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La phonologie de dépendance

3.1.2 Analogie structurale

Nous avons abordé le fait que les premières représentations dépendancielles pro-posées (Anderson et Jones, 1974), Anderson et Ewen (1987) ont été très innovantes. Celles-ci ont été conçues pour formaliser la notion tête/subordonné (argument ou modifieur). Ce sont des notions largement utilisées dans les représentations syn-taxiques.

These notions are familiar from traditional and recent grammar where, for instance, a verb is said to ‘govern’ the noun phrases in its frame (in the sense that it imposes restrictions on their nature).

Durand (1990), p. 277.

3.1. Introduction

Dès les premières théories basées sur la dépendance (Tesnière, 1934, 1959) mais également dans les premières grammaires de dépendance (Hays, 1960, 1964), des gouverneurs et des gouvernés ont été établis en syntaxe. Anderson (1971) a d’ailleurs poursuivi ce travail. Dans un exemple comme « Many linguists go to

Essex », le verbe « go » est, en grammaire de dépendance, l’élément pivot qui

permet de créer un lien entre « Many linguists » et « to Essex ». Nous illustrons dans la Figure 3.3 une représentation classique en grammaire de dépendance de cet exemple.

Figure 3.3 – Représentation syntaxique en grammaire de dépendance de « Many

linguists go to Essex », d’après Durand (1990), p. 277.

many linguists go to Essex

◦ ◦ ◦ ◦ ◦ D N V P N

Le gouvernement est exprimé, dans ce cadre, grâce à un arc reliant deux nœuds. Le nœud du gouverneur est toujours placé plus haut que les nœuds des gouvernés (que l’on appelle aussi dépendants). Ainsi, « go » gouverne directement « linguists » et « to ». À leur tour, « linguists » et « to » gouvernent respectivement « many » et « Essex ». Cette représentation permet également d’exprimer la précédence, par exemple, « many » est linéarisé immédiatement à gauche de « linguists ». La précé-dence est donc exprimée par l’ordonnancement des nœuds reliés à leurs terminaux : les mots.

Ce type de représentation est tout à fait possible en phonologie (cf. Figure 3.4). La syllabe a une tête qui, le plus souvent dans les langues, est une voyelle. Dans cette Figure, la voyelle est donc le gouverneur de la structure générale. Les autres segments de la syllabe sont hiérarchisés en fonction de l’échelle de sonorité (les segments les plus sonants sont les plus proches de la voyelle). Ainsi, /l/ et /n/ gouvernent respectivement /f/ et /t/.

La relation primordiale de dépendance dans les représentations phonologiques a été introduite comme analogue aux représentations syntaxiques. Cette analogie entre les différents niveaux ne s’applique pas qu’à la phonologie mais trouve aussi sa place en morphologie (Williams (1981), Di Sciullo et Williams (1988), Anderson (1980), Anderson (1992) ou encore Colman (1985, 1994)).

Les objets de la linguistique peuvent être représentés à différents niveaux dont chacun possède ses propres principes d’organisation et porte sur différents

do-Figure 3.4 – Représentation phonologique en grammaire de dépendance de

« flint », d’après Durand (1990), p. 279.

f l i n t ◦ ◦ ◦ ◦ ◦

maines. La distinction majeure entre tous ces niveaux linguistiques se trouve être la substance étudiée (cf. « substantive alphabet », Anderson (2002), Anderson et Ewen (1987)). En effet, les représentations peuvent être construites sur différentes primitives : les éléments, les mots, les segments, etc. Dans cette hypothèse, même si la substance est différente entre chaque niveau, les mêmes propriétés structu-rales se retrouvent dans les représentations linguistiques. Ce principe est appelé la

« Structural Analogy Assumption » et se voit défini ainsi :

structural analogy assumption

The same structural properties are to be associated with different levels of representation except for differences which can be attributed to the different character of the alphabet involved (as in the case of planes) or to the relationship between the two levels (as may be the case with any pair of levels), including their domains.

Anderson (2002), p. 3, Anderson (2013).

Le même type de structure doit être appliqué en syntaxe et en phonologie. Pour souscrire à ce principe, en DP, chaque terminal autrement dit chaque segment doit être associé à un nœud de la structure suprasegmentale. C’est la connexion entre ces nœuds qui va déterminer la dépendance entre les segments ; nous y reviendrons (§ 3.2). De plus, les relations de dépendance sont non seulement utilisées dans les relations suprasegmentale, comme nous venons de l’évoquer, mais aussi dans les représentations infrasegmentales, point que nous aborderons en § 3.3.

3.2 Le cadre suprasegmental

Le même type de structure dépendancielle est adopté en syntaxe et en phonolo-gie. Ce type de modélisation est applicable à la fois au niveau lexical et au niveau post-lexical. En effet, nous montrerons comment les représentations lexicales se

3.2. Le cadre suprasegmental

voient enrichies d’une arborescence plus importante lorsqu’elles passent au niveau post-lexical.

Il faut comprendre cette structure suprasegmentale comme une projection des segments. C’est-à-dire que ce ne sont pas les segments en eux-mêmes qui viendront se raccrocher à un certain modèle suprasegmental déjà établi. Au contraire, c’est la structure qui se construit en fonction des relations entretenues par les segments. En effet, il existe toujours un élément plus saillant que d’autres d’un point de vue structurel ou encore prosodique. C’est cet élément qui viendra gouverner les autres et qui, de fait, nous permettra de construire la représentation. Nous avons vu, dans la Figure 3.4, qu’une voyelle gouverne une consonne, la structure de cette voyelle sera donc plus développée que celle des consonnes. Les voyelles prosodiquement accentuées gouvernent les autres voyelles, de sorte que la structure de ces premières seront plus développées que la structure des voyelles gouvernées. Sur ce point, nous nous démarquons très nettement de la phonologie proposée entre autres par Scheer. En effet, chez ce dernier, les segments considérés doivent être appliqués à un patron précis, à savoir la séquence Consonne-Voyelle.