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Du point de vue du chômage, on a considéré la Suisse pendant plusieurs décennies, comme une petite île heureuse. Des années septante jusqu’aux années quatre-vingt-dix, le taux de chômage n’a presque jamais dépassé 1%. Pendant les deux chocs pétroliers, le taux de chômage a atteint 0,7% en 1976 et 1,1% en 1984, alors que pendant la récession de 1975-76 la contraction de l’emploi a été de plus de 7%. On explique cette situation favorable surtout par le comportement pro-cyclique de la population active sans permis de résidence permanent

(notamment le permis annuel)60, par la sous-estimation statistique du chômage, due à

l’introduction de l’assurance-chômage obligatoire seulement en 1977, par la paix du travail et par la flexibilité des salaires (due surtout au système décentralisé des négociations salariales, au faible taux de couverture des travailleurs suisses par des contrats de travail collectifs) ainsi que par un système éducatif dual qui facilite l’insertion des jeunes dans le marché du travail (par exemple OCDE, 1996, Flückiger, 1998).

Graphique 2-6: Évolution du chômage en Suisse (1988-1999, données mensuelles)

0.6 0.5 0.5 1.1 2.5 4.5 4.7 4.2 4.7 5.2 3.9 2.7 0 50,000 100,000 150,000 200,000 250,000 1.88 1.89 1.90 1.91 1.92 1.93 1.94 1.95 1.96 1.97 1.98 1.99 0 10 20 30 40 50 60 70 en % C hômeurs D emandeurs d'emploi

T aux de chômage: moyenne annuelle (en % ) Part des chômeurs de longue durée (en % )

Source : Seco.

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Flückiger (1998) calcule que 75% du recul de l’emploi pendant le premier choc pétrolier a été absorbé par la variation de la population non-résidante. De plus, l’OCDE (1996) souligne la réaction conjoncturelle de l’offre de travail de la population permanente.

La situation a considérablement changé depuis le début des années quatre-vingts, même si, dans un contexte international, la Suisse est toujours restée un pays à faible taux de chômage. Le graphique 2-6 montre la forte augmentation du nombre des chômeurs (et des demandeurs d’emploi) depuis 1990. Selon l’ESPA, 17,8% des personnes actives ont été au chômage au moins une fois au cours de ces dix dernières années (OFS, 1999b). Il faut d’ailleurs remarquer que le niveau du taux de chômage varie fortement entre les différentes régions linguistiques, même si on observe que ces disparités régionales se réduisent dans les périodes de récession (Flückiger, 1998). Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer l’évolution du nombre des chômeurs et de celle des demandeurs d’emploi dans les années 90.

D’une part, le comportement des travailleurs a changé. En particulier, si la majorité des

étrangers avaient un permis de séjour annuel dans les années septante, aujourd’hui la plupart

d’entre eux ont un permis de résidence permanent (surtout en raison du mécanisme de

transformation des permis61 et des mesures de regroupement familial62). Même sans travail,

cette population ne rentre pas au pays d’origine63. De même, le comportement des femmes a

changé: la participation des femmes n’a cessé d’augmenter ainsi que leur attachement au

marché du travail en période de récession64. Ce changement de comportement peut être aussi

observé par la baisse du taux de réaction conjoncturelle de la population active suisse permanente et non permanente (OCDE, 1996), pour la période 1984-1993 par rapport à la période 1970-1984. Par ailleurs, le système de gestion du chômage est devenu plus

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De Wild (1999) a montré que pendant les années 1984-1994, chaque saisonnier avait une probabilité de 0.223 d’obtenir à un moment donné une autorisation d’établissement.

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En 1997, le principal motif d’immigration des étrangers établis ou des résidents à l’année était le regroupement familial avec le 30,8%. La transformation d’une autorisation saisonnière en autorisation de séjour à l’année ou en autorisation d’établissement concernait seulement 3,6% des personnes (Müller, 1998).

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On a parlé dans le passé d’un effet d’exportation du chômage suisse à l’étranger. Les comptes globaux du marché du travail confirment qu’entre janvier 1991 et décembre 1997, il y a eu également exportation du chômage (excédent d'émigration d’actifs de 31'000 personnes) avec notamment un excédent d’émigration d’actifs suisses (30'000 personnes). En effet, le solde migratoire de la main- d’œuvre étrangère a été presque nul entre 1992 et 1997. Il faut noter que depuis 1995, on observe un déficit migratoire d’étrangers actifs, également dû à la forte augmentation du chômage parmi la population étrangère (OFS, 1999). En 1997, les étrangers établis et les résidents à l’année provenaient pour le 39% des États voisins (Italie avec 25%, Allemagne, France, Autriche, Liechtenstein), pour le 23% de l’Ex-Yougoslavie, pour le 10,2% du Portugal, pour le 7% de l’Espagne et pour le 5,9% de la Turquie (Müller, 1998).

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Entre janvier 1991 et décembre 1997, l’excédent des femmes entrées dans la vie active était de 76’000 personnes (OFS, 1999). Les raisons qui ont poussé les femmes à être actives sont surtout d’ordre économique : chômage du partenaire, fragilité de l’emploi de ce dernier, insuffisance du

généreux : la durée d’indemnisation a été prolongée à plusieurs reprises (cf. chapitre 3.1.a). Sheldon (1998) montre que ces prolongements de la durée de chômage ont eu un effet non

négligeable sur l’augmentation du chômage65. D’autre part, le comportement des

entreprises s’est modifié: dans le passé, les entreprises thésaurisaient leur main-d’œuvre dans

les phases de récession (grâce aussi aux indemnisations pour la réduction du temps de travail). Aujourd’hui, face à un changement structurel, elles licencient davantage. De plus, elles suppriment plus facilement les dépenses en formation continue des travailleurs et de ceux au bas de l’échelle. Ainsi préfèrent-elles licencier les salariés lorsque la demande baisse, pour les embaucher à nouveau, lors d’une reprise conjoncturelle.

En particulier, il faut souligner que la mauvaise politique d’immigration de la Suisse, favorisant l’immigration de main-d’œuvre peu qualifiée, est considérée comme l’un des responsables majeurs de la dégradation de la situation sur le marché du travail dans les années 90, et surtout de l’inadéquation des qualifications demandées par l’économie avec celles

offertes par les travailleurs (chômage structurel)66 et du maintien de branches structurellement

faibles et non concurrentielles (par exemple, Dhima, 1991, Blattner et Theiss, 1994 , Stalder, 1995 , Borner et Straubhaar, 1995). La ségrégation de la population étrangère dans certaines branches a des coûts économiques importants, parce que l’attribution de permis de travail de courte durée a retardé les ajustements structurels nécessaires. Certains experts n’hésitent pas à affirmer que « la politique migratoire a été bâtie sur un modèle de rotation des travailleurs étrangers qui a longtemps fait illusion » et que « la politique migratoire élaborée par notre revenu du ménage pour entretenir la famille, en raison de l’augmentation de certains coûts (OFS, 1998).

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Cette analyse est sujette à de fortes critiques eu égard à la difficulté de démontrer les liens de causalité. Avec le prolongement de la durée d’indemnisation, face à une augmentation du chômage, une partie du chômage devient observable et mesurable (cf. commentaires de S. Gaillard et S. Wolter, in P. Bacchetta et W. Wasserfallen, 1997). Il faut cependant remarquer que le comportement des demandeurs d’emploi est surtout influencé par la durée d’indemnisation (plutôt que par le niveau d’indemnisation). Ils tendent à réduire leurs efforts de recherche d’emploi dans les premiers mois de chômage et ils sont prêts à accepter une offre d’emploi avec un salaire inférieur à leur indemnisation (probablement une bonne approximation du salaire de réserve) seulement vers la fin du délai-cadre.

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Flückiger (1999) constate que la part de la population active étrangère qui ne bénéficie d’aucune formation s’est accrue de 1,2% en 1970 à 6,8% en 1990, et celle n’ayant achevé que la scolarité obligatoire a baissé légèrement entre 1970 et 1990, passant de 50,1% en 1970 à 43,8% en 1990. Globalement, la part des peu qualifiés parmi les personnes actives d’origine étrangère est restée presque constante. De plus, il observe que la part des personnes actives n’ayant pas terminé une formation post-obligatoire s’élève à 47,5% parmi les étrangers et encore à 38,5% au sein de la deuxième génération, alors qu’elle s’élève à 21,1% parmi les Suisses. Le pourcentage relatif à la deuxième génération n’est pas surprenant, si on considère que le milieu familial a une influence très importante sur le niveau de formation de l’enfant.

pays a été construite sur des différences de traitement associées aux multiples statuts inventés par les autorités suisses pour contrôler la main-d’œuvre étrangère tout en poursuivant des objectifs de politique régionale et sectorielle » (Flückiger, 1999, p. 1)67.

En général, on notera cependant que depuis 1980 et surtout entre 1991 et 1997, il y a eu un recul de l’indicateur de Mismatch relatif à la répartition entre les différentes professions des

chômeurs et des places vacantes68. La mobilité professionnelle est, en effet, en constante

augmentation. Dans les années 70, moins de 40% des actifs occupés exerçaient une profession différente de celle apprise. Dans les années 90, la moitié des actifs occupés exerçaient une profession qu’ils n’avaient pas apprise (Sheldon, 1999b).