout236, c’est pourquoi lorsque la reprise du travail est brusquement décidée

par la C.G.T. le 9 décembre, beaucoup de mineurs ne peuvent y croire et pensent que l’ordre de reprise du travail est un faux237. Cela nourrit un peu plus le sentiment de frustration des

mineurs, qui n’est sans doute pas étranger à leur grande motivation lors de la grève de 1948.

2) Différences et ressemblances avec 1947 : quelles singularités dans la

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