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5. Le dispositif de négociation utilisé et l'étude du pouvoir d'agir des acteurs/trices

Chapitre V : Eduquer à l'égalité des sexes et conduite du changement dans les écoles

V- 5. Le dispositif de négociation utilisé et l'étude du pouvoir d'agir des acteurs/trices

La démarche de Recherche-Action (RA84) a été fondée par un psycho-sociologue américain, Kurt Lewin (1931, 1947), qui pensait que pour comprendre comment marchent les choses, il faut agir sur elles, les transformer et étudier les processus déclenchés ; que la compréhension allait alors venir de l'étude des modifications.

Pour Jean Dubost (1987), la RA est une autre façon d'explorer la réalité. Selon cet auteur, qui a montré la pluralité des types de Recherche-Action, certaines formes de RA sont des stratégies de recherche, des moyens d'obtenir des données que l'on ne pourrait pas obtenir avec une autre démarche de recherche.

Par ce choix de la RA comme dispositif méthodologique, nous avons considéré, à l'instar de Jean Dubost (1987), que les membres d'un groupe (ici des professeur-e-s des écoles, puis les enfants) sont mieux à même de connaître leur réalité que des personnes extérieures au groupe. C'est de cette réalité, de la réalité des acteurs/trices, du sens qu'ils/elles donnent aux choses85 ou allaient pouvoir leur donner, qu'il nous semblait nécessaire de partir pour parvenir à changer la situation (en faisant que les enseignant-e-s participant à la formation se mettent à éduquer à l'égalité des sexes, en transformant les attitudes et comportements de leurs élèves, en promouvant l'égalité des sexes). « La réponse existe dans des situations à construire collectivement où le chercheur [(ou l'enseignant-e), ajouterons-nous, dans la mise en place d'une Recherche-Action avec les enfants] contribue parmi les autres acteurs [enseignant-e-s (ou enfants)] à la situation problématique, c'est-à-dire encourage cette mise en espace public d’un problème » (Bazin, 2003).

Chercheuse du changement, nous avons postulé, comme l'a fait Kurt Lewin (1948), qu'il fallait agir sur la réalité pour la connaître. Mais également chercheuse engagée et militante, nous n'avons pas seulement voulu connaître cette réalité, nous avons souhaité la transformer (transformer les pratiques pédagogiques, mais peut-être aussi certaines représentations initiales des enseignant-e-s et des enfants, et à travers eux/elles, de la société, concernant l'égalité et les relations entre les sexes). Le dispositif de la RA nous est alors apparu comme particulièrement adapté à nos objectifs lorsque les recherches-actions sont des « recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de 84- Nous utiliserons désormais l’acronyme RA pour « Recherche-Action ».

85- « Human beings act toward things on the basis of the meanings that the things have for them » : Blumer, H. (1969). Symbolic interactionism : perspective and method. New Jersey : Prentice-Hall, p.2.

transformation » d'une réalité qu'on juge insatisfaisante et qu'elles ont ce « double objectif » de « transformer la réalité » et de « produire des connaissances concernant ces transformations » (Hugon & Seibel, 1988, p. 13).

Envisageant la RA comme une stratégie d'innovation, une source de changement « fondée sur une méthodologie de l'appropriation » (Bataille, 1988, p. 126), nous avons invité les enseignant-e-s participant à cette recherche, mais ensuite également les enfants, à construire des savoirs organisés, des techniques d'analyse, pour produire ensemble un savoir académique ancré ; alors plus intéressant pour les acteurs/trices parce qu'issu directement de la lecture des situations qu'ils/elles vivent (Delorme, 1988).

En utilisant ce dispositif de la RA, impliquée dans une visée opératoire, nous avons agi dans le but de connaître et comprendre, mais également, d'enrôler les acteurs/trices de terrain dans une réflexion commune et dans une transformation des pratiques et des comportements individuels et collectifs.

Persuadée, comme Kurt Lewin (1948, p. 274), qu'« il est plus facile de changer des individus réunis en groupe que de les changer séparément », nous avons considéré, néanmoins, que pour que l'expérience soit source de changement, elle devait être traduite en termes de recherche puis réinvestie dans la pratique qui en serait elle-même ainsi modifiée et nous avons appliqué ce principe aux pratiques des enseignant-e-s participant à cette recherche, mais aussi aux comportements et à la réflexion des enfants qui sont finalement également entrés en Recherche-Action …

La recherche alors effectuée avec ces enseignant-e-s, praticien-ne-s, à partir de leur propre pratique, puis avec les enfants, à partir de leurs comportements et représentations, a été « engagée sur une échelle restreinte », mais « pour être englobée par un projet plus général (…) pour obtenir des effets de connaissance et de sens » (Dubost, 1987, p. 140) sur la mise en œuvre de l'éducation à l'égalité entre les filles et les garçons à l'école, puis sur l'application au réel du principe de l'égalité des sexes.

Comme le souligne Françoise Cros, il nous a semblé important de « réfléchir la formation » en nous appuyant sur le principe selon lequel « ce n’est pas seulement l’action qui donne le sens à l’acteur mais, à l’inverse, que le sens se construit à partir de l’acteur dans l’action ... » (Cros, 2009, p. 49). Pour que les enseignant-e-s utilisent réellement certains modèles théoriques et certains dispositifs leur étant liés, nous avons considéré qu'il leur fallait concrètement en reconnaître la valeur, pour leurs élèves, et qu'il leur fallait également constater, sur ces derniers, les effets de théories explicites

de l'apprentissage que nous voulions développer et du dispositif que nous leur proposions de mettre en place. Nous avons ainsi considéré que c'était leur « pouvoir d'agir » sur la promotion de l'égalité des sexes que nous devions étudier avec les participant-e-s.

Une des sources d’élaboration du concept de « pouvoir d’agir » s’enracine dans les travaux nord-américains sur l’empowerment des personnes et des collectivités (Bernstein, Wallerstein & al., 1994 ; Zimmerman, 2000). Nous avons utilisé le concept de « pouvoir d’agir » comme désignant la possibilité d'un-e acteur/trice de mener à terme un changement souhaité, qui le/la concerne et qu'il/elle a défini (Rappaport, 1987). Yann Le Bossé (2008, p. 138) définit le concept d'«Empowerment» comme un « mouvement d’acquisition de pouvoir qui produit un résultat tangible », ce qu'il traduit par : « la capacité concrète des personnes (individuellement ou collectivement) d’exercer un plus grand contrôle sur ce qui est important pour elles, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s'identifient » (Le Bossé, 200786). Ce concept désigne alors à la fois un processus (par lequel les acteurs/trices, individuellement ou en groupes, les organisations et les communautés acquièrent la capacité d’exercer un pouvoir), un état (la capacité des acteurs/trices à exercer ce pouvoir) et une approche d’intervention visant à soutenir le développement de cette capacité. Dans le cadre de cette intervention, pour Edward Bernstein et al (1994) ou encore pour Marc Zimmerman (2000), il ne s’agit pas d’enseigner, de promouvoir ou de stimuler un pouvoir d’agir (individuel ou collectif) des acteurs et actrices, mais de contribuer à l’émergence des conditions nécessaires à sa manifestation.

Dans la RA mise en œuvre dans le cadre de cette thèse, il s'agissait pour les acteurs/trices de mettre en évidence à la fois leur pouvoir d'action pour promouvoir l'égalité des sexes et les effets de leur action, pour que celle-ci ne leur apparaisse pas comme irréalisable et/ou vaine. Ce pouvoir d’action dépend à la fois des possibilités offertes par l’environnement (ressources sur l'éducation à l'égalité des sexes, ressources offertes par les études genre ; cadre institutionnel, législatif, contextes politiques, social, etc.) et des capacités des participant-e-s à exercer ce pouvoir (compétences professionnelles, désir d’agir, perception des possibilités d’action, de l'intérêt de l'action, capacité de projection, etc. (Renaud, 1995)). Il s'agissait alors dans cette RA de définir ensemble, enseignant-e-s et chercheuse, la cible du changement que nous voulions effectuer (ce qui était important selon les participant-e-s et la société dans la mise en œuvre de l'éducation à l'égalité des sexes). Une fois que cette cible a fait consensus, il nous a fallu définir les moyens de production de ce changement et les conséquences réelles ou envisagées de l’action planifiée, les moyens d'actions à privilégier parce 86- [En ligne : http://www.anas.fr/L-approche-centree-sur-le-developpement-du-pouvoir-d-agir-une-alternative-credible_a524.html, consulté le 10 décembre 2015].

que pouvant donner des résultats sur les enfants (leurs apprentissages, leurs représentations, leurs relations filles/garçons, etc. et peut-être alors la société de demain).

Du cadre théorique à la problématique