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La phonologie de dépendance

3.3.2 Le geste catégoriel : phonation

3.3.2.1 Avant-propos

Contrairement au geste articulatoire, le geste catégoriel est divisé en deux composantes : la phonation et l’initiation. La phonation permet de représenter des traits de classe majeure, selon la terminologie générativiste, pour caractériser par exemple des obstruantes, des fricatives, ou encore des voyelles. L’initiation va mettre en évidence l’état de la glotte. Le caractère voisé ou non d’un segment apparaît comme binaire et non pas comme graduel. D’un autre côté, l’ouverture de la glotte est graduelle puisqu’il n’y a pas le même degré d’ouverture entre par exemple un murmure, la voix « craquée » ou un coup de glotte. Il existe donc deux paramètres phonologiques qui ont leur propre corrélat phonétique mais qui structurellement ne se construisent pas de manière identique.

Anderson et Ewen (1987) proposent d’attribuer le caractère voisé au sous-geste de phonation alors que l’état d’ouverture de la glotte sera représenté dans l’initiation. En adoptant cette solution, les auteurs indiquent qu’il est possible de saisir la notion phonologique de complexité. En effet, dans les langues où la seule opposition distinctive au niveau de l’étage laryngé concerne le voisement, le sous-geste initiation devient phonologiquement superflu. En anglais, les représentations infrasegmentales feront intervenir le geste articulatoire et la phonation du geste catégoriel. En thaï, étant donné qu’il existe des distinctions phonologiques entre /b, p, ph/, la représentation infrasegmentale fera intervenir le geste articulatoire et les deux sous-gestes catégoriels.

En développant les primitives utilisées par la DP pour formaliser le geste arti-culatoire, nous avons montré qu’il existe des points communs avec la théorie des éléments utilisée notamment en phonologie du gouvernement. Pour le geste caté-goriel, il en va tout autrement. Dans la théorie des éléments, le mode d’articulation est structuré par différentes primitives telles que {P} l’occlusion ou encore {h} le bruit. Nous allons montrer qu’en DP les primitives sont différentes.

3.3. Le cadre infrasegmental

3.3.2.2 Représentations

En phonologie générative, il existe deux traits de source fondamentaux : [vo-calique] et [consonantique]. Dans ce cadre, les voyelles reçoivent les traits [+ voca-lique] et [− consonantique], les obstruantes [− vocavoca-lique] et [+ consonantique] alors que les liquides qui ont à la fois des propriétés acoustiques propres aux voyelles et aux consonnes sont logiquement caractérisées comme [+ vocalique] et [+ conso-nantique]. Deux primitives sont utilisées pour la modélisation du geste catégoriel en DP : |V| et |C|. Elles représentent respectivement une composante relativement périodique et une composante de perte d’énergie périodique. Ces deux éléments sont très proches des traits Jakobsonien [vocalique] et [consonantique] mais confor-mément au cadre de la DP, ceux-ci ne sont pas binaires et peuvent se combiner. Seules, ces primitives caractérisent deux extrêmes sur une échelle de périodicité et représentent respectivement les voyelles et les plosives non voisées.

Les consonnes sonantes, qui sont vues comme des combinaisons de paramètres propres aux voyelles et aux consonnes, feront intervenir les deux primitives. Étant donné que les sonantes sont marquées d’une structure formantique, il semble plus adéquat de postuler qu’entre ces deux primitives, |V| doit gouverner |C|. Au sein de cette classe des sonantes, les nasales et les liquides forment elles aussi des classes naturelles indépendamment l’une de l’autre. En termes acoustiques, les liquides semblent plus proches des voyelles que les nasales. La solution adoptée pour rendre compte de cet état de fait se trouve dans la modélisation de la structure gourvernée : concernant les nasales |V| vient gourverner |C| alors que les liquides qui montrent une énergie périodique plus importante, ont un |V| qui gouverne |V : C|.

Les fricatives sont moins périodiques que les voyelles et les sonantes. Elles sont néanmoins moins touchées par la réduction d’énergie que les plosives. Ainsi, il va falloir leur attribuer un élément |V| mais qui sera moins prépondérant que pour les sonantes. La possibilité de faire intervenir un gouvernement mutuel entre des primitives va ici être utilisée. Les fricatives seront donc représentées par |V : C|.

Lors de l’avant-propos de cette section, nous avons expliqué que le choix opéré concernant le voisement était de le faire figurer dans le geste phonatoire du geste catégoriel. Lors de la vibration des cordes vocales, l’addition de cette source har-monique à une consonne augmente la périodicité de cette même consonne. Pour rendre compte de ce phénomène, il est possible d’ajouter un élémént |V| à la repré-sentation des plosives et des fricatives. Contrairement aux sonantes, cet élément ne sera pas gouverneur de la structure mais gouverné. Ce postulat permet de rendre compte du fait que pour les voyelles, les nasales et les liquides, le voisement est inhérent alors que pour les plosives et les fricatives il est optionnel. Nous pouvons résumer dans la Figure 3.29 ce que nous venons de décrire.

Figure 3.29 – Geste catégoriel.

Voyelle Liquide Nasale Fricative

voisée V V,C V C V V V : C {|V|} {|V ; V,C|} {|V ; C|} {|V,C ; V|} {|V|} {|V → V,C|} {|V → C|} {|V,C → V|}

Fricative Plosive Plosive

non voisée voisée non voisée

V : C

V

C C

{|V : C|} {|C ; V|} {|C|}

{|V ↔ C|} {|C → V|} {|C|}

des classes naturelles. Nous les représentons dans le tableau 3.3.

Il faut noter qu’il existe toutefois des contraintes qui pèsent sur l’écriture du geste catégoriel.

Contraintes d’écriture du geste catégoriel :

(a) Au maximum deux occurrences de chaque élément (|V| ou |C|) peuvent être présentes dans la représentation d’un geste catégoriel.

(b) Si deux occurrences d’un même élément sont présentes dans la représentation d’un geste catégoriel, alors l’une des deux doit être dépendante de l’autre.

Une dernière remarque s’impose à ce stade. Les nasales sont les seuls segments qui se voient assigner deux fois (geste catégoriel et geste articulatoire) une seule spécification (la nasalité). Lass (1984), p. 289, justifie cet état de fait :

This may appear redundant, but there is a double justification : (a) pho-netically nasals are unique by virtue of their nasality (of course) ; (b) phonologically they are unique in that even though they may group with other sonorants (hence the |V|), they do not seem to enter into lenition scale, and often show ‘stronger’ or more obstruent-like properties than liquids.

3.3. Le cadre infrasegmental

Table 3.3 – Expression des classes naturelles en phonologie de dépendance, d’après Anderson et Ewen (1987), p. 158. Classe majeure : Classe Représentation Voyelles {|V|} Sonantes {|V|→} Consonnes sonantes {|V|→C} ou {C9} Obstruantes {|C→|} Consonnes {C} Sous classe : Classe Représentation Fricatives {V :C→} Consonnes continues {V :C}

Obstruantes non continues {|C|→}

Obstruantes non voisées {C9V}

Obstruantes voisées {C→V}

Voisées continues {V, V}

3.3.2.3 Échelle de sonorité

La représentation exposée précédemment possède deux avantages supplémen-taires à celle des classes naturelles. En premier lieu, la hiérarchisation proposée permet de rendre compte des processus phonologiques récurrents que sont la lé-nition et la fortition. Par ailleurs, il n’y a pas de dispositif prévu à cet effet dans les travaux de la phonologie générative. Chaque stade de ces processus peut être expliqué par le taux d’éléments |C| ou |V| qui augmente ou diminue. En effet, dans un cas de lénition par exemple, on passera d’une représentation qui possède plus d’éléments |V| que dans la représentation suivante.

En second lieu, on peut constater que l’écriture du geste catégoriel est redon-dante avec l’échelle de sonorité. Dans les syllabes, la voyelle représente le pic de sonorité et plus on s’éloigne du noyau plus la sonorité diminue. Par exemple, dans une coda branchante, la deuxième consonne doit être moins sonore que la pre-mière qui de fait est plus proche du noyau. Dans une représentation en DP, cette échelle de sonorité est directement lisible, ce qui répond à l’exigence posée par Kiparsky. Le noyau de la syllabe possède un geste catégoriel de type {|V|} et, plus on s’éloigne de celui-ci, plus il y aura d’éléments {C}. Les attaques et codas seront foncièrement moins sonantes que le noyau.