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V. 2.2 / Exploitation des données :

V.4/ Formation d’adultes : en est-ce ? et après ?

Une formation de niveau supérieur, occupant pour l’essentiel des étudiants entre 19 et 25 ans, est-elle typique d’une formation d’adulte. Non, nous ont dit différents auteurs convoqués dans le cadre conceptuel tels que Muchielli ou Boutinet. Les déterminants d’une formation d’adultes tiennent beaucoup, nous l’avons vu, à une grande hétérogénéité des âges, des parcours, des projets individuels. Notre formation actuelle s’en rapproche-t-elle ? Pour répondre, nous soulevons les points suivants :

Notre formation rentre-t-elle dans les canons de la formation d’adulte ?

Quelle est réellement la marge d’autodétermination dans la trajectoire de formation ? Quand bien même la formation est tenue à des marqueurs impératifs en termes de compétences et de performances au travers d’un plan d’études, cette marge de manœuvre est assez large. Elle est d’ailleurs affirmée explicitement dans la charte pédagogique de l’école , qui demande « à l’apprenant d’être l’auteur principal de sa formation, [lui] donnant la possibilité de recourir à ses propres modes et moyens d’apprentissage [et lui] demandant (…) d’assumer les conséquences de ses choix, [tout en] favorisant l’autonomie et valorisant les initiatives, encourageant l’expérimentation concrète et personnelle» (p.2). De même, le processus de formation pratique témoigne également de cette place centrale de l’impulsion de l’étudiant : en première année, la manière d’exercer les compétences qui seront évaluées est proposée par le formateur de terrain.

En deuxième, c’est l’étudiant qui propose les situations de travail au terrain et à l’école. Et enfin en troisième, c’est à l’occasion d’un projet d’intégration conséquent, dont il est pleinement responsable, que son autonomie professionnelle est évaluée. Aucun doute que ces dispositifs tranchent avec les modalités pédagogiques propres aux plus jeunes. Cela rapproche-t-il pour autant la formation des canons d’une formation d’adultes ?

Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

1ère année Terrain (statut stage ou emploi)

Terrain (statut stage ou emploi)

En cours En cours En cours

2ème année En cours En cours Terrain (statut stage ou emploi)

Terrain (statut stage ou emploi)

Terrain (statut stage ou emploi)

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Et alors ?

Osons répondre que la question ne revêt au fond qu’un intérêt nomologique peu pragmatique : être ou ne pas être de la formation d’adulte nous importe formellement d’autant moins que le cadre conceptuel relié à cette notion ne nous a pas totalement convaincu. Un élément nous apparaît en revanche essentiel dans ce contexte, et il est à rappeler du cadre européen des certification évoqué dans le cadre théorique, passage clé qui met au premier plan l’autonomie professionnelle. Par-là nous comprenons un professionnel respectueux de ses droits et devoirs, mais raisonnablement distant d’une prescription stricte de son activité. Il est capable de se positionner spontanément, en pesant rationnellement les intérêts des acteurs impliqués dans son travail. C’est bien là, à notre sens, des aptitudes propres à des adultes responsables, qui doivent bel et bien s’entraîner auparavant à cette posture. Donc peu importe que la formation soit étiquetée et canoniquement mise en œuvre comme une formation d’adultes, pour autant qu’on puisse attester que les candidats au sortir de formation ont bien acquis, installé, rôdé ou confirmé ces attitudes cibles ; et d’ailleurs à y regarder de plus près, cette expression de formation d’adultes comporte un double sens sur lequel il paraît intéressant de ne pas trancher : elle peut être comprise dans son expression comme une formation qui compose avec des adultes venus se former, mais aussi comme une formation qui les prépare à ce dernier pas avant la vie d’adulte effective au sens sociologique du terme, soit des personnes majeures qui subviennent de manière autonome à leurs propres besoins et remplissent un rôle social. Ce que nous dit par exemple A (11/3-A) c’est que l’on grandit vraiment dans le processus de formation et que l’entourage lui-même peut en témoigner. Et pourquoi donc ne pas trancher entre une formation adressée soit un adulte « terminé » qui répond à son propre projet au travers de la formation, soit à un jeune adulte qui fait le dernier pas vers un statut d’adulte pleinement effectif ? Parce que définir précisément ce qu’est un adulte en formation du point de vue de la formation, c’est confirmer le statut d’un grand nombre et en marginaliser certains. Cette marge n’a d’ailleurs rien de valide en soi, puisqu’elle dépend uniquement des définitions que nous choisissons arbitrairement comme limites conceptuelles. Affirmer que la formation n’est pas une formation d’adultes nous engagerait à massifier des mesures d’accompagnement et de contrôle, laissant une impression de régression pour les étudiants trentenaires, parents, en réorientation professionnelle, et ils sont significativement nombreux. Dire au contraire que c’est une formation d’adultes au sens canonique nous engagerait à augmenter l’autonomie et l’autodétermination des étudiants ; c’est oublier qu’une bonne partie est issue d’un modèle de formation plutôt académique et fortement prescriptif. Pour eux cette autonomie nouvelle, bien que séduisante, est un contexte de travail vertigineux et angoissant.

Pistes d’action : Poser la question de formation d’adultes a pour nous une visée essentiellement opérationnelle : simplement savoir si la formation actuelle ou future peut se prévaloir de cette étiquette n’est qu’un problème de surface. Au fond ce qui compte, c’est ce constat d’un malentendu et la manière de le résoudre. Ou ne pas le résoudre par ailleurs, ainsi que nous en avons semé l’idée au-dessus. Au fond, il nous semble utile de se situer dans un « et-et » plutôt qu’un « ou-ou » : la formation peu fort bien adapter son offre selon qu’elle s’adresse à des adultes autonomes et à des de jeunes adultes qui n’ont pas encore acquis l’auto-organisation nécessaire ou cet esprit d’entreprise dans les tâches souhaitées, sachant bien entendu que ces aspects sont à maîtriser en fin de formation. Le programme peut intégrer en première année des temps de guidance institutionnalisés autour des travaux majeurs, soit au libre choix de l’étudiant, soit adressé aux étudiants qui en ont manifestement besoin. En deuxième ce soutien actif s’effacerait progressivement au profit de l’autonomie de l’étudiant, de telle manière à ce que tous puissent en faire la démonstration aux portes du diplôme.

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68 V.4.2/ représentation de la formation d’adulte issue de la confrontation au

discours des étudiants :

Au fond, dans une petite mesure, le dispositif de formation vaut pour ce qu’il affiche comme et démarches et intentions ; il peut d’ailleurs bien s’affirmer formation d’adulte de manière plus ou moins éclairée sur la question, cela ne la rend pas effective pour autant. Gageons qu’une formation vaut aussi et surtout par la manière dont elle est vécue, perçue, investie et comprise par les acteurs. Or, il ne fait nul doute qu’il y ait un malentendu dans la manière d’entendre ou de vivre ce concept de formation d’adultes. Les exemples sont saillants dans les entretiens des étudiants : à ce chapitre, deux éléments nous apparaissent se dégager très nettement dans le discours des étudiants.

Représentation et utilisation du temps personnel de travail :

Ce premier point relève plus d’un symptôme que d’un problème de fond, mais il vaut la peine d’être mis en exergue parce qu’il met en lumière la manière dont les acteurs portent un regard les uns les autres.

Convaincue d’offrir de la formation d’adulte, la filière EDE ES promeut au travers de ses directives et consignes données oralement l’auto-organisation et la proactivité des étudiants. Cela passe par du temps personnel planifié dans le programme dénommé TP et par ailleurs prescrit par le plan d’études dans un pack d’heures conséquent. Ce temps est décrit comme du temps de travail, soit pour avancer ses travaux scolaires, soit pour lire les différentes bibliographies proposées dans les cours. Il n’y a pas d’obligation de présence sur le site de l’école, mais la bibliothèque et les salles informatiques sont ouvertes pour eux. Or, aussi bien A que C nous disent qu’il y a trop de ces plages de travail libres, et même que ces moments perçus comme des congés incessants nuisent à la crédibilité de la formation (30/8-C). Pour B, ces temps sont mal planifiés, parce qu’une demie journée ici et là est contre-productive. Suivant que l’on habite loin et que l’on arrive chez soi à quinze heures, on n’a plus le courage de se remettre au travail (25/6-B). On aurait plutôt intérêt à regrouper ces demies-journées pour en faire une vraie journée de congé (25/2-B). Inutile de préciser que la traduction de « temps de travail personnel » prescrit par le plan d’étude en « congé » induit quelque chose auprès du corps enseignant en termes de perception défavorable de la maturité des étudiants. Le sentiment d’être adulte se joue pour eux ailleurs, et assez paradoxalement en regard de présent paragraphe, dans une autogestion de leur présence physique ou en esprit en cours.

Une Grande Foire de la formation supérieure :

Voilà un concept nouveau que nous posons-là, quand bien même il s’approche de la notion anglo-saxonne de « Marketisation of Education » qui sert de toile fond à l’idée de « marché de la formation » sous nos latitudes. Nous ne développons pas ici ce dernier concept faute de s’écarter sensiblement du sujet, mais précisions que l’idée de « marché de la formation » met en avant une vision libérale de l’offre de formation.

Il est pour l’essentiel tourné vers les performances des systèmes, que ce soit en termes d’efficience de la formation, de réputation des établissements soit auprès du monde de l’entreprise, soit des familles comme décideurs prioritaires dans le choix d’une école pour leurs enfants. Concernant le potentiel apprenant, il est perçu comme un acteur plutôt rationnel tel que peut l’envisager Gary Becker, qui opère des choix de formation en pondérant les coûts/bénéfices pour lui-même. Or, si les générations Y et Z ne sont pas si caricaturalement différentes des précédentes tel qu’on l’a évoqué plus tôt, certaines valeurs ont néanmoins pris une place de premier plan. Bonheur au travail, besoin de saisir le sens de la tâche, perception plutôt horizontale du leadership, place prépondérante de la qualité de l’expérience personnelle, ces ingrédients modifient à notre sens très sensiblement l’approche des étudiants : il n’est plus, ou plus seulement, question de la formation qui vous forme le plus vite et de la meilleure manière au métier désiré, mais aussi

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de celle qui propose l’expérience la plus satisfaisante, et qui tout simplement vous donne l’envie d’y être et d’y rester. Le « tourisme de formation » que nous évoquions tôt dans ce travail n’y est sans doute pas étranger, mais ce serait une autre démarche que d’en faire la démonstration. Pour autant, nous maintenons le concept de « Grande Foire de la Formation » comme incluant dans l’idée de marché de formation le comportement nouveau d’un formé à la recherche aussi bien d’une expérience de vie stimulante et valorisante que d’un diplôme. À l’image d’une Foire, il est question de vendre du contenu qui sache les capter à des étudiants avides d’expériences. Pour filer la métaphore, c’est autant l’ambiance du stand, l’engagement motivé de celui qui le tient, les « cadeaux de bienvenues » qui font que le public s’arrête, s’intéresse, éventuellement achète ce qui est achalandé avec soin.

Cela fait beaucoup d’affirmations qui méritent un étayage, et sans doute le discours des étudiants, très explicite sur le sujet, présente une série d’exemples convaincants et dessine les contours particuliers d’une formation d’adultes aux yeux des étudiants.

L’étudiant, un consommateur au service de son propre intérêt : nul doute que les étudiants interviewés ont une position très clairement individualiste quant au bénéfice de la formation. La notion de communauté de pratique est ici mise à mal par des projets très individuels, et si l’on évoque une communauté comme c’est le cas pour B qui cerne sa propre classe, c’est pour la distinguer et la séparer de la communauté d’à côté (19/1-B, 19/5-B, 21/3-D, 29/1-D, etc.). Pour ce qui est d’un discours clivant de type « eux et moi », il est abondant. Nous y voyons un biais de désirabilité sociale puisque que tous s’identifient aux bonnes pratiques et renvoient les mauvaises aux autres. Mais ce discours se distinguant fondamentalement du reste du groupe est très net. A déplore le manque d’implication de certains, absents ou occupés à autre chose en cours, et si elle dit trouver cela triste, l’important est prendre conscience qu’on est là pour soi (30/7-A et suivants).

Pareillement pour C qui fait le constat de collègues très occupés par de la vente en ligne ou du jeu vidéo en cours, elle affirme aussi que ce ne sont pas ses affaires, la formation est pour elle seule (49/8-C, 51/8-C, 52/2-C). Même discours pour D qui pointe une responsabilité personnelle à s’engager dans une formation supérieure (42/7-D). Dans un registre sensiblement différent mais qui met également en lumière la prépondérance du projet individuel en formation, B propose des solutions institutionnelles pour que les besoins spécifiques des étudiants soient mieux intégrés à l’école, besoins thématisés autour de son expérience personnelle. Ainsi que le résume le plus explicitement B quand bien même la posture se retrouve chez tous : les étudiants sont là pour apprendre ce dont ils ont besoin et les enseignants pour les aider à avoir leur diplôme. Dit ainsi, leur bien-être doit être au centre des préoccupations des formateurs (42/5-B). Des étudiants qui souhaitent être dorlotés ? Sans verser dans la caricature, le besoin de feedback positif et constructif, ainsi que la notion de bonheur au travail ont été déjà évoqués et différents éléments tendent à confirmer ces éléments. Le premier élément qui vient à l’esprit de A tandis qu’il s’agit de donner son avis sur la formation, c’est à quel point l’étudiant est considéré et comment l’on prend bien soin de lui (21/4-A). Et D ne conclut pas que le système actuel de formation fonctionne, ou est adéquat, ou encore pertinent, mais qu’il lui « plaît énormément » (36/3-D)

Une logique de libre-service et une attention sous conditions : Dans cette logique de plaisir à la tâche et dans la tâche, quelle attention et quelle posture de l’étudiant ? Elle est unanime en lien avec une la représentation des interviewé d’une formation d’adulte : c’est un ensemble de cours comme une offre globale dans laquelle on pioche ce que bon nous semble. A considère que les

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cours sont donnés et qu’elle est libre « de les mettre ou non dans son sac à dos » (27/4-A), B identifie les cours selon elle utiles et inutiles soit selon des critères expérientiels antérieurs qui lui permettent de décider de s’en passer (12/7-D), soit qu’ils ne lui paraissent pas aboutis (12/5-D), ou encore selon des critères d’utilité immédiate (12/3-D). Pour C « on est en formation d’adultes, chacun est libre de faire ce qu’il veut » (43/8-C)

C’est donc au nom de ce libre choix de la participation au cours (participation devant être lue comme implication, puisque la présence physique est obligatoire) que les contenus sont investis ou non. Quels dérivatifs ? « Un prof qui veut être suivi ne donne pas le code Wi-Fi » (43/8-C), cette idée fait consensus. Mais que ferait-on sans ? C se dit qu’on pourrait s’en passer, mais que l’alternative serait compliquée : soit l’enseignant doit se plier à produire des supports de cours complets, soit il assume que les étudiants ne suivent pas derrière leur écran (44/4-C). Notons que l’option de prendre des notes sur un calepin à tout bonnement disparu de l’équation : soit l’enseignant résume des notes à la place de l’étudiant, soit ce dernier fait autre chose. La solution ? Les cours interactifs selon les interviewés. Mais encore une fois, il faut au cours le dispositif susceptible d’éveiller leur curiosité. D nous dit (59/2-D) : « il faut faire ça maintenant. Je vois que quand je ne suis pas impliqué dans le cours, tu ne fais pas ».

Voilà donc un portrait référencé et subjectif d’un adulte en formation issu de l’analyse de discours des principaux intéressés. Et voilà également, dit avec une trivialité que nous assumons pleinement à ce stade, un étudiant à la Foire. 15'000 m3 d’exposition. Il achète un aspirateur sans hésiter parce qu’il a besoin d’un aspirateur. Il ne passe pas du tout aux déshumidificateurs parce qu’à son avis, avant qu’il y ait des champignons à la cave, il est inutile de s’en préoccuper. Il s’est laissé tenter par un épluche-légumes qu’il n’avait pas prévu d’acheter, parce que le stand était bien placé et que le vendeur était convaincant… il l’utilisera peut-être. Pour le reste, il traverse la Foire les mains dans les poches et le nez au vent, ouvert à une bonne affaire ou l’autre, éventuellement…

Pistes d’action : Passons rapidement sur la notion de temps personnel, périodes qui pourraient aussi bien porter une mission plus orientée que d’assumer d’être offertes à l’utilisation constructive (ou non) de l’étudiant. Peut-être même pourrait-il porter cette intention de guidance institutionnelle telle qu’évoquée plus haut, et donc soit proposer du soutien adressé à ceux qui en ont besoin, soit demeurer du temps à disposition pour les étudiants sereins face au travail et capables d’organiser leurs tâches.

Mais il y a un enjeu plus large en lien avec le profil des visiteurs de la Grande Foire de la Formation. Ce sont eux le public, indépendamment du fait que l’on s’inquiète ou que l’on se réjouisse de ce nouveau profil de formés. Cela appelle donc une posture particulière de la formation prenant acte de leur advenue, posture exprimée au travers du programme. Soit nous pouvons contrer cette tendance au picorage en évaluant tout, avec la risque que l’évaluation revête avant tout un caractère de sanction. Ou à l’opposé composer avec un étudiant consommateur, et proposer un programme qui laisse une place significative aux options.

Si l’on met de côté l’idée que la rencontre avec l’inattendu, l’accès à du contenu que l’on ne s’attendait pas à apprécier devient moins probable, reste la question de l’articulation entre la formation et l’activité professionnelle : si en formation on pourrait faire son choix parmi des branches qui nous parlent et d’autres qui ne nous parlent pas, il en va tout autrement de la réalité d’un professionnel en poste, bien obligé d’embrasser toutes les responsabilités qui lui échoient. Cette tension entre une forme de contre-pouvoir à une attitude consommatrice et un nécessaire accompagnement d’une génération que nous ne changerons

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pas à nous seul (et le faut-il seulement), cette tension doit nécessairement s’exprimer dans un programme qui pour l’occasion fait plus figure d’enjeu de socialisation que de pragmatisme pur.

V.5/ un maintien de la notion de compétence malgré des temps de formation