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Les fondements de l’engouement des compagnies maritimes pour la commission de transport terrestre

INDUSTRIE MARITIME, ARMEMENT ET TERRITOIRE : LES ENSEIGNEMENTS DE LA LITTÉRATURE

1. Les facteurs intrinsèques à l’industrie maritime expliquant l’engouement des armements pour les maillons terrestres armements pour les maillons terrestres

1.1. Les fondements de l’engouement des compagnies maritimes pour la commission de transport terrestre

Comme nous l’avons présenté dans le premier chapitre, les compagnies maritimes organisant le transport de porte à porte peuvent adopter différentes manières de vendre ces prestations. Avant d’explorer la manière dont la littérature appréhende la question de la vente liée, penchons-nous tout d’abord sur les causes conduisant les compagnies maritimes à vendre des services mer-terre, indifféremment de manière séparée ou liée.

1.1.1. La commission de transport terrestre : un outil aux multiples vertus

Les compagnies maritimes s’immiscent dans la commission de transport terrestre essentiellement pour répondre à la demande des chargeurs, maîtriser les coûts liés à la logistique du conteneur, et ainsi explorer de nouveaux gisements de productivité.

Dans une économie où d’après Christopher (1992), « leading edge companies have realised that the real competition is not company against company, but rather supply chain against

supply chain », le supply chain management, donc l’optimisation des flux d’information, de produits, et d’argents, de l’approvisionnement en matière première à la vente du produit final (Chopra et Meindl, 2007), prend une importance grandissante. L’optimisation de la supply chain suppose un enchaînement coordonné des différents maillons (Womack et al. 1990). La concurrence au sein des systèmes productifs s’internationalisant, la durée de vie des produits diminuant, le nombre de références et de marques se multipliant, les incertitudes sur les ventes s’élèvent et les prévisions à moyen et long termes deviennent difficiles. Dans ces conditions, la demande de services de transport et logistique efficients se trouve renforcée. Ces prestations, en particulier sur le maillon conteneurisé, ne correspondent pas au cœur de métier des firmes de production ou de distribution. Ces dernières tendent à externaliser ces prestations (Heaver, 2002) pour faire baisser leurs coûts et améliorer la flexibilité et la qualité de service (Morvillo, 2002). La présence au sein du système de « facilitateurs », d’intervenants à même de « huiler les rouages », s’est progressivement imposée comme un facteur d’efficience. La coordination des différents maillons de la supply chain implique un haut degré d’intégration organisationnelle entre les firmes productives et leurs prestataires logistiques. Il n’en demeure pas moins qu’un grand nombre de chargeurs ne confie pas le contrôle de l’ensemble de leur supply chain à un unique intermédiaire (Frémont, 2008).

Lorsque certains produits sont amenés à être transportés en mer sous forme conteneurisée, un des N maillons de la supply chain, le maillon conteneurisé, nécessite souvent un traitement particulier (Figure 6).

Figure 6: La chaîne conteneurisée au sein de la supply chain

Source : élaboration propre

Sur le maillon conteneurisé, les chargeurs aspirent à externaliser les prestations de transport auprès d’un minimum d’acteurs, suivant une logique « one-stop shopping » (Panayides, 2002). Mahoney (1985) est un des premiers à avoir défini, non sans un brin de machisme, cette logique : ‘‘The carrier promises to become a transportation supermarket, where the shipper will be able to satisfy all needs with ‘‘one-stop shopping’’. The shipper’s shopping list will be fulfilled with simplified documents from origin to destination and the shipper will receive an audited computerized printout, just like housewife at the checkout counter”. L’offre de service « one-stop shopping » simplifie les procédures commerciales et de suivi de la marchandise pour les chargeurs (Lieb, 1971 ; Lalonde, 1991). Au sein du secteur hyperconcurrentiel du transport conteneurisé, le prestataire capable d’offrir le service « one-stop shopping » le moins cher dispose d’un avantage. Mais au-delà du prix, les chargeurs attendent des solutions porte à porte fréquentes, ponctuelles, fiables avec une bonne couverture géographique (Slack et al., 1996). Dans ces conditions, l’offre de services porte à porte peut se révéler source de compétitivité pour les armements.

En se positionnant en organisateurs de transport porte à porte, les armements sont plus à même de maîtriser les coûts liés à la logistique du conteneur (Rodrigue et Notteboom, 2007). Or, la réalisation d’économies d’échelle en mer liée à la croissance de la taille des navires

Supply Chain Chaîne conteneu risée Maillon 1 : matières premières Maillon N : produit final Maillon 2 : ….. Maillon N-1 : ….. Origine marchandise conteneurisée Destination marchandise conteneurisée Port de chargement Port de Déchargement

(Cullinane et Khana, 1999) renchérit la part des coûts liés à l’achat, la location, l’entretien et le transport terrestre des conteneurs (Notteboom, 2004b). Hastings (1997) rapporte que les coûts terrestres de la compagnie CP Ships s’élèvent à 42% de l’ensemble de ses dépenses et même à 50% en prenant en compte le repositionnement des conteneurs vides.

Enfin, le maillon terrestre représente un gisement de productivité pour les compagnies maritimes. La concentration de l’industrie maritime par le biais des croissances internes, alliances et fusions acquisitions a rendu possible la réalisation de gains de productivité en mer. Mais les armements ne peuvent plus asseoir leur compétitivité sur la seule baisse des coûts maritimes tant ils se répercutent à moyen et long termes sur les taux de fret et annulent de fait l’avantage procuré par les nouvelles capacités mises en œuvre (Lim, 1998). Pour rester compétitives et remplir leurs porte-conteneurs toujours plus grands, les compagnies maritimes sont contraintes d’innover, de mener des stratégies répondant au plus près aux attentes des chargeurs qui, pour leur part, aspirent à avoir recours à un minimum d’intervenants le long de la chaîne porte à porte (Semeijn et Vellenga, 1995). L’organisation de la chaîne de transport porte à porte en carrier haulage apparaît être une solution pouvant procurer aux compagnies maritimes des marges de compétitivité, ce qui semble impossible en ciblant uniquement le maillon maritime (Frémont, 2008).

1.1.2. Quel est l’intérêt de la vente liée de services porte à porte ?

Dans la littérature sur la vente liée, il y a toujours au moins deux biens : le bien liant sur un segment dit amont, et un ou plusieurs bien(s) lié(s) sur un segment aval. Le fret maritime ne pouvant être vendu séparément (même s’il est tarifé séparément) des THC, BAF, CAF, ISPS, frais de dossiers, ces différents composants forment en réalité une première entité, le bien liant, correspondant à un service maritime port à port. Les services terrestres constituent alors les biens liés (Figure 7).

Figure 7: Décomposition des biens liés et liants des chaînes porte à porte

Source : élaboration propre

A partir d’un modèle théorique, Acciaro (2007) montre que la vente liée peut constituer une option stratégique profitable pour les compagnies maritimes. L’absence de travaux complémentaires portant spécifiquement sur les compagnies maritimes nous a incité à entreprendre une revue de la littérature sur la vente liée. Les hypothèses retenues dans les modèles théoriques considèrent les marchés des biens liants et liés comme très peu concurrentiels. Or, en pratique, les ports sont généralement desservis par plus de deux compagnies maritimes (Frémont et Soppé, 2005) tandis que le marché du transport terrestre, en particulier celui du combiné rail-route ou barge-route, s’avère généralement oligopolistique. Par conséquent, les résultats des études théoriques méritent d’être considérés avec précaution d’autant que comme le précise Economides (1993), les résultats mis en évidence dans un cadre monopolistique ne sont pas forcément généralisables à des structures de marché comprenant davantage d’offreurs. Pour autant, il nous semble pertinent de revenir brièvement sur certains enseignements des recherches menées par les économistes ayant étudié la vente liée.

Les premiers travaux sur la vente liée (Adams et Yellen, 1976 ; Schmalensee, 1984, Mc Afee et al, 1989) retiennent l’hypothèse de monopoles sur les marchés du bien liant et du bien lié. Ils montrent alors que la vente liée mixte constitue une stratégie dominante, supérieure en profitabilité à la vente séparée car elle permet de mieux extraire le surplus des clients. En considérant que le marché du bien liant est toujours monopolistique, mais que le bien lié évolue dans un marché duopolistique, Carbajo et al (1990) montrent que le recours à la vente liée permet de se différencier et de réduire ainsi la concurrence sur les prix ; Whinston (1990) souligne que le recours à la vente liée permet de produire à un coût inférieur à celui de profitabilité pour le concurrent, et ainsi de l’exclure progressivement du marché ; Nalebuff (1999) estime que la vente liée permet de placer des barrières à l’entrée sur les marchés.

Transport maritime Transport

terrestre Opérations terminaux portuaire Opérations terminaux portuaire Transport terrestre Bien liant :

Taux de fret maritime, BAF, CAF, THC, frais de dossier, ISPS, etc. Bien lié : Taux

Au-delà des limites liées aux hypothèses retenues, n’y a-t-il pas des enseignements à tirer de ces analyses théoriques ? Nous verrons en particulier dans le chapitre 9 que certains armements utilisent ce modèle de tarification pour tenter de renforcer leur compétitivité sur terre.

1.2. Les causes de l’intervention des compagnies maritimes dans la « mise en œuvre »

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