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Chapitre I : Éduquer à l'égalité des sexes : analyse des textes officiels

I- 3. Comparaison des prescriptions

Nous nous sommes alors interrogée sur la cohérence entre les valeurs exprimées dans les deux types de textes qui encadrent la promotion de l'éducation à l'égalité des sexes dans le système scolaire : les textes d'orientation générale et les textes de mise en œuvre. La comparaison entre les deux corpus de textes montre qu'ils mettent en avant des dimensions qui, pourtant, sont souvent opposables ou incompatibles. Comme le montre le graphique n°4 ci-après, les enseignant-e-s se retrouvent face à des textes qui, d'un côté, appellent à la continuité (dimension développée à 71,4 % dans les textes de mise en œuvre de l'éducation à l'égalité des sexes) et qui, de l'autre, sollicitent les dimensions du changement et du dépassement de soi (qui sont les deux dimensions développées de façon équivalente dans les textes d'orientation générale).

Graphiques 4 : Dimensions sur lesquelles s'appuient les valeurs à transmettre dans les deux types de textes encadrant la promotion de l'éducation à l'égalité des sexes :

Textes de mise en œuvre

(programmes et documents d'accompagnement concernant l'instruction civique et morale)

Textes d'orientation générale

Comparons par ailleurs les places accordées par ces deux corpus, aux différentes valeurs exprimées. Les résultats de nos analyses quant aux hiérarchies effectuées entre les valeurs au sein de ces deux types de textes sont rappelés dans les graphiques n°5, ci-après.

71,40% 3,40% 18,30% 6,90% 0,00% 51,90% 48,10% 0,00%

Graphiques 5 : comparatif des hiérarchies des volumes des valeurs entre les deux types de textes officiels encadrant l'éducation à l'égalité des sexes :

Hiérarchie des volumes des types de valeurs évoquées dans les textes de mise en œuvre de l'éducation à l'égalité des sexes

à l'école :

Hiérarchie des volumes des types de valeurs évoquées dans les textes d'orientation générale sur la mise en œuvre de

l'éducation à l'égalité des sexes à l'école : Types de

valeurs Densité des volumes : Types de

valeurs Densité des volumes :

Universalisme 32,7 % Connaissance 27,2 % Connaissance 28,2 % Sécurité 25,1 % Sécurité 16,2 % Conformisme 15,1 % Pouvoir 12,2 % Universalisme 11,3 % Autonomisation 5 % Bienveillance 7 % Conformisme 2,9 % Pouvoir 6,1 % Bienveillance 2 % Tradition 4 % Accomplissement 1 % Autonomisation 3,2 % Tradition 0 % Accomplissement 0,6 % Hédonisme 0 % Hédonisme 0,4 % Stimulation 0 % Stimulation 0 %

On observe dans les graphiques ci-dessus que, dans les textes de mise en œuvre de l'éducation à l'égalité des sexes à l'école, les valeurs de type « universaliste » n'arrivent plus qu'en quatrième position dans la hiérarchie des types de valeurs exprimés. Cela en non concordance avec ce qui est prôné dans les textes d'orientation générale, qui, eux, placent au premier plan ces valeurs de type « universaliste » (première position dans la hiérarchie).

Pour comparer les hiérarchies effectuées dans ces deux types de textes, nous avons attribué dans le graphique n°6 ci-après, aux onze types de valeur exprimés dans les deux corpus, le niveau correspondant à sa place dans les hiérarchies mises à jour par nos analyses : Place 1 dans la hiérarchie = niveau + 10, place 2 = niveau + 9, …, place 10 = niveau + 1, place 11 = niveau 0.

Graphique 6 : Comparaison des places accordées aux différents types de valeurs dans les deux types de textes encadrant l'éducation à l'égalité des sexes :

0 2 4 6 8 10 Textes de mise en oeuvre encadrant l'éducation à l'égalité des sexes Textes d'orientation générale concernant l'éducation à l'égalité des sexes

En observant ce graphique n°6, on constate, d'un côté, des textes d'orientation générale qui accordent une place plus importante que les textes de mise en œuvre aux types de valeur que sont la « tradition », le « conformisme », la « bienveillance », la « connaissance » et la « sécurité »28 (colonnes de gauche dans le graphique n°6 ci-dessus). De l'autre, les textes de mise en œuvre qui, eux, accordent une place plus importante que les textes d'orientation générale à l'expression des types de valeurs que sont l'« universalisme », l'« autonomisation », le « pouvoir » (dans une acceptation sociopolitique de la problématique de l'égalité des sexes), et l' « accomplissement » (colonnes de droite dans le graphique n°6).

Ces différents types de documents encadrant l'éducation à l'égalité des sexes à l'école, présentent alors simultanément aux enseignant-e-s deux idées presque également instituées qui pourtant s'opposent : appeler le retour à une école et des méthodes plus traditionnelles et à un enseignement plus vertical et appeler à une école moderne, innovante, active et participative.

Mobiliser non pas seulement des savoirs mais également des savoir-faire et des savoir-être nécessite de développer l' « autonomie », la « motivation », la « stimulation » et l'« accomplissement. Pourtant, il apparaît dans les graphiques n°6 ci-avant que l'« autonomisation », ne représente que 3,2% du volume total des valeurs exprimées dans les textes de mise en œuvre de l'éducation à l'égalité des sexes utilisés par les enseignant-e-s et, que l' « accomplissement » n'est développé qu'à 0,6%. Enfin, le type de motivation qu'est « la stimulation » n'apparaît dans aucun des deux types de textes de notre corpus.

Dans ces textes guidant les enseignant-e-s, le civisme, et donc, aussi, l'éducation à l'égalité des sexes (puisque c'est principalement dans ce cadre qu'elle est abordée par les enseignant-e-s participant à cette recherche), apparaissent comme ne relevant d'abord que de la connaissance (entendue comme « du savoir »), pas de l'intelligence et encore moins de l'affectivité29 ; de la théorie et non de la pratique. Et on arrive finalement, dans les cahiers des élèves, à des mini-cours de droit constitutionnel pour enfants, qu'ils doivent apprendre par cœur et à des listes de gestes de sécurité, comme le montrent le contenu du cahier d'un élève de la classe de CM2 d'une des participantes à la recherche exploratoire reproduits en annexe 27.

L'éducation à la citoyenneté, comme à l'égalité des sexes, ne sont ainsi pas présentées par les textes 28- Notons, qu'en cohérence avec ce que nous avions relevé dans notre analyse de l'évolution des circulaires de rentrée de 2007 à 2014, les valeurs de type « sécurité » et « conformisme », arrivent respectivement en seconde et troisième place (juste après la transmission de connaissances), dans la hiérarchie des types de valeurs exprimés dans les documents d'accompagnement des programmes de 2008 concernant l'Instruction civique et morale, programmes en cours durant cette recherche et jusqu'à la rentrée 2016.

29- Il est plus difficile d'interroger et contester les normes posées par des personnes avec lesquelles on entretient des liens affectifs.

officiels les encadrant comme nécessitant l'utilisation de méthodes pédagogiques actives et participatives. La forme scolaire implicitement prônée par les programmes en cours au moment de la Recherche-Action et par leurs documents d'accompagnement, possède des traits spécifiques qu'ont décrits Olivier Maulini et Philippe Perrenoud (2005, p. 152) : le « Temps didactique » ; la « Planification » ; la « Transposition didactique » ; la « Discipline » (intellectuelle et corporelle) ; le « Contrat didactique entre un formateur et un apprenant » ; les « Normes d’excellence » ; … Le tableau n°1 ci-après, donne quelques exemples des traces du développement de chacun de ces traits que nous avons pu repérer dans les programmes scolaires de 2008 :

Tableau 1 : traces des traits spécifiques de la forme scolaire prônée dans les programmes de 2008 en cours durant la RA :

Traits spécifiques de la forme scolaire

(Maulini, O. & Perrenoud, P., 2005, p. 152) Traces dans les programmes de 2008 et les instructions ministérielles les accompagnant Temps didactique : « il faut que le travail de formation

et d’apprentissage s’étende sur une certaine durée, avec une certaine périodicité et un découpage du temps

proprement didactique » Dans les programmes de 2008 (intitulés « d'enseignement de l'école primaire »), les enseignements sont encadrés Horaires et programmes dans des horaires, répartis par domaines disciplinaires. La durée hebdomadaire de chaque discipline est indiquée. Il est précisé que les volumes annuels fixés pour chacun des domaines disciplinaires doivent être respectés.

Les enseignements, découpés par disciplines, le sont aussi année scolaire par année scolaire.

Planification : « Pour qu’il y ait forme scolaire, il faut que les apprentissages à favoriser fassent l’objet d’une représentation préalable, dans l’esprit du formateur et jusqu’à un certain point de l’apprenant, que l’apprentissage soit planifié ».

Transposition didactique : « il faut que les savoirs enseignés et appris aient fait l’objet d’une transposition didactique, d’une codification, d’un découpage, d’une organisation propres à en assurer la transmission et l’assimilation ».

Contrat didactique : « Contrat didactique entre un formateur et un apprenant : le rôle du premier consistant à partager une partie de son savoir et à favoriser son appropriation par l’apprenant, ce dernier ayant la charge d’écouter, de travailler, de répéter, de chercher à comprendre et à mémoriser, de se prêter à une évaluation en cours de route, bref d’apprendre de façon apparemment visible et contrôlable ».

En maternelle, l'intitulé « Vivre ensemble », utilisé dans les programmes de 2002, est remplacé par l'intitulé « Devenir élève » dans ceux de 2008. L'objectif de ce domaine est d’apprendre à l’enfant à « vivre avec les autres dans une collectivité organisée par des règles, à comprendre ce qu’est l’école et quelle est sa place dans l’école ». Les programmes précisent que l'on peut dire qu'un enfant est devenu élève lorsque à la fin de l’école maternelle, il est devenu capable de : « respecter les autres et respecter les règles de vie commune (...) identifier les adultes et leur rôle, (...) jouer son rôle dans les activités scolaires, dire ce qu’il apprend (…) se mettre au travail après une consigne (...) s’engager dans la tâche demandée » et lorsqu'il « sait que pour apprendre, il doit fournir des efforts ».

En élémentaire, les « élèves apprennent les règles de politesse et du comportement en société. Ils acquièrent progressivement un comportement responsable et deviennent plus autonomes.

1. Ils découvrent les principes de la morale, qui peuvent être présentés sous forme de maximes illustrées et expliquées par le maître au cours de la journée : telles que “La liberté de l’un s’arrête où commence celle d’autrui”, “Ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu’il me fasse”, etc. Ils prennent conscience des notions de droits et de devoirs. 2. Ils approfondissent l’usage des règles de vie collective découvertes à l’école maternelle : telles l’emploi des formules de politesse ou du vouvoiement. Ils appliquent les usages sociaux de la politesse (ex : se taire quand les autres parlent, se lever quand un adulte rentre dans la classe) et coopèrent à la vie de la classe (distribution et rangement du matériel). (…) Ils apprennent à reconnaître et à respecter les emblèmes et les symboles de la République (la Marseillaise, le drapeau tricolore, le buste de Marianne, la devise “Liberté, Égalité, Fraternité”) » (MEN, 2008, p. 12).

Discipline : « il faut qu’il y ait imposition et acceptation d’une discipline intellectuelle et corporelle réputée favorable aux apprentissages, que l’apprentissage soit d’une certaine façon « laborieux », qu’il ne se fasse pas spontanément mais au prix d’une volonté et d’efforts ».

Traits spécifiques de la forme scolaire (Maulini, O. & Perrenoud, P., 2005, p.152)

Traces dans les programmes de 2008 et les instructions ministérielles les accompagnant

Normes d’excellence : « Pour qu’il y ait forme scolaire, il faut qu’il y ait référence à des normes d’excellence et à des critères d’évaluation permettant de définir et mesurer une progression des apprentissages ».

A partir de la rentrée 2008, sont proposés, en ligne, des protocoles d’évaluation, permettant de dresser un bilan des acquis des élèves par disciplines de la grande section de maternelle au CM2. Des évaluations nationales au CE1 et CM2 sont mises en place. Le ministre de l'éducation nationale annonce alors sa volonté, pour la rentrée 2009, de voir les résultats de ces évaluations « rendus publics école par école » (conférence de presse de Xavier Darcos du 11 décembre 2008), ce à quoi s'opposeront les syndicats enseignants et la Fédération des parents d 'élèves (FCPE). En septembre 2008, un livret à destination des familles comprenant les programmes édités par le ministère pour les parents a été distribué dans les écoles. « Les nouveaux programmes sont respectueux de la liberté pédagogique que la loi garantit aux enseignants dans le cadre du projet d’école. Cette liberté réaffirmée va de pair avec une responsabilité accrue car l’efficacité de l’école comme celle de ses maîtres ne se conçoit qu’au regard des progrès réalisés par les élèves » (DGESCO, 2008).

Remarquons enfin, ici, un autre paradoxe concernant l'éducation à l'égalité des sexes : tandis que cette forme scolaire traditionnelle qui demande planification et transposition didactique est mise en avant et prônée au travers des programmes scolaires, l'éducation à l'égalité des sexes, elle, n'est justement ni planifiée dans ces textes, ni transposée didactiquement en terme de contenus. En outre, elle est difficilement évaluable et ne répond pas non plus aux normes d'excellences mises en avant dans les programmes de 2008.

En résumé, les professeur-e-s des écoles se retrouvent face à :

• une commande institutionnelle d'éduquer à l'égalité des sexes qui n'est pas déclinée de manière pragmatique en termes de pistes pédagogiques ou de démarches à mettre en place pour éduquer à l'égalité des sexes ou à la citoyenneté ;

• des textes qui prescrivent et définissent différemment selon les années, les gouvernements et les circulaires ce que pourrait signifier éduquer à l'égalité des sexes ;

• des programmes scolaires, qui, eux, non seulement n'évoquent que très brièvement l'éducation à l'égalité des sexes mais, de surcroît, incitent à une forme scolaire très traditionnelle en tension ou même parfois en contradiction avec les modalités qui pourraient permettre une socialisation démocratique et l'éducation à l'égalité des sexes.

L'analyse ainsi effectuée concernait un encadrement de l'éducation à l'égalité des sexes n'ayant cours que jusqu'à l'année scolaire 2014-2015, période pendant laquelle a eu lieu la Recherche-Action analysée dans cette thèse. Mais nous nous sommes également interrogée, rétrospectivement à cette Recherche-Action, sur une éventuelle évolution de l'accompagnement institutionnel de l'éducation à l'égalité des sexes depuis 2015.