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Après la grève, l’Etat à l’offensive systématise et amplifie la répression pénale, à laquelle essaie de s’opposer une

solidarité qui reste forte mais dont le périmètre se rétrécit

Une fois la grève terminée et mise en échec, le gouvernement est en position de force pour dicter sa loi, continuer et même amplifier la répression pénale. Celle-ci provoque un soutien organisé des emprisonnés. Par ailleurs, la répression contre les étrangers qui ont participé aux grèves et manifestations s’amplifie, qu’essaie de contrecarrer ou limiter la mobilisation solidaire.

A) Continuation et accentuation de la répression pénale, en

particulier en Appel…

Achille Blondeau rappelle la lourdeur des condamnations pénales qui ont frappé beaucoup de mineurs après la grève de 1948: « 3000 arrestations et 2783 condamnés, dont 1073 à des peines de prison ferme, 421 avec sursis, 244 autres condamnés à des peines de prison et une amende avec sursis, 375 à la prison et à l’amende ferme511».

La répression pénale, qui a commencé pendant la grève, se poursuit et s’amplifie même après la fin du conflit. Ainsi par exemple le 19 février 1949 le tribunal correctionnel d’Alès condamne 16 mineurs à un total de 11 ans de prison, dont un à 3 ans de prison. Très souvent, les condamnations de 1ère instance sont encore alourdies en appel, comme nous

allons le voir.

511 Blondeau Achille, Le droit dans la profession minière (p. 163) ; dans Pratiques syndicales du droit, sous la

1) Durcissement des condamnations, l’exemple des Pays de Loire :

Les exemples de durcissement de sanctions en Appel sont très nombreux. Dans le bassin houiller de Lorraine, six mineurs précédemment acquittés sont condamnés sur appel du procureur par le tribunal de Metz512. De même, la cour d’Appel de Nîmes double la peine

d’un jeune militant de Bessèges : « Marais a vu sa peine portée de un an à deux ans de prison ferme513». Dans le Nord-Pas-de-Calais, groupe d’Hénin-Liétard, le mineur Arthur L. condamné en 1ère instance à 3 mois de prison pour entraves à la liberté du travail (barricadé la grille d’entrée de la fosse) et au bon fonctionnement des Houillères (arrêt des mesures de sécurité), infraction au règlement des Mines et vol (en fait avec d’autres grévistes avoir pris des imprimés dans les bureaux), est condamné en Appel par la cour de Douai à 4 mois de prison, avec confirmation de la condamnation au civil avec un co-inculpé à verser une indemnisation de 121 156 F.

Il s’agit d’exemples parmi d’autres, mais nous n’avons malheureusement pas retrouvé pour la région du Nord-Pas-de-Calais, principale région minière, de document de synthèse sur l’ensemble des appels qui ont été interjetés par le Parquet et se sont souvent traduits par une aggravation parfois importante des condamnations de 1ère instance, ainsi que nous allons le voir pour le département de Saône et Loire sur la base d’une compilation réalisée par la préfecture fin décembre 1948 (avec une situation encore provisoire) et pour le département de la Loire, où une récapitulation rigoureuse a été effectuée en janvier 1952 par la C.G.T. avec des chiffres définitifs permettant d’en faire une analyse précise.

En Saône-et-Loire, dès la fin décembre 1948, la cour d’Appel rend des verdicts sévères :

Dans la région de Montceau les Mines, « 45 manifestants écopent d’amendes et de prison ferme, les amendes s’échelonnent de 500 à 100 000 francs en 1ère instance à Chalon, les peines de prison ferme

varient de 1 à 10 mois. En cours d’appel à Dijon, les sanctions sont décuplées allant de 15 000 à 300 000 francs et les peines de prison ferme de 2 à 16 mois514 ». Le 30 décembre 1948, le préfet de Saône-et-Loire envoie aux ministres de l’Intérieur et de la Justice un état récapitulatif 515 de 4 pages

comportant 32 noms de mineurs, présentant les condamnations prononcées par le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône entre le 29 octobre et le 27 novembre et les arrêts rendus par la cour d’Appel de Dijon jusqu’au 29 décembre, à la suite des appels à minima interjetés

512L’Humanité du 17 janvier 1949 (p. 3). 513Le Patriote du 29 janvier 1949.

514 Colloque C.G.T. du 21 janvier 2009, Les Cahiers de l’Institut d’Histoire Sociale Mines-Energie, n° 23 de juin

2009, Grève des mineurs de 1948, (p. 50).

515 Archives Nationales, Ministère de l’Intérieur, Cote 19890151/11, liasse 15225 [Grèves et manifestations

contre ces décisions par le Procureur de la République de Chalon-sur-Saône. La synthèse de ce document donne le tableau ci-dessous :

Résultats des appels dans le département de Saône et Loire au 30 décembre 1948 :

Tribunal correctionnel de Chalon Cour d'Appel de Dijon

(30/11 et 29/12/48)

Noms Amendes Prison Amendes Prison

Délits ferme sursis ferme sursis ferme sursis ferme sursis

Jours Mois Jours Mois Jours Mois Jours Mois

André G. Voies de fait à agent 15 8

René C. Violences à agent 2 15 000 2

Marc G. Violences à agent 3 30 000 12

Marcel D. Port d'engins dangereux 15 1 12 000 3

Pierre N. Voies de fait à agent 8 6 000

Pierre S. Outrages - Violences à agent 1 3

Slawko N. Violences à agent Relaxe Relaxe

Omar B. Violences à agent 2 6

Sérafino R. Violences à agent 2 6

André S.

Violences à agent - port engins

dang. 45 30 000 6

Jean C.

Violences à agent - port engins

dang. 2 30 000 6

Paul F.

Violences à agent - port engins

dang. 1 20 000 4

Hector A. Outrages - Violences à agent 20 000 3 60 000 8

Modkar C.

Violences à agent - port engins

dang. 5 000 2 30 000 6

Edmond G. Recel - Détention d'arme de guerre 1 Relaxe

Pierre M. Outrages - Violences à agent 5 000 2 30 000 4

Joannès B. Violences à agent - Vol 3 30 000 8

Roger B. Violences à agent 5 000 45 20 000 4

Edmond M. Port d'engins dangereux - violences 100 000 10 300 000 18

René M. Port d'engins dangereux - violences 10 000 3 50 000 6

Lazare F. Port d'engins dangereux - violences Relaxe Relaxe

Henri M. Voies de fait à agent 5 000 2 20 000 4

Henri K. Vol 5 000 6 30 000 12

Marcel N. Violences et voies de fait 5 000 2 30 000 12

Maurice D. Vol Relaxe Relaxe

Mohamed

M. Violences et voies de fait 5 000 2 30 000 3

Pierre P.

Port d'engins dang. - violences à

agent 1 000 2 25 000 4

Claude J. Violences à agent 2 000 1 20 000 2

Alfred L. Violences à agent 2 000 1 20 000 2

Maurice P.

Port d'engins dang. - violences à

agent 30 000 45 30 000 10

Léon D. Vol 10 000 4 30 000 8

Joseph B. Violences à agent 2 000 1 20 000 6

T O T A U X 212 000 172 41 8 11 918 000 156 17 Ce tableau fait apparaître un total d’amendes infligées en 1ère instance de 212 000 francs

portées à 918 000 par la cour d’Appel (soit une multiplication par plus de quatre), et pour ce qui est des condamnations à de la prison ferme, celles-ci passent de 41 mois et 172 jours (soit environ 47 mois en tout) à 156 mois, c’est-à-dire plus d’un triplement. Sur le plan individuel,

l’aggravation des peines est générale. A l’exception de 4 relaxés, tous les condamnés voient leur peine augmentée. Il y a toutefois Joseph B. dont la peine de prison passe de 1 mois ferme à 6 mois avec sursis, ce qui peut paraître mieux pour lui, mais à condition qu’il n’ait pas fait de prison préventive, ce qui a été en fait très fréquent516. En plus, son amende a été portée de

2 000 à 20 000 francs. On ne peut pas vraiment parler d’indulgence…

Dans le département de la Loire, des condamnations lourdes en 1ère instance ….

Joseph Sanguedolce a publié une liste nominative de 9 pages517 (lui-même y apparaît

page 233 : révoqué, 4 mois de prison), dont Jean-Michel Steiner a fait l’analyse synthétique518 : sur 384 noms répertoriés (dont 7 femmes), il fait apparaître :

- 131 peines de prison ferme - 59 peines de prison avec sursis

- 81 licenciements et révocations, 62 révoqués ou licenciés (certains provisoirement) sans condamnation pénale

- 84 non-lieu et acquittements

…. souvent durcies en Appel :

La Fédération nationale des travailleurs du Sous-Sol C. G. T. a établi les 7 et 8 janvier 1952 une liste nominative des condamnés de la grève de 1948 dans la Loire519, faisant

apparaître 311 condamnés en 1ère instance (amendes et/ou prison, ferme ou avec sursis), dont 120 ont fait l’objet d’un appel par le ministère public.

Globalement, les 311 condamnations (en 1ère instance et en Appel) représentent : - 2 636 000 francs d’amende, soit une moyenne de 8 476 frs par condamné (plus d’un

demi-salaire de mineur, alors que presque tous n’ont pas touché de paye sur pratiquement 2 mois d’octobre et novembre, et que la plupart ont perdu leur emploi) - 867 mois et 300 jours de prison ferme, soit une moyenne de 85 jours par condamné

516 Le retard dans le jugement de mineurs incriminés a fait l’objet de nombreuses protestations, comme

l’attestent des articles de l’Humanité, par exemple le 29 janvier 1949 (p. 5) : « Libérez les mineurs emprisonnés ! Plus de 80 jours en prison sans être jugés ! », le 7 mars (p. 3) : « Père de 10 enfants, le mineur Haerinck est en prison depuis 119 jours sans être jugé ». Le préfet du Pas-de-Calais, de son côté, regrette « la lenteur des jugements à l’origine des incidents du 26 janvier à la prison de Béthune, où se trouvaient encore 175 mineurs arrêtés pour divers délits commis à l’occasion des grèves » et dans lesquels « le P.C.F. et la C.G.T. trouvent des arguments pour critiquer systématiquement le gouvernement », archives départementales du Pas-de-Calais, 1W8146, exposé sommaire de la situation du département du 5 février 1949 (p. 3).

517 JosephSANGUEDOLCE, Le chant de l’alouette, Saint-Etienne, Presse Publicité Loire, 1987, (p.226-234). 518 Jean-Michel STEINER, Les caractères de la grève des mines de 1948 dans le bassin stéphanois,

Communication à la journée d’études du 22 octobre 2008 du Groupe de Recherches et d’Etudes sur les Mémoires du Monde Ouvrier Stéphanois

Parmi les 311 condamnés, nous avons extrait les 120 mineurs qui sont passés en Appel et en avons établi un tableau récapitulatif (annexe 36).

Le graphique ci-après, réalisé à partir de ce tableau, présente l’évolution des sanctions entre la 1ère instance et la Cour d’Appel, en ne prenant en compte que les condamnations à de la prison ferme (98 sur 120, soit la grande majorité).

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