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II. 2.3 / demande de formation des étudiants actuellement en cursus

II.3/ Andragogie

Un concept sujet à débat

Si le terme andragogie essaime dans la littérature, et plus spécifiquement en formation continue, il n’est pas hors de tout débat. Un rapide point étymologique s’impose : si pédagogie, du grec païdos (enfant) gogia (conduire, mener) indique aujourd’hui la manière de transmettre des savoirs à l’enfant, le terme andragogie, avec le préfixe grec andros (adulte) désigne le même processus auprès des plus âgés. Reste à admettre que les processus d’apprentissages soient si dissemblables qu’ils nécessitent un distinguo.

De premier abord, les grands principes de l’andragogie ne semblent pas contredire leurs pendants chez les plus jeunes. Si nous prenons les axes centraux de l’andragogie tel que peux les poser Lenoir (2014) aucun ne semble se distinguer radicalement des entreprises pédagogiques auprès des plus jeunes. Partir de l’apprenant, de ce qu’il sait et de là où il en est ? l’écho avec la pédagogie différenciée est assez fort. Et que dit en substance Vigotsky dans le cadre de la zone proximale de développement de l’enfant sinon de partir de ce qu’il sait déjà et de viser un peu plus haut ? Autre point, s’inscrire dans le besoin et l’intérêt immédiat de l’apprenant : c’est également le point central de la pédagogie actualisante de Dewey. Encore, donner au formé une place d’acteur et jouer du conflit socio-cognitif, la notion rappelle elle aussi des modèles plus anciens : qu’ont fait Freinet et Decroly sinon rendu leurs jeunes élèves, issus du monde rural pour une large part, acteurs de leurs apprentissages au travers de projets partagés ou encore de la gestion instituée du fonctionnement de la classe ? De plus, concernant le conflit socio-cognitif, s’il est parfois lié aux travaux de Vigotsky, c’est en réalité un terme imposé par Doise et Mugny à la fin des années 70, sur la base certes des travaux du théoricien russe, mais également d’une intuition de Piaget concernant les apprentissages sociaux coopératifs. Reste que ce cadre théorique n’est de loin pas pensé pour les seuls adultes ; au contraire les conclusions pointent majoritairement les processus d’apprentissage des enfants.

Autre axe, le statut de l’enseignant, qui n’est par ailleurs plus un enseignant mais un formateur, vu comme un médiateur entre les savoirs et le formé, un soutien aux initiatives et besoins de l’apprenant, le portier vers des possibles offerts au formé, mais surtout pas un transmetteur de savoirs formels au sens traditionnel. Il nous paraît d’emblée abusif d’opposer le formateur décrit comme ouvert et accueillant vis-à-vis d’adultes hétérogènes, et l’enseignant vu en filigrane comme un je-sais-tout occupé à normaliser des

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savoirs imposés. Le premier doit bien en passer par de la normalisation pour s’assurer que les attendus minimaux de la formation soient bien respectés, la formation continue ne saurait être le territoire exclusif de l’autodétermination du formé. Le second est, d’une part, largement conditionné par l’injonction du développement de l’esprit critique des élèves et donc au service de la pensée plurielle, et, pour un bout au moins, de l’initiative de l’élève. Cet enseignant est en outre interpelé dans son rôle de transmetteur par la disponibilité des savoirs hors de la classe dans une société de la connaissance, un « tournant civilisationnel » ira jusqu’à écrire Vergne (2012). Si le tout jeune élève devant apprendre les basiques de l’addition est peu interpelé sur sa motivation et ses projets, il en est déjà autrement avec l’adolescent que l’on sensibilise au développement durable. Alors quid de l’adulte ? Et au fond quel est ce marqueur (et existe-t-il seulement) qui fait dire que cette personne de 18 ans au collège est un maturiste, et telle autre de 19 en éducation de l’enfance est un adulte en formation ?

Un statut d’adulte en formation qui n’a rien d’évident :

Évidemment, qui dit adulte en formation et pédagogie adaptée s’interroge nécessairement sur cette nature intrinsèque d’adulte. Or il n’y a pas une définition, mais des définitions, et toutes posent des problèmes spécifiques.

A/ Est adulte au sens civique, celui qui a atteint sa majorité. En découle des attentes en lien avec un statut au sein de la société et ses conséquences juridiques, ainsi que l’autonomie décisionnelle qui en découle.

Cet élément est-il de nature à basculer un mode d’enseignement le jour des 18 ans de l’enseigné ?

B/ Est adulte au sens sociologique qui a conquis sa pleine autonomie. Il ne va plus à l’école, il s’assume financièrement et subvient par lui-même à ses propres besoins, il ne dépend plus de ses parents. Hormis les réserves que l’on pourrait émettre sur ce que veut vraiment dire « subvenir à ses besoins », admettons le principe. Cela signifie donc néanmoins que le jeune de 18 ans qui sort d’une école de commerce et s’installe est adulte et qu’un autre de 27 ans, parti pour des études longues à l’université, ne l’est pas. Très bien. Cela veut-il dire que la vie auto-assumée, quelle que soit l’âge à laquelle elle intervient, crée des conditions qui rendent la pédagogie classique caduque ?

C/ Être adulte au sens biologique, c’est (à choix selon son degré d’optimisme) lorsque le cerveau atteint sa pleine maturité, soit quand les facultés physiques et cognitives atteignent leur pic et commencent à décliner, dans les deux cas autour de 25 ans (Schaie et Denney). Que faut-il en déduire, sinon que la formation d’adulte commence autour de 25 ans et devrait composer avec une dégradation progressive des capacités à apprendre ?

Si l’enfant en croissance est relativement bien connu et si les étapes de son développement sont assez spécifiques et harmonieuse pour qu’on puisse les classer dans un modèle consensuel (on songe ici à Piaget en particulier) les modèles de développement de l’adulte son loin de faire l’unanimité : si l’on s’attache à ce qu’en résument Bee et Boyd (2012, p.300), le modèle de développement peut être considéré par stades, directionnels, comme pour Piaget et Kohlbert, ou par tâches développementales pour Erikson, Peck ou Levinson. Ou il peut encore cerner un développement interactif, récursif ou systémique pour Bronfenbrenner ou Rogers entre autres.

Que garder de tout cela ?

Ce que l’andragogie tire de tout cela tient pour l’essentiel de la définitions B, la dernière étant plutôt péjorante, et la première paraissant un peu fragile dans un contexte de formation, ce que vient d’ailleurs confirmer une étude de Boutinet (2009) citée par Petit (2011) auprès des jeunes eux-mêmes, qui disent ne

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pas se sentir particulièrement adultes leurs 18 ans venus. Ce qui est déterminant dans une visée andragogique tient à cette idée d’autonomie, d’autodétermination, de la capacité de l’apprenant à formuler et à porter un projet de formation individuel qui demande à être accompagné et non imposé. En conséquence, notons d’une part une attention particulière qui est mise sur les méthodes, adaptées à la réalité d’un adulte dit mature, ayant atteint un certain équilibre. « L'expérience, capital d'acquis, est une des caractéristiques majeures de l’âge adulte. Fragmentée, adossée à des parcours de vie sinueux, constituée d'échecs, de réussites, de scléroses, de routines et d'inhibitions, l'expérience recèle compétences ou significations inattendues » écrit Petit (2011). Ces routines, ces arrière-plans notionnels, l’ensemble des habitus pour prendre un terme bourdieusien, conditionne à la fois la vision de soi, du monde et la capacité même de pourvoir en changer ou non au travers de la formation (les travaux sont plus qu’abondants sur la question, entre autres Heider (1946) ; Festinger (1957) ; Kiesler (1971) ; Taylor et al.

(1974) ; Beauvois et Joule (1981) …). L’expérience de vie de l’adulte, lui ayant imprimé différent plis, styles de travail et d’apprentissage, facteur également de déterminismes hétérogènes qui nuisent à son adaptabilité (Hachicha, 2002), devient donc en andragogie une variable forte et soumise à grande attention.

Ce point notamment éclaire en partie le rapport à la définition B, en mettant en lumière qu’une « vie d’adulte » conditionnent et cristallisent certains traits des personnes, éléments qui constituent selon la manière dont on en tient compte soit une porte d’entrée aux apprentissages soit un empêchement didactique. C’est ce point, écrit en substance Mucchielli (1998) qui fonde la nécessité d’une approche andragogique, soit la reconnaissance de leur vision liée au réel, utilitariste, pragmatiste, potentiellement résistante au changement, et fortement liées à ses responsabilités présentes et futures.

Cette vie adulte implique que la formation continue est un retour aux bancs d’école, avec ce que cela implique de doutes, de distances prises ou d’appréhensions liées à un parcours scolaire plus ou moins heureux et plus ou moins éloigné. C’est ce point qui différencie, pour revenir à la prudence de la définition B, le mécanicien de 21 ans qui revient aux bancs pour une maîtrise après deux ans de pratique, de l’universitaire de 28 ans qui n’a pour ainsi dire jamais pris congé de son métier d’étudiant. Cela laisse entendre que la formation initiale de haut niveau n’est pas pour autant de la formation d’adulte : reste à se questionner sur ces candidats, toujours plus nombreux, qui reviennent à une formation universitaire dite initiale après une expérience professionnelle significative.

Boutinet (1999), résume de son côté la caractéristique qui fonde la spécificité de l’adulte en formation en cinq axes : l’âge et le genre comme des particularités universalisantes, les rôles sociaux et professionnels assumés, l'expérience, la réflexivité identitaire comme des déterminants débouchant sur la singularité.

L’andragogie : une discipline ou un effet générationnel ?

Reste un paramètre à prendre en compte et sans doute qu’y passer si rapidement ne rend pas hommage au champ de réflexion que cela ouvre, mais il s’agit l’andragogie en tant que rapport entre la pédagogie et la spécificité de l’adulte formé. Cet adulte est-il gravé dans le marbre ? Si Dupont n’est pas tout à fait pareil que Duchemin, n’y a-t-il pas des tendances plus générales ? Les salles des maîtres ne résonnent-elles de qualificatifs qui opposent la génération Z à la Y, la X au babyboomers ? y a-t-il des différences avérées qui impactent ou devraient influer sur la pédagogie d’adultes ? Pauget et Dammak (2015) résument leurs études à ce sujet et indiquent qu’objectivement, ces différences sont largement exagérées, sans pour autant dire qu’elles n’existent pas. Un point qui fait consensus à propos des générations Y et Z (soit l’écrasante majorité de nos formés) est le rapport à l’autorité. Il ne s’agit pas de rejet, mais d’une forme nouvelle, qui accepte de se soumettre à une règle pour autant qu’elle fasse sens pour eux. Ou encore de reconnaître une hiérarchie pour autant qu’elle ait fait ses propres preuves. Ce chef idéal ? Pauget et

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Dammak en ont dessiné le contour au travers de leur étude en milieu hospitalier en 2015 : Il est un « chef d’orchestre », « accessible dans l’échange ». Pour 80 % des répondants le terme de leader est préféré à celui de chef. Son rôle serait d’insuffler, d’inspirer, de motiver par l’exemple. « Il dynamise une équipe grâce à un bon relationnel » (p.187). Il est participatif, sait encourager (coacher ?) ses équipes. 70 % estiment ne pas avoir ce type de manager dans leur entourage et 90 % ne pas l’avoir dans leur propre organisation.

Écoute, soutien, une grande capacité à donner du sens aux missions, l’attente des jeunes employés envers leurs cadres sont fortes. Leurs valeurs ont été largement étudiées (Eisner (2005) ; Erickson (2009) ; Josiam (2009) ; Laizé et al. (2007) ; Yeaton (2008) ; Bourhis et al. (2010) …) et en ressortent différents axes forts, tels que la recherche du sens du travail, le besoin de feedback, le besoin d’accomplissement, l’intégration vie privée vie professionnelle, ainsi que l’opportunisme. Sur le plan des valeurs d’organisations, les mêmes auteurs pointent un esprit de groupe, un faible loyalisme, une grande technophilie, une difficulté à se projeter dans l’avenir ainsi que le bien-être au travail.

Dans le cadre des entretiens qualitatifs traités dans la discussion qui conclut ce travail, celui de Becca est emblématique de la plupart de ces éléments : elle a changé d’orientations à quelques reprises, déçue par différents secteurs professionnels (ainsi que Delia et Cédric). Les règles justifiées pour elles-mêmes sont vécues comme infantilisantes. Elle souhaite (comme Anna et Delia) qu’on les entende plus et mieux, et que l’organisation change en conséquence. Le confort est au centre du discours au travers de propositions plus commodes et moins contraignantes des examens ou des congés. Le projet de l’étudiants est au centre, puisque l’école et les enseignants sont perçu et décrit comme étant au service de leur réussite.

Quel impact ont ces informations ? Avançons qu’une formation qui se revendique d’adulte est au carrefour de deux mouvements plus ou moins explicites : le premier est l’intention de produire une formation d’adulte centrée sur ses typicités avérées ou supposées, et le second est la représentation que se fait l’apprenant d’une formation d’adulte, ainsi que de la manière dont lui-même se vit et se perçoit adulte. Au-delà d’un discours catégoriel dissociant des modes d’enseignement indépendamment de l’âge des formés, reste à penser un modèle réel dans l’articulation de la nécessité, en formation initiale, de former à un profil professionnel prescrit selon des normes établies, et celle de composer avec de jeunes adultes aux exigences affirmées quant à leurs capacités d’autodétermination vis-à-vis à leurs propres projets de formation, vécus comme importants et légitimes.