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Chapitre I : Éduquer à l'égalité des sexes : analyse des textes officiels

I- 4. Analyse des prescriptions officielles après la rentrée 2014

En août 2014, Najat Vallaud Belkacem, ancienne Ministre des droits des femmes, devenait Ministre de l'Éducation Nationale. Suite à la « non-généralisation » du dispositif des « ABCD de l’égalité », annoncée par son prédécesseur et, plus de trois mois après son arrivée, la Ministre rend publics les détails du « Plan d’action pour l’égalité entre filles et garçons »30 du Ministère de l'Éducation Nationale. Il est présenté en trois points :

• « La généralisation de la formation du personnel éducatif à l'égalité filles-garçons » ;

• « Des séquences pédagogiques enrichies [qui seront] préparées par les enseignants à partir d'outils rénovés et simplifiés »

• Une implication des parents qui seront informés : « L'égalité entre les filles et les garçons sera inscrite dans les projets d'école et d'établissement », le site internet ressource créé : des « Outils pour l'égalité entre les filles et les garçons » s'adressera autant aux parents qu'aux enseignant-e-s.

Observons le suivi de ces déclarations d'intentions sur le terrain.

La généralisation de la formation et la diffusion d'outils pédagogiques

En novembre 2014 est créé un site internet ressource : « Outils pour l'égalité entre les filles et les garçons »31. Le concept de genre, au cœur de la polémique des mois durant lesquels débute notre recherche exploratoire, ce que nous développerons au point IV-4. de cette thèse, est absent de ce site ressources. Le terme d' « expérimentation » utilisé sur l'ancien site des ABCD de l'égalité, qui avait alors fait dire aux détracteurs de ce dispositif pédagogique que les enfants étaient utilisés comme cobayes, n'apparaît plus non plus sur ce nouveau site.

À la rentrée scolaire 2014, aucune formation sur l'égalité des sexes n'est proposée dans le Plan académique de formation des enseignant-e-s du premier degré du département de l'Indre-et-Loire dans lequel s'est déroulée notre recherche.

30- [En ligne : http://www.education.gouv.fr/cid80888/plan-d-action-pour-l-egalite-entre-les-filles-et-les-garcons-a-l-ecole.html, consulté le 2 décembre 2014].

En 2015-2016, plus d'un an après l'arrivée de la ministre, un parcours de formation à distance est proposé, dans le cadre de la formation continue des enseignant-e-s, par l'inspection de la circonscription dans laquelle s'est déroulée la Recherche-Action. Remarquons que ce format d'animation pédagogique ne permet pas d'échanges directs entre professeur-e-s des écoles formé-e-s. Dans ce parcours Formation ouverte et/ou à distance (FOAD), on prend d'abord appui sur la législation (les quatre grandes lois ayant jalonné l'introduction de l'éducation à l'égalité des sexes sont présentées : Loi du 10 Juillet 1989 ; Loi du 23 Avril 2005, Article L121-1 du code de l'éducation ; Loi du 9 juillet 2010, Article L. 312-17-1 ; Loi du 8 juillet 2013). La convention interministérielle 2013-2018 pour l'égalité dans le système éducatif est décrite en détail. L'éducation à l'égalité des sexes est inscrite dans une continuité : « Depuis 1989, la loi a confié à l’école la mission de contribuer à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes notamment en matière d'orientation » et présentée comme une mission.

La FOAD, planifiée sur deux heures se décline en trois étapes :

• « Etat des lieux » (30 min) : « Identifier des points de discrimination dans la société » ; « Identifier des points de discrimination à l'école » (parties dans lesquels sont présentées une série de statistiques) ; « S’assurer de la bonne compréhension des concepts » (« stéréotype » et « égalité »). Le concept de « genre » n'est pas évoqué dans cette partie ; • « Attentes institutionnelles » (30 min) : « Connaître le contenu et les objectifs du plan

d'actions pour l'égalité entre les filles et les garçons ; Connaître son rôle dans le dispositif » ;

Notons les temps très courts accordés à ces deux premières étapes : trente minutes chacune.

• « Agir pour plus d'égalité » (1h) : « Adopter une démarche d'analyse sur des cas concrets » (« La cour de récréation », « une séance d'EPS », « pratiques de conduites de classe », « les supports pédagogiques »).

C'est en toute fin de formation (dans « les supports pédagogiques »), après deux heures, qu'est évoqué pour la première fois le concept de genre, au cœur de la polémique, dans une sous-partie intitulée : « Des stéréotypes sexistes dans la littérature de jeunesse ». Cette sous- partie ne développe pas le sujet annoncé par son intitulé (les stéréotypes dans la littérature jeunesse), mais présente une diapositive en pdf dans laquelle, sans aucune référence à la hiérarchie, le concept de genre est présenté comme tel :

« Concepts genre et sexe :

- La notion de « sexe » : caractéristique purement biologique qui différencie hommes et femmes.

Ces constats suffiront à mettre en évidence une volonté de dédramatiser au maximum l’enjeu de l'éducation à l'égalité des sexes après des mois de conflit avec les lobbies traditionalistes, que nous décrirons au point IV-4. de cette thèse. On ne trouve pas au sein de cette FOAD d'outils rénovés et simplifiés qui pourraient permettre aux enseignant-e-s de préparer des « séquences pédagogiques enrichies » d'éducation à l'égalité des sexes.

L'implication et l'information des parents

En septembre 2013, les inspecteurs/trices de circonscription indiquent dans les réunions de rentrée aux directeurs/trices d'école que les futurs projets d'écoles (à renouveler l'année scolaire suivante) devront comporter un axe concernant l'égalité entre les filles et les garçons. Pourtant, un mois après que le Ministère de l'Éducation Nationale a confirmé la nécessité de cette inscription de l'égalité entre les filles et les garçons dans les projets d'école, cet axe n'apparaît plus dans les consignes de rédaction de ces projets envoyées dans les écoles par les inspecteurs/trices en septembre 2014. Dans les nouvelles consignes de rédaction, l'axe sur l'égalité des sexes est remplacé par « l'intégration de l’usage du numérique dans les pratiques pédagogiques quotidiennes » ou, peut-être, est-il inclus dans un projet plus vaste développé dans un autre axe conseillé : « Faire acquérir une culture morale et civique commune au sein de l’école - rendre les élèves acteurs de la vie de l'école et leur permettre de différencier leur intérêt particulier de l’intérêt général ».

La mission de l'école d'éduquer à l'égalité des sexes est d'autant moins affirmée aux parents d'élèves, qu'elle n'est toujours pas présentée de manière explicite aux enseignant-e-s dans les nouveaux programmes et s'y trouve même minimisée.

Au cours de l'année scolaire 2014-2015, les professeur-e-s des écoles ont été consultés sur ces nouveaux programmes effectifs à la rentrée 2015 pour le cycle 1 et à la rentrée 2016 pour les cycles 2 et 3. J'ai assisté aux concertations à ce sujet des enseignant-e-s participant à la Recherche-Action. Ils/elles avaient alors pu repérer quelques passages concernant l'éducation à l'égalité entre les filles et les garçons dans les « projets de programmes » (CSP & MEN, 2014, 201532) qui leur avaient été 32- Conseil Supérieur des programmes & MEN. (2014). Projet de programme école maternelle. En ligne :

http://cache.media.education.gouv.fr/file/Organismes/32/6/CSP-PROJET_DE_PROGRAMME_eCOLE_MATERNELLE_337326.pdf, consulté le 4 novembre 2015.

Conseil Supérieur des programmes & MEN. (2015a). Projet de programme pour le cycle 2. En ligne : http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/03/4/PROGRAMME_C2_adopte_412034.pdf, consulté le 2 mai 2016. Conseil Supérieur des programmes & MEN. (2015b). Projet de programme pour le cycle 3. En ligne : http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/03/8/programme_C3_adopte_CSP_412038.pdf, consulté le 2 mai 2016.

présentés. Ils/elles remarquèrent très vite qu'il semblait y avoir encore moins d'évocation de l'égalité des sexes dans ces projets de nouveaux programmes que dans les programmes précédents (aucune référence à l'égalité des sexes n'était même faite dans le projet de programme de cycle 2). Suite à cette consultation, parurent les programmes définitifs de l'école primaire (MEN, 2015a et b)33. Or, les quelques rares références à l'éducation à l'égalité des sexes que les participant-e-s avaient pu repérer dans les projets de programmes avaient disparu dans ces textes finaux. Recul ou, sur certains points, renoncements, que les participant-e-s à la recherche que je croisais l'année suivante ne manquèrent pas de me faire remarquer : « Il n'y a plus rien dans les programmes en fait !, tu as vu ? Tout a été supprimé ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'on ne doit plus le faire ? » ; « Alors, on nous demande de partir au feu, mais même le ministère n'ose pas le faire ! Ils ne sont pas fous, eux ! »34.

Enfin, dans les parcours FOAD sur l'égalité des sexes, dans les nouveaux programmes (MEN 2015a et b) ou dans le nouvel Enseignement Moral et Civique – EMC- (MEN, 2015c)35, on observe aussi un déplacement du discours sur « l'égalité » à promouvoir. Le problème des inégalités entre les sexes semble disparaître hiérarchiquement sous celui des inégalités sociales perpétuées par un système éducatif en crise désormais « à refonder ». La valeur « égalité » est certes mise en avant. Mais, parfois, dans une sorte de concurrence, les inégalités de sexe, les discriminations liées au sexe, les stéréotypes de sexe, etc. sont englobés dans la lutte contre les inégalités, discriminations, stéréotypes, préjugés « en général » : la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme, la lutte pour l'intégration des handicapés, etc. Toutes ces luttes sont renvoyées à la lutte considérée comme la plus importante de toutes, affichée par le gouvernement sous la présidence de François Hollande36 comme argument majeur d'action, de refondation : celle contre les inégalités sociales. « Refondation de l’école : priorité à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales » ; « L'inégalité face à l'éducation est la première des injustices contre lesquelles il faut lutter (...) Notre pays ne donne pas les mêmes chances de réussite à tous ses élèves. Les inégalités sociales se transforment et s’aggravent en inégalités scolaires37 ». Ces notions de « priorités », de hiérarchie rappellent alors un autre discours : celui sur le retour aux fondamentaux. Il est ainsi demandé aux enseignant-e-s de lutter pour l'égalité des sexes, mais en leur rappelant qu'ils/elles n'en ont peut-être 33- Pour constater ce qui a pu disparaître ou être transformé concernant l'éducation à l'égalité des sexes entre les projets de programmes soumis à consultation et les programmes définitifs de 2015 et 2016, voir annexe 14.

34- Propos des enseignantes rencontrées dans les écoles, extraits de mon cahier de notes de juin 2015.

35- MEN. (2015a). Programme d'enseignement moral et civique – Ecole élémentaire et collège. Bulletin officiel spécial n° 6 du 25 juin 2015. En ligne : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=90158, consulté le 14 juillet 2015.

36- Du 15 mai 2012 au 14 mai 2017.

pas le temps et qu'ils/elles ont des priorités à faire passer avant.

Une réorientation, consistant à minimiser l'importance de l'éducation à l'égalité des sexes, apparaît ainsi clairement dans les modifications, inversions ou suppressions que l'on peut observer : dans les formations à distance consacrées à l'éducation à l'égalité des sexes ; entre le site disparu des ABCD de l'égalité et le nouveau site ressource de l'Éducation Nationale : « Outils pour l'égalité entre les filles et les garçons »38 ; entre les projets de programmes (CSP & MEN, 2014, 2015) et les nouveaux programmes effectifs (MEN, 2015a et b) ; entre les anciens documents d'accompagnement des programmes concernant l'instruction civique et morale (MEN, 2012) et le nouveau document correspondant intitulé : « L'EMC » - Enseignement Moral et Civique – (MEN, 2015c)39.

38 - [En ligne : https://www.reseau-canope.fr/outils-egalite-filles-garcons.html, consulté le 2 décembre 2014].

39- Alarmé-e-s par ce qu'ils/elles considèrent comme des marches arrières du gouvernement en matière d’action pour l’égalité des sexes, un collectif de quatorze chercheurs et chercheuses spécialistes des questions de genre (Buscatto, Chevalier, Collet, Couchot-Schiex, Delphy, Détrez, Fassin, Fillod, Fouché, Marry, Petrovic, Salle, Touraille et Zegaï) dénoncera, en janvier 2014, ce « Recul idéologique » de l'Education Nationale, dans une tribune de Médiapart ([En ligne : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-batailles-de-legalite/article/160115/egalite-des-sexes-l-ecole-machine-arriere-toute, consulté le 3 juin 2016]). Ces chercheurs et chercheuses s'inquiètent du fait que les appuis théoriques des concepts, lorsque ces derniers sont encore évoqués, disparaissent de toutes les ressources fournies par le ministère ou de ses discours, ou sont parfois tronqués, ce qui « laisse place à diverses interprétations, y compris dans le sens d’un renforcement des stéréotypes de genre, voire de leur naturalisation ». Ils/elles écriront à propos des nouveaux projets du Ministère de l'Éducation Nationale : « Ce plan d’action pour l’égalité ne sera donc pas seulement inefficace : il est voué à être contre-productif, et c’est désespérant. Tant d’énergie et de moyens consacrés à un dispositif qui renforcera les inégalités en réaffirmant les normes de genre, ainsi que les discriminations vis-à-vis des enfants qui n’y sont pas conformes ! (…) il importe maintenant (...) de répondre à l'inquiétude de celles et ceux qui s'engagent pour l'égalité ».