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Le fonctionnement de l’industrie maritime favorise clairement la localisation

Les conséquences de l’avènement de la conteneurisation en Europe tendent à orienter l’attention, les efforts et les investissements des armements sur le maillon maritime, celui sur lequel se joue, jusqu’à la fin des années 1970, la réputation, les recettes et la grandeur des compagnies maritimes.

1.2.1. Une tendance à la localisation d’abord liée à la cartellisation de l’industrie maritime

Les rapports entretenus par les armements avec les maillons terrestres s’expliquent tout d’abord par la manière dont ces firmes se (re)structurent pour s’adapter à l’avènement de la conteneurisation.

rapport du Cerlic (1974b, p22), il est précisé qu’en 1972, « les conteneurs empotés représentaient 13% du tonnage total de marchandises diverses conteneurisées, contre 15% aux conteneurs dépotés »…

1.2.1.1. La conteneurisation entraîne une cartellisation de l’industrie maritime

La conteneurisation émerge en Europe au sein d’une industrie maritime déjà particulièrement régie par des conférences qui, selon le professeur Rodière (IETM, 1974b), sont des « groupes de Compagnies desservant une même route ou un même secteur géographique et qui perçoivent en vertu d’un accord des taux de fret uniformes ». A l’origine, c’est-à-dire à la fin du 19ème siècle34, les conférences n’étaient que des organisations sans personnalité juridique regroupant des armements aspirant à s’entendre sur les taux de fret. L’annonce du développement des premières lignes conteneurisées transocéaniques génère au sein des conférences le regroupement d’armements.

Année 1965 : depuis près de dix ans, quelques compagnies maritimes américaines transportent par voie maritime des conteneurs d’un port à l’autre des Etats-Unis. Ces armements parmi lesquels figurent Sea-Land ou Seatrain disposent donc déjà de navires, de conteneurs et de l’expérience liée à cette nouvelle technologie. Alors que depuis quelques mois déjà les voix qui s’élèvent des ports de la rangée Nord Europe annoncent l’avènement d’une ère nouvelle, les armements américains lancent ce qui est communément appelé « la bataille de l’Atlantique ». Leur objectif est simple : prendre de vitesse les compagnies maritimes européennes et redorer le blason du pavillon américain historiquement faiblement représenté sur le marché du transport maritime de marchandises diverses (Frémont, 1996). Les armements européens et japonais, encore exclusivement focalisés sur le transport maritime conventionnel, sont contraints de s’organiser dans l’urgence pour s’adapter au conteneur. Ces compagnies sont confrontées à un problème de financement de l’activité conteneurisée : le coût des porte-conteneurs et des conteneurs est très élevé. Pour amortir les investissements, il convient de disposer de grands navires35 permettant de minimiser le coût unitaire du transport. Or, ce type de grand porte-conteneurs « remplace couramment quatre à

34 « En 1875, la première conférence est née entre les armements britanniques qui assuraient le trafic entre les côtes d’Europe et la côte des Indes pour mettre fin aux guerres de trafic et de tarifs qui les opposaient, à l’occasion de l’ouverture du canal de Suez, guerres d’autant plus vives que la capacité excédentaire de l’offre était importante. Depuis, les conférences se sont multipliées parce que l’importance des coûts fixes dans le transport maritime a toujours poussé les armateurs en période de crise à offrir leurs services à des prix qui ne couvrent que le coût marginal, compromettant ainsi la régularité des lignes par une concurrence excessive. » (Bauchet, 1982, p.235-236)

35 A l’époque un navire d’une capacité d’emport de plusieurs centaines de TEU était considéré comme un grand navire.

six navires conventionnels » (Douet, 1984, p. 12). Comment alors, à volume constant de transport, ne pas dégrader la fréquence des services ?

La solution pour ces armements passe par le regroupement. Des compagnies anglaises constituent en 1965 le premier consortium Overseas Container Ltd.36 (OCL) et déploient ensemble une ligne conteneurisée entre le Royaume-Uni et l’Australie. Toujours dans l’optique de desservir l’Australie, un second consortium 100% britannique apparaît en 1966 : l’Associated Container Transport37 (ACT). Des compagnies allemandes, hollandaises et japonaises fusionnent pour donner naissance respectivement à un groupe allemand Hapag Lloyd, hollandais Nedlloyd et six groupes japonais parmi lesquels figurent Nippon Yushen Kaisha (NYK) et Mitsui Osaka Lines (MOL).

L’objectif premier de ces groupes et consortiums nationaux est de développer des relations conteneurisées de pays à pays sur le modèle qui prévalait avant l’avènement du conteneur. Toutefois, « ces concentrations nationales ne sont pas suffisantes pour créer un service valable de conteneurisation et pour pouvoir en supporter les investissements » (IETM, 1974b, p.167). Par conséquent, le rapprochement d’armements de différents pays est inévitable. Il donne naissance à des consortiums internationaux reliant par voies conteneurisées la rangée Nord Europe au reste du monde : d’abord l’Amérique du Nord (ACL) et l’Australie (AECS) de 1966 à 1970 ; puis l’Extrême-Orient (TRIO, SCANDUTCH) entre 1971 et 1974. A partir de 1975, d’autres consortiums se forment sur des liaisons Nord/Sud.

1.2.1.2. Des consortiums qui protègent les intérêts maritimes des armements

La raison d’être de ces consortiums est guidée par la minimisation des coûts maritimes. Pour atteindre cet objectif, les armements vont constituer de véritables cartels. Le système des conférences se double de celui des consortiums : « Les consortiums permettent une exploitation en commun de moyens techniques et commerciaux que la conférence ne peut pas effectuer, ils se complètent » (Bauchet, 1992).

La constitution d’un consortium engendre (Douet, 1984) : la création d’une structure avec un nom propre ; la rationalisation des horaires ; l’existence d’un bureau commun ayant un rôle

36 Créé par quatre armements britanniques (P&O, Blue Funnel, Furness, B&C)

administratif, opérationnel et comptable ; la banalisation du matériel naval (chaque armement peut embarquer sur ses navires la marchandise recrutée par ses partenaires et charger sur les navires de ses partenaires la marchandise recrutée par lui) ; l’harmonisation des politiques commerciales et en particulier des conditions offertes aux chargeurs en termes de mise à disposition des conteneurs et de facturation des délais de détention des conteneurs sur terre, etc. ; la mise en commun des dépenses maritimes et d’armement. Certains consortiums renferment même quelques-unes des spécificités suivantes : mise en commun d’autres dépenses de fonctionnement, des recettes, suppression de la concurrence interne, action commerciale commune, personnalité juridique. Dans ces conditions, certains consortiums deviennent des quasi-sociétés, « de véritables groupes multinationaux dont les armements sont des actionnaires » (Bauchet, 1992). Le système de consortiums qui complète celui des conférences consacre un système fonctionnant « entre gentlemen », où la concurrence entre armements est réduite.

Des accords prévalent aussi sur le maillon terrestre. Les membres d’un consortium s’accordent en règle générale sur les conditions et montants de facturation du positionnement du conteneur vide chez le client chargeur, les minimas en tonnage de chargement, les temps de chargement à respecter, les pénalités en cas de détention prolongée du conteneur. Ces armements peuvent même proposer un « incentive rate », c’est-à-dire une ristourne pour les chargeurs remettant des conteneurs FCL plutôt que LCL (Cerlic, 1974). Les accords relatifs aux prestations terrestres entre armements du consortium Scandutch sont regroupés en Annexe 2.

1.2.1.3. Un système peu remis en question

Au milieu des années 1970, la grande majorité des armements américains, européens et japonais sont membres de conférences sur les principales routes maritimes reliant les ports de la rangée Nord Europe aux principales destinations conteneurisées à cette époque (Tableau 13). Parmi ces compagnies maritimes, celles du « vieux continent » ou du « pays du soleil levant » appartiennent presque toutes aux consortiums.

Tableau 13: Principales compagnies maritimes (et leur nationalité) desservant l'Europe du Nord en 1974

Europe Atlantique/

Australie Atlantique/USA Europe Europe Atlantique/ Extrême-Orient

Consortium Consortium Consortium

AECS austral Scan-

Hors

consortium ACL consortium Trio Scan- Hors dutch consortiumHors

OCL X X ACT X Lloyd Triestino X X Nedlloyd X X Hapag Lloyd X X X Australian National Line X Messageries Maritimes X X Transatlantic SS X X Wilhemsen X East Asiatic X Baltic Steamship Company X X Marisia X Messina X

Polish Ocean Lines X X

Wilénius X Svenska America Line X Compagnie Générale Transatlantique X Cunard X Holland America Line X American Export Lines X US Line X

Dart Container Line X

Sea land X Sea Train X Finnlines (Finlande) X Ben Line X Mitsui OSK X NYK X east-Asiatic X Swedish Asia X Wilhemson X Achille Lauro X Chargeurs réunis X

X Appartenance à une conférence sur la liaison considérée Légende:

X Non-appartenance à une conférence sur la liaison considérée

La concentration qui prend forme au sein de l’industrie maritime est bien particulière. Les consortiums ne sont pas eux-mêmes indépendants les uns des autres car les compagnies maritimes appartiennent simultanément à différents consortiums. L’indépendance des armements se diluant dans un magma d’accords protéiformes, une sorte d’interdépendance inhibitrice se crée. L’armement allemand Hapag Lloyd est impliqué dès 1974 à la fois dans les consortiums internationaux TRIO et AECS. La Compagnie des Messageries Maritimes qui après fusion avec la Transat deviendra la CGM appartient à la fois à SCANDUTCH et AECS. P&O est à la fois membre d’OCL, TRIO et AECS.

Peu nombreux et peu puissants, les « outsiders » ne sont pas en mesure, jusqu’à la fin des années 1970, de remettre en cause cet ordre établi. Parmi ces armements « atypiques » figurent ceux du bloc soviétique réfractaires à tout accord avec les armements de l’ouest, à savoir Baltic Steamship Company (U.R.S.S) et Polish Ocean Lines (Pologne) ; et deux autres dont la non-participation au système cartellisé apparaît plus surprenante : l’armement finlandais Finnlines et celui italien Messina. Le système cartellisé n’étant pas remis en question jusqu’à la fin des années 1970, les armements semblent relativement peu incités à aller explorer sur terre de nouveaux gisements de productivité alors que le maillon maritime offre de quoi prospérer aux firmes qui s’entendent.

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