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Le corpus PFC/LVTI Toulouse et Marseille

4.3.1 Le choix des localisations

Nous avons expliqué précédemment pourquoi le programme LVTI s’est concen-tré sur les villes de Manchester et de Toulouse. Ces deux villes sont de grandes métropoles régionales relativement comparables. Aucune de ces deux villes n’a fait l’objet d’étude sociolinguistique de grande ampleur. De plus, ce type d’étude pourrait amener des éléments de réflexion à la problématique du nivellement (cf. section 4.2.1.3), du non-nivellement et du contre-nivellement dans l’espace linguis-tique européen. Nous souhaitons maintenant développer les raisons plaidant pour une étude socio-phonologique à Toulouse et à Marseille.

4.3.1.1 Marseille

Marseille, chef lieu des Bouches-du-Rhône, est la plus ancienne ville de France (Duchêne et Contrucci, 1998). Dans leur ouvrage Marseille : 2600 ans d’histoire, Duchêne et Contrucci (1998) montrent que déjà à l’époque gréco-romaine, Mar-seille a subi une très forte croissance. Ville portuaire, elle s’est tournée vers la Méditerranée pour effectuer des échanges commerciaux avec l’Égypte, la Grèce, l’Asie mineure ou encore Rome. Ce développement a perduré durant le Moyen-Âge puisque le port de Marseille constituait la principale porte d’entrée vers le bassin méditérannén ; ce port a notamment été le lieu systématique de départ des croisades. À partir du XVIIe siècle, Marseille est en grand essor, le commerce se développe, et elle devient le premier port de France. Ajoutons par ailleurs que la naissance de la ville de Marseille est souvent datée de l’année 1666, année de grande restructuration et d’agrandissement de la ville aux, désormais, 111 quartiers. Toute

l’économie est basée sur l’activité portuaire et les échanges commerciaux. Aujour-d’hui, Marseille est une ville de quartiers ; d’anciens villages ont été absorbés par l’urbanisation :

Le point fort à souligner est la richesse de la vie de quartier à Marseille. Même dans les plus précaires d’entre eux, les habitants se ressentent davantage d’un quartier que d’une ville. Ils en tirent tous une solide identité.

Langevin et Juan (2007), p. 17.

Marseille a donc toujours été en croissance au fil des siècles jusqu’à atteindre aujourd’hui le statut de métropole20. Cette ville avant tout portuaire a toutefois réussi à développer ses industries (métallurgie, mécanique, chimie, etc.) évitant ainsi de devenir une simple ville de transit. De plus, en permettant l’implantation de nouvelles industries, Marseille a réussi à renforcer son économie et à devenir attractive sur le marché de l’emploi. Aujourd’hui, le tourisme occupe une place importante dans l’économie locale. En effet, cette ville sans cesse reconstruite sur elle-même au fil des siècles bénéficie d’un patrimoine historique très important. De plus, cette ville de passage et de refuge est devenue un véritable carrefour culturel. Marseille, ville avant tout portuaire donc, est vraiment tournée vers les pays et villes du bassin méditerranéen. Mais en réalité, Marseille a également contribué à un réel développement économique et social du Sud-Est de la France.

Tout dans les quarante dernières années, a concouru à ce que le schéma urbain classique, avec un centre et une périphérie, ne corresponde plus, dans le sud rhodanien, à l’organisation réelle du territoire. Il se trouve qu’entre Montpellier et Toulon, on rencontre quatre autres villes (mais trois agglomérations) : Nîmes, Avignon, Aix, Marseille, de plus de 100 000 habitants proches et assez régulièrement réparties sur une dis-tance de 250 km, que ces villes sont elles-mêmes environnées d’une di-zaine d’autres de plus de 50 000 habitants, que ces six villes comptent en outre huit universités, cinq aéroports dont deux internationaux, une dizaine de théâtres, des musées, des festivals, des centres de recherche, des sites de rêve, et tant d’autres atouts.

Langevin et Juan (2007), p. 108.

4.3.1.2 Toulouse

Toulouse est le chef lieu de la Haute-Garonne. C’est une métropole regroupant 37 communes et 735 000 habitants21, ce qui en fait la sixième métropole de France 20. Pour une analyse historique plus précise de la métropole marseillaise voir De Saussure (à paraître).

4.3. Constitution des enquêtes Toulouse et Marseille

derrière Paris, Marseille (92 communes et 1,8 millions d’habitants), Lyon, Lille et Bordeaux. Plus largement, Toulouse est la quatrième aire urbaine du pays avec 453 communes et près de 1,3 millions d’habitants, derrière Paris, Lyon et Marseille (106 communes, 1,8 millions d’habitants).

Tout comme Marseille, Toulouse est une ville très ancienne qui trouve ses fon-dements à l’époque gallo-romaine (Suau et al., 2009a,b). Toulouse a longtemps joué un rôle politique important puisqu’elle a été la capitale du royaume Wisi-goth, puis, durant le haut moyen-âge, le siège des comptes de Toulouse qui ont étendu leurs domaines sur une majeure partie du midi de la France. Cette ville a longtemps prospéré grâce au commerce et elle est devenue la quatrième ville du royaume de France au XIVe siècle. De la fin du XVe jusqu’à la fin du XVIe, la culture du pastel a assuré à la ville un essor économique très important. Un des événements majeurs de l’histoire de Toulouse est la création du Canal du Midi au XVIIe siècle22. Ce canal a permis de relier la ville de Toulouse à la mer Médi-terranée et est considéré comme une véritable révolution du transport fluvial. La circulation au sein du midi de la France s’est considérablement accru permettant à la ville de Toulouse de poursuivre son essor économique et social, tout en de-venant un réel point stratégique du sud de la France. Cette ville très largement développée à l’époque n’a toutefois pas réussi à prolonger cette dynamique durant la révolution industrielle :

Les historiens qui ont analysé les fortunes toulousaines à l’orée de la révolution industrielle ont montré que le capital local, constitué pour l’essentiel de biens fonciers et immobiliers, était bien modeste comparé à celui des possédants des villes comme Lyon ou Marseille. Il restait concentré entre les mains des Parlementaires, classe nobiliaire qui le réinvestissait dans le sol et la pierre. [. . . ] Ces catégories sociales n’in-vestirent pas dans le développement manufacturier, et Toulouse « rata » la révolution industrielle : modestement représentée dans la région (bas-sins charbonniers de Carmaux et de Decazeville) elle est quasiment absente de Toulouse dans ses formes usinières nouvelles.

Jalabert (1995), pp. 8-9.

Durant la révolution industrielle, le développement de Toulouse ralentit et la ville perd peu à peu les liens entretenus jusqu’alors avec le reste de la région. Au XIXe siècle, Toulouse compte 52 000 habitants alors que près du double résident à Marseille. Comment Toulouse est-elle devenue en moins d’un siècle une des pre-mières agglomérations au même titre que Marseille ? Alors que l’artisanat et l’in-dustrie étaient nettement sous-représentés à Toulouse comparé aux autres grandes agglomérations de France, cette ville était pourvue d’un personnel « tertiaire »

formé par l’école grâce à des taux de scolarisations supérieurs à la moyenne na-tionale Jalabert (1995), p. 10. Dès lors, la région et principalement Toulouse ont

connu un très fort développement scientifico-industriel. D’importants complexes d’activités de recherche ainsi que des formations universitaires ont commencé à s’implanter à Toulouse et ont attiré toute une économie extérieure à la ville en elle-même. En particulier, Toulouse dispose d’un important complexe aéronau-tique adossé à des formations de haut niveau et des centres de recherche et qui assure aussi un essor économique à la ville en offrant de nombreux emploi directs ou indirects.

Toulouse, longtemps capitale, a su constituer un important patrimoine culturel. De plus, le développement industriel et scientifique récent de la région a hissé la ville au rang de métropole, malgré le ralentissement du développement observé il y a un siècle. Il l’a propulsée sur le devant de la scène nationale à l’heure actuelle. C’est en valorisant d’autres atouts que ceux exploités à Marseille que Toulouse est aujourd’hui l’une des plus grandes agglomérations du pays.

Toulouse a longtemps choisi de ne pas se tourner vers le reste de l’Hexagone actuel. En tant que capitale du royaume Wisigoth ou en tant que siège des comtes de Toulouse considérés comme hérétiques en lien avec le développement du catha-risme, la ville n’entretenait pas de rapport direct (politique ou économique) avec la moitié nord de la France. Bien plus tard, lorsque la ville a su tirer profit de son haut niveau de scolarisation et de formation, la population toulousaine est de-venue une ressource importante du secteur tertiaire dans laquelle Paris est de-venue puiser. Ce nouvel élan à l’échelle nationale a permis à Toulouse d’être très tôt à la pointe des transports grâce aux chemins de fer la reliant à Paris ou encore grâce au transport fluvial23. On peut se demander ce qu’il en est aujourd’hui. Toulouse est-elle toujours prête à entretenir des liens étroits avec le reste de l’Hexagone et l’Europe ? Une piste de recherche s’est ouverte avec une grande consultation ré-cente dans le cadre des nouvelles régions françaises (depuis le 1er janvier 2016). À la grande majorité, la population de la nouvelle région a choisi de nommer cette région : Occitanie : Pyrénées-Méditerranée. Doit-on voir ici un souhait de retour vers une époque où Toulouse était plus repliée sur elle-même ?

Toulouse et Marseille sont aujourd’hui considérées comme de grandes métro-poles françaises. Même si elles n’ont pas connu la même évolution ni les mêmes dynamiques, ce sont deux pôles urbains qui exercent un rayonnement culturel, social, économique et politique sur l’ensemble de leur région ainsi qu’au plan na-tional. De ce point de vue, nous considérons que ce sont deux centres urbains comparables, comme d’autres métropoles françaises.

D’un point de vue linguistique, ces deux villes sont le siège de deux varié-23. Le Canal du Midi a permis de relier Toulouse et l’Océan Atlantique à partir du XIXe.

4.3. Constitution des enquêtes Toulouse et Marseille

tés méridionales qui ont subi une évolution relativement similaire. Dans chacune d’elles, le substrat occitan était prédominant jusqu’au XXesiècle (provençal à Mar-seille et languedocien et gascon à Toulouse). L’introduction du français s’est donc faite à la même époque et dans des conditions équivalentes (Brun, 1923). Dans le chapitre 2, nous avons d’ailleurs pu soulever que ce sont deux variétés phonologi-quement proches. Ainsi, d’un point de vue linguistique, il est pertinent de réaliser une étude sur ces variétés. Dans un contexte fortement urbain, toutes les questions que nous avons soulevées à propos du nivellement, des changements linguistiques et de la dynamique des systèmes se posent naturellement sur la socio-phonologie de Toulouse et de Marseille. Nous nous demandons ici (1) quelles sont les res-semblances et/ou les différences entre ces deux variétés tant d’un point de vue des traits conservés que des innovations attestées ? (2) Est-ce que la dynamique linguistique est la même pour ces deux grands centres urbains ? (3) Quels sont les facteurs extra-linguistiques qui permettent d’expliquer les innovations et/ou les différentes dynamiques ? (4) Si des innovations sont observées, les changements annoncent-ils inévitablement une standardisation, ce qui renforcerait l’hypothèse de l’exception française ? Nous espérons, grâce à ce travail, fournir des premiers éléments de réponses à ces questions.

4.3.2 Utilisation des réseaux et déroulement des enquêtes