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De l' espoir d'un e grande m étropol e sén égal ais e aux illusions d'un e gran de capital e sous -am énagée

L’AMÉNAGEMENT DEPUIS 1960

1.3. De l' espoir d'un e grande m étropol e sén égal ais e aux illusions d'un e gran de capital e sous -am énagée

Comme nous venons de le montrer, la volonté et les espérances des autorités post-indépendance de faire de Dakar une ville fonctionnant avec des prérogatives métropolitaines se sont dissipées. R. Devauges221, maître de recherche à l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM), dans un rapport de la dite structure présenté à la

219 Ce qui actuellement le cas comme le montrent les séries d’inondations que connaît la banlieue à chaque saison des pluies.

220 Ibid..

221 DEVAUGES R. Le problème des villes en Afrique : les aspects humains de l’urbanisation. Rapport ORSTOM. Fond documentaire, n° 933. 1964. 14p.

173 conférence économique africaine et malgache, tenue à Marseilleen Avril 1964, effectue les mêmes descriptions des phénomènes humains et spatiaux du processus d'urbanisation dans la grande ville africaine. M. Marietti222 lui emboîtant le pas, met en exergue la cherté du financement des plans d'aménagement devant précéder et accompagner l'extension de la grande ville alors que les gouvernements jeunes ont peu de moyens. La substance de ces rapports illustre le combat perdu d'avance de l'aménagement et la faiblesse des moyens qui fait que, selon Devauges (1964), « la ville autrefois, assez ordonnée, autour du centre

administratif et commercial, avec ses quartiers résidentiels et ses quartiers déjà urbanisés occupés parles africains, devient alors une agglomération au sens propre du terme par la poussée sur le terrain d'un ensemble plus ou moins hétéroclite d'habitations, paillotes et cases qui ressemblent à celles de la brousse, constructions en matériaux divers : poto-poto, planches, tôles ondulés et papiers goudronnés. Ce n'est pas, à notre avis, aussi laid que les bidonvilles, (…) de l'Afrique du nord, mais quelques fois cela y ressemble assez dans ces véritables quartiers nouveaux qui surgissent rapidement sur les terrains libres ». Pour R.

Devauges, Dakar en 1964 était déjà une agglomération. Alors, si l’on compare à la situation actuelle, on comprend aisément la lourdeur des dysfonctionnements structurels qui frappent la ville car les infrastructures n’ont pas été renouvelées notamment sous l’ère des gouvernements socialistes. L'augmentation rapide de la population grâce aux rythmes soutenus des naissances et des migrations venues de l'intérieur remeten cause, les schémas d'aménagement urbains. Selon Marietti223, dans les pays industrialisés, les zones d'impacts des migrants ruraux sont nombreuses car plusieurs villes peuvent servir de point de chute pour les ruraux à une époque de prospérité économique.

A partir de cette période, l’idée de la ville primatiale, unique tête de pont de son espace national prend forme dans la réflexion des aménageurs. Dans les États en développement, la concentration urbaine s'effectue d'une façon massive dans la principale ville du pays. Selon M. Marietti (1964), « c'est le cas de la plupart des pays de l'Amérique

latine notamment à Buenos-Aires qui comptait six millions d'habitants sur les vingt millions vivant en Argentine ou Montevideo avec environ 50% de la population uruguayenne. La situation en Afrique ne voisinait pas ces pourcentages, mais elle était tout aussi manifeste dans les pays d'Afrique où l'essor urbain a doublé la population de la ville principale durant

222

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la décennie qui a suivi 1945. L'accroissement a été fort sensible également à Lomé, à Douala et à Abidjan »224. Dans l’agglomération dakaroise, durant les années 1960, l'augmentation a

été encore plus forte passant de 214 000 en 1955225 à 374 700 en 1964226. Cette tendance à la croissance vertigineuse s'est confirmée après les indépendances. Se confirmeront aussi les difficultés de l'aménagement territorial urbain. A la fin des années 1970, l'augmentation de la population continue d'être problématique et s'explique par le poids toujours important de Dakar dans l'espace national. En 1974, 88% des entreprises et 79, 4% des emplois industriels y sont regroupés (Dubresson, 1979). Ainsi, l'augmentation de la population urbaine tout au long des années 1970, résulte d'une conjonction d'éléments liés à la recherche d'un emploi salarié toute l'année et au caractère saisonnier de l'agriculture pluviale.

Vers 1979, les modes et les manières par lesquels se sont déroulés les processus d'urbanisation au Sénégal n'augurent pas de lendemains meilleurs, sauf dans le cas où les politiques définies sont suivies de moyens pour être efficaces. Malheureusement, il a été difficile pour le gouvernement du Sénégal d'intervenir comme en 1961 pour amener les aménagements élémentaires car répondre aux exigences de l'organisation urbaine nécessite : la construction de logements, de voies de circulation et d'aménagement de systèmes de distribution d'eau, d'éclairage, de transports en commun, d'évacuation des ordures ménagères, des eaux pluviales et des eaux usées. A défaut d'initiatives étatiques, la détermination des populations néo-arrivants opère des changements de cap imprévus dans les manières d'occuper l'espace urbain. Les résultats de ces initiatives populaires dans le domaine du logement entraînent une nouvelle fois une reconfiguration de l'espace urbain marqué par l'apparition d'un ensemble d'habitations plus hétérogène qu'avant comme l'atteste la présence de quartiers irréguliers parfois sans les services de base nécessaires pour satisfaire les besoins fondamentaux des citadins. Cette hétérogénéité spatiale est le reflet des inégalités sociales car la ségrégation qui est une autre forme moins louable de l'héritage colonial résiste encore, en dépit des tentatives gouvernementales d'homogénéisation de l'espace urbain, depuis l'indépendance

224 MARIETTI M. Le problème des villes en Afrique : la grande ville, son extension et son coût. Rapport ORSTOM. Fond documentaire n° 28259. 1964. p. 2

225 A. Seck, p. 208

175 En 1977, les déguerpissements de population, organisés par l'État ne changent pas grand-chose sur l'impact négatif du surpeuplement de la ville. Ils posent avec l'extension inévitable de l'habitat un autre problème lié à la jonction des aires urbaines avec les villages Lébous dont la marge de manœuvre sur leur terre non mises en valeur, non immatriculées avait déjà été réduite par la loi de 1964. Malgré les controverses autour de la question des terres traditionnelles lébous, certains chefs de village procèdent à des ventes illégales et contribuent à la formation de bidonville comme à Khar Yalla227 ou à Grand Yoff. Petit à petit, les villages lébous s'urbanisent de manière irréversible en s'intégrant à la métropole même si par l'action de la gérontocratie léboue, une certaine résistance leur permet de garder une structure d'organisation familiale intacte ou peu pénétrée par la modernisation. Mais ces nouveaux types d’habitat posent des problèmes quotidiens d’assainissement et d’aménagement territorial. Selon D. Faye (2006) « La spéculation foncière pratiquée par les

propriétaires terriens lébous explique fortement le développement des extensions irrégulières dans les marges des lotissements périphériques. Ce sont des zones où le bâti semble organiser l’espace et s’étale de façon anarchique sans véritables voies de communication structurantes. Ce type d’habitat généralement sous-équipé et médiocrement desservi par les transports pose un sérieux problème d’accessibilité. Il empêche la construction, l'élargissement et le prolongement d'axes de circulation. La desserte de ces espaces en réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement est insuffisante voire parfois inexistante en raison de l’étroitesse et de la sinuosité des rues »228

.

Ainsi, les processus sociaux de l'urbanisation revêtent de nouveaux visages notamment en banlieue où s'établit une majorité de dakarois. Le confinement des activités économiques au centre ville et le lâche maillage routier entraînent des dysfonctionnements profonds. Suivant le contexte de ségrégation sociale qui perdure se dessinent les aires bien distinctes d'un espace urbain marqué par les inégalités. Le cœur urbain de la ville continue d'abriter les populations les plus nanties d'origine française ou libanaise et les quartiers résidentiels comme Fann Résidence, au point E, et Mermoz se déclinent comme des havres de paix dans un océan de quartiers soumis aux tumultes des difficultés sociales exacerbées par l'arrivée de néo-citadins à leur sein. Ainsi, en 1979, Grand Yoff, Grand Médine, Pikine symbolisent la

227 Attendre la délivrance par Dieu.

228 FAYE Djib. Transports, structuration de l'espace et développement durable dans une aire

métropolitaine déséquilibrée : Le cas de l'agglomération dakaroise. Mémoire de DEA sous la dir. de Serge

176 tendance de l'étalement spatial rapide de l'agglomération du fait de l'installation d'une population néo-citadine nombreuse. En 1979, la banlieue, la partie la moins aménagée abritait 45% de la population urbaine tandis que Dakar ville voit sa part chuter à 42,8%. Même si le nombre de résidents du centre et des quartiers résidentiels ne diminue pas, leur portion dans la population dakaroise ne cesse de baisser. La banlieue gagne des parts de plus en plus importantes dans la population totale urbaine pourtant des cités modernes sont construites dans la zone subcentre notamment à Grand Dakar, aux Zones A et B, à la cité de la Police, mais elles sont réservées aux fonctionnaires. Concrètement, cette forme d’urbanisation se traduit par le jeu des migrations pendulaires qui perdurent jusqu'à maintenant pour les mêmes raisons que celles des années 1960 et 1970. Selon A. Dubresson (1979), à cette période, « la

totalité des salariés de la fonction publique, des banques, des assurances et des transports travaille à Dakar. Les 3/4 des artisans travaillent également dans la capitale, le reste étant réparti entre Pikine et Thiaroye-Gare »229.

Le bilan de cette évolution spatiale de 1960 à 1979 illustre l'échec des politiques d'aménagement qui n'ont pas pu assurer une croissance de la ville dans un cadre socio-spatial homogène et bien contrôlé. Le cheminement de la croissance spatiale à cette époque montre un espace urbain hétérogène avec des inégalités entre les différentes couches sociales et une insuffisance des infrastructures pour contenir la dynamique d'activités : les mobilités urbaines aux premiers rangs. L'échec des tentatives d'aménagement de Dakar s'explique par les bouleversements démographiques dans années 1970 aggravés par le choc pétrolier et le recul de l'agriculture. La crise économique et sociale qui en résulte se traduit par une baisse des moyens des pouvoirs publics qui peu à peu perdent le fil de l'adéquation entre croissance démographique urbaine et aménagement territorial. Se dessine alors une organisation de l'urbanité qui de plus en plus, s'éloigne des schémas directeurs d'aménagement préétablis et se caractérise par l'absence de stratégies pour corriger les extensions désordonnées.

Toutefois, malgré l'échec des tentatives d'équilibrage de la croissance des occupations urbaines avec l'augmentation démographique, dans les années 1970, le prestige de la ville par rapport aux autres capitales ouest africaines continue à faire partie de l'héritage colonial car malgré certains lourds problèmes imputables à l'évolution de l'urbanisation, la ville a gardé certains aspects positifs. Elle produit de nouveaux modes de territorialités quotidiennes de

229 DUBRESSON Alain. L'espace dakarois en devenir : de l'héritage urbain à la croissance

177 nouvelles façons de vivre bref des conditions de vie différentes de celles connues en milieu rural. Les équipements modernes, les masses nombreuses de population engendrent également de nouvelles formes de pratiques de communication sociale, une liberté relative et une autre forme d'autorité. Dans les années 1980, cette vision de la ville continue d'attirer les populations rurales et cette attraction est d'autant plus grande que les conditions de vie dans les campagnes se sont considérablement dégradées. Cette pression démographique continue et s'ajoute aux mêmes problèmes tels que sa position géographique, sa morphologie en « chaussette », ses inégalités sociales et ses déficits d'aménagement. Dans les décennies 1980 - 1990, on assiste ainsi, à une sorte de déconstruction de l'agglomération car les pressions sont fortes et les initiatives des pouvoirs publics restent encore très faibles pour inverser la tendance. L'ensemble de ces facteurs combinés vont aggraver la situation de la capitale du Sénégal et provoquer autant de déconvenues à l’aménagement.

1.4. Le désen chant em ent de l'am énagem ent des ann ées