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Différences et ressemblances avec 1947 : quelles singularités dans la grève d’octobre-novembre 1948 ?

Pendant la grève : tensions sociales, oppositions partisanes, mobilisation des moyens de répression et mise en place de

2) Différences et ressemblances avec 1947 : quelles singularités dans la grève d’octobre-novembre 1948 ?

Les grèves de 1947 font l’objet d’une répression importante : 1375 arrestations, dont 881 immédiatement déférés au parquet, 347 en liberté provisoire et 147 sont relaxés238 :

Etat de la répression pour la période du 12 novembre au 10 décembre 1947 239

Arrêtés Inculpés Relaxés

Entraves liberté du travail 1 113 995 118

Sabotages 112 106 6

Violences et voies de fait 41 35 6

Port d'armes 57 50 7

Outrages 21 17 4

Divers 31 25 6

TOTAL 1 375 1 228 147

1 228 personnes sont donc traduits devant les tribunaux240, des centaines de militants,

de grévistes sont emprisonnés, licenciés …. , procès et procédures judiciaires se poursuivent au cours des premiers mois de 1948 241.

234Archives nationales du monde du Travail, Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, 004 001 336

235 AnnieLACROIX-RIZ, La C.G.T. de la Libération à la scission, 1944-1947 ; Paris, Editions sociales, 1983, (p.

344-345) : « les jaunes sont repartis clopin-clopant, ayant reçu une sacrée correction ».

236 Si l’on en croit les archives des Houillères du Nord-Pas-de-Calais :Archives nationales du Monde du Travail,

HBNPC 2004 001 2294, groupe de Béthune, référendum (à l’initiative de M. Delpierre, délégué de la circonscription) seulement dans les établissements du secteur de Béthune (nous n’avons trouvé trace de référendum organisé dans aucun autre des 9 secteurs miniers), qui fait ressortir une participation assez faible et un pourcentage de votes « pour la grève » entre 64,4 et 22% des exprimés. Il faut noter que, contrairement à la grève de 1948, il n’y a eu que peu de votes organisés dans les mines pour la grève de 1947.

237 GeorgetteELGEY, Histoire de la IVe République - Première partie : La République des illusions 1945-1951 ;

Paris, Fayard, 1965, (p. 465) ; AnnieLACROIX-RIZ, La C.G.T. de la Libération à la scission, 1944-1947 ; Paris, Editions sociales, 1983, (p. 356) ; Roger PANNEQUIN,Adieu camarades ; Paris, Le Sagittaire, 1977, (p. 99) ; Philippe ROGER, Les grèves de 1947 et 1948 dans le Pas-de-Calais – Déroulement, Violence et maintien de l’ordre, Revue du Nord n° 389, 2011/1 - Université Lille-3, (p.137).

238FrédéricGENEVEE, Le P.C.F. et la justice - Des origines aux années cinquante, organisation, conceptions,

militants et avocats communistes face aux normes juridiques ; Clermont Ferrand, Presses Universitaires de la Faculté du Droit, 2006 (p. 334).

239 Archives nationales, Fonds Jules Moch, AN 484AP/14, plaquette à en-tête du ministère de l’Intérieur, 22

Cette répression laisse des traces au sein du mouvement syndical, mais nourrit également, au-delà de la frustration, une volonté parmi les grévistes les plus combatifs, et tout particulièrement les mineurs, de ne pas en rester là, mais aussi de se donner les moyens, dans un futur conflit, de résister plus fortement et plus efficacement.

Au sein du mouvement ouvrier, les grèves de 1947 et leur échec ont fait l’objet d’analyses divergentes selon le positionnement politique de leurs auteurs. Du côté des ouvriers socialistes et de tendance Force Ouvrière (encore présents à ce moment-là dans la C.G.T.), s’ils ont participé à la grève à ses débuts, ils s’en sont rapidement retirés, considérant que son prolongement tenait surtout à des considérations politiques, et se sont même parfois affrontés avec les grévistes en voulant reprendre le travail. Léon Jouhaux de son côté a déclaré, selon Pierre Monatte :

« S’il y a eu exploitation politique des grèves, il ne faut pas oublier qu’elles n’auraient pu avoir lieu sans le mécontentement général. Pour maintenir l’ordre social, il faut d’abord donner aux travailleurs des conditions de vie plus décentes242».

Il y a aussi une critique de gauche (à gauche du P.C.F., antistalinienne) comme celle de Pierre Monatte qui estime que « le caractère politique de la grève générale ne fait de doute pour personne » et parle de « grèves Molotov » 243.

Mais les grèves de 1947 ont également fait l’objet d’un débat assez virulent au sein du P.C.F. lors de la réunion du C. C. du 22-23 décembre 1947244 analysant non seulement l’échec de la grève, mais aussi ses modalités et les buts poursuivis, avant de se conclure sur la priorité de l’opposition au plan Marshall et du retour au pouvoir du parti :

Benoit Frachon (rapport introductif – 82 pages) : grèves du 13 novembre au 10 décembre, «

Nous n’avons pas pu faire triompher la revendication essentielle du moment : la garantie du pouvoir d’achat » (AM/DG 151/15 p. 56)

Maurice Thorez : « on a fait un Comité de Grève245 avant d’avoir les grévistes » (JR/MD 191-195 p. 70)

240 JacquesKERGOAT, Histoire du parti socialiste ; Paris, La Découverte, 1997, (p. 53) ; PhilippeROBRIEUX,

Histoire intérieure du Parti communiste – II – 1945-1972 ; Paris, Fayard, 1981, (p. 244).

241 Robert MENCHERINI, Guerre froide, grève rouges - Parti communiste stalinisme et luttes sociales en France,

les grèves "insurrectionnelles" de 1947-1948 ; Paris, Syllepse, 1998, (p. 83).

242 Pierre MONATTE, La lutte syndicale ; Paris, François Maspéro, 1976, (p. 297).

243 Pierre MONATTE, La lutte syndicale ; Paris, François Maspéro, 1976, (p. 281-285) ; Trois scissions

syndicales ; Paris, Les éditions ouvrières, 1958, (p. 195 et s.).

244 Archives du P.C.F., cote 261J 2/19 : Réunion du C. C. du 22-23 décembre 1947.

245 Benoit Frachon analyse dans Servir la France n° 33 de janvier 1948 (p. 16) : « Sans doute il eut été

préférable de limiter ce comité de grève aux seules Fédérations ayant lancé le mot d’ordre de grève pour l’ensemble de la corporation. On eut ainsi enlevé un prétexte à ceux, Gouvernement et scissionnistes, qui s’efforcèrent de dénaturer le mouvement en affirmant que nous voulions une grève générale »

Auguste Lecoeur : « La décision de former ce Comité Central de Grève a été une erreur. Non seulement il a créé le mythe de la grève générale, mais il a contraint les corporations les plus combatives à lier leur sort à celles les moins préparées » (JR/MD -241-245 p. 1).

Dans son intervention Auguste Lecoeur critique particulièrement la façon dont il a été mis fin brutalement à la grève, les mineurs grévistes du Nord, en particulier, ont douté de la validité du mot d’ordre de reprise du travail. Pour lui « la combativité des mineurs n’était pas entamée » (p. 6), « les mineurs ont été victimes du comité central de grève. » (p. 7).

Finalement Maurice Thorez conclut sur l’axe politique majeur du parti : « nous pouvons et nous devons nous entendre dans la bataille contre le plan Marshall ».

Incontestablement, la grève de 1947 qui s’achève sur un échec, ne met pas fin à la situation conflictuelle, d’autant moins chez les mineurs les plus combatifs qui ont le sentiment d’avoir arrêté leur lutte de façon prématurée.

La grève des mineurs de 1948, deuxième « round » de la grève de 1947 ? C’est l’opinion de Rolande Trempé : « je crois qu’il faut voir dans les grèves des mineurs de 1948, la suite et je dirais hélas, la fin des grèves de 1947246». Philippe Roger parle lui de « réplique, au sens sismique de ce terme247 ». La grève des mineurs de 1948, si elle peut d’une certaine façon être perçue comme la prolongation de celle de 1947, présente néanmoins avec celle-ci de grandes différences. La première est bien sûr relative à la nature des deux conflits, grève sinon générale, du moins « nationale » en 1947, car touchant des secteurs professionnels très divers sur une grande partie de la France (mais avec une réalité et une intensité très variable selon les régions, les lieux, les moments), grève professionnelle et même corporative pour ce qui est de la grève des mineurs de 1948, et ne concernant donc essentiellement que les lieux d’implantation minière dans le pays.

Les forces et les faiblesses des deux mouvements sont également bien spécifiques : la grève de 1947, même si son caractère « national » était très variable selon les régions, se nourrissait de cette étendue géographique rendant l’intervention répressive des forces de l’ordre difficile et toujours susceptible de provoquer l’extension du conflit. La grève des mineurs, par nature concentrée géographiquement, pouvait faire appel à d’autres parties de la classe ouvrière (métallurgie, transports, dockers,…) pour une solidarité active dans les phases aigües du conflit, et une solidarité matérielle et financière pour tenir dans la durée. Par

246Le droit minier, numéro spécial La grande grève des mineurs de 1948, colloque de la Fédération Nationale du

Sous-Sol C.G.T. les 22 et 23 novembre 1978, numéro 6, Nov-Déc. 1978, (p. 18).

247 Philippe ROGER, Les grèves de 1947 et 1948 dans le Pas-de-Calais – Déroulement, Violence et maintien de

ailleurs, la scission intervenue au sein de la C.G.T. au début de 1948, si elle n’eût pas la profondeur et l’importance espérée par les créateurs de Force Ouvrière, constituait une faiblesse potentielle pour la C.G.T.

C’est pourquoi la C.G.T. et le P.C.F. souhaitent échapper le plus possible aux accusations de politisation de la grève, déjà très présentes en 1947 de la part du gouvernement et de la presse hostile, accusations nourries de l’aveu même des dirigeants communistes par les erreurs commises dans la gestion et la direction de la grève248. Aussi, contrairement à

1947, en particulier dans les mines, où il y avait eu très peu de consultation des mineurs, et presque jamais sous forme de votes à bulletins secrets, la C.G.T. a pris grand soin en 1948 d’organiser un référendum pour consulter l’ensemble des mineurs et montrer le caractère démocratique et donc incontestable du mouvement.

B : Les acteurs du conflit : quelle volonté d’en découdre et quels moyens

mobilisables ?

1) Dès le référendum, la volonté des mineurs grévistes de contrôler leur

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