Le « nouvel autobiographisme » de Nathalie Sarraute
B. La grammaire de la nouvelle autobiographie, ou ce que raconte le premier « nouveau roman » de Nathalie Sarrautepremier « nouveau roman » de Nathalie Sarraute
Ainsi, pour la suite de nos réflexions sur Tropismes, nous ODLVVHURQV GH F{Wp FHWWH LGpH G¶XQ
nouveau roman avant la lettre (ensemble rhizomatique et discontinu de textes non liés par un système
323 Voir à ce sujet : 1RXYHDXURPDQKLHUDXMRXUG¶KXL3UREOqPHVJpQpUDX[ / Communications au colloque du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle publiées sous la direction Jean Ricardou et Françoise Van Rossum-Guyon, Marseille, Editions du Sud, 1971 ; 1RXYHDXURPDQKLHUDXMRXUG¶KXL... 2. Pratiques, op.cit.
324 Voir à ce sujet : Modernism, 1890-1930 / Edited by Malcolm Bradbury and James McFarlane, Harmondsworth, Penguin books, 1981.
Nathalie Sarraute elle-même confLUPHFHSRLQWGHYXHGDQVO¶XQGHVHVGHUQLHUVHQWUHWLHQVDYHF6LPRQH%HQPXVVD :
« N.S. : Chez les classiques ce narrateur ne me gênait pasoDDOODLWWHOOHPHQWGHVRLF¶pWDLWWHOOHPHQWSOHLQGH YLHoD
sortait avec une telle ingénuité et une telle force GXWH[WHTX¶RQQHUHPDUTXHUDLWSDVOHQDUUDWHXU S.B. : Pourquoi te gêne-t-il maintenant ?
N.S. 3DUFHTX¶il ne correspond plus à ce que nous savons, à ce que nous voyons, à ce que nous sentons&¶HVWGHODFRSLH
G¶DQFLHQ2QSUHQGXQHIRUPHTXLFRQYHQait parfaitement bien à ce temps-OjTXLDGRQQpGHV°XYUHVUHPDUTXDEOHVHWRQOD
SODTXHVXUXQHUpDOLWpTXLQ¶HVWSOXVOHPrPHNous ne voyons plus les choses comme les voyaient Balzac ou Flaubert. »
(Cf. Nathalie Sarraute, Simone Benmussa, Entretiens avec Nathalie Sarraute, op.cit., p.64-65.).
&HWWH UHPDUTXH DWWHVWH FODLUHPHQW TXH ORLQ GH UpFXVHU ODFRPSRVDQWH PLPpWLTXH GH O¶°XYUH OLWWpUDLUH1DWKDOLH 6DUUDXWH
insiste sur la nécessité du renouveau des modèles de représentativité traditionnels. Puisque OD UpDOLWp KXPDLQH Q¶HVW SDV
DEVWUDLWHHWXQLYHUVHOOHPDLVKLVWRULTXHVXEMHFWLYHHWFRQMRQFWXUHOOHODQDUUDWLRQURPDQHVTXHGRLWV¶DGDSWHUjODVXEMHFWLvité
contemporaine. Ainsi chaque nouvelle vision du monde appelle-t-HOOH O¶LQYHQWLRQ G¶DXWUHV IRUPHV Ueprésentatives qui
SHUPHWWUDLHQWGHUHQGUHFRPSWHGHVFKRVHVWHOOHVTX¶HOOHVVRQWYXHVSDUO¶DXWHXUHWHQPrPHWHPSVG¶H[SULPHUVDSHUFHSWLRQ
149
GHSHUVRQQDJHVQLSDUO¶XQLWpGHO¶LQWULJXHIRUJpHWDUGLYHPHQWGDQVOHVDQQpHVjSRXU RULHQWHU OD OHFWXUH HW O¶LQWHUSUpWDWLRQ GH OD SUHPLqUH °Xvre de la femme-écrivain. Nous attachant au
FRQWUDLUH j UHIDLUH O¶RSpUDWLRQ GDQV OH VHQV LQYHUVH HW j UHFRQVWUXLUH FH TXH OHV FRPPHQWDLUHV UpWURVSHFWLIVGHO¶pFULYDLQWkFKDLHQWGHGpFRQVWUXLUHQRXVQRXVHIIRUFHURQVGHUHFRQVWLWXHUDXSOXVVHUUp
la trame GX UpFLW 'DQV FH EXW QRXV WHQWHURQV GH GpPrOHU DX ILO GH O¶°XYUH FLQT OLJQHV QDUUDWLYHV
PDMHXUHVFHTXLFRUUHVSRQGDXQRPEUHGHVSHUVRQQDJHVSULQFLSDX[LQGLTXpVSDUO¶HPSORLGHVVXMHWV
pronominaux HOOHLOLOHOOHO¶HQIDQWLOVHlles. De ce point de vue, il devient possible de résumer
VRXVIRUPHG¶XQWDEOHDXOHVSpULSpWLHV de Tropismes : Séquence Sujets pronominaux Contenu narratif
I. Ils La foule des passants dans la rue
II. Il - Elle - Ils Observant les loisirs sans prétention de sa femme, Il voit en Elle la
parfaite incarnation de la médiocrité ambiante caractéristique des
personnes de leur entourage (« Ils »)
III. Ils Eux saisis dans leur vie familière, le quartier et le bâtiment où Ils
habitent
IV. Elles Elles vues par Lui comme de jolies poupées, insignifiantes et futiles
V. Elle Elle nous est dépeinte dans un état G¶DWWHQWHsolitaire et angoissée
VI. Elle Sa matinée, toujours la mêmePDOJUpO¶pFRXOHPHQWGHVMRXUV
VII. Elle - Il Elle DQWLFLSHO¶LPDJHTX¶Il SHXWVHIDLUHG¶Elle afin de corriger son
SURSUH FRPSRUWHPHQW HW VXUWRXW G¶pYLWHU GH UpYpOHU OD WHQVLRQ GH VD
vie intérieure et ses pensées en dehors des préoccupations « féminines » quotidiennes
VIII. Il (le grand-père) et
il (O¶HQIDQW)
Le grand-père emmène O¶HQIDQW IDLUH XQH SURPHQDGe et lui pose la
question de la mort
IX. Elle - Il Elle est transie de peur, sentant dans son for intérieur la présence
G¶XQH IRUFH LQFRQQXH HW LQFRQWU{ODEOH ,O REVHUYH O¶DJLWDWLRQ GH VD
femme qui débouche sur une crise nerveuse
X. Elles Elles nous sont présentées comme des dames mondaines, glissant à la
surface des choses
XI. Elle± Ils ElleGpFRXYUHO¶LPPHQVHunivers de la culture
XII. Il (professeur de
médecine) La figure du professeur de médecine qui se transforme progressivement au cours de cette VpTXHQFHHQV\PEROHGHO¶KRPPH
«sérieux» et «raisonnable», ennemi de la culture maniérée des lettrés
XIII. Elles EllesjODUHFKHUFKHG¶XQSURGXLWàla mode
XIV. Elle - Ils 6RXV FRXYHUW GH O¶H[pFXWLRQ HQ WRXWH PRGHVWLH G¶XQ RXYUDJH de
dames, Elle épie les discussions des hommes
XV. Elle ± le
vieux Monsieur Elle JXHWWH O¶DUULYpH G¶XQ YLHLO DPL GH VHV SDUHQWV TXL DFFHSWH
G¶pFKDQJHUDYHFElle sur des sujets « hors de la portée des femmes »
XVI. Ils (vieux couple) Ils sont un couple de personnes âgées se plaignant du GpV°XYUHPHQW
HWGHO¶DEDQGRQGHODYLHLOOHVVH
XVII. Ils (couple) ±
O¶HQIDQWOHSHWLW IlsO¶HPSrFKHG emmènent e se mêler aux jeux des enfants de son âge O¶HQIDQWIDLUHVDSURPHQDGHGRPLQLFDOHOHXUSUpVHQFH
XVIII. Une vielle dame et
sa cuisinière Ada
(scène de Londres)
Une vieille demoiselle se délecte de la lecture dans le calme de sa maison aux environs de Londres
XIX. /¶HQIDQW, le petit ±
Ils (les vieux) /¶HQIDQW se sent meurtri par les égards excessifs et les prévenances
150
XX. Il (enfant et adulte)
- Elles Ayant grandi, Il HVW WRXMRXUV WURXEOp SDU O¶H[WUrPH FRPSOH[LWp GHV
rapports humains et éprouve toujours le besoin G¶Elles, ces génies du
superficiel dont O¶LQVRXFLDQFHDYHXJOHOHUpFRQIRUWH dans son angoisse
existentielle
XXI. Elle (enfant et
adulte) - Elles
Ayant grandi, Elle les chérit (Elles) par pitié pour ces malheureuses
HVFODYHVGHODURXWLQHSULYpHVGHO¶H[SpULHQce de la transcendance
XXII. /¶HQIDQW, le petit -
Ils Il a appris à contrôler sans relâche ses plus petits gestesSRXUTX¶Ils
puissent avoir de lui une image conforme aux convenances ± une
image « bien comme il faut »
XXIII. Elle - Ils Elle bute sur les lieux communs de leur langage, mais y consent en
ILQGHFRPSWHFDUO¶XVDJHOHSOXVFRnventionnel des mots est le seul
moyen de communiquer avec Eux
Epilogue Ils 6UV G¶HX[-mêmes et autosatisfaits, Ils observent O¶LPPLQHQW
rabaissement de tout être singulier et esseulé qui tente de se
UDSSURFKHUG¶(X[.
A présent que nous avons restitué les principaux jalons du récit, les présupposés qui doivent
guider notre lecture de Tropismes ne sont plus vraiment les mêmes : ainsi, plutôt que de voir dans
O¶HPSORLGHVVXMHWVSURQRPLQDX[FRPPHO¶DXWHXUYRXGUDLWQRXV\LQYLWHUa posteriori, la marque de blancs dénotatifs, le signe du délitement du référent du discours revendiqué par les nouveaux romanciers, nous nous attacherons au contraire à envisager ces pronoms personnels dans leur fonction
dénominative. $LQVL Oj R O¶LGHQWLWp GH SHUVRQQDJHV Q¶HVW Sas indiquée métonymiquement par
O¶pYRFDWLRQGHVWUDLWVGHOHXUpersona sociale (la cuisinière, le professeur de médecine, le grand-père,
etc.), HWRO¶DXWHXUVHUpIqUHjHX[XQLTXHPHQWjO¶DLGHGXSURQRPSHUVRQQHOFHGHUQLHUDXUDSRXUQRXV
OH VWDWXW G¶XQ nom propre : ultimes UpVLGXV GH O¶LGHQWLILFDWLRQ OHV SURQRPV SHUVRQQHOV GHYLHQGURQW DLQVLOHVVXSSRUWVGHODFRQWLQXLWpGHO¶LGHQWLWpGHVKpURV325 De cette manière, on pourra parler du « il »
ou du « elle » du récit sarrautien comme de « Il » ou « Elle » ± à savoir des personnages distincts, et
TXLELHQTX¶LQQRPpVUHVWHQWSDUIDLWHPHQWLGHQWLILDEOHVHQWDQWTXHWHOV Une fois ce changement de
SHUVSHFWLYHRSpUpOHOHFWHXUVHUDELHQIRUFpG¶DGPHWWUHTXRLTX¶HQSUpWHQGHO¶pFULYDLQO¶H[LVWHQFHWRXW
au long de Tropismes G¶XQHQHWWHXQLWpWKpPDWLTXH, narrative et stylistique.
En effet, le texte déploie cinq grandes lignes narratives liées par des rapports G¶RSSRVLWLRQGH
complémentarité ou de concrétisation explicative et/ou descriptive. Chacun de ces cinq récits partiels
HWIUDJPHQWpVTXLGHVVLQHQWHQFUHX[O¶XQLWpQDUUDWLYHGHO¶°XYUHHVWFHQWUpVXUXQGHVFLQTSHUVRQQDJHV
principaux de Tropismes. La présence (et le nombre) de ces protagonistes se déduit en fait aisément de
O¶HPSORLV\VWpPDWLTXH de cinq sujets pronominaux (Ils, Elles, Il, Elle HWO¶HQIDQWjODIRLVPDVFXOLQHW
féminin, « il » et « elle » ± ce dernier sujet fonctionne dans le récit comme une instance du « Neutre »
325/¶HPSORLGHSURQRPVSHUVRQQHOVGDQVFHUpFLWDXWRELRJUDSKLTXHGpWRXUQpHVWHQHIIHWDVVH]FXULHX[ Les pronoms de la
première et de la deuxième personne y apparaissent uniquement dans le discours rapporté de personnages, tandis que dans le discours du locuteur primaire (la narratrice), on ne trouve que quatre pronoms personnels de la troisième personne (il, elle, ils, elles). Or ce sont justement les seules formes pronominales qui, selon Emile Benveniste, ont des référents objectifs dans le
GRPDLQHGHODUpDOLWpGpFULWHHWTX¶LORSSRVHDLQVLjWRXVOHVDXWUHVSURQRPVFDUDFWpULVpVSDUODYDFXLWpGXVHQV(« je », « tu »,
« moi », « toi », « soi » sont pour lui les signes vides dotés de corrélats réels uniquement dans le contexte, au moment ± volatil
±GXGLVFRXUVF¶HVWSRXUTXRLOHXUDWWULEXWLRQQHSHXWMDPDLVrWUHDEVROXPHQWVUH$FHVXMHWYRLU : Emile Benveniste, « La
151
barthésien326). $LQVLOHF°XUGHQRWUHDUJXPHQWDWLRQGDQVOHSUpVHQWFKDSLWUHFRncernera-t-LOO¶H[LVWHQFH
G¶XQXQLTXHFRQIOLWTXLWUDYHUVHOHOLYUHGHpart en part, et dont nous nous efforcerons de démontrer le caractère tangible. Ces efforts pour dégager une cohérence narrative cachée dans les replis du texte,
PDLV TX¶XQH OHFWXUH XQtant soit peu systématique ne manquera pas de repérer, nous permettrons
G¶pYRTXHUGDQVXQVHFRQGWHPSVO¶XQLWpGHSUREOpPDWLTXHHWG¶DFWLRQVXUODTXHOOHHVWVHFUqWHPHQWEkWL
Tropismes. Pour reconstituer cette trame générale du texte, nous commencerons donc par examiner chacune des cinq lignes narratives et par dépister les rapports discrets qui les lient entre elles dans la
structure globale dHO¶°XYUH
a)ELLE
La ligne narrative G¶EEllllee embrasse onze séquences du récit, soit plus du double de tout autre
personQDJHFHTXLIDLWLQFRQWHVWDEOHPHQWG¶EEllllee la protagoniste principale de Tropismes. Mais qui
est-elle donc, cette « Elle » autour de laquest-elle se construit visiblement le récit ? ¾ /¶LQVWDQWDQpGXSUpVHQW
« Elle » est une femme mariée, mère de plusieurs enfants en bas âge, qui consacre une grande partie de son temps aux devoirs « de la femme » (tâches ménagères, maintien du foyer familial,
obligations et visites mondaines, HWFH[LVWHQFHTXLO¶RFFXSHVDQVODFRPEOHU$FHWpJDUGOHVGpWDLOV
concrets sont réduits au strict minimum, et tiennent dans une ou deux remarques faites comme en passant, ostensiblement insignifiantes, mais qui suggèrent pourtant au lecteur averti des pistes
LQWpUHVVDQWHV &H VRQW WRXW G¶DERUG OHV FKHYHX[ lisses GH O¶KpURwQH TXL QHles trouve pas assez féminins. Or ce détail doit sans doute faire penser à la coiffure habituelle de la femme-écrivain elle-même, fameuse en effet pour ses cheveux courts et sa coupe garçonne. Mais ce qui doit ici retenir
davantage encore notre attention, F¶HVWpYLGHPPHQWO¶DGUHVVHoù Elle habite ± un sombre appartement
rue Gay-Lussac O¶HPSODFHPHQWG¶DXWDQWSOXVSDUODQWTX¶jO¶pSRTXHRHOOHV¶DWWqOHjODUpGDFWLRQGX
livre, Nathalie 6DUUDXWH PDULpH GHSXLV XQH GL]DLQH G¶DQQpHV HW PqUH GH WURLV SHWLWHV ILlles, Claude,
$QQH HW 'RPLQLTXH KDELWH j GHX[ SDV GH O¶HQGURLW R HOOH IDLW UpVLGHU VRQpersonnage féminin
anonyme ± les Sarraute louent en effet successivement des appartement situés presque en face de cette
DGUHVVHILFWLRQQHOOHGHO¶DXWUHF{WpGX boulevard Saint-Michel, G¶DERUGUXHGH9DXJLUDUGHWSOXVWDUG GDQVOHVDQQpHVUXHG¶$VVDV/HVRFFXSDWLRns MRXUQDOLqUHVGHO¶(OOH de Tropismes ne sont pas non
SOXVWUqVGLIIpUHQWHVGHFHOOHVGHO¶DXWHXUTXLjSDUWLUGHGDWHGXGpEXWGHODFRPSRVLWion de ce
premier récit, abandonne VRQWUDYDLODXEDUUHDXHWVHFRQVDFUHHQWLqUHPHQWjODOLWWpUDWXUH2UO¶H[WUrPH
IUDJLOLWpHWO¶LQFHUWLWXGHIRQFLqUHGXVWDWXWGHO¶pFULYDLQsont bien connues F¶HVWHQHIIHWXQPpWLHUGRQW O¶H[HUFLFH GRLW UHFHYRLU OD VDQFWLRQ GH OD VRFLpWp VDQFWLRQ TXL SUHQG OD IRUPH GH O¶DFFHSWDWLRQ GHV °XYUHV SDU XQ pGLWHXU GH OD SDUXWLRQ GH UHFHQVLRQV HW GH FULWLTXHV GDQV OHV UHYXHV OLWWpUDLUHV
326 Roland Barthes, Le Neutre. Notes de cours au Collège de France 1977-1978 / Texte établi, annoté et présenté par Thomas Clerc, Paris, Seuil ± IMEC, 2002.
152
spécialisées, etc. ± IDXWH GH FHV VLJQHV H[WpULHXUV G¶DSSUREDWLRQ O¶pFULYDLQ UHVWH j jamais un simple
gratte-papier.327 &¶HVW SRXUTXRL Nathalie Sarraute, qui ne recevra pas la moindre preuve de
UHFRQQDLVVDQFH SXEOLTXH GH VRQ WUDYDLO DYDQW OD ILQ GHV DQQpHV HW TXL YLHQW DORUV G¶HVVX\HU
plusieurs refus de publication, notamment de la part de Gallimard et de Grasset, se trouve réduite au
VHXO U{OH VRFLDO TX¶HOOH SRVVqGH HQ WRXWH pYLGHQFH, celui de « femme au foyer ». Ainsi semble-t-il
PDQLIHVWHGqVODWRXWHSUHPLqUHVpTXHQFHQDUUDWLYHGHO¶°XYUHTXLHQHVWHQPrPHWHPSVO¶H[SRVLWLRQ
livrant au lecteur les informations de base qui doivent lui permettre de suivre les péripéties de
O¶DFWLRQTXHQRXVQRXVWURXYRQVLFLHQIDFHG¶XQHSURWDJRQLVWHIRUWHPent autobiographique. ¾ /¶LPDJHGXSDVVp : des traits indistincts dans un cadre net
Cette ligne narrative se poursuit par un aperçu rétrospectif de son histoire à Elle, qui retrace les
principales étapes et les tournants majeurs de sa vie. Ce retour en arrière doit rendre compte de la
constitution de sa personnalité, et éclairer ainsi a posteriori l¶LPSDVVH GDQV ODTXHOOH QRXV WURXYRQV
O¶KpURwQH DX GpEXW GX OLYUH $XVVL O¶HQWUHSULVH TXH VHPEOH PHQHU 1DWKDOLH 6DUUDXWH j WUDYHUV OH GpYHORSSHPHQW GH FHWWH OLJQH QDUUDWLYH V¶DFFRUGH-t-elle parfaitement avec la définition de
O¶DXWRELRJUDSKLHSDU3KLOLSSH/Hjeune : « nous appelons autobiographie le récit rétrospectif en prose
TXHTXHOTX¶XQIDLWGHVDSURSUHH[LVWHQFHTXDQGLOPHWO¶DFFHQWSULQFLSDOVXUVDYLHLQGLYLGXHOOHHQ SDUWLFXOLHUVXUO¶KLVWRLUHGHVDSHUVRQQDOLWpª328 ,OQ¶\DHQHIIHWTX¶XQHVHXOHFRQdition essentielle de
O¶DXWRELRJUDSKLHVHORQ/HMHXQHTXLQ¶HVWSDVUHPSOLHRXSDV entièrement) dans Tropismes : LOV¶DJLW ELHQpYLGHPPHQWGXSDFWHDXWRELRJUDSKLTXHF¶HVW-à-GLUHGHO¶DGPLVVLRQH[SOLFLWHSDUO¶DXWHXUGXIDLW
que les événements relatés dans OHOLYUHVRQWWLUpVGHVRQSURSUHYpFX2UHQO¶DEVHQFHGHWRXWSDFWHGH
OHFWXUH HW GDQV OHV FRQGLWLRQV G¶XQ DQRQ\PDW DEVROX de la protagoniste, Tropismes correspond justement au fameux (et unique) cas de figure indéterminé dans la classification de Philippe Lejeune,
TX¶LOVLWXHHQWUHO¶DXWRELRJUDSKLHHWOHURPDQHWGRQWVXUOHPRPHQWOHWKpRULFLHQQHSDUYLHQWjFLWHU
aucun exemple :
327'DQVVDEULOODQWHpWXGHVRFLRORJLTXHVXUOHPpWLHUGHO¶pFULYDLQ1DWKDOLH+HLQLFKGpPRQWUHG¶XQHPDQLqUHWUqVSUREDQWH
TX¶LOHVWLPSRVVLEOHG¶© être écrivain » uniquement par la définition personnelle de son identité professionnelle. Selon elle, on ne devient écrivain que par la reconnaissance sociale, sans laquelle la personne qui écrit reste toujours un scripteur - amateur, dilettante ou même graphomane : « « Faire un livre », « avoir un contrat » sont les moments par excellence de
O¶REMHFWLYDWLRQGHO¶pWDWGHO¶pFULYDLQDXGRXEOHVHQVRLOVHWURXYHPDWpULDOLVpGDQVGHVREMHWVHWUHQGXREMHFWLISDUVRQ
GpWDFKHPHQWjO¶pJDUGGHODVHXOHVXEMHFWLYLWpGHO¶DXWHXURXSOXVH[DFWHPHQWGX© scripteur » - FHOXLTXLpFULYDQWQ¶a pas
encore passé le cap de la publication. Celle-FL PDUTXDQW QRXV O¶DYRQV YX OH PRPHQW R O¶°XYUH HVW SK\VLTXHPHQW GpWDFKpHGHODSHUVRQQHHQPrPHWHPSVTX¶HOOHOXLHVWV\PEROLTXHPHQWUDWWDFKpHSDUODVLJQDWXUHF¶HVWOjOHPRPHQWOH
plus apte à faire coïncider le sentiment personnel de son identité avec une représentation collective : représentation que
UHVWLWXHQWjO¶LQWpUHVVpOHVPRWVTXLOHTXDOLILHQWHWTXLSDUODSXEOLFDWLRQVHWURXYHQWLQGH[pVjGHVREMHWVWDQJLEOHVFomme
attestés par eux. AuVVLODVLJQDWXUHG¶XQFRQWUDWpGLWRULDOHVW-HOOHO¶RSpUDWLRQTXLDXWRULVHDXPLHX[ODPLVHHQFRKpUHQFHGH O¶DXWRSHUFHSWLRQGHVRLHWGHODGpVLJQDWLRQSDUDXWUXL : cohérence sensible au fait que la représentation donnée de lui-même par le sujet pourra, saQVWURSG¶KpVLWDWLRQGHWURXEOHRXGHPDXYDLVHFRQVFLHQFHHPSUXQWHUOHPRW© écrivain ». Ainsi se comprend
O¶LQYHVWLVVHPHQWGRQWFHSDVVDJHGHVHXLOSHXWIDLUHO¶REMHWHQWDQWTX¶pSUHXYHRVHMRXH± de « scripteur » à « écrivain » - un
changement de grDQGHXU HQ PrPH WHPSV TXH G¶LGHQWLWp » (Cf. Nathalie Heinich, « )DoRQV G¶ « être ª pFULYDLQ /¶LGHQWLWp
professionnelle en régime de singularité » dans Revue française de sociologie, juillet-septembre 1995, n°36, p.513).
153
Pacte = 0 QRQ VHXOHPHQW OH SHUVRQQDJH Q¶D SDV GH QRP PDLV O¶DXWHXU QH FRQFOXW DXFXQ
pacte,- ni autobiographique, ni roPDQHVTXH/¶LQGpWHUPLQDWLRQHVWWRWDOH>@/HOHFWHXUVHORQ
VRQKXPHXUSRXUUDOHOLUHGDQVOHUHJLVWUHTX¶LOYHXW329
De toute évidence, Tropismes de Nathalie Sarraute constitue un rare exemple de texte littéraire
TXLQHSHXWrWUHGpILQLG¶XQHPDQLqUHXnivoque, ni comme autobiographie, ni comme roman. Aussi semble-t-il que sa lecture est vouée à rester fortement ambiguë, et que les lecteurs pencheront pour
telle ou telle interprétation de façon purement VXEMHFWLYH2UPrPHHQO¶DEVHQFHG¶XQSDFWHGHOHFture
H[SOLFLWHLOSHXWHQHIIHW\DYRLUGDQVOHWH[WHG¶DXWUHVLQGLFHVTXLIDVVHQWEDVFXOHUO¶°XYUHYHUVXQS{OH G¶LQWHUSUpWDWLRQSUpFLV± et ce pôle est incontestablement autobiographique dans le cas de Tropismes. Il importe toutefois de souligner ici que sur une longue période, avant que Nathalie Sarraute ne prenne
place parmi les classiques du XXe VLqFOH HW TXH VD YLH HW VRQ °XYUH QH IDVVHQW DLQVL O¶REMHW G¶XQ
examen académique minutieux, cette lecture autobiographique de Tropismes était pour une large part
réservée au cercle étroit de famille et des amis intimes de la femme-écrivain, tandis que pour un
lectorat extérieur à ce cercle le texte présentait une façade GHSXUHOLWWpUDULWpO¶DSSDUHQFHG¶XQH°XYUH
entièrement inventée, voire fabriquée, jusque GDQVVHVIRUPHVHWVHVPRGHVG¶H[SUHVVLRQ&HGRXEOH
registre de lecture, romanesque pour le grand public, autobiographique pour les initiés, fait de
Tropismes un GHV PHLOOHXUV H[HPSOHV G¶XQH DXWRELRJUDSKLH détournée (et peut-être une des plus grandes mystifications de la littérature française contemporaine).
Outre les nombreux autobiographèmes qui parsèment le texte de Tropismes, on y trouve
également au niveau de la structure des indices qui ne laissent aucunement croire au caractère fortuit de la présence des éléments autobiographiques (lesquels se retrouvent, pourrait-on objecter, dans
SUHVTXHWRXWHVOHV°XYUHVG¶DUW(QHIIHWO¶DUFKLWHFWRQLTXHPDWKpPDWLTXHPHQWH[DFWHGHFHWH[WHUpYqOH jO¶H[DPHQXQHVWUXFWXUHORJLTXHVDYamment composée, qui pour être aux antipodes de O¶DVVHPEODJH SOXVRXPRLQVJUDWXLWGHYLJQHWWHVRXGHVD\QqWHVWLUpHVGHODYLHTXRWLGLHQQHHWG¶LQVSLUDWLRQYDJXHPHQW
autobiographique (ce qui correspondrait au cliché répandu du roman autobiographique dit « féminin »),
Q¶HQVXLWSDVPRLns une ligne profonde qui tient du secret autobiographique.
/¶XQLWpde ces vingt-TXDWUHVpTXHQFHVHVWHQHIIHWVRXOLJQpHSDUO¶HQFDGUHPHQWTXHIRUPHQWOHV GHX[SUHPLHUVHWOHVGHX[GHUQLHUVFKDSLWUHVGHO¶°XYUHGRQWODV\PpWULHFUpHXQHVWUXFWXUHFLUFXODLre
FHQWUpHDXWRXUG¶XQUpFLWTXLWURXYHOjUpWURVSHFWLYHPHQWVDFKURQRORJLH(QHIIHWVLO¶RQUHYLHQWXQ
instant sur le tableau récapitulatif de Tropismes dressé plus haut, RQUHPDUTXHUDG¶HPEOpHOHSXLVVDQW
MHXG¶pFKRVTXLXQLWOHGpEXWHWODILQGHO¶°XYUHSXLVTXHODGHUQLqUHVpTXHQFHUHSUHQGWUqVSUpFLVpPHQW OHWKqPHGHODSUHPLqUHGHVRUWHTXHOHWH[WHV¶RXYUHHWV¶DFKqYHVXUODPrPHLPDJHG¶ « Eux » ± la
PDVVH LQGLIIpUHQFLpH HW LQGLIIpUHQWH TXL PHQDFH O¶LQGLYLGX RVDQW SDVVHU RXWUH VHV VFKpPDV GH
comportement prescriptifs et simplistes. Les correspondances thématiques créent ainsi une première
boucle qui VFHOOHO¶XQLWpGHVYLQJW-quatre séquences. Mais il y a plus : une seconde boucle émerge de la
154
même manière par le biais de la symétrie entre la deu[LqPHHWO¶DYDQW-dernière séquence. Cette fois, le
WKqPH FRPPXQ DX[ GHX[ IUDJPHQWV HVW OD SODFH TX¶(OOH O¶KpURwQH FHQWUDOH SRXU DLQVL GLUH GH
Tropismes, occupe parmi Eux/« Ils », les individus moyens qui forment la masse. Or il est important de
QRWHUTX¶LFLODVLPLOLWXGHGXVXMHWVHUWjPHWWUHHQUHOLHIOHUHQYHUVHPHQWGHSHUVSHFWLYHTXLV¶HVWRSpUp DXFRXUVGXUpFLWHWTXLHQHVWO¶XQGHVHQMHX[HVVHQWLHOV'DQVODGHX[LqPHVpTXHQFHOHVUDSSRUWV
entre Elle et Eux nous sont en effet présentés GHO¶H[WpUieur :
E
Ellllee rassemblait à table la famille, chacun caché dans son antre, solitaire, hargneux, épuisé. «Mais
TX¶RQW-LOVGRQFSRXUDYRLUO¶DLUWRXMRXUVYDQQpV"ªGLVDLW-elle quand elle parlait à la cuisinière>«@
Et il sentait filtrer de la cuisine la pensée humble et crasseuse, piétinante, piétinant toujours
VXUSODFHWRXMRXUVVXUSODFHWRXUQDQWHQURQGHQURQGFRPPHV¶ils avaient le vertige mais ne
SRXYDLHQWSDVV¶DUUrWHU>@
« Mais peut-être quepour eux F¶pWDLWDXWUHFKRVHª&¶pWDLWFHTX¶LOSHQVait, écoutant, étendu sur son lit, pendant que comme une sorte de bave poisseuse OHXUSHQVpHV¶LQILOWUDLWHQOXL, se collait à lui, le tapissait intérieurement.330
Dans cette séquence, le point de YXHVXUOHTXHOHVWD[pHODGHVFULSWLRQGHO¶XQLYHUVG¶© Elle » est
aisé à identifier : le foyer de perception est en effet directement et explicitement indiqué (« il sentait », « F¶pWDLWFHTX¶LOSHQVDLWªGHVRUWHTXHOHOHFWHXUFRPSUHQGG¶HPEOpHTX¶RQQHODYRLW© Elle ») que
SDU OHV \HX[ GH VRQ PDUL TXL O¶REVHUYH WDQGLV TX¶HOOH YDTXH j VHV routines quotidiennes. Par des moyens moins apparents, mais tout aussi nets, le texte suggère fortement un rapprochement implicite entre « Elle » et la masse indistincte des « Ils », des Monsieur et Madame Tout-le-Monde. On constate
DLQVLSDUH[HPSOHSDUH[HPSOHTXHGDQVO¶H[WUDLWFLWpSOXV KDXWOHVXMHWGHODSKUDVHDWHQGDQFHj JOLVVHUIDFLOHPHQWGHO¶XQGHFHVSURQRPVjO¶DXWUHGX© ils » au « elle ªHWjUHERXUVWRXWFRPPHO¶RQ UHPDUTXHO¶LQWURGXFWLRQG¶XQWURLVLqPHterme, qui alimente le rapprochement entre ces deux instances :
OHVPXOWLSOHVUpIpUHQFHVDX[REMHWVFRQFUHWVG¶XQHSLqFHELHQVSpFLILTXHGHO¶DSSDUWHPHQWjVDYRLUOD FXLVLQHHWSDUDVVRFLDWLRQG¶LGpHVjO¶XQLYHUVUHVWUHLQWGHODYLHGRPHVWLTXHVHUYHQWDinsi à rapporter
OHVVRXFLVGHODPDvWUHVVHGHODPDLVRQDX[SUpRFFXSDWLRQVGHO¶KRPPHPR\HQjO¶HQQX\HXVHEDQDOLWp
du « commun des mortels ». Les deux procédés sont significatifs de ce regard extérieur, qui se pose sur
Elle sans rien approfondir de sa peUVRQQDOLWp HQ QH UHWHQDQW G¶HOOH TXH OD ©IHPPH G¶LQWpULHXU »,
indissociable des contingences de la sphère domestique.
(QUHYDQFKHGDQVO¶DYDQW-dernière séquence du texte, cette relation qui la lie (« Elle ») à la foule
anonyme (« Ils »), se trouve réinWHUSUpWpH GH IRQG HQ FRPEOH GX VLPSOH G¶XQ GpSODFHPHQW GH OD
focalisation énonciative et narrative, puisque la situation est dorénavant considérée du point de vue intérieur de la protagoniste :
Et peu à peu une faiblesse, une mollesse, un besoin de se rapSURFKHUG¶HX[G¶rWUHDSSURXYpHSDU
eux, la faisait entrer avec eux dans la ronde. Elle sentait comme sagement [...] bien sagement, comme une bonne petite fille docile, elle leur donnait la main et tournait avec eux.331
Ainsi retrouve-t-on bien, aux deux exWUpPLWpVGXWH[WHjWUDYHUVO¶LPDJHGHOD© ronde », le même
PRWLIVLQRQG¶XQHFRPSOLFLWpVHFUqWHGXPRLQVG¶XQHFHUWDLQHVLPLODULWpGHGHVWLQHQWUH(OOHHW(X[ :
330 Nathalie Sarraute, Tropismes3DULV0LQXLWSRXUO¶pGLWLRQRULJLQDOHS-17.
155 ce second exemple de parallélisme, reposant sur les échos thématiques, entre le début et la fin de
O¶°XYUHVRXOLJQHQHWWHPHQWO¶XQLWpGHO¶HQVHPEOHMais il se trouve que le lecteur retire cette fois de la
« ronde » des activités sociales une image radicalement différente HQWUHOHGpEXWHWODILQGHO¶°XYUH
il a parcouru la distance qui sépare le dédain du sujet masculin pour « OHXUSHQVpH>«@WRXUQDQWHQ
rond » du « EHVRLQ>«@G¶HQWUHUDYHFHX[GDQVODURQGHªTX¶H[SULPHGHVDSURSUHYRL[LQWpULHXUHHW
de sa propre perspective, le sujet féminin. Ce glissement des angles de vision, qui nous fait entrer
progressivement dans la conscience du personnage principal, et même habiter celle-FLGHO¶LQWpULHXU
UpVXPHELHQO¶pYROXWLRQTXHOHWH[WHQRXVODLVVHVDLVLUHQWUHFHVGHX[VpTXHQFHVSRXUWDQWPDUTXpHVSDU
le recours apparent au même sujet - les rapports entre « Elle » et « Ils », des hommes moyens. Ainsi, pour ne pas en rester à une vision de détail et replacer à présent ces éléments sur le plan de la structure générale du texte, la récurrence du même motif, qui subit lors de sa reprise des modifications en apparence légères et superficielles, mais qui en affectent le sens en profondeur, permet de donner une
direction claire au déploiement du récit dans Tropismes : partant GHO¶LPDJHH[WpULHXUHTXHSURMHWWHOD
protagoniste, ainsi réduite du dehors au cliché de la « femme au foyer », de la « IHPPHG¶LQWpULHXU »,
RLVLYHHWXQSHXQLDLVHO¶pFULYDLQGpSODFHSURJUHVVLYHPHQWODQDUUDWLRQYHUVO¶LQWpULRULWpV¶DSSURSULDQW
cette image « pour-autrui ª HW V¶HQ IDLVDQW XQH DUPH XQH SRLQWH DFpUpH SRXU SpQétrer ensuite dans
O¶LQWLPLWpGHO¶rWUH© pour-soi ªGHO¶KpURwQHSULQFLSDOHGHO¶°XYUH
¾ /HWHPSVGHO¶KLVWRLUHSHUVRQQHOOH : saccades, époques et tournants
/¶pYROXWLRQ TXL VH SURGXLW HQWUH FHVdeux pôles de la narration, marqués par un glissement