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2-2. Les attentes et choix de formations à l'égalité des sexes des enseignant-e-s

Chapitre III : Éduquer à l'égalité des sexes : apports des recherches

III- 2-2. Les attentes et choix de formations à l'égalité des sexes des enseignant-e-s

Malgré ces réticences et craintes régulièrement constatées chez les enseignant-e-s, il semble néanmoins qu'un certain nombre se déclare très concerné-e et intéressé-e par la problématique de l'égalité des sexes. Les professeur-e-s des écoles sont en demande de formation sur le sujet (Baurens & Schreiber, 2010 ; Institut EgaliGone & Université Lumière Lyon 2, 2013 ; Salle, 2014).

En novembre 2011, l’Institut EgaliGone, en partenariat avec l’université Lumière Lyon 2, a conduit une enquête, diffusée en ligne, sur « l'Égalité femmes/hommes et filles/garçons », auprès des équipes éducatives de l’enseignement primaire des académies de Lyon et de Grenoble. Sur neuf cent vingt-neuf répondant-e-s à toute une partie de l'enquête, six cent quarante-sept ont communiqué leur profil aux enquêteurs/trices, ce qui représentait 8 % des équipes éducatives du premier degré du Rhône, et a suffisamment reflété la population mère pour être analysé. Selon les résultats de cette enquête, 98 % des professeur-e-s des écoles interrogé-e-s pensent avoir un rôle à jouer en faveur de l’égalité (Greps59 & Egaligone, 2013, p. 57). Si l'identité professionnelle des enseignant-e-s peut parfois entraîner des doutes sur le rôle qu'ils/elles ont ou non à tenir dans l'éducation à l'égalité des sexes (comme celui que nous venons de citer lié à l'exigence de neutralité), elle affirme aussi leur place, par exemple, lorsqu'elle leur fait ainsi accepter l'« extension [de leur rôle] en écartant la figure du magister en faveur de celle de l’éducateur » (Duru-Bellat & Van Zanten, 2007, p. 146). Cependant, l'égalité qui fait ici consensus et, sur laquelle les professeur-e-s des écoles se sentent légitimes à éduquer, à intervenir et en devoir de le faire, est celle qui est aujourd'hui «

58- Formule utilisée par Jean-Louis Auduc (2009). Sauvons les garçons ! Paris : Descartes & Cie, p. 42.

59- Groupe de Recherche en Psychologie Sociale (Greps), laboratoire EA4163 membre de l’Institut de psychologie de l’Université Lyon 2.

profondément installée » (Dubet, 2009, p. 20) et « au fondement de la plupart des politiques scolaires depuis 1950 » (Robert, 2009, p. 95) : l'égalité des chances. Ainsi, dans l'enquête pré-citée, on passe de 98 % des professeur-e-s des écoles se disant concerné-e-s par l'égalité en général, à 86 % se déclarant concerné-e-s par la question de l’égalité femmes/hommes (Greps60 & Egaligone, 2013, p. 57). Ce qui correspond aux prescriptions des textes officiels que nous avions relevées au point I-4. de cette thèse, puisqu'apparaissait également dans ces textes cette idée d'une priorité à donner à la lutte contre les inégalités sociales sur celle contre les inégalités de sexe.

Si la persistance des inégalités entre hommes et femmes est reconnue par la majorité des enseignant-e-s, ils/elles font cependant des hiérarchies aussi au sein même de ces inégalités entre les sexes, qui seraient plus ou moins alors à traiter avec les élèves. Ainsi, toujours selon l'enquête EgaliGone réalisée en 2011, les professeur-e-s des écoles présentent des avis non consensuels sur la persistance de ces inégalités sociétales et les ordonnent : les inégalités entre les sexes les plus perçues concernent : « la vie professionnelle » ou, selon Murielle Salle (2014, p. 71), « la sphère domestique », théâtre d’un partage des tâches inégalitaire et parfois de violences. 83 % des professeur-e-s des écoles interviewé-e-s relèvent l’existence d’inégalités salariales et 78 % celles en matière de temps de travail et concernant les métiers (Université de Lyon 2 & Egaligone, 2012, p. 2). Mais d'autres inégalités sont minimisées. Ainsi, l'égalité serait « plutôt atteinte » dans le « domaine des jeux et jouets » pour plus d'un tiers des professeur-e-s des écoles interrogé-e-s ; dans celui des « loisirs », pour plus de la moitié (53%) des répondant-e-s ; ou encore, dans celui « de l'égalité juridique » pour une grande majorité des interviewé-e-s (66 %) (Ibid, p. 8). Remarquons que n'apparaissent pas d'autres inégalités, sans doute moins visibles, telles que les traitements inégalitaires des filles et des garçons à l'école. Les enseignant-e-s s'intéressent alors peu à des formations qui aborderaient la part des pratiques pédagogiques ou des outils pédagogiques utilisés dans la construction des inégalités de sexe.

Les formations sur l'implication que les pratiques enseignantes peuvent avoir dans la construction des rôles de sexe rencontrent peu de succès également parce que les professeur-e-s doutent de leur réelle participation ou influence sur cette construction. La question de l'orientation et de ses facteurs d'influence, par exemple, semble prématurée pour les professeur-e-s des écoles. Plus d'un-e répondant-e sur deux (55 %) à l'enquête Égaligone précitée considère ne pas avoir d'influence sur les futurs choix d'orientation des élèves (Ibid., p. 7). Par ailleurs, selon Muriel Salle (2014, p. 73), les « conséquences visibles de la bicatégorisation sexuée des élèves ne posent problème [aux enseignant-e-s] que quand elles riment avec violence ou se traduisent par des incidents ou des inégalités de traitement criantes en classe ».

Ainsi, les enseignant-e-s n'articulent pas systématiquement la sphère scolaire au reste de la société ou le temps 60- Groupe de Recherche en Psychologie Sociale (Greps), laboratoire EA4163 membre de l’Institut de psychologie de l’Université Lyon 2.

scolaire au reste du vécu des élèves. Pourtant, dans le même temps et paradoxalement, « les professeur-e-s considèrent qu’elles et ils ont un rôle à jouer en matière d’égalité entre filles et garçons mais que, de toute façon, l’efficacité de leur action est largement invalidée par l’action de la société en général » (Ibid.).

Cependant, ils/elles choisissent donc le contenu des formations qu'ils/elles souhaiteraient se voir proposer en considérant l'école comme sanctuarisée et en restant « largement aveugle aux conséquences des différences de traitement caractérisées entre élèves de sexes différents » (Ibid.). Ainsi, parmi les professeur-e-s des écoles ayant répondu à l'enquête EgaliGone, 70 % aimeraient suivre une formation sur « la prévention des stéréotypes de sexe » et, 68 %, sur la « prévention des violences sexistes » quand, les propositions d'interventions sur « la place des femmes en histoire et en science », ou encore sur « la législation et la réglementation », « les stéréotypes et l’orientation scolaire » ou « les stéréotypes dans les manuels scolaires » rencontrent un moindre succès auprès des interviewé-e-s en ne frôlant que les 50 % de demandeurs/deuses de formations privilégiant ces sujets (Université de Lyon 2 & Egaligone, 2012, p. 12).

Les enseignant-e-s ont, de façon majoritaire, le sentiment de leur auto-efficacité lorsqu'il s'agit d'œuvrer en faveur de l'égalité des sexes au travers de leurs pratiques. Notons là un paradoxe, que nous retrouverons dans l'analyse de la Recherche-Action que nous avons conduite, qui est qu'individuellement les enseignant-e-s croient tenir le rôle qui leur incombe en matière de promotion de l’égalité des sexes, tout en pensant que l'école en général ou certain-e-s de leurs collègues ne parviennent pas complètement à s’abstraire des stéréotypes sexués et seraient moins efficaces qu'eux/elles-même individuellement en matière de promotion de l'égalité. Ainsi, selon l'enquête EgaliGone, seuls 18 % des professeur-e-s des écoles interrogés craignent de maintenir les stéréotypes de sexe au travers de certaines de leurs pratiques mais, 45% pensent que l'école, elle, les maintient et, 98 % des répondant-e-s pensent tenir leur rôle en matière de promotion de l'égalité entre les sexes mais, seulement 84 % pensent que l'école tient également ce rôle (Ibid., p. 2). On peut facilement envisager que les enseignant-e-s qui éprouvent ce sentiment d'auto-efficacité ne trouvent qu'une faible utilité à participer à des formations sur l'égalité des sexes, lorsqu'ils/elles considèrent déjà œuvrer en faveur de cette égalité au travers de leurs pratiques professionnelles individuelles. Cependant, malgré cette confiance en leurs capacités et efficacité personnelle (qui seraient supérieures à celles de l'école), ou leurs sentiments de ne pas avoir à travailler à une égalité qui serait déjà réalisée, les professeur-e-s des écoles, conscient-e-s de peu connaître les outils et dispositifs existants au sein de l’Éducation Nationale qui pourraient permettre d'éduquer à l'égalité des sexes, sont en demande d'informations et de diffusion de ces moyens de travailler avec leurs

élèves. En terme de connaissances à acquérir, les professeur-e-s des écoles interrogé-e-s dans l'enquête de 2011 aimeraient disposer, en priorité, d'éléments sur la législation et la réglementation en vigueur (alors qu'ils ne souhaitent que très peu participer à des formations sur ce sujet), puis de fiches action (Ibid., p.13). Ils/elles estiment que leur seraient également utiles des outils qui leur permettraient de tester leurs pratiques (particulièrement concernant la transmission des représentations de sexe), immédiatement et de façon autonome (Ibid., p. 9). On peut interpréter ces demandes, ce que n'ont pas fait les analyseurs/seuses de l'enquête de 2012, comme la marque de réticences à mettre en œuvre l'éducation à l'égalité des sexes. Alors que cette éducation constitue bien une obligation professionnelle, les enseignant-e-s interrogé-e-s demandent en priorité à disposer d'informations leur confirmant à nouveau leur mission ou peut être permettant de sécuriser une mise en œuvre qu'ils/elles estiment à risque. Les professeur-e-s des écoles demandent à disposer d'outils leur permettant d'évaluer leur pratique concernant la transmission des représentations de sexe, peut-être parce qu'encore une fois, ils/elles doutent de participer à cette transmission. Enfin, les enseignant-e-s souhaiteraient que leur soit proposer des outils « tout faits » (des fiches actions), pragmatiques, leur permettant peut-être de gagner un temps qu'ils/elles n'estiment pas pouvoir consacrer à l'élaboration du travail sur l'égalité des sexes à faire réaliser à leurs élèves. Enfin, dans les déclarations des répondant-e-s à l'enquête EgaliGone de 2011, la formation apparaît globalement comme moins désirée/envisagée que la mise à disposition immédiate de ces outils qui permettraient la promotion de l'égalité des sexes. Malgré une implication forte déclarée, les répondant-e-s à l'enquête, avançant principalement une contrainte temporelle, placent donc la question de l'égalité des sexes en retrait dans leur logique éducative lorsqu’il s’agit de se former (ibid, p. 64). Et, plus qu'être formé-e-s, ils/elles demandent à disposer d'outils qui existent déjà et qu'ils/elles ne semblent pourtant pas être allé-e-s consulter. De nombreux outils sont en effet présentés désormais, en particulier, sur des sites ressources institutionnels61. Mais ces sites misent sur une autodidaxie des enseignant-e-s, qui, elle-même, va dépendre de leurs connaissances préalables et intentions de mise en œuvre en matière d'éducation à l'égalité des sexes.

Or, malgré leur demande de mise à disposition de tels outils, on peut facilement envisager que les mêmes priorités et contraintes temporelles que les enseignant-e-s peuvent avancer pour justifier de ne pas avoir encore mis en œuvre l'éducation à l'égalité des sexes, ou de ne pas avoir participé à des formations à ce sujet, joueront aussi sur leur proportion à aller d'eux/elles-mêmes vers ces sites ressources faisant appel à leur autodidaxie mais aussi à leur disponibilité et à leurs intentions.

61- Notons, entre autres, les pages d’Eduscol, le parcours Magistère pour les enseignants du premier degré, en ligne : http://eduscol.education.fr/cid47785/genre-et-pratiques-scolaires%A0-comment-eduquer-a-l-egalite%A0.html, consulté le 5 décembre 2015.

Une formation in situ permettrait une diffusion plus systématique de ces d'outils de promotion de l'égalité filles/garçons. Mireille Baurens et Caroline Schreiber remarquaient, dans leur bilan de la formation-genre qu'elles ont cocréée et expérimentée entre 2004 et 2010, que « la combinaison apport théorique et outillage concret contribu[ait] à l’accompagnement de nouvelles pratiques » (Baurens & Schreiber, 2010, p. 85) . Dans cette combinaison entre théorie et mise en pratique il s'agirait alors pour la formation : de donner aux professeur-e-s des écoles, comme ils/elles semblent donc le demander, des moyens et pistes concrètes de travail avec leurs élèves, mais, également, d'entraîner chez les professeur-e-es des écoles des prises de conscience leur permettant de ne plus différencier et stigmatiser à leur insu. Il conviendrait aussi de travailler de manière approfondie à l’assimilation et l’appropriation par les enseignant-e-s de connaissances complexes qui leur seront nécessaires pour problématiser didactiquement la question de l'égalité des sexes à aborder avec leurs élèves et leur permettront aussi de se sentir davantage autorisé-e-s à travailler cette problématique avec ces derniers.

Geneviève Guilpain (2016), observe ainsi, qu'au fur et à mesure de ces prises de consciences et grâce à une meilleure connaissance des études genre que permettent les formations sur le sujet, les résistances que nous avons décrites au point III-2-1., observées dans un premier temps chez les formé-e-s, tendent à disparaître.

Certains travaux des études genre peuvent permettre, en étant adaptés et réutilisés dans les classes, d'agir concrètement pour l'égalité des sexes au sein des écoles. Présentés dans les formations, ils pourraient constituer des pistes pour créer ces outils de mise en œuvre réclamés par les enseignant-e-s. C'est le cas, par exemple, des études sur les albums jeunesse sous l'angle des inégalités de sexe qu'ils véhiculent. Les rôles joués par les personnages féminins et masculins et la manière dont ils sont dépeints dans ces albums constituent en effet des modèles pour les enfants ou, au moins de fortes recommandations, qu'ils sont capables de percevoir. Ce qui fait de la littérature jeunesse un outil pour éduquer à l'égalité des sexes pour peu que la lecture de ses albums soit accompagnée et éclairée.