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1. Un contenu riche à analyser sous l'angle des inégalités de sexe véhiculées

Chapitre II : La littérature jeunesse, un outil à exploiter

II- 1. Un contenu riche à analyser sous l'angle des inégalités de sexe véhiculées

Dès les années 70, sous l'impulsion des « combats féministes », les supports éducatifs, ludiques et pédagogiques (dont font partie les albums jeunesse) ont été remis en cause par les recherches féministes en développement (Danziger, K., 1970 ; Gianini Belotti, 1974 ; Decroux-Masson, A., 1979, ...). Depuis, les études révélant des représentations sexistes et inégalitaires des filles et des garçons, des hommes et des femmes dans ces supports n'ont fait que croître et se diversifier. Elles ont porté sur : les jouets ou jeux vidéos (Baerlocher, E., 2006 ; Cromer, S., 2005 ; Rouyer, V. & Robert, C., 2010 ; Lignon, F., 2013 ; Tap, P, 1985), les dessins animés (Massei, S., 2015), la presse enfantine (Brugeilles, C., Cromer, I. & Cromer, S., 2008 ; Cromer, S., 2008, 2010 ; Dafflon Novelle 2002), les manuels scolaires et lectures proposées par l'Éducation Nationale (Brugeilles, C., Cromer, S., 2005, 2008 ; Brugeilles, C., Cromer, S. & Panissal, N., 2009 ; Decroux-Masson, A., 1979 ; Duru-Bellat, M., 1990 ; Rignault, S. & Richert, P., 1997) et la littérature jeunesse (Michel, A. 1986 ; Cromer, S. & Turin, A., 1997, 1998 ; Montardre, H., 1999 ; Brugeilles, C., Cromer, I. & Cromer, S., 2002 ; Dafflon Novelle, 2002, 2003, 2006, 2012 ; Turin, A., 2004 ; Epiphane, D., 2007 ;

40 - [En ligne : https://www.reseau-canope.fr/outils-egalite-filles-garcons/agir-en-classe314.html, consulté le 01/09/2017] 41 - [En ligne :

https://www.reseau-canope.fr/outils-egalite-filles-garcons/reperer-les-inegalites-dans-la-lecture-et-la-litterature-de-jeunesse.html, consulté le 01/09/2017]

42 - [En ligne : https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/Plan_egalite_filles-garcons/OEFG_Lecture_litterature_jeunesse.pdf, consulté le 01/09/2017]

Chabrol Gagne, N., 2011 ; Mazzone, F. & Barthe, C., 2012 ; Dionne, 2012 ; Costes, J. & Houadec, V., 2013 ; Houadec, V., 2013 ; Connan-Pintado, C. & Béhotéguy, G., 2014 ; etc.). Ces supports ont en commun d'être des vecteurs importants de transmission de représentations sociales et culturelles. En étant des reflets du monde des adultes, prescripteurs pour les enfants, ils leur présentent des images normatives de la société. Images que nous allons décrire en ce qui concerne les « connaissances sexuées » transmises (Dafflon Novelle, 2006) dans les albums jeunesse. Le « récit, même fictionnel, donne forme à ce qui existe dans le monde réel et (…) il lui confère même une sorte de droit à la réalité. (...) le récit parvient, eo ipso, à donner forme à notre expérience du monde. (...) à créer des réalités si convaincantes qu’elles finissent par donner forme à l’expérience, non seulement celle que nous avons des univers décrits par cette fiction, mais aussi celle du monde dans lequel nous vivons » (Bruner, 2002, p. 12). Tout en stimulant l'imagination des enfants, les albums pour la jeunesse, outre leur fonction de divertissement, leur transmettent des valeurs et les amènent à intérioriser des normes. Certains contribuent à éduquer les enfants à la citoyenneté par la transmission de ces valeurs et dans la constitution d'une culture partagée.

Les recherches sur la littérature jeunesse, s'interrogent depuis trente ans sur ces normes et sur les rapports sociaux de sexe que cette littérature peut véhiculer (Michel, A. 1986 ; Cromer, S. & Turin, A., 1997, 1998 ; Brugeilles, C., Cromer, I. & Cromer, S., 2002 ; Turin, A., 2004 ; Dafflon Novelle, 2002, 2003, 2006, 2012 ; etc.). Et c'est également dans cette question de recherche que se sont inscrites les analyses qu'ont menées enfants et enseignant-e-s participant à la recherche effectuée sur les albums de leur école.

Le sexisme de la littérature jeunesse, déjà dénoncé en 1974 par Elena Gianini Belotti, a été amplement confirmé par nombre de ces recherches réalisées, en particulier, à partir des années 90, période du débat sur la parité et années d'entrée de l'incitation à l’utilisation des albums de littérature pour la jeunesse dans les textes institutionnels concernant l'école primaire (Brugeilles & col. 2002, 2009 ; Dafflon Novelle, 1997, 1999 et 2000).

En termes de repères quantitatifs, ces travaux ont mis en évidence une surreprésentation des personnages masculins43 dans les albums jeunesse étudiés, dans un rapport allant de 60PM/40PF à 69PM/31PF44, tous personnages (principaux ou secondaires) confondus. Cette surreprésentation se manifeste dès les titres et couvertures et se poursuit dans les illustrations jalonnant l'intérieur des

43 - À chaque utilisation dans notre texte des termes « personnages féminins » ou « masculins », nous parlons des personnages identifiables comme étant de sexe féminin ou masculin.

albums. En outre, les albums étudiés proposent deux fois plus de héros que d'héroïnes (voire dix fois plus dans les histoires avec animaux anthropomorphisés s'adressant aux tout-jeunes enfants (0-3 ans). Le déséquilibre numérique constaté se double ainsi d'une hiérarchisation au profit des personnages masculins, de par la centralité qui leur est accordée dans l’histoire comparativement aux personnages féminins. Ainsi, se crée, dans les albums analysés, un déficit de personnages de sexe féminin, de surcroît, en tant que personnages centraux (Brugeilles, C., Cromer, I. & Cromer, S., 2002 ; Brugeilles, C., Cromer, S. & Panissal, S. 2009 ; Costes, J. & Houadec, V., 2013 ; Dafflon Novelle, A., 2002 ; Dafflon Novelle, A. & Ferrez, E., 2003, Demarest, J. & Kortenhaus, C. M., 1993).

Ce déficit quantitatif et qualitatif s'accompagne d'une valorisation sociale des activités exercées par les personnages de sexe masculin. À l'inverse, les personnages féminins, sur-représentés dans les rôles secondaires, le sont également dans des activités peu valorisées socialement (Brugeilles, C., Cromer, I. & Cromer, S., 2002 ; Dafflon Novelle, A., 2002 ; Dafflon Novelle, A. & Ferrez, E., 2003 ; Epiphane, D., 2007 ; Chabrol Gagne, N. 2011, 2013 ; Dionne, A.-M., 2012). C'est à propos des personnages adultes, dont les activités sont plus aisément situables sur l’échelle générale des valeurs, que sont observées les asymétries les plus importantes et que les stéréotypes sont accentués. Les figures adultes de sexe féminin sont principalement représentées dans des occupations ménagères ou de soins courants aux enfants. Lorsqu'elles sont représentées en train de travailler (ce qui arrive deux fois moins que chez les figures adultes de sexe masculin), elles sont cantonnées à des professions traditionnelles et peu diversifiées, du domaine de l’esthétique corporelle (danseuse, coiffeuse, etc.) ou prolongeant leurs prétendues qualités naturelles de soin et de soucis des autres - le care - (maîtresse, infirmière, etc.) ; quand les métiers exercés par les personnages adultes de sexe masculin (qui occupent, eux, tous les territoires, sphère privée comme publique) sont beaucoup plus variés et supposent plus d’expertise et de responsabilité sociale (militaire, pompier, pilote d’avion, astronaute, explorateur, scientifique, sportif, maire, directeur, etc.).

En ce sens, ces albums perpétuent et légitiment la valence différentielle des sexes chère à Françoise Héritier (1996-2002). C'est-à-dire, la dominance du principe masculin sur le principe féminin, « la place différente des deux sexes sur une table des valeurs » (Héritier, 1981, p. 50).

Par ailleurs, 40 % des albums présentent au moins une mère et moins d'un quart des albums proposent des personnages adultes féminins n’incarnant pas de fonction maternelle alors que près de la moitié proposent des personnages adultes masculins n’incarnant pas de fonction paternelle (Brugeilles, C., Cromer, I. et Cromer, S., 2002). Puisqu'elles sauraient mieux s'occuper des enfants que les pères, ce sont donc les figures féminines adultes qui s'en occupent et elles sont mères avant

tout.

Les personnages masculins sont majoritairement mis en scène dans des lieux extérieurs et ouverts, quand les personnages féminins sont bien plus souvent mis en scène dans des lieux intérieurs et clos et, les personnages masculins (enfants comme adultes) sont au cœur d’un vaste réseau de relations, facteur d'intégration sociale qui leur permet d'affirmer leur identité « masculine », quand cette sociabilité n'est que très peu développée chez les personnages féminins. Dans les albums, les filles et les femmes sont davantage isolées ou placées en situation d’interaction avec les personnages masculins, ce qui, note Anne Dafflon Novelle (2003), joue, pour elles, en défaveur du développement de la solidarité et de l'estime de soi.

Il ressort de tout ces travaux que les albums jeunesse peuvent constituer des supports pertinents pour travailler à l'égalité des sexes. Cependant, utiliser la littérature pour la jeunesse pour éduquer à l'égalité des sexes peut aussi constituer une demande supplémentaire faites aux enseignant-e-s de changer leurs pratiques. Ceci parce que l'utilisation pédagogique des albums jeunesse (même sans aller jusqu'à les analyser sous l'angle des inégalités de sexe qu'ils véhiculent) n'est pas promue de manière uniforme et régulière par les textes officiels de l'Éducation Nationale et parce que les méthodes pédagogiques qui pourraient correspondre à cette utilisation de la littérature jeunesse ne sont pas diffusées auprès des professeur-e-s des écoles.

II-2. La littérature jeunesse comme outil pédagogique selon les textes