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La géographie : une discipline en évolution et davantage opérationnelle

CHAPITRE I : TIC, SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION ET

II. DE LA SOCIÉTÉ DE L'INFOR MATION À LA SOCIÉTÉ DES SAVOIRS PARTAGÉS

1. La géographie : une discipline en évolution et davantage opérationnelle

La géographie a connu une évolution de ses approches et de ses objets. On est passé de la géographie classique ensuite à la nouvelle géographie et à la géographie sociale. Cette dernière ayant comme principaux objets l’espace et les sociétés trouve à l’heure de la révolution numérique un intérêt dans l’analyse des changements socio-spatiaux qu’induit l’intégration des Tic dans les territoires. Ainsi, nous posons ici la question de savoir comment appréhender le rôle de la géographie dans une analyse des nouvelles technologies ? Pour ce faire nous nous plaçons dans le contexte de l’évolution de notre discipline, marquée par deux grandes phases de renouveau : la nouvelle géographie (qui renvoie à l’analyse spatiale) et la géographie sociale. C’est sur la base des approches de l’analyse spatiale et par des outils de la géographie sociale que nous avons construit les méthodes pour examiner la dynamique des territoires physiques mais aussi virtuels.

1.1. Le r enou veau épist ém ologiqu e de la géogr aphi e

Comment la géographie doit-elle s’adapter face à la nouvelle donne Tic sur les territoires ? Son approche est-elle fiable pour analyser de manière pertinente la dynamique engendrée par l’introduction des Tic dans le quotidien ? Dans tous les domaines investis par les nouvelles technologies, des changements notoires sont intervenus. C’est l’organisation des modalités de la vie sociale, économique et politique qui s’est retrouvée face à de profondes mutations. En effet, les deux dernières décennies sont marquées par des progrès sans précédent de l’informatique et de l’électronique. Le numérique a non seulement transformé les réseaux techniques existants, mais il est aussi à l’origine de l’apparition de nouvelles formes de pratiques, donnant aux écrans du téléphone et de l’ordinateur un statut de territoire virtuel. Toutefois, cette virtualité ne doit pas être vue comme un obstacle à l’analyse spatiale mais comme un nouveau défi pour les géographes carla révolution numérique véhicule de l’information génératrice d’activités et source d’enjeux territoriaux. Cependant, elle exclut une adaptation mécanique des concepts essentiellement manipulés par les géographes pour

63 analyser les nouvelles dynamiques spatiales engendrées par le déploiement des réseaux de télécommunications. En effet, la pénétration des Tic dans les territoires remet en cause les variables fondamentales de l'organisation des territoires, les concepts d'Espace, de Territoire, mais aussi les notions de Distance, de Centre et de Périphérie et donc des principales théories sur l'organisation de l'espace soutenues en géographie par des auteurs pionniers comme Von Thünen, Weber ou Christaller. Ces théories ont renouvelé la géographie classique et avait permis selon A. Bailly (1994) de « ne plus privilégier le caractère descriptif et

encyclopédique de la discipline 69»qui caractérisait la géographie lassique défendue par Vidal

de la Blache. Selon Bailly, d’une science décrivant « la surface de la terre et de ses

habitants », elle devient « science des interactions spatiales reposant sur l’usage des échelles, des réseaux, des modèles, des stratégies » véritable rapport entre une société et les espaces qu’elle produit ». Cette définition est celle de la Nouvelle géographie qui a été lancée aux

États-Unis par Peter Gould en 1968. Ainsi, dans les années 1960 et 1970, la géographie se positionne comme une véritable science de l’analyse spatiale fondée alors sur les travaux de Peter Gould, de Peter Haggett70 ou de Paul Claval71dont les approches selon A Bailly permettent de redécouvrir celles de W. Christaller sur la théorie des lieux centraux en 1933.P. Haggett (1974) reproche aux géographes « l’accumulation des données plutôt que de créer

des modèles pour rechercher leur signification »72. C’est notre approche dans cette étude car

elle est fondée sur une démarche déductive ; une analyse par le bas au plus près des réalités territoriales du modèle de l’accès populaire aux Tic à Dakar.

La géographie a toujours été confrontée à des évolutions de ses approches et de ses objets ; donc l’adaptation à l’étude de la dynamique des Tic ne doit pas relever d’une difficulté majeure. Cependant, il ne s’agit pas d’adapter les approches de la nouvelle géographie à l’émergence des nouvelles technologies dans les territoires mais il est plutôt question de se référer à la géographie sociale.

69 BAILLY Antoine. La Nouvelle géographie. In Sciences humaines, n° 42. 1994. p.50

70 HAGGETT Peter. L’analyse spatiale en géographie humaine. Ed. Armand Collin, Paris 1973, (Londres 1965). 390p.

71 CLAVAL Paul. La Nouvelle géographie. Ed. PUF, 1977. 127p.

72 Critique de LE BERRE Maryvonne. Haggett (P.) L'analyse spatiale en géographie humaine. Revue de géographie alpine, Vol. 62 n°1, 1974. p127.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article (Le, 9 mai 2012).

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1.2. La géograph ie social e : un e appr och e plus opérati onnell e

Les sociétés sont au cœur de l’approche de la géographie sociale. Selon, G. Di Méo et P. Buléon (2005), « Les rapports spatiaux correspondent aux liens affectifs, fonctionnels et

économiques, politiques et juridiques ou purement imaginaires que les individus et les groupes tissent avec les espaces géographiques où ils vivent, qu’ils parcourent ou qu’ils représentent ». Son objectif est d’appréhender toute la globalité sociale, dans sa dimension

spatiale. Comme le soutient Di Méo, « l’observation permanente du processus de

construction de la relation société/espace rend captivante cette géographie sociale ».

Notre analyse géographique basée sur cette approche de la géographie sociale met en évidence toute la dynamique qui découle de cette relation espace/société. Nous partons de l’hypothèse selon laquelle, les Tic modifient les temporalités et les spatialités et donc les rapports d’une société à son territoire. Nos observations sur les territoires d’un ensemble de constructions spatiales à différentes échelles, visent alors à saisir en quoi les références et les rapports à l’espace des sociétés s’en sont trouvés bouleversés. Dans leur globalité, les faits spatiaux qui consistent en des mouvements, des pratiques, des représentations, à travers les territorialités, se transforment en faits sociaux. L’aptitude de la géographie sociale à synthétiser les faits spatiaux lui permet de mieux interpréter les meilleures relations entre eux et donc les meilleurs moyens pour la société à tirer profit de son espace territorialisé ou plus simplement de son territoire. Ainsi, comme le souligne L. Deshaies, (1988) « le renouveau

épistémologique de la dernière décennie a placé la géographie devant le défi d'être une science sociale à part entière »73.

Ainsi, la pensée géographique doit prendre en compte la pensée politique, sociologique, démographique, anthropologique, économique etc. afin de procéder à une analyse spatiale exhaustive. C’est pourquoi, notre discipline apparaît toujours aux yeux du grand public comme une science carrefour en ce sens qu'elle semble à la fois traiter de tout objet et de toute représentation en lien avec l'espace ; son domaine d'investigation. Cette ouverture, fait de notre science, une discipline non « spécialisante » car nos préoccupations sont larges et échappent souvent à toute tentative de bornage. Selon A. Chéneau-Loquay

73DAIHAIES Laurent.La géographie ou les défis d’une géographie sociale naissante. Ed. Cahiers de géographie du Québec. Vol. 32. n° 87, 1988. p. 253. En ligne : http://id.erudit.org/iderudit/021976ar (Le, 25 octobre 2011)

65 (2007), « les géographes en sont toujours à la délimitation de leur objet d'étude et de son

domaine d'investigation (…) ce qui les différencie radicalement des autres sciences humaines »74 Celles-ci cadrent leur domaine de recherche dans l’univers des faits qu’elles étudient. Le sociologue se limite à l’étude des comportements sociétaux, le médecin aux maladies, le politologue aux aspects administratifs etc. Ces limites leur permettent de classer les faits entre ceux qui concernent leur discipline et ceux qui ne la concernent pas. Alors que le géographe se fixe essentiellement des limites non pas sur les faits mais dans l'espace. Pour cette raison, «le géographe se sent fonder à incorporer dans sa recherche des éléments qui

proviennent aussi bien de la géologie, de l’écologie, de l’hydrologie que de l’économie, de l’agronomie et de l’anthropologie »75

. Le géographe est alors celui qui sait un peu du tout alors que les autres savent tout d'un peu. Pour le géographe, analyser l'espace, c'est examiner un ensemble de phénomènes qui contribuent à la construction de la dynamique territoriale se situant sur un espace délimité. Il s'attache à mettre en rapport ces phénomènes analysés de manière isolée et plus approfondie par les autres disciplines scientifiques spécialisées. Cette exception de la géographie est finalement un atout lorsqu’on évoque la problématique des nouvelles technologies sur les territoires qui ont investi tous les domaines de la vie moderne.

Ainsi, les géographes semblent être tout à fait outillés pour analyser la dynamique des Tic sur les territoires. Mais les mutations radicales et la rapidité des changements induits par la révolution numérique ne sont pas des questions faciles à cerner. Alors, face à ce bouleversement spatial, les géographes se trouvent dans la nécessité d’élaborer de nouvelles approches ou de les adapter pour analyser les nouvelles formes de territorialités nées virtuelles sur les territoires. Leur première interrogation porte sur la place de deux notions fondamentales à l’analyse spatiale à savoir la distance et le temps dont les influences sur l’organisation du territoire sont remises en cause.

74CHENEAU-LOQUAY Annie. Technologies de la communication, réseaux et territoire dans les pays

en voie de développement In Le Maghreb dans l'économie numérique, Sous la dir. de Mihoub MezouaghiIRMC

Tunis et Maisonneuve Larose, 2007. 21p.

75CHENEAU-LOQUAY Annie, MATARASSO Pierre. Approche du développement durable en milieu rural africain : les régions côtières de Guinée-Bissau et Casamance.Ed. L’Harmattan ; Paris, 1998. p. 16.

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2. La remise en cause des modèles de l'organisation spatiale par les Tic.

Selon P. Merlin, l'aménagement (1988): c'est « la science et la technique de disposer

de manière ordonnée, à travers l'espace (…) et dans une vision prospective, les Hommes, les activités et les équipements, (…) en prenant en compte les contraintes naturelles, humaines et économiques »76. L'aménagement d'un territoire urbain se construit en fonction des réalités sociales et des données physiques spatiales et a-spatiales. Dans la manifestation des pratiques territoriales, le temps et la distance sont parmi les facteurs contraignants pouvant réduire l'efficacité des dispositifs organisationnels d'un territoire. Pour faire l'économie de l'espace77, les géographes ont développé de nombreux modèles et théories afin de connaître, « la

meilleure localisation pour une activité ou la meilleure activité à implanter en un lieu donné »

(A. Bailly 1995). Mais, l'impact des Tic sur l'aménagement des territoires réduit la portée des grands travaux de théoriciens de l'organisation de l'espace comme de ceux de Von Thünen1826, Weber en 1909, de Christaller en 1933 et de Losch en 1940.

2.1. Le poids de l a distan ce sur l ’organ i s ation s pati al e

La distance est le plus court intervalle entre deux lieux. Pour relier deux points de l’espace, il faut une dépense d’énergie et de temps. La situation géographique des objets les uns par rapport aux autres est définie par la distance qui contribue aussi à évaluer l’accessibilité qui détermine le niveau de rentabilité du lieu aménagé sur l'espace. Pour Brunet et al. (1993), la définition de la distance est « un acte profondément géographique qui revient

à définir : la nature de la relation entre les lieux ; l’espace de référence et donc le nombre de ses dimensions ; le critère qui permet de décider de l’appartenance d’un lieu à un espace ou à un autre, à un réseau ou à un autre »78. La distance est ainsi, une notion fondamentale de

l’analyse de la localisation des lieux. Deux objets ne pouvant occuper la même place, il y a nécessairement une obligation d’espacement. De là, se pose la question de la localisation idéale d'un lieu qui à la fois, doit répondre à la nécessité de fournir le moindre effort pour l'atteindre et à celle de disposer du lieu de sorte que ses ressources soient exploitées de

76 MERLIN Pierre et al. Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. Ed. PUF, Paris, 1988. 730p. 77 C'est la répartition rationnelle des attributs spatiaux afin de tirer le plus grand profit de l'exploitation des richesses de l'espace.

78 BRUNET Roger, FERRAS Robert et al. Les mots de la géographie : dictionnaire critique. Ed. Reclus et la Documentation Française. p. 164.

67 manière optimale. C’est la loi du moindre effort qui ordonne expressément d’aller au plus près, qui est mise en avant.

Pris sur une dimension planétaire, la distance a longtemps fait obstacle à des échanges rapides entre les sociétés. Elle est considérée parmi les critères importants à partir desquels les activités humaines s'organisent. Les continents apparaissaient comme lointains les uns des autres de sorte que toute possibilité pouvant rapprocher les lieux était attendue et mise en évidence dès qu’elle paraissait fiable. Par exemple, au XVème

, la victoire de la caravelle sur la caravane a permis la découverte du nouveau monde américain. Aujourd’hui, les liaisons aériennes entre différentes parties de la Terre ont apporté un net infléchissement de la contrainte distance dans la circulation des flux mondiaux. A l’échelle de la ville, les transports multimodaux font de même. La question qui se pose alors est celle autour de l’'accessibilité qui renvoie à la distance physique que l’on doit déterminer afin de savoir quel est le type de communication physique ou de télécommunication adéquat pour relier deux lieux. Donc, pour une rentabilité maximale de leurs activités, deux lieux concurrents doivent être séparés par un espacement concurrentiel raisonnable. C’est l’exemple des hypermarchés dont la localisation prend inévitablement la distanciation entre deux enseignes concurrentes pour assurer leur rentabilité. La distance a alors un coût économique et social. La distance économique et sociale renvoie à la notion d'aire d'influence, de polarité et de hiérarchie spatiale. L’effet dissuasif de la distance sur les déplacements et les échanges a pour conséquence la formation d’un gradient79

décroissant au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’un lieu notamment central, son influence par rapport à sa périphérie diminue. Le niveau d’interaction varie en fonction de l’éloignement et se traduit sur une carte par des cercles concentriques d’influence décroissante.

Mais, aujourd'hui, à la distance physique s'oppose la distance mentale car l’attractivité d’un lieu peut primer sur la distance métrique. Par exemple, l'individu qui compte relier un lieu très éloigné malgré le temps à mettre et l'énergie à dépenser mettra toujours en avant le rapport affectif qu'il a avec ce lieu. Il traversera donc la distance physique pour atteindre le lieu. Ce constat s’est intensifié à travers Internet, car les lieux peuvent se présenter de manière virtuelle en quelques clics et ainsi réduire cette distance mentale à travers le cyberespace. Ainsi, l’individu peut dans l’immédiateté et la spontanéité, sans bouger de sa chaise, envoyer

68 de l’information, s’informer, communiquer de manière virtuelle par écrit, par la voix ou simultanément en vidéo. Ces pratiques qui semblent « tuer » la distance constituent l’élément de l’ère numérique.

2.2. La dis tan ce m arginalis ée à l' èr e nu m érique

Les théories et modèles sur la distance ont mis en évidence son importance mais elle devient de plus en plus marginale dans la planification des activités territoriales. Par exemple, pour les sociétés de vente par correspondance, il n’est pas nécessaire de respecter une distance concurrentielle entre elles, car leur rentabilité ne se mesure plus par l’intensité de la fréquentation du lieu par les clients mais par le nombre de commandes passées via l’interface virtuelle. Dans un territoire où les procédures d'achats d'un produit se font via le réseau numérique, la marchandise ne nécessite pas un lieu stratégique d’exposition convenablement positionné pour attirer la clientèle. Toutefois, sa localisation peut être liée à la nature du produit à vendre et aux conditions de son acheminement vers l'acheteur. Avec le commerce électronique, il n'y pas de lieu-marché, mais un marché virtuel localisé dans un cyberespace présentant une ergonomie attirante. D'ailleurs, les webdesigners de « l'esthétique » des sites de commerce en ligne ayant conçu le lieu virtuel de l’entreprise, ont la lourde responsabilité d’émettre des contenus traduisibles en actes commerciaux pour l’atteinte des objectifs de leur entreprise.

La théorie des lieux centraux qui préconise la régularité de l’espacement des lieux de même niveau de fonction pour qu'ils soient rentables est complètement remise en cause par ce principe du commerce virtuel cité en exemple. Et ceci est valable dans le cadre de la gestion territoriale notamment concernant l’administration, le secteur de l’éducation et de la santé gagneraient plus en efficacité en intégrant cette dimension virtuelle. Avec l'anéantissement des distances, se créent des territoires virtuels qui à leur tour engendrent du concret en amplifiant les dynamiques et en modifiant notoirement des formes d’organisations sociétales. En outre, l’accroissement important de la vitesse des moyens de télécommunication, et la baisse considérable de leur coût de transmission entraînent une diversification et une intensification des flux d’échanges entre lieux de plus en plus éloignés, dépassant même les limites du gradient d’influence entre les territoires et entre différents lieux d’un territoire. Sous l'influence des Tic, ce gradient n’est plus important car les formes d’organisation évoluent sur la base de réseaux virtuels dont la puissance s’explique par l’étendue de l’espace

69 qu’il maille, le nombre de nœuds qui les compose et la grandeur du débit d’informations qui y passe en un temps donné. Ainsi, « l’espace tel que Vidal de la Blache le concevait n’existe

plus »80 car les nouvelles technologies ont apporté des possibilités d'innovations majeures sur l'organisation des territoires urbains où désormais on peut passer de la distanciation des lieux (existence d’une distance par rapport un lieu considéré) à l’immédiateté (possibilité d’un contact direct mais à travers les réseaux virtuels). Comment les grandes villes du sud peuvent-elles en bénéficier ?

IV. LES TERRITOIRES URBAINS: ENTRE RÉSEAUX