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Face à la mondialisation de l’économie, qui intensifie la concurrence internationale basée sur la technologie et l’innovation, et au progrès technique, toujours plus rapide, qui rendent les qualifications acquises rapidement obsolètes, nous considérons comme nécessaire d’analyser le comportement des actifs en matière de formation continue. En effet, celle-ci et l’apprentissage permanent permettent aux individus de développer et de maintenir leur employabilité et leur productivité tout au long de la vie.

Globalement, dans les années 90, le taux de participation des adultes (résidants âgés de 20 à 74 ans) à la formation continue semble être resté constant. Chaque année, près de quatre

adultes sur dix fréquentent des cours (1999 : 38%) et deux tiers des participants sont

motivés par des raisons professionnelles. Dans la plupart des cas (environ sept fois sur dix), la participation se limite à un seul cours par année et, pour un tiers des participations, le cours ne dure pas plus de 20 heures. Contrairement aux évolutions des besoins du marché du travail, Egloff (2000, p. 56) observe qu’« aucune tendance ne permet véritablement d’affirmer que la participation à la formation continue se généralise ». L’OFS (1999c) constate d’ailleurs qu’un quart de la population adulte se forme exclusivement avec des revues, des livres spécialisés, des didacticiels (programmes informatiques) et grâce à la participation à des conférences et à des colloques. L’importance de ces supports de formation est en forte augmentation, passant de 18% en 1996 à 25% en 1999. Ainsi, en 1999, 63% des adultes ont affirmé avoir suivi une formation continue, toutes formes d’apprentissage confondues. Mais ce sont surtout les personnes avec un bon niveau de formation qui peuvent profiter de ces nouvelles opportunités.

Le taux de participation des adultes (âgés de 25 à 64 ans) à la formation continue varie selon le statut professionnel. Les actifs occupés se perfectionnent davantage que les chômeurs et, ces derniers, davantage que les inactifs. Ce constat est valable pour tous les cours et, en particulier, pour les cours à orientation professionnelle. En Suisse, en 1994-1995, le taux de participation à des cours à orientation professionnelle (« job-related training ») varie entre 31,7% pour les actifs occupés et 6% pour les inactifs. La formation continue professionnelle

des actifs se pratique sensiblement moins qu’au Royaume-Uni, 51,9%, et qu’en Nouvelle- Zélande, 46,9%. Si l’on considère aussi la durée moyenne des cours en Suisse, il s’avère que chaque actif occupé a participé, en une année, à 35 heures de cours à orientation professionnelle, contre 72 heures pour son homologue en Nouvelle-Zélande et 51 heures en

Irlande, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas (OCDE, 1999c)43.

Seuls 46% des actifs occupés âgés de 20 à 74 ans ont participé à au moins un cours de

formation continue durant la période d’avril à juin 199344. Or l’enquête de l’OFS sur la

formation continue, effectuée en 1993, montre que de nouvelles technologies ont été introduites dans le poste de travail de 58% des personnes actives occupées entre 1988 et 1993. De plus, seuls 30% l’ont fait pour des raisons professionnelles, notamment les hommes. Si on se limite aux cours de plus de 20 heures, ce pourcentage baisse à 20%. Parmi les personnes actives occupées participant à une formation continue à orientation professionnelle, environ 80% étaient soutenues par l’entreprise. Mais, globalement, seules 28% des personnes actives occupées bénéficient du soutien de leur employeur sur le plan du financement (21%), du temps de travail (23%), de la motivation ou de l’organisation. Parmi les participants à des cours professionnels, 60% ont suivi une formation continue surtout en vue d’adapter leurs connaissances et capacités professionnelles aux exigences inhérentes aux évolutions technologiques et économiques. Toutefois, ce sont surtout les personnes actives occupées

ayant une bonne formation de base qui se perfectionnent45. Seuls 6% des collaborateurs

auxiliaires indiquent avoir suivi un cours sur recommandation de leur employeur. En revanche, les personnes employées dans des grandes entreprises et/ou dans le secteur des services (notamment dans les professions de bureau) semblent avoir plus de chances de participer à des cours financés par leur employeur (OFS, 1995).

La politique de perfectionnement des entreprises paraît donc ne privilégier que certains employés. Tout d’abord, Schöni et al. (1997) observent que les entreprises tendent à accentuer

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Cette analyse comparative entre 11 pays de l’OCDE se base sur les données issues de l’enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (IALS, 1994-1995). En Suisse, l’enquête ne s’est déroulée qu’en Suisse alémanique et en Suisse romande.

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Si on se limite aux seuls adultes, Gonon et Schläfli (1998) estiment que chaque année environ 40% des résidants suisses se perfectionnent.

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Curti et Geiger (1998) constatent la même chose pour la participation à des mesures de formation financées par l’AC.

les inégalités en matière de formation46 avec leur politique d’accès à la formation continue

interne47. Egloff (2000) constate aussi que les salariés mieux payés sont davantage soutenus

par leurs employeurs. En second lieu, le fait de travailler à temps partiel (forme de travail davantage exercée par les femmes) réduit la probabilité de participer à la formation continue soutenue par l’entreprise. Ainsi, par exemple, la plupart des femmes qui se perfectionnent le font en dehors de leur temps de travail. De plus, l’analyse de l’offre en formation continue montre que les entreprises favorisent plutôt l’accumulation de capital humain spécifique (but explicite des cours offerts) que l’amélioration de connaissances transversales et transférables (Schöni et al., 1997). De surcroît, Egloff (2000) montre qu’en 1998 le taux de participation à la formation continue professionnelle varie fortement entre les différentes branches économiques. Plus de la moyenne des enseignants, des opérateurs de la finance et des assurances, des personnes actives dans le domaine de la santé et du social et des employés des administrations publiques participent à la formation continue. En revanche, dans l’hôtellerie, la restauration et la construction, branches économiques particulièrement touchées par la récession (et créant beaucoup de chômage), la formation continue est très rare.

Plusieurs remarques finales s’imposent. Premièrement, toutes les analyses montrent que la participation à la formation continue ne permet pas de réduire les disparités en termes de

formation initiale (et de niveau de littératie48), mais qu’elle accentue ces différences.

Dans les années 90, les personnes présentant un niveau élevé de formation participent trois fois plus souvent à des cours que les personnes sans formation post-obligatoire (Egloff, 2000). De plus, en 1994-1995, la durée moyenne de la participation à une formation continue professionnelle est trois fois plus longue pour les personnes ayant un niveau tertiaire que pour celles avec un niveau obligatoire (actifs occupés âgés entre 25 et 64 ans, OCDE, 1999c). Or les pays avec un taux de participation élevé à la formation continue présentent aussi de moins grandes disparités entre les différents niveau de formation initiale (Egloff, 2000). Ainsi, les personnes courant le plus grand risque de perdre leur emploi, sont celles qui profitent le

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Schöni et al. (1997), sur la base d’études de cas (6 entreprises chimiques ou textiles), constatent par exemple que les collaborateurs employés dans la production n’ont presque pas accès à la formation continue.

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C’est ainsi qu’en période de récession, elles préfèrent licencier les moins qualifiés au lieu de les former, en favorisant une segmentation du marché du travail et en externalisant les coûts de mise à jour des compétences professionnelles des collaborateurs.

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En Suisse, en 1994-1995, une personne avec un faible niveau de littératie avait bien deux fois moins de chances de participer à une formation continue professionnelle qu’une personne avec un bon niveau de littératie (OCDE, 1999c).

moins de cours de perfectionnement. Deuxièmement, en Suisse, les hommes occupés ont plus de probabilité de participer à une formation continue professionnelle que les femmes, ces dernières se perfectionnant davantage à des fins non professionnelles. Ainsi, les femmes qui décident d’interrompre leur vie active pour des raisons familiales, risquent d’avoir beaucoup de difficultés lorsqu’elles veulent reprendre une activité rémunérée. Enfin, le taux de participation à la formation continue et la durée de celle-ci semblent se réduire avec l’âge (OCDE, 1999c). Il apparaît donc que la formation continue profite très peu à ceux qui en ont le plus besoin.

En conclusion, malgré le consensus sur la nécessité d’un apprentissage permanent dans une société moderne en changement perpétuel, nous présentons des explications possibles à la

faible participation à la formation continue. Puisque les personnes interrogées qui ne se

perfectionnent pas ne fournissent que de vagues justifications, telles que le désintérêt, la surcharge de travail et le manque de temps pour se former, nous cherchons plutôt les raisons rationnelles à leur comportement.

Premièrement, en Suisse, il n’existe aucun droit à la formation continue (Gonon et Schläfli, 1998). Chaque individu est responsable de l’actualisation de ses compétences et de ses qualifications. Deuxièmement, les actifs semblent être peu motivés à investir dans leur capital humain. Wolter et Weber (1999) montrent que les taux de rendement de la formation en Suisse sont très faibles, même en considérant que le degré de formation réduit

considérablement le risque de chômage49. Ils démontrent également qu’il vaut mieux

entreprendre une formation lorsqu’on est encore jeune, car les coûts d’opportunité après l’âge de 40 ans deviennent tellement importants que les avantages d’une formation de niveau supérieur en termes de revenu disparaissent complètement. Troisièmement, les entreprises ont

fait des économies en formation continue en période de récession50. Le BIT (2000) constate

qu’il y a une tendance des entreprises à recourir au marché du travail extérieur, privilégiant la

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Curti (1998) montre d’ailleurs que même la participation à un cours de perfectionnement réduit le risque de chômage.

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Pendant la récession économique des années 90, les entreprises ont décidé de ne pas « thésauriser » leur personnel. Tel en témoigne l’évolution de la productivité du travail enregistrée dans les années 90 en comparaison de l’évolution enregistrée dans les années 70 (Flückiger, 1999).

flexibilité externe à la mobilité interne de leurs travailleurs basée sur leur formation. De plus, même lorsqu’elles soutiennent la mise à niveau des compétences de leurs employés, elles ont une politique discriminante pour les personnes au bas de l’échelle, celles qui en ont le plus besoin. Quatrièmement, Gonon et Schläfli (1998) calculent que les dépenses étatiques en formation continue représentent seulement 1,5% de toutes les dépenses étatiques en éducation. Par conséquent, ils soutiennent que la mise en place par les cantons, depuis 1997, de mesures de formation pour demandeurs d’emploi a fait doubler les dépenses annuelles

étatiques en formation continue51 ; ce qui nous révèle bien l’importance de la PAMT. Il faut

cependant remarquer, qu’en général, seule une participation sur dix bénéficie d’un soutien financier de la part de la caisse de chômage ou d’une autre institution (Egloff, 2000). Ainsi, en 1994-1995, 47% des employés ayant profité d’une formation continue professionnelle l’ont financé eux-mêmes. Ceci surtout dans le cas des femmes (54%) ou des jeunes (53%). Ces pourcentages sont les plus élevés parmi les 10 pays analysés par l’OCDE. En comparaison, au Royaume-Uni, seuls 15% des actifs occupés financent leur perfectionnement. La Suisse est cependant en tête quant au financement public de la formation continue professionnelle, à hauteur de 17%, surtout pour les femmes et les personnes de plus de 35 ans (OCDE, 1999c).

En outre, contrairement à l’instruction publique, on observe une certaine confusion au niveau de la répartition des compétences entre Confédération, cantons et communes et un

éparpillement des responsabilités entre les différents offices de la Confédération52. A ceci

s’ajoute le fait qu’il existe une multitude d’organisateurs non coordonnés entre eux (80% des cours fréquentés sont organisés par des institutions privées). Cela étant, Egloff (2000, p. 59) constate que « la formation continue n’amène que rarement à l’acquisition de compétences reconnues de manière générale ». Gonon et Schläfli (1998) proposent donc à l’État d’améliorer la transparence du marché de la formation continue en renforçant l’information, y compris pour ce qui concerne les coûts, de favoriser une modulation de la formation continue,

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Plus précisément, Gonon et Schläfli (1998) estiment que l’État et les cantons dépensent environ 350 millions par an en formation continue, dont 100 millions en formation continue à orientation professionnelle. L’AC a dépensé 244 millions en mesures de formation pour demandeurs d’emploi en 1998 (sans indemnités journalières versées pendant le cours) et 277 millions en emplois temporaires qui ont de plus en plus une composante de formation non négligeable (cf. chapitre 3.3).

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En matière d’instruction publique, pour le degré primaire, ce sont les cantons qui sont exclusivement compétents. Pour le degré secondaire et tertiaire, ils partagent les compétences avec la Confédération (et les organisations professionnelles). La Confédération peut notamment légiférer en matière de

de créer un système d’accréditation des fournisseurs de formation continue, d’améliorer la reconnaissance des diplômes (système de certification), d’introduire des critères de qualité de la formation offerte et de créer des filières visant les personnes peu qualifiées53.

Contrairement à la Suisse, où il n’existe donc pas de politique nationale de formation continue, plusieurs pays ont cherché à encourager les adultes à acquérir des qualifications, en facilitant la formation par l’intermédiaire de centres publics (Allemagne et Danemark), en promouvant la formation sur le lieu de travail (Royaume-Uni, Espagne, Nouvelle-Zélande) ou en offrant des congés payés de formation, par exemple le Danemark (OCDE, 1999). Pour la Suisse, Aebi (1995), Wolter et Weber (1999) proposent de créer des incitations financières pour la promotion de l’apprentissage tout au long de la vie en subventionnant directement la demande de formation continue avec un système de « bons d’échange » ou avec des congés

formation, sur le modèle danois54. Compte tenu des faiblesses évidentes du marché du travail

suisse relatives à la mise en valeur des ressources humaines, le projet de la nouvelle loi sur la formation professionnelle (LFPr) réglementant aussi la formation continue à des fins professionnelles a été mis en consultation en mai 2000.