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3. Fondements théoriques de notre dispositif didactique de recherche par et avec les enfants

Chapitre V : Eduquer à l'égalité des sexes et conduite du changement dans les écoles

V- 3. Fondements théoriques de notre dispositif didactique de recherche par et avec les enfants

Le dispositif pédagogique que nous avons expérimenté dans la Recherche-Action s'inspire de « l’Enseignement des sciences basé sur l’investigation (ESBI) »77, à l'œuvre aujourd'hui dans « la main à la pâte78 » ou « les savanturiers79 » et qui a influencé les programmes de l'école primaire des années 1970 à la fin des années 200080. Cette approche de l'enseignement des sciences basé sur l'investigation se caractérise par un enseignement fondé sur l'activité manipulatoire et « l'enquête »81 et, une approche socio-constructiviste des apprentissages.

En mettant en œuvre ce dispositif pédagogique, nous avons transféré aux recherches menées avec et par les élèves autour des albums pour la jeunesse, des méthodes et approches développées dans les sciences dites dures. En cela, nous sommes proche de John Dewey (1938/1993) qui, dans son livre 77- Rencontré également en France sous les appellations « Enseignement des Sciences Fondé sur l’Investigation (ESFI) », ou « enseignement des sciences basé sur la démarche d'investigation » et, dans la littérature anglo-saxone en didactique des sciences, sous les sigles IBSE (Inquiry-Based Science Education) ou IBST (Inquiry-Based Science Teaching).

78- Opération lancée en 1996 par les scientifiques Georges Charpak, Pierre Léna et Yves Quéré et suivie alors par l’INRP, dont le dispositif avait été inspiré par une expérience américaine : « Hands On » à Chicago (voir Charpak, 1996, p. 8-10).

79- « Les Savanturiers – Ecole de la recherche » est un programme éducatif, lancé en 2013 et développé par le Centre de Recherches Interdisciplinaires qui œuvre pour la mise en place de l’éducation par la recherche dans l’école primaire, au collège et au lycée.

80- Selon le modèle « investigation-structuration » développé par l'INRP (Host, Deman & Deunff, 1973, 1974, 1976 ; Host & Martinand, 1975 ; Martinand & al., 1980 ; Astolfi, 1985) dans les années 70-80, puis, selon le modèle, proche, de la démarche d'investigation (DI), suivant les recommandations du « Plan de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école » (MEN, 2000), dans les programmes de 2002.

81- Le terme « enquête » ici utilisé, synonyme du terme « investigation », correspond à une traduction du terme « inquiry » s’agissant des écrits de John Dewey.

Logique : la théorie de l’enquête, met au premier plan de sa réflexion la question des pratiques scientifiques en consacrant un chapitre entier à l'enquête sociale. Transférant lui aussi une utilisation de l'enquête à l'école, ce chercheur rappelle la nécessité, pour l’élève, de « faire des choses » qui ont sens pour lui. Une enquête est menée pour aboutir à une situation déterminée ; elle ne découvre pas un objet avec ses propriétés mais permet de définir un produit stabilisé : « l’enquête (…) produit et (…) ordonne [les objets ou les évènements] sous une forme stable » (Ibid., p. 184).

Dans ce type de démarches, l'accent est mis sur la coopération et le processus social de la « négociation » des idées scientifiques dans l’échange verbal. L'idée étant toujours que les enfants vont apprendre des connaissances scientifiques « non pas à travers l’imitation, pas plus qu’au travers d’instructions didactiques, mais par le discours, la collaboration et la négociation » (Bruner, 1996, p. 77). La « nature discursive » de la connaissance scientifique, socialement construite et validée, est ici aussi mise en avant.

Pour Gaston Bachelard (1934/2013 ; 1949/2004), sur lequel s'appuie également la conception des démarches par investigation, « connaître » n’était pas détenir une information dont la signification serait évidente (ce qui a pourtant pu être remis en avant par les programmes de 200882, cf points I-2. et I-3.), mais passer par une activité intellectuelle qui consiste notamment à situer l’information dans un questionnement, à l’interpréter comme une réponse à un problème.

Avec François Taddéi, nous avons considéré que ce que l'école doit développer avant tout, c'est « une culture de questionnement et de la pensée créative » (Taddéi, 2009, p. 55), la capacité des élèves à trouver, en collaboration, de nouvelles solutions et à redéfinir les problèmes. Il ne s'agit pas pour ces derniers d'adopter des démarches scientifiques, mais bien de faire de la recherche. Les enfants sont ainsi amenés, non pas à redécouvrir par eux-même le monde tel qu'il a été découvert par les femmes et les hommes pendant des millénaires (les solutions d'hier), mais à découvrir ce que les femmes et les hommes n'ont pas encore découvert (Ibid., 2016).

Dans ce type de démarche, les enfants, accompagnés par des tuteurs (adultes ou élèves plus âgés), dans une posture réflexive sur leurs connaissances préalables, interrogent leurs conceptions initiales, postulant qu'elles peuvent effectivement être révisées (à la lumière de nouvelles expériences ou de nouvelles considérations théoriques). Ils identifient des problèmes, récoltent et interprètent des données, observent et analysent des situations et, tirent des conclusions à discuter et valider ensemble. En ce sens, ils participent à la construction des connaissances scientifiques qu'on leur demande d'appréhender.

82- Ministère de l'Éducation Nationale, 2008. Horaires et programmes d'enseignement de l'école primaire. Bulletin Officiel n°3 du 19 juin 2008.

Dans cette Recherche-Action, avec les enseignant-e-s, nous avons considéré collectivement l’enfant en tant qu’acteur/auteur social (non seulement produit mais aussi producteur de son expérience sociale). Nous nous sommes inscrit-e-s ainsi dans une approche proche de la nouvelle sociologie de l'enfance (James & Prout, 1997 ; Qvortrup, 2001 ; Sirota, 2015), qui considère celle-ci comme une construction sociale variable dans le temps et dans l’espace, et l’enfant comme un être au présent (et non uniquement un adulte en devenir) acteur/auteur à part entière, doté d’une capacité d’agir. « Si, actuellement, l’idée que les enfants sont des acteurs sociaux semble un lieu commun, les enfants sont et doivent être considérés comme actifs dans la construction de leur propre vie, dans la vie de ceux qui les entourent et dans les sociétés dans lesquelles ils vivent. Les enfants ne sont pas juste des sujets passifs des structures sociales et des processus » (Prout, A., 1997, cité par Sirota, 2010, p. 21).

Nous avons donc inventé un dispositif méthodologique permettant aux enfants de donner leurs interprétations, d'analyser leurs pratiques et représentations et de partir d'elles. Nous avons alors considéré que les enfants, en recherche, peuvent produire une nouvelle intelligibilité du réel, peuvent donner la possibilité de suivre les évolutions sociétales, voire de les anticiper.

Cependant, l'enseignement par démarche d'investigation que nous avons utilisé s'est lui aussi développé de façon très inégale en France et cette approche, minoritaire, a également fait l'objet d'injonctions contradictoires.

Des explications diverses sont mises en évidence par les recherches pour expliquer le faible développement de ces démarches dans les pratiques des enseignant-e-s :

D'abord une grande quantité de propositions hétérogènes pour les mettre en pratique dans les classes, qui semble conduire à une diversité d’exploitations, d’appropriations, voire de compréhensions au niveau des enseignant-e-s par rapport aux indications prescrites (Mathé, Méheut & Hosson (de), 2008) ainsi qu'un manque de définition partagée et de consensus dans le monde de la recherche sur ce que sont ou sur ce que devraient être précisément les démarches de type investigation (Maschietto, 2010).

Un rapport problématique que beaucoup d’enseignant-e-s auraient alors développé avec ces démarches est ensuite avancé comme seconde explication de leur faible développement dans les pratiques (Lebeaume, 1999 ; Morge, 2000 ; Bisault & Berzin, 2009 ; Jaubert, Rebière & Pujo, 2010).

Les recherches pointent aussi, comme freins, des pratiques effectives des enseignant-e-s qui restent plus ou moins traditionnelles, bien qu'ils/elles tiennent des positions sur l’enseignement et

l’apprentissage des sciences qui sont cohérentes avec les idées constructivistes (Marlot & Morge, 2015).

Enfin, un développement cohérent et stabilisé de la mise en œuvre d'un enseignement fondé sur l'investigation scientifique serait limité par des « normes professionnelles » (Henriot-Van Zanten, 2014 ; Tardif & Lessard, 2014), appropriation-interprétation des prescriptions institutionnelles (Daguzon & Goigoux, 2007) qui sont enracinées de manière plus profonde et plus légitime que les conceptions individuelles des enseignant-e-s (Marlot & Morge, 2015).

Nous avons donc proposé aux participant-e-s d'entrer dans des démarches (expérimentation et manipulation de concepts, mise en situation de recherche, coopération avec une chercheuse, etc.) s'appuyant sur des dispositifs innovants actuels83, mais qui sont rares à l'école primaire.

V-4- Accompagner et sécuriser le changement pour permettre l'implication