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Comment appréhender l’avantage concurrentiel émanant des comportements de territorialisation des armements ?

CONDITIONS DE LA TERRITORIALISATION DES ARMEMENTS ET COMPÉTITIVITÉ DEGAGÉE

2. Compétitivité des comportements de territorialisation

2.1. Comment appréhender l’avantage concurrentiel émanant des comportements de territorialisation des armements ?

La littérature en transport maritime (voir chapitre 2) souligne que l’intervention sur terre est source de compétitivité si le comportement déployé permet de minimiser les coûts de la logistique du conteneur et du navire tout en répondant à la demande du chargeur. Les stratégies de territorialisation des armements au sein des ports et arrière-pays du Range Nord permettent-elles de remplir ces objectifs ?

2.1.1. La valeur dégagée par les stratégies terrestres des armements

Des ressources et compétences sont sources de valeur si elles permettent à la firme qui les mobilise d’être plus compétitive que ses concurrentes ou au moins d’améliorer ses propres performances (Barney, 1991, p99; Amit et Shoemaker, 1993, p36). Or, comme le résume Coff (1999, p.119) : « il est généralement admis que la théorie de la ressource est un outil utile pour prédire le niveau de performance. Toutefois, elle a été formulée pour expliquer dans quels cas les entreprises génèrent des rentes et non qui se les appropriera. » L’activité de transport conteneurisé doit créer de la valeur pour le chargeur sinon la prestation n’a pas lieu d’être, mais l’armement doit aussi capter une partie de la valeur pour assurer sa propre subsistance voire sa croissance. En théorie, deux valeurs méritent d’être appréhendées : celle capturée par la compagnie maritime et celle délivrée au client.

La notion de valeur renvoie souvent à celle de rente dans la littérature sur les ressources. Mahoney et Pandian (1992, p. 364) affirment que « la stratégie peut être considérée comme une recherche continue de rentes ». Durand (1997, p. 75) cité par Maltese (2004, p. 35) considèrent que la rente se présente « comme la différence entre le coût de mise en œuvre des unités indivisibles des facteurs de production et le revenu de cette allocation ». Différents types de rentes traduisent le bénéfice que peut tirer une firme:

- rentes ricardiennes : elles sont fonction du choix d’implantation territoriale (Arrègle, 1996) ;

- rentes relationnelles : elles sont générées lors de contributions communes par le biais d’alliances spécifiques ; ne peuvent être créées par l’une ou l’autre entreprise seule (Dyer et Singh, 1998) ;

- quasi-rentes organisationnelles : elles naissent de la combinaison de ressources territoriales et organisationnelles (Saives, 2002).

Quel que soit le type de rente ou quasi-rente dégagée, la question que nous nous posons est la suivante : quels sont les outils à la disposition d’une compagnie maritime intervenant sur terre pour créer de la valeur, c’est-à dire pour dégager une rente tout en satisfaisant la demande du client ?

2.1.2. La rareté des ressources

Le proverbe qui dit que « ce qui est rare est cher » s’applique bien à l’analyse de la compétitivité par les ressources. La question de la rareté des ressources est assez délicate à aborder car il convient de soulever l’imprécision qui demeure derrière le terme « rare ». Barney (1991, p. 107) affirme que « how rare a valuable resource must be in order to have the potential for generating a competitive advantage is a difficult question ». S’il considère qu’être unique est la garantie pour dégager un avantage concurrentiel, il concède toutefois que « it may be possible for a small number of firms in an industry to possess a particular valuable resource and still generate a competitive advantage » (Barney, 1991, p. 107). Ceci est particulièrement intéressant pour nous qui sommes amené à étudier plusieurs compagnies maritimes intervenant sur terre. D’ailleurs Barney (1991, p. 107) clôt la question de la rareté en affirmant que « in general, as long as the number of firms that possess a particular valuable resource (or a bundle of valuable resources) is less than the number of firms needed to generate perfect competition dynamics in an industry (Hirshleifer, 1980), that resource has the potential of generating a competitive advantage ».

2.1.3. Comment mobiliser des ressources et compétences rares et dégager de la valeur ?

Les compagnies maritimes qui entendent disposer d’un avantage concurrentiel à la suite de leur intervention sur terre sont, selon l’approche RBV, contraintes de mobiliser des ressources et compétences créatrices de valeur et suffisamment rares pour attirer les clients.

Concernant la notion de valeur, la compagnie maritime constituant l’unité d’analyse de notre thèse, notre travail se focalisera sur la valeur capturée par un armement mettant en oeuvre un comportement de territorialisation. La valeur créée pour le chargeur ne sera pas complètement exclue de l’analyse. Nous l’intègrerons simplement comme un paramètre agissant sur le trafic induit par le comportement d’ancrage, donc agissant sur la valeur capturée par l’armement. Pour déceler les conditions permettant aux armements de développer de la valeur sur les services terrestres, rappelons-nous l’importance de la massification en mer pour dégager des économies d’échelle (Cullinane et Khana, 1999, 2000). Cette logique largement dépeinte dans la littérature maritimiste ne s’appliquerait-elle pas à l’acheminement terrestre des conteneurs ?

A partir d’un calcul des coûts par conteneur transporté sur une barge opérant sur le Rhin, Konings (2002) montre que le coût du transport à la “boîte” décroît avec le nombre de conteneurs transportés sur un même convoi fluvial. Outre le taux de remplissage des convois, la fréquence des services doit également être suffisante pour répondre à l’exigence des chargeurs (Notteboom, 2002 ; Debrie et Gouvernal, 2005). N’est-ce donc pas les volumes transportés sur les services terrestres mis en œuvre par les armements qui constituent le facteur essentiel de rentabilité ? La même logique ne s’applique-t-elle pas aux terminaux ? Toutefois, pour comparer la valeur – ou la rente – dégagée par deux firmes déployant un comportement d’ancrage, il convient de prendre en compte la « taille » de ces firmes. Un armement B, deux fois plus « grand » qu’un armement A, doit dégager un surcroît de profits en se territorialisant deux fois supérieur à celui de A pour que le gain de chacune des deux firmes soit comparable. La compétitivité procurée par un comportement de territorialisation ne dépend-elle pas, à taille de l’armement constante23, des volumes manutentionnés/transportés sur les services mis en œuvre dans le port et son arrière-pays ? Interrompre notre raisonnement ici supposerait que l’armement déploie des comportements stratégiques indépendamment des caractéristiques territoriales. Si nous avons vu dans le chapitre 2 que le territoire est souvent appréhendé dans la littérature de manière exogène à la compagnie maritime, il nous semble nécessaire de dépasser cette approche et de nous interroger si la compétitivité d’un comportement d’ancrage ne dépend pas également du territoire (port et son arrière-pays) sur lequel il prend forme. De récents travaux sur les dessertes terrestres des ports ont souligné que la mise en œuvre de dessertes massifiées, et la multiplication de ces dessertes, est avant tout possible au départ des ports centraux car ce sont ces derniers qui, du moins en Europe, alimentent historiquement les marchés terrestres les plus dynamiques (Debrie et Gouvernal, 2005).

Le développement de services au sein des principaux ports et leur arrière-pays va-t-il de pair avec la nécessité d’offrir un service rare pour être source d’avantage concurrentiel ? En d’autres termes, les armements parviennent-ils à intervenir sur des marchés porteurs, susceptibles d’attirer de nombreux offreurs, sans octroyer à leur service un caractère « générique » ? Rien n’est moins sûr. Aussi ne convient-il pas de déployer, depuis les

23 Nous verrons dans le chapitre 5 comment nous prenons en compte cette question, laissée ici volontairement floue, de la « taille » de l’armement.

principaux ports, des dessertes vers des marchés intérieurs nullement desservis par la concurrence ? Par ailleurs, les chargeurs attendent des services porte à porte fiables (Slack et al., 1996). Dans le même temps, la coordination des maillons maritime, portuaire et terrestre des chaînes porte à porte passant par les grands ports est loin d’être optimale (Van der Horst et De Langen, 2008). De fait, les armements parvenant à coordoner de manière efficiente ces différents maillons ne proposent-ils pas un service suffisamment rare pour attirer l’attention des chargeurs ? N’est-ce donc pas en développant des services originaux au regard des marchés intérieurs desservis et des formes de coordination développées, qu’un armement pourra proposer un service considéré comme rare voire unique ? Ces considérations nous conduisent à introduire notre deuxième proposition de recherche.

Proposition 2 : Pour être source d’avantage concurrentiel, le(s) service(s) mis en œuvre par un armement dans le cadre d’un comportement de territorialisation doit(vent) traiter d’importants volumes au regard de la taille de l’armement, prendre forme sur un nœud et/ou des axes fortement générateurs de fret et conserver une forme d’unicité au regard des marchés terrestres desservis et des formes de coordination développées dans le port et sur terre.

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