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3. DISCUSSION

3.1. La gestion des données dans le cadre de la surveillance et de la lutte

Les prospecteurs acridiens accomplissent un difficile et rude travail de terrain, les conditions sont éprouvantes, parfois dangereuses. Les informations collectées sont transmises en temps réel aux centres d’analyse qui procèdent à des interprétations immédiates pour suivre l’évolution de la situation acridiennes (dynamique des populations acridienne et état de l’environnement). Il est ainsi possible de dégager jour après jour une stratégie d’intervention en fonction des moyens disponibles.

Si l’exploitation extemporanée des données collectées constitue l’objectif principal, on peut également envisager une exploitation différée ces archives qui se trouvent valorisée par une analyse diachronique à moyen et long termes. Les ressources récentes de l’informatiques et en particulier des bases de données relationnelle ouvrent des perspectives nouvelles. Des les années 1990, une première tentative d’informatisation des archives acridiennes de Mauritanie a été tentée sous la forme de la base LOCDAT (sous DBase IV) dont l’usage s’est révélé fort peu ergonomique en raison d’une structure beaucoup trop rustique et fort peu conviviale. Dès 1993, la FAO proposait une nouvelle structure en MS-ACESS : la base RAMSES (Cherlet 1993) qui fut ensuite couplée avec un SIG (ArcView) autorisant toute une gamme de sorties cartographiques pré-définies et standardisées. Plusieurs versions successives ont été mises à la disposition des pays et en particulier de la Mauritanie. Les 20 000 enregistrements déjà saisis sous LOCDAT ont été transcrits et transposés au format RAMSES. Si bien que plus de 50 000 enregistrements sont actuellement disponibles pour la Mauritanie, couvrant une période allant de (1968) 1988 à 2007. L’essentiel des résultats présentés dans le premier chapitre de ca travail ont été obtenus à partir de la base RAMSES de mauritanie mais l’exploitation des données suggère plusieurs remarques opérationnelles.

Les données sont d’origines différentes et la structure des informations a varié au cours d’un quart de siècle de prospection : tous les descripteurs ne sont donc pas disponibles pour tous les enregistrements.

Les transpositions du système LOCDAT en RAMSES ont généré des erreurs de conversion qui ne sont pas toutes détectées ; des vérifications doivent être entreprises en particulier en ce qui concerne la codification des espèces végétales.

La structure de la base RAMSES reste très analytique, il a donc fallu créer une table complémentaire permettant de disposer simplement (en évitant le recours à des requêtes complexes) des informations synthétiques relatives :

– à la présence/absence de Criquet pèlerin sur le site référencé,

– au chrono-référencement (jour, décade, mois, trimestre, campagne, etc.), – à l’état phasaire, (solitaire, transiens, gégaire),

– à l’état phénologique (larve, imagos),

– au contexte acridien (rémission, résurgence, recrudescence-invasion, déclin), – au contexte institutionnel (OCLALAV, CLAA, CNLA, etc.).

La richesse de la base est telle, que seule une fraction de l’information a été exploitée et validée.

Cependant, il faut souligner que trop peu d’attention est porté aux solitaro-transiens, stade phasaire capital pour la localisation des foyers de grégarisation : là où s’amorce la transformation phasaire de grégarisation. La localisation de ces foyers revêt une grande importance stratégique car une analyse fréquentielle temporo-spatiale conduirait à une typologie probabiliste susceptible d’orienter géographiquement les prospections en fonction des saisons lorsque les effectifs acridiens laissent craindre des regroupements ou des pullulations grégarisantes.

Bien que perfectible, RAMSES est un outil puissant d’analyse et de synthèse de l’information acridienne en temps réel comme en temps différé. Une des conséquences les plus positives a été l’obligation de recourir à une fiche d’observation standardisée qui permet de disposer de données structurellement homogènes. Le second point fort est de disposer de bloc de données considérable, chrono- et géo-référencé autorisant de multiples investigations croisées, diachroniques ou synchroniques.

Dans le cas de la Mauritanie la connaissance de la biogéographie du Criquet pèlerin a été affinée, en précisant pour les différentes phases quelles étaient les aires de distribution et les barycentres des populations en fonction des saisons ce qui conduit à distinguer 7 acrido-régions ayant une valeur bioécologique mais aussi opérationnelle pour la conduite de la surveillance et de la lutte préventive.

Ce type de travail présente un intérêt capital pour l’amélioration des connaissances, de la conception et de la mise en œuvre de la stratégie de lutte préventive contre le Criquet pèlerin dans le pays ainsi que pour l’ aide à la décision à condition toutefois que les informations soient archivées avec rigueur et que les info critiques soient disponibles et qu’une attention particulière soit portée à la description des populations solitaro-transiens.

Il reste, bien sûr, des archives non exploitées telle que celles de l’OCLALAV (1965-1987) encore sous forme de carnets de messages radio au Siège de Dakar. Elles ont été partiellement exploitées par Popov (1997, 1992) mais elles devraient être informatisées. Compte-tenu de l’importante transformation des milieux sahelo-saharien lors du dernier demi-siècle des comparaisons diachroniques seraient possibles.

Par conséquent et au vu du caractère transfrontalier du fléau acridien, il serait utile que les autres pays de la région occidentale comme ceux des autres région l’aire de distribution du Criquet pèlerin engagent des travaux similaires sur leurs archives acridiennes. Ce qui permettra d’améliorer les connaissances synoptiques du fléau et l’amélioration globale de sa lutte préventive et curative au bénéfice de tous.

3.1.1. Climat, météorologie, Criquet pèlerin en Mauritanie

Le climat est une composante structurante essentielle de l'environnement acridien ; il permet de caractériser les entités géographiques et en particulier les éco-régions mais aussi de comprendre les causalités fonctionnelles des acrido-régions. On doit cependant regretter que les données disponibles concernent essentiellement la partie méridionale du territoire mauritanien si bien qu’il reste difficile de cerner avec précision les caractéristiques des entités centrales et septentrionales. Les facilités offertes par les stations météorologiques semi-automatiques modernes sont à prendre en considération pour envisager des implantations ciblées qui permettraient de constituer les indispensables référentiels du futur car au delà des anti-acridiens d’autres praticiens sont également concernés.

La météo régit, pro parte, la dynamique des populations acridiennes. Dans les milieux sahariens et péri-saharien la redistribution des eaux joue un rôle fondamental sur la dynamique fonctionnelle des biotopes acridiens tous les éléments qui permettent d’évaluer le bilan hydrique des sols sont à prendre en considération mais pour cela il faut se donner les moyens de travailler à la micro-échelle.

Cependant, même à la méso-échelle des relations semblent se dégager entre les excédents pluviométriques saisonniers et le déclenchement des recrudescences.

En effet, si l’on retient 8 stations réparties de façon représentative sur l’ensemble du territoire mauritanien (tableau XL) et que l’on compare les quantités de précipitations enregistrées l’année d’une recrudescence/invasion (année 1), l’année suivante (année 2) aux moyennes pluviométriques inter-annuelles de la période (1972-2005) on observe un lien très perceptible. Bien que certaines de ces stations aient parfois quelques lacunes, on perçoit une corrélation entre les années d’excédents pluviométriques et les années de fortes activités acridiennes au plan national mais aussi par zone.

Tab. XL : Pluviosité comparée de 8 stations durant la première année et la deuxième année de

recrudescence avec la moyenne inter-annuelle pour la période 1972-2005.

Stations Moy 1972-2005 A1_Inv-87 A2_Inv-88 A1_Inv_93 A2_Recr-94 A1_Rec-03 A2_Rec-04

Bir Moghrein 32 77 31 36 32 183 20 Zoueratt 51 118 11 81 81 38 83 Atar 72 52 68 79 74 207 40 Tidjikja 92 41 142 136 47 114 61 Aleg 179 137 191 211 183 407 210 Rosso 198 197 278 187 225 332 232 Nema 201 132 199 179 435 454 260 Kaedi 247 274 262 328 263 341 342 moy 134,0 128,5 147,8 154,6 167,5 259,5 156,0 Total 1072 1028 1182 1237 1340 2076 1248

Ainsi le dépassement des cumuls pluviométriques annuels par rapport aux moyennes inter-annuelles a été enregistré au cours de 2 recrudescences sur 3, enregistrées durant les vingt derrières années. En 2003, la pluviosité quasiment le double de la moyenne inter-annuelle. Chaque cas présente ses particularités. L’excédent pluviométrique peut être généralisé (2003) ou localisé ce qui influe sur la zone de pullulation et de regroupement ultérieur. Ainsi en 1987, l’invasion a démarré en zone hiverno-printanniére dans le Nord du pays, la moyenne annuelle a été dépassée dans les deux stations correspondant à cette zone. En 1993, l’invasion a commencé au Tagant, où la station de Tidjikja montre un excédent. En 2003, c’est encore le centre du pays (Adrar, Nord-Tagant) où les pluies ont enregistré un excédent comme d’autres postes, d’ailleurs.

La comparaison pour les 8 stations entre la deuxième année de recrudescence et la moyenne inter-annuelle pour la période 1972-2005 montre qu’en année 2 du démarrage d’une recrudescence/invasion, les cumuls annuels vont généralement dépasser les moyennes inter-annuelles des 3 événements (Recrudescence /invasion).

Cependant le dépassement n’est forcément général, il peut varier en fonction des zones de reproduction. Ainsi au Nord la moyenne est dépassée, durant 2 événements sur 3, au centre 1 fois sur 3, tandis qu’au Sud et au Sud-Est, il y a dépassement dans les 3 cas.

Une nette tendance se dégage de ces observations : les excédents pluviométriques sont favorables aux pullulations et à la grégarisation du Criquet pèlerin. Même géographiquement limités ils peuvent influer sur la dynamique générale des populations et ils sont d’autant plus redoutables qu’ils concernent plusieurs reproductions successives. Il est regrettable que nous ne disposions pas de suffisamment de répétitions pour confirmer ou infirmer statistiquement ces observations mais on peut mentionner que la sagesse populaire associe les bonnes années de récolte aux années pluvieuses et... aux années à criquets !

Sur le plan pratique, ceci contribue à l’aide à la décision. En effet, dans la gestion des campagnes de lutte contre les recrudescences et invasions nous allons pouvoir mieux planifier nos opérations d’intervention et de logistique en renforçant la vigilance dès que des excédents pluviométriques seront détectés soit localement sur une ou plusieurs acrido-région soit sur l’ensemble du territoire. En fonction de la localisation et de la saison des excédents observés nous disposons donc d’une possibilité d’anticipation.

3.1.2. Limites spatiales et temporelles des biotopes acridiens

L’analyse des données historiques nous a montré que le Criquet pèlerin trouvait sur le territoire mauritanien des espaces complémentaires qu’il exploitait de façon préférentielle et circonstanciée en fonction de son état phasaire et de sa phénologie. Sept entités territoriales ont ainsi été mises en évidence et qualifiées d’acrido-régions. Trois d’entre elles (3, 4 et 5) revêtent une importance primordiale pour la compréhension des phénomènes de transformation phasaire primaire car il est montré que ces événements ne sont pas homogènement répartis mais se rassemblent sur des territoires restreints et, qui plus est, à des saisons particulières.

Par ailleurs, une synthèse a été faite des composantes mésologiques qui structurent l’espace acridien : géologie, géomorphologie, climat, végétation, etc. Elle est intégrée dans une spatialisation géographique qui conduit à distinguer 49 unités territoriales écologiquement homogènes et hiérarchisées en Mauritanie.

Dès lors il devient possible de croiser les informations pour tenter de déceler une part plus ou moins grande de la causalité écologique ou biogéographique des acrido-régions. Cette démarche nous amène à souligner que nous ne disposions pas de données suffisamment homogènes, consistantes et cohérentes pour aller plus loin dans la construction d’un SIG performant mais cette voie d’investigation nous espérerons pouvoir l’approfondir dans les années à venir, persuadé que ce qui est utile à la compréhension de l’écologie du Criquet pèlerin, l’est tout autant pour l’agriculture ou l’élevage dans notre pays. Il faudra se donner les moyens d’aller plus loin mais nous pouvons désormais le faire en connaissance de cause et dégager prioritairement les points de blocage qui ont été détectés.

Plusieurs paramètres sont à prendre en compte :

– augmenter le nombre de stations météorologiques, dans les sites les plus sensibles ;

– procéder à une nouvelle typologie des quarts de degré carré sur la base d’analyses factorielles des correspondances et de classifications ascendantes hiérarchiques afin de préciser les limites et les caractéristiques acridiennes des éco-régions ;

– évaluer l’impact exact de la dérive climatique des dernières années sur les caractéristiques géomorphologiques et le tapis végétal (structure et composition floristique) des principaux biotopes acridiens, en utilisant comme référence les cartes IGN des années 1960 pour les comparer aux images satellitaires récentes.

La dynamique des populations acridiennes est la résultante de l'action des conditions dynamiques (entre autres, météorologiques) sur les structures statiques des environnements

acridiens. La lutte préventive repose sur une connaissance aussi exacte que possible, quantitative (effectifs acridiens et surfaces plus ou moins favorables disponibles) et qualitative (phase et phénologie) des populations acridiennes.

Il faut évaluer les facteurs de natalité, de mortalité et de déplacement pour gérer les populations et pour cela les ressources en eau (à la méso-échelle, niveau régional) et au niveau local (biotope) sont discriminantes. On comprend dès lors l'importance de la télédétection :

– pour évaluer les apports hydriques (zones où il a plu) de façon synoptique et pour suivre les effets de ces apports hydriques, en particulier sur l’activité du tapis végétal. Pour cela, de gros espoirs reposent encore sur les capteurs à basse résolution et à courte périodicité, en particulier dans les “radars” sensés pouvoir évaluer les variations de la température du sol : conséquence immédiate de l’évaporation due abondante humidité édaphique de surface mais la méthode reste à mettre au point ;

– pour délimiter et évaluer l’impact des conditions météorologiques sur des structures mésologiques préalablement identifiées et caractérisées quant à leur potentiel acridien. pour cela le recours à des images issues de capteurs à haute définition à des moments critiques (les saisons les plus favorables au cours des années disponibles). Dans le cas présent il est évident que les images du dernier trimestre l’année 2003 pourraient constituer une référence pour évaluer le potentiel écologique des biotopes acridiens de nombreuses écorégions de Mauritanie.

Une stratégie d'investigation moderne à mettre au point les tentatives faites en ce domaines n’ayant pu être menées à termes pour diverses raisons (principalement, la qualité des images disponibles n’était pas adaptée à l’objet d’étude). Les travaux engagés ont néanmoins permis de souligner l’importance de disposer données indépendantes, comparables à la même échelle d'investigation or les investigations ont été menées à différentes échelles s’emboîtant progressivement :

Les niveaux d’intégration impliquent un “emboîtement des échelles” :

• Biotope élémentaire /association végétale /unité morphopédo • Station-biotope complexe /synassociation végétale /toposéquence

• Unité de paysage /itération des synassociation /unité géomorphologique • Région naturelle ... |

| Acridorégions fonctionnelles • Domaine climatique ou bioclimatique.... |

• (Pays)

• Macro-région occidentale, centrale, orientale • Aire de dispersion de l’espèce Schistocerca gregaria

La clé du problème se situe au niveau des biotopes complexes ou “stations” regroupant un ou plusieurs biotopes “élémentaire” et constituant les unités écologiques fonctionnelles. Il s’agit en effet d’apprécier quelles sont les surfaces en jeu et quel est le potentiel bioécologique maximal de chaque type de station :

– pour la survie du Criquet pèlerin : la qualité de l’abri et de la nourriture,

– pour la reproduction : la nature et l’humidité du sol (possibilité de ponte), la qualité de l’abri et de la nourriture pour une durée minimale assurant un développement larvaire, – pour la grégarisation : la nature et l’humidité du sol, la qualité de l’abri et de la

nourriture pour la durée d’un développement larvaire et le potentiel de densation (hétérogénéité structurale, dessèchement différentiel, etc.).

Il faut ensuite prendre en compte :

– de la disponibilité des populations, leur état phasaire d’origine, leurs effectifs, etc.

– de l’accessibilité (saisonnière et effective) des biotopes au moment où les insectes sont disponibles.

Dès lors que ces informations sont disponibles il devient possible d’accéder aux densités l’unique facteur-clé de la transformation phasaire.

L’inventaire descriptif, causal et hiérarchisé des biotopes du Criquet pèlerin en Mauritanie a été amorcé. Les investigations sont à poursuivre afin de répertorier les types de biotopes en fonction des écorégions et en évaluer le potentiel écologique en matière de survie, de reproduction et de grégarisation. C’est un travail indispensable qu’il reste à amplifier et à préciser.